Chapitre 28

Les rayons de lumière qui filtraient à travers le verre obscurci mettaient en évidence les poussières suspendues dans l'air. Les fins débris virevoltaient en tous sens, brassés par le faible vent de la pièce. La clarté procurée par l'unique ouverture sur l'extérieur rassurait Sandra. Se retrouver dans la pénombre avec le vampire aurait été, tout bien considéré, encore plus glauque que la situation actuelle.

La jeune femme déplaça son poids du corps sur l'avant de ses pieds, pour essayer de soulager ses poignets douloureux à force de la supporter. Même si elle n'était attachée que depuis peu, les liens lui brûlaient la peau. Beaucoup trop serrés. Heureusement qu'elle excellait dans l'art de ne rien laisser paraître, car elle ne voulait pas montrer le moindre signe de faiblesse face à ce monstre.

Le vampire, lui, observait toujours sa prisonnière. Il se frotta les mains. Ce geste, associé à sa stature imposante et à son physique effrayant, arracha un frisson à Sandra.

— Qu'est-ce que tu me veux ? demanda-t-elle, sans une once de tremblement dans la voix.

— A toi ? Rien du tout.

— Alors pourquoi je suis ici ?

— J'en ai après la destructrice, répondit Sunset, insistant fortement sur ce dernier mot, comme s'il voulait l'anéantir dans sa bouche. Je veux que ton enlèvement la mette suffisamment en rogne pour qu'elle se déplace jusqu'à moi... et que je la tue.

— Et pourquoi tu lui en veux, au juste ?

— Elle a tué Cassie, ma dernière femme prête à enfanter. Elle m'a aussi volé mon repas. Je n'ai pas à subir ses caprices. Cela faisait si longtemps, moi qui pensais qu'elle m'avait quelque peu... oublié.

— C'est son job de buter ceux de ta race, répondit sèchement la jeune femme.

— Son job ? Tu penses qu'elle vous a sauvés parce que c'était son job ? Tu es beaucoup plus naïve qu'il n'y parait. Elle ne ferait rien de tel, son égoïsme l'en empêcherait.

Sunset dépeignait un portrait peu flatteur de la destructrice. Était-ce parce qu'il la haïssait ? Ou vraiment était-elle d'un égoïsme hors norme ?

Sandra se remémora ce que Sydney lui avait dit quelques jours auparavant : elle ne se mettrait jamais en danger pour quelqu'un d'autre. Et pourtant, tout dans son comportement à son égard démontrait l'inverse.

Alors, elle espérait que c'était faux, que les accusations du vampire n'étaient pas fondées. Parce que, inexorablement, la nuit allait tomber. Sandra se retrouverait seule avec ce monstre à dents pointues avide de chair humaine, dans le noir, sans être capable d'opposer la moindre résistance... C'était impensable, il fallait que Sydney vienne.

Mais elle se rendait compte, en y réfléchissant bien, à quel point il aurait été suicidaire de venir la sauver. De traverser le désert pour se retrouver face à un vampire à la force colossale et à une armée de goules, probablement planquées partout dans l'immeuble.

Peut-être qu'elle ne viendrait pas tout compte fait... Mais malgré ce sentiment oppressant qui commençait à naître dans sa poitrine, nourrit par ce doute, elle se mit à sourire. Elle ne serait pas la princesse Peach de cette histoire, elle ne se comporterait pas comme la victime apeurée que Sunset espérait qu'elle soit.

— Tu ne la connais pas, lâcha-t-elle, toujours souriante.

Le vampire la fixa, plongeant ses yeux noirs dans les siens. Il se redressa de toute sa hauteur avec un air amusé :

— Au contraire, je la connais bien plus que tu ne le penses.

— Qu'est-ce qui te fait croire qu'elle va venir alors, puisque tu dis qu'elle n'est qu'une égoïste ? Elle devrait me laisser crever, sans bouger le petit doigt.

— Je ne sais pas pourquoi ce gros lard de Rosco t'a choisie, mais s'il la fait, c'est qu'il y a une raison. Il tient bien trop à sa misérable existence que pour la mettre en péril en m'offensant. Elle viendra pour toi. Et pour moi. Tout ce qui l'anime, c'est la vengeance.

— Alors tu n'as pas besoin de moi, si elle veut juste se venger. Bouffe-moi, qu'on en finisse.

— Non, te garder en vie a du sens, j'espère que tes cris vont la distraire le temps que je l'égorge de ma propre griffe. Et puis, tu feras un très bon dessert, les humains qui viennent de l'ascenseur ont bien meilleur goût que ceux de ce monde.

Sandra cessa de sourire en repensant à Tim et à sa mort brutale. Même si son visage s'était assombrit, autant faire abstraction de ces propos, car son bourreau semblait apprécier le pouvoir et la domination. Peut-être même avait-il l'espoir de la faire réagir, et elle ne voulait pas le contenter sur ce point. Elle refusait de rentrer dans son jeu.

Elle masqua aussi son dégoût face à l'exaltation dont faisait preuve le vampire quand il parlait d'elle comme d'un repas.

— Tu es fascinante, commenta le vampire en tournant lentement autour d'elle, ligotée et sans défense.

— C'est la première fois qu'on utilise cet adjectif en parlant de moi.

— Beaucoup d'autres se sont retrouvés dans cette situation, avant toi...

— Je vois que t'es fort porté sur le BDSM dis donc. Moi qui croyais avoir l'honneur d'être la première attachée de la sorte.

— ... et aucun ne m'a tenu tête. La plupart ont imploré leur génitrice ou leur dieu, d'autres ont pleuré tels des bébés, priant que j'épargne leur vie si méprisable. La plupart se sont souillés alors même que j'approchais ma griffe de leur cou fragile. Mais toi, non. Tu te montres insolente.

— Ah ! Enfin ! Cet adjectif-là, par contre, on me le dit très souvent.

Sunset fit totalement abstraction des propos de Sandra. Il avait remarqué l'irrévérence insupportable dont la jeune femme faisait preuve, mais cela ne semblait pas le déranger le moins du monde. Dans un souci de tout contrôler et de ne pas la laisser orienter la conversation, il s'abstint de réagir à ses boutades, pour continuer :

— J'ai torturé et mangé des centaines de personnes venues de l'ascenseur. Il n'y en a que très peu qui ont échappé à mes femmes. Mais c'était toi... Celle qui a permis que vous leur échappiez. Elles m'ont raconté comment tu les as affrontées. Nul humain avant toi n'avait fait une telle chose. La frayeur manipule vos corps comme si vous étiez des pantins déshumanisés, des lâches. Mais la peur ne semble avoir que peu d'emprise sur toi. C'est une raison de plus de ne pas te laisser vivre sur cette terre, je ne compte pas réitérer les erreurs du passé. Car même la destructrice ne t'arrivait pas à la cheville quand elle a débarqué dans ce monde. Et regarde ce qu'elle est tout de même devenue, une exterminatrice, pour mes femmes et moi !

Sandra se figea. Le vampire aussi s'immobilisa. Il avait perçu sa proie se raidir suite à ses mots. L'instant précis où ses muscles s'étaient tendus... Son rythme cardiaque et sa respiration, son pouls dans ses veines, tout concordait pour le vampire : c'était de la surprise.

— Oh ! Elle ne t'a rien dit ? La destructrice est une sacrée cachottière... Cette facilité avec laquelle elle vous a aidé, toi et tes petits copains, qu'est-ce que tu t'imaginais ? Qu'elle était une sauveuse sortie de l'ombre pour aider les personnes dans le besoin ? Que votre survie lui importait ? Non, bien sûre que non. Pour une raison inconnue, vous avez réveillé quelque chose en elle, ravivé ses souvenirs. Car elle aussi, il y a longtemps déjà, elle a échoué dans ce monde en émergeant de l'ascenseur.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top