Chapitre 30
Sydney les guidait dans la ville, à travers les immeubles, plus ou moins hauts, mais tous vétustes. Archimède les accompagnait. Les rues étaient moins glauques en plein jour et moins animées. Il ne semblait y avoir âme qui vive.
La chaleur étouffante viendrait bientôt à bout de Nathan s'ils n'arrivaient pas dans les plus brefs délais à leur destination. Jessica et Sydney n'avaient pas l'air de souffrir de la température, alors que le mercure s'affolait avec ce satané soleil au zénith. Il marchait d'ailleurs en retrait par rapport aux deux femmes, incapable d'avancer plus vite.
Était-ce le soleil qui lui tapait sur la tête ou son esprit qui lui jouait des tours, mais quand il observait les deux femmes de dos, leurs silhouettes se superposaient parfaitement. L'espace d'un instant, il lui fut impossible de distinguer Jessica de Sydney. Toutes les deux avaient de longs cheveux noirs, certes, mais c'était bien plus que ça. Il y avait un truc. Énumérer la liste des concordances entre les deux femmes n'était pas utile, car c'était bien plus que cela. C'était une sensation. Une impression. Comme si elles avaient pu être la même personne. Mais Nathan se ressaisit : Sydney avait des yeux verts, alors que Jessica avait les yeux noisette. Il chassa vite cette idée saugrenue de ses pensées, et se maudit d'avoir cru à une chose aussi stupide.
Comme si une personne pouvait se trouver en deux exemplaires dans un univers... Je pense que ce monde me rend fou. Ou alors c'est le sevrage à la nicotine. Oui, ça doit être ça !
Sydney jeta son dévolu sur un bâtiment à plusieurs étages entouré de deux maisons. Ils montèrent jusqu'au troisième étage, et la destructrice se dirigea sans hésitation vers une porte au fond du couloir. Après n'avoir eu aucune réponse, ils s'engouffrèrent dans le logement sans y avoir été invités. L'occupant des lieux n'avait pas pris la peine de verrouiller sa porte.
Une odeur très forte d'urine et de sueur flottait dans l'air, provoquant un haut-le-cœur à Jessica. Sydney leur intima de l'attendre dans le couloir, ce qui épargnerait à leurs nez une désagréable sensation. Même le chien obéit et se coucha aux pieds de la jeune femme.
Un spectacle apocalyptique s'offrit aux yeux de Sydney : il y avait des cadavres de bouteilles un peu partout, des vêtements - visiblement sales - jonchaient le sol et des déchets de nourriture moisie s'éparpillaient sur le canapé, les meubles et la table. Au milieu de ce fouillis, il y avait un corps, étendu sur le ventre. L'homme, torse nu, était étalé de tout son long au milieu du salon.
En se baissant, Sydney discerna une faible respiration rauque. Il était donc encore en vie. Elle le retourna et passa ses bras sous ses aisselles pour le traîner jusque sous la douche sans trop d'efforts, bien que l'homme fasse au moins le double de son poids. Elle le plaça en position assise et fit couler de l'eau froide. Aucune réaction.
D'accord, on va passer à la manière forte. En espérant que ça ne détruise pas le peu de cerveau qu'il te reste.
Sydney envoya une violente gifle sur le visage large et carré de l'homme face à elle. Ses yeux bougèrent furtivement sous ses paupières. Alors la destructrice recommença. Cette fois-ci, les paupières s'ouvrirent et Sydney coupa l'eau. Le pantalon de l'homme était imbibé d'eau froide - même si ce n'était pas la seule substance qui maculait le tissu - et ses cheveux bruns coupés courts dégoulinaient de fines gouttelettes.
— Syd ? Mais qu'est-ce que tu fous ici ? Est-ce que je suis mort ? Nan, si j'étais au paradis, tu serais pas là... et je mérite pas d'aller en enfer.
— J'ai besoin de ton aide, répondit sèchement la destructrice.
— Reviens demain, j'suis pas dans mon assiette.
— Tu décuves, c'est différent. J'ai pas jusqu'à demain. Où sont tes clés ?
Devant le manque de compréhension de son interlocuteur, elle ajouta :
— Ton pick-up. Tes clés, elles sont où ?
— J'sais pas, par là-bas j'pense.
— Habille-toi et rejoins-moi en-bas. Et fais-moi plaisir, prend une douche, il y a de la route, j'ai pas envie de supporter ton odeur infecte tout le long du trajet.
Le gars soupira pour montrer son mécontentement. Cela ne le ravissait pas d'avoir été tiré de son sommeil et de recevoir des ordres. Encore moins quand ceux-ci émanaient d'une femme de cent-dix livres à peine. Pour contrer son argumentation non-verbale, Sydney lui appuya sur une cicatrice sur le côté de son ventre, partiellement recouverte par son pantalon. Il gémit, car peu importe les années qui passaient, la douleur était toujours présente, et l'homme comprit par ce geste que si elle venait le voir, ce n'était pas par pure courtoisie. C'est avec le devoir de rendre la pareille qu'il hocha nonchalamment la tête, signe qu'il avait compris le message.
La destructrice quitta l'appartement, munie des clés du véhicule, et emmena Nathan, Jessica et Archimède à l'intérieur du vieux pick-up aux motifs kaki et noirs. L'attente ne fut pas longue avant que le propriétaire du véhicule sorte à son tour et s'installe sur le siège passager.
Il était bien plus présentable désormais, habillé d'un t-shirt noir et d'un pantalon en jean. Il était grand et très costaud, ses pectoraux se dessinaient sous le vêtement et ses muscles brachiaux roulaient sous sa peau. L'homme se tourna instinctivement vers Jessica, assise avec Nathan sur la banquette arrière et sourit :
— Hello princesse, moi c'est Duncan, et tu es...
— Pas intéressée, le coupa Sydney, assise derrière le volant.
— Jessica, enchantée, répondit la jeune femme en lui serrant la main.
— Et je te présente Nathan, fit la destructrice. Présentations terminées, on peut y aller ?
— Wow, t'étais plus sympa dans mes souvenirs, s'offusqua Duncan. On va où, au juste ?
— Tu te souviens que tu m'en dois une ?
— Ouais... Mais encore ? s'inquiéta l'homme.
— On va voir Sunset.
— Bordel de merde... Tu déconnes, pas vrai ? Et vous êtes d'accord avec ça ? demanda l'homme aux deux jeunes sur la banquette arrière, avant de reporter son attention sur Sydney. Est-ce que t'as grillé tous tes neurones en chassant les goules ? J't'avais dit d'arrêter, tous les destructeurs ont laissé tomber, y'a plus rien à chasser, les goules n'emmerdent plus personnes ! Y'a plus que Johnny qui perd une vache, de-ci de-là. Rien, mais alors là rien, qui justifie qu'on aille casser la gueule à Sunset !
— On va sauver quelqu'un. Et c'est aujourd'hui que tu payes ta dette, point barre !
— Hop hop là, c'est un traquenard en plus ? Tu m'as sorti de mon coma éthylique pour m'emmener dans un piège ? Mais on va crever ! T'as perdu l'esprit ? Et puis, pourquoi on ferrait ça pour quelqu'un ?
— Descendez de la voiture, demanda calmement Sydney.
Alors que tout le monde s'exécuta sans rechigner, Sydney retint Duncan part le bras et l'obligea à rester assis. Elle mit le contact et démarra le véhicule, laissant Jessica, Nathan et Archimède dubitatifs sur le trottoir poussiéreux.
Le pick-up s'engagea sur l'une des rues les plus longues de Plainfield. Le champ était libre, tout le monde était au travail dans les cultures. Sydney accéléra à fond, et le véhicule chassa de l'arrière. Duncan se cramponna à son siège :
— Wow, qu'est-ce que tu fous ?
Lancé à pleine vitesse, le véhicule se dirigeait droit dans un immeuble, à une intersection en T. La destructrice regardait droit devant elle, sans sourciller, comme si plus rien autour d'elle n'avait d'importance. Le cœur de Duncan s'accéléra quand, passé les trois-quart de l'avenue, la conductrice ne relâchait toujours pas l'accélérateur.
— Arrête, ça fait des plombes que j'ai pas checké les freins ! Déconne pas, Syd.
A ces mots, le véhicule prit encore de la vitesse, et le bâtiment se rapprochait maintenant dangereusement. A seulement quelques secondes de l'impacte, Duncan hurla :
— C'est bon, j'ai changé d'avis ! Je viens avec vous !
Sydney actionna la pédale de frein et la boite de ferraille glissa sur les derniers mètres. Avant la collision avec le mur de briques, la conductrice donna un violent coup de volant qui emmena le pick-up dans un dérapage avant de s'immobiliser, miraculeusement sans rien heurter.
Le passager, en sueur et haletant, se laissa tomber au fond de son siège, soulagé d'être encore en vie :
— C'est une meuf, c'est ça ? Je veux même pas savoir ce qu'elle t'a fait pour te rendre si faible.
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