Chapitre 32
Duncan était affalé dans son siège, un fusil à pompe contre la cuisse, la crosse posée sur le plancher du véhicule. Il le bloquait de sa main gauche, évitant de la sorte que le canon ne vise autre chose que le plafond. Dans sa main droite, une bouteille d'alcool fort, à moitié vide. Le liquide incolore s'agitait au gré des secousses du pick-up. L'homme prit une longue gorgé, avant de sourire à Jessica.
Elle, Nathan et Archimède avaient repris place à l'arrière du véhicule, avant qu'ils partent en direction du désert. Une fois les champs dépassés, il ne s'offrait pour paysage que le sable et les dunes. Parfois, un sol en terre craquelée se substituait au sol sableux, mais c'est le désert qui l'emportait toujours.
Sydney ne comprenait pas la propension qu'avait Duncan à l'utilisation des armes à feu. Elles n'avaient rien de pratique : encombrantes, bruyantes et voyantes. Un objet qui suintait l'indiscrétion, du plastique noir de la crosse jusqu'à la bouche métallique du canon. Impossible avec cette arme de ne pas rameuter toutes les goules des environs. Chaque détonation était un appel à passer à table. La contenance d'un chargeur n'était alors pas suffisante pour s'en sortir. Le fait que son passager ait passé quelques chargeurs supplémentaires dans sa ceinture n'y changerait rien, il y aurait plus d'ennemis que de balles.
Alors que Duncan s'apprêtait à reprendre une nouvelle rasade, Sydney l'interrompit d'un geste brusque qui surprit l'homme.
— Qu'est-ce que tu fous ? J'ai plus le droit de boire maintenant ?
— T'as déjà assez bu, tu ne crois pas ? contesta Sydney.
— J'ai la gueule de bois. C'est le meilleur remède. Tu ne veux pas que je sois en pleine forme pour ta virée en enfer ?
— En réalité, c'est faux, s'immisça Jessica dans leur conversation. L'alcool n'atténue pas les effets secondaires d'une gueule de bois, il les camoufle, mais c'est un cercle vicieux. Le mieux, c'est de boire de l'eau. Qui plus est, lorsqu'on manipule une arme à feu.
Sydney passa soudainement sa main entre les jambes de Duncan qui se crispa, et ouvrit la boîte à gants. Elle en sortit une gourde et la jeta sans précautions à son passager.
— En fait, Sydney ici présente, contrairement à ce qu'on pourrait penser, n'en n'a rien à foutre de mes maux de tête ou de la façon dont je me serre de mon engin - et je parle bien de Mrs Sunshine, pas de mauvaise interprétation, indiqua l'homme en montrant son arme. Ce qui l'inquiète, c'est que je m'épice.
— Tu... t'épices ? interrogea Nathan.
Le jeune homme s'était avancé sur son siège. En réalité, c'était plus pour se mettre dans le champ de vision de Duncan que pour s'intéresser à ses propos, même si ce dernier mot l'intriguait. Il ne voyait pas trop pourquoi l'homme parlait d'épices... Ou même de cuisine. Pendant que Sandra était peut-être en train de subir des atrocités sans noms.
— Est-ce que tu veux bien la fermer, lança Sydney à l'attention du passager. Ils n'en ont rien à faire de tes affaires.
— Mes affaires ? s'offusqua Duncan. Attends, on parle de tes affaires, moi j'ai pas envie de la sauver cette meuf ! Qu'elle vive ou qu'elle crève, ça changera rien à mon monde. Par contre, quand une connasse débarque chez moi pour me balancer de la flotte à la gueule et m'enlever, là, ça perturbe mes habitudes.
— Tes habitudes ? s'indigna la destructrice. Gueule de bois, coma, boire, boire, boire, gueule de bois, vomir ?
Elle avait resserré sa prise sur le volant, signe d'une tension interne conséquente. La virulence des propos ne laissait aucun doute quant au fait que ses deux-là ne s'appréciaient pas. Mais pas du tout.
— Pfff. Elle est sûrement déjà morte ta meuf, insinua Duncan.
— Quoi ?! s'empressa d'intervenir Jessica, les yeux écarquillés de stupéfaction.
— Enfin je veux dire, non, elle est sûrement encore vivante, rectifia Duncan. Tu la connais ?
— C'est notre amie, confirma la jeune femme.
— Ah... Ben en avant alors !
— Et c'est quoi s'épicer ? demanda à nouveau Nathan, qui avait peur de rater une information essentielle.
— C'est marrant, tu les as trouvés où ces deux-là ? s'amusa Duncan en feignant un coup de coude à la conductrice. Ben s'épicer, c'est s'alcooliser, pour aller servir de hors-d'oeuvre aux goules. Elles adorent ça, boire le sang des gens éméchés. J'ai même déjà assisté de mes yeux - et c'est pas pour me vanter - au gavage d'un mec. Les goules lui ont fourré un tuyau dans la gorge et ont versé deux bouteilles de vin dans le gosier du malheureux. Après une demi-heure, elles l'ont becqueté sans vergogne, ces sales chiennes.
Nathan et Jessica devinrent aussi blanc que s'ils avaient aperçu un fantôme. Une expression proche de la terreur s'affichait sur leurs visages livides.
— OK c'est bon, ferme-la maintenant, s'interposa Sydney. Ils ont perdu leur ami y'a pas longtemps.
— Oh ! Désolé, je ne savais pas... Mais je sais ce que tu dois ressentir, je sais ce que c'est de devoir faire son deuil.
Nathan nota qu'il avait totalement été évincé de la conversation, puisque les yeux de Duncan étaient rivés sur son amie. Le malabar sortait sa carte maîtresse, celle du gros dur au cœur tendre. Comme un Jelly Belly. Ouais, Duncan était juste un putain de bonbon.
— Tu ne vas pas faire ça quand même ? s'indigna la conductrice.
— Faire quoi ? se défendit l'homme.
Sydney le fixa sévèrement aussi longtemps qu'elle put, avant de reporter son regard sur la route pour éviter à tous un accident. Même si le désert ne présentait pas de réels obstacles, les différences de niveaux du sol pouvaient facilement faire basculer le pick-up si le conducteur n'était pas attentif.
— J'ai perdu ma fille, continua Duncan. C'était il y a pas si longtemps, même si quand on perd un être cher, le temps devient une notion toute relative.
— C'est affreux. Elle avait quel âge ? s'intéressa Jessica.
— Trois ans. A trois ans, les enfants sont encore tout petits et fragiles, tu sais. Elle s'appelait Lena.
— Qu'est-ce qui s'est passé ?
— Lena est tombée gravement malade. Personne n'a su la sauver, la maladie l'a emporté en quelques jours. C'était une épidémie, beaucoup d'enfants sont morts.
Sydney freina brusquement, ce qui envoya Duncan lourdement dans le tableau de bord. Il se rattrapa de justesse avec son bras droit. Sa bouteille tomba au sol, inondant le tapis de boisson. Une odeur d'éthanol entêtante envahit rapidement l'habitacle.
— T'es ravagée, ma parole ! vociféra l'homme qui se frottait l'avant-bras douloureux.
— Pour la dernière fois, ferme-la ! exigea la destructrice. J'ai besoin de calme pour me concentrer sur mon plan.
Nathan sourit. Cela énervait autant Sydney que lui que Duncan fasse du rentre-dedans à Jessica. Du coup, le fait qu'elle le remette à sa place l'empêchait de se torturer intérieurement. En temps normal, ce genre de gros con musclé n'était pas du tout le genre de gars qui avait une chance avec Jessica. Mais il dégageait quelque chose qui lui plaisait visiblement. Peut-être cet air sûr de lui, ce côté bad boy. Ou son gros fusil à pompe.
— D'accord, et c'est quoi le plan ? demanda Duncan, un brin dubitatif.
— Tu vas faire diversion, répondit la destructrice.
— Euh... C'est un plan, ça ?
— Si tu survis, tu ne me reverras plus jamais. Mais avant ça, tu vas faire exactement ce que je t'ordonne de faire.
— A vos ordres, tirana.
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