« Le rituel de l'ascenseur »

Ceci est un rituel solitaire. Vous ne devez pas essayer de monter à plusieurs dans l'ascenseur, sinon le rituel ne marchera pas ! Pour le réaliser, vous avez besoin d'un immeuble dont l'ascenseur peut parcourir au minimum dix étages - vérifiez que l'ascenseur est en bon état de fonctionnement, cela va de soi. Il semblerait que la nuit soit plus propice à vous assurer que personne d'autre ne monte avec vous, ce qui annulerait immédiatement le rituel. Une fois le bon immeuble choisi, suivez scrupuleusement les instructions.

Commencez par appeler l'ascenseur. Dès que les portes s'ouvrent, entrez dans les entrailles métalliques de l'engin à vos risques et périls. Cela dit, si vous changez d'avis (ce que je comprends parfaitement), sachez que vous pouvez interrompre le rituel à tout instant. Mais une fois dans l'autre monde, prenez garde, revenir pourrait s'avérer très difficile !

Une fois décidé, sélectionnez le bouton pour rejoindre l'étage numéro 4. Quand vous atteignez le quatrième étage, laissez les portes s'ouvrir et ne sortez pas. Pressez sur le bouton pour rejoindre les étages suivants dans l'ordre, après avoir bien laissé les portes s'ouvrir à chaque étage : 2 – 6 – 2 – 10 –5.

Attention, arrivé au cinquième étage, une femme pourrait rentrer avec vous dans la cabine. Ne la regardez pas, n'écoutez pas ce qu'elle a à vous dire : son rôle est de vous faire échouer ! Appuyez rapidement sur le bouton du premier étage. Si l'ascenseur se met à descendre, le rituel a échoué. Si l'ascenseur monte et rejoint le dixième étage, vous arrivez dans l'autre monde. En cas de peur soudaine et irrépressible, ne sortez pas de la cabine à l'ouverture des portes, appuyer aussi longtemps que nécessaire sur le bouton numéro 1 pour revenir dans notre monde.

Par contre, si le courage vous le permet, sortez et regardez autour de vous. L'absence de lumières et une croix rouge visible au loin par la fenêtre vous indiqueront que vous êtes bien dans l'autre monde.

Bonne chance.

***

Sandra patienta quelques secondes, le temps que l'ascenseur qu'elle venait d'appeler arrive au rez-de-chaussée. Tim, Jessica et Nathan avaient déjà joué leur tour. Aucun de ses amis n'était revenu et Sandra se disait qu'ils attendaient au dixième étage tous les trois en se marrant. Ils allaient sûrement essayer de lui faire peur. C'était mal la connaître, elle avait vu clair dans leur jeu.

La jeune femme entra dans la cabine qui venait de se présenter à elle. Son smartphone devant les yeux, son doigt appuya sur le bouton 4 comme indiqué sur le site que Tim avait découvert. L'ascenseur montait et descendait sous les impulsions de ses phalanges. Très concentrée, Sandra voulait surtout que ses amis voient qu'elle ne se débinait pas et qu'elle n'avait pas peur d'une stupide légende urbaine. Les chiffres indiquant les étages devaient défiler sous leurs yeux, où qu'ils soient.

Arrivée au cinquième étage, la mystérieuse femme qui devait monter avec elle pour l'effrayer n'était jamais apparue.

Comme c'est étonnant, jubila Sandra.

Elle appuya alors sur le bouton numéro 1 pour redescendre au premier. Mais contre toute attente, la cabine se mit à bouger... vers le haut ! Le corps de Sandra était légèrement écrasé vers le plancher, ce qui lui prouvait bien qu'elle ne rêvait pas. Sous le coup de la surprise, son rythme cardiaque s'accéléra. Son cœur martelait ses côtes à une vitesse indécente.

Elle reprit tout de même possession de ses facultés mentales et en déduisit que c'était ses amis qui avaient appelé l'ascenseur du dixième étage. Pas de quoi perdre ses moyens et paniquer. Ils allaient la surprendre comme elle l'avait imaginé plus tôt.

S'ils pensent me faire peur aussi facilement...

Un souffle froid la fit frissonner. Le temps de la montée de la cabine parut une éternité, et les néons du plafonnier grésillèrent à plusieurs reprises.

Sandra sentit la cabine s'immobiliser. L'air ambiant s'était nettement rafraîchit. Un bruit mécanique annonça le déblocage des lourdes doubles portes. Lentement, la très faible ligne verticale s'élargit sous les yeux de Sandra, prête à réagir à l'assaut de ses amis. Mais quand les portes furent ouvertes, elle ne vit rien de plus qu'un mur sombre. Elle passa la tête et réalisa qu'un couloir s'étirait de part et d'autre dans l'obscurité. Ses pupilles n'arrivaient pas à s'adapter à la nuit à cause de la forte luminosité émise par l'ascenseur.

Des pas résonnèrent. Plusieurs personnes marchaient rapidement dans sa direction. Elle sortit de l'ascenseur et s'avança pour mieux voir. Quelqu'un cria. Les portes se refermèrent et ses yeux s'habituèrent enfin.

— Noooon ! s'écria Jessica en courant vers l'ascenseur.

Sandra, stupéfaite, resta plantée là sans comprendre. Tim et Nathan emboîtaient le pas à Jessica. Parvenue devant les boutons d'appel, Jessica appuya comme une folle pour que les portes s'ouvrent. Ils étaient tous les trois essoufflés.

— Pourquoi tu l'as laissé repartir ? l'agressa Jessica, la fusillant du regard.

— Mais je... enfin je... je comprends pas... balbutia Sandra.

— Il faut qu'on retourne là-bas ! hurla Nathan, le regard effrayé.

La dernière fois que Sandra avait vu ce regard, c'était sur Discovery Channel, quand la biche était entourée de toute une meute de loups. Prise au piège.

Tim colla son dos contre le mur et laissa ses jambes céder, la tête entre les mains.

— Pourquoi il ne s'ouvre pas ? paniqua Jessica en regardant Nathan.

Il la repoussa légèrement et essaya à son tour, appuyant frénétiquement sur le bouton des portes automatiques.

Sandra observait ses amis dans l'incompréhension la plus totale. En fait, elle s'attendait à ce qu'ils lui fassent peur, pas à ce que ce soit eux qui soient terrorisés. Est-ce que cela faisait partie de la blague ?

En étudiant Nathan, elle reprit peu à peu ses esprits :

— Appelle l'ascenseur, le bouton du haut. Il a dû repartir, du coup ça sert à rien d'appuyer sur l'ouverture des portes...

Son ami s'exécuta. On entendit l'ascenseur s'activer dans sa cage. Mais un son – entre un rire humain et un grognement animal – attira encore plus l'attention du groupe. Ils se retournèrent tous dans sa direction. Une forme s'avançait lentement vers eux. Elle n'était qu'à une dizaine de mètres, et Sandra put apercevoir quelques détails : la créature avait une apparence humaine, mais avec des mains fourchues et une peau très claire, d'un blanc laiteux. Même dans l'obscurité du couloir, cet épiderme anormalement pâle qui recouvrait toute la surface du corps de l'individu était visible.

La créature s'arrêta et sourit. Ses dents étaient plutôt longues, mais surtout pointues comme le bout d'un couteau de cuisine. C'était le sourire le plus effrayant qu'on puisse imaginer.

— C'est quoi ce bordel ? bredouilla Sandra.