Chapitre 27

La berline blanche sautillait sur le sol accidenté. Le confort de ce genre de véhicule était le seul point fort, car dans le désert cet amas de tôle n'était rien d'autre qu'une décoration rutilante au soleil. La voiture s'était enlisée dans le sable plusieurs fois, et Rosco commençait à en avoir marre. Après réflexion, il se maudit de ne pas s'être muni d'un tout-terrain. Mais cette vieille poubelle n'avait coûté que quelques cigarettes, alors le choix avait été vite fait. Cette boite de conserve ne valait pas plus, cela dit.

Le coffre, parfaitement isolé de l'habitacle, avait été très utile pour transporter la fille jusqu'à Sunset en toute discrétion. Mais pour le reste... Elle était juste bonne à arpenter les rues dégagées de Plainfield.

Le shérif passa par réflexe sa main sur les bouteilles d'alcool couchées sur le siège passager. Il avait été stupide... Enlevé cette femme en plein jour, presque sous le nez de la destructrice, avait été de la pure folie. Mais il ne voulait pas subir la rage du vampire. Il s'en voulait d'être à sa botte de la sorte, lui, le shérif de la ville. Les habitants lui faisaient confiance. Et ils les trahissaient.

Evidemment, il avait des remords. Il ne voulait aucun mal à cette jeune femme, et encore moins à Sydney. Mais était-ce de sa faute si cette imbécile n'avait pas été capable d'enterré en elle toute la rancune qu'elle éprouvait à l'encontre du vampire ? Pourquoi n'était-elle pas capable de faire comme les autres destructeurs de la ville, de vivre de corruption ?

Les remords s'estompèrent quand il pensa à sa femme et son fils, âgé de seulement cinq ans, qui l'attendaient chez lui. Leur survie était sa priorité, le reste n'avait que peu d'importance. Il aurait sacrifié n'importe quoi, ou n'importe qui, pour eux.

Mais le peu d'argent que cette action allait lui rapporter lui laissait un goût amer. Tous ces risques pour quatre misérables bouteilles. Même si l'alcool se revendait bien, il y avait toujours un risque d'être dénoncé, car les gens pourraient se demander où il se procurait toutes ces denrées rares.

Alors que les champs nourriciers de Plainfield se dessinaient à l'horizon, il accéléra, pressé de retrouver un peu de tranquillité, loin de toutes ces conneries. Toutes ses affaires commençaient à lui peser sur la conscience, à lui causer des insomnies même.

Sunset irait se faire foutre la prochaine fois.


***


La porte de l'appartement s'ouvrit et Jessica se leva, puis se ravisa lorsqu'elle aperçut Sydney, un sac en papier à la main. Archimède accueillit sa maîtresse ventre au sol, en agitant sa queue de gauche à droite, visiblement toujours pas rétabli de son périple dans le désert.

— Sandra n'est pas avec toi ? hasarda Jessica.

Cela faisait plus d'une heure que Sandra était sortie et Jessica commençait à s'inquiéter. Sydney la fixa d'un air interrogateur, puis détourna les yeux. Il y avait un malaise évident entre les deux femmes, mais Jessica ne s'en formalisa pas.

— Elle est partie il y a un moment déjà, continua-t-elle.

— Comment ça, partie ?

— Elle... elle voulait juste prendre l'air.

Le visage de Sydney changea. Nathan sortit de la salle de bain, les yeux mi-clos et les cheveux ébouriffés. Aucun doute possible sur le fait qu'il venait d'émerger d'un profond sommeil.

— Je vois pas pourquoi vous vous inquiétiez.

Les deux femmes le fusillèrent simultanément du regard. Il avait l'habitude de lâcher des conneries, donc ces regards accusateurs ne lui faisaient ni chaud ni froid.

— Oh arrêtez ! Depuis que je la connais elle fait ça. Elle disparaît à la moindre occasion. Elle a juste voulu s'isoler un peu, voilà tout. Elle va revenir, vous tracassez pas.

Sydney baissa la tête suite à ces mots. Elle comprenait très bien, puisque c'est ce qu'elle avait fait, elle aussi. S'isoler. Et vu que d'habitude son isolement se faisait dans son appartement, elle avait dû sortir ce matin, se trouver un coin tranquille. Comme l'autre fois. Cette nuit où ils avaient débarqués, où elle n'avait pas vraiment su quoi dire. Bien sûr qu'elle aurait voulu tout leur raconter, tout ce qu'elle savait, tout ce qu'ils devaient savoir. Mais elle ne l'avait pas fait, et elle ne le ferait pas. Elle n'était pas elle.

Sydney posa sur le sol le sac qu'elle tenait, et c'est à cet instant qu'elle aperçut un bout de papier à ses pieds. Elle le ramassa et le déplia. Son visage se décomposa à mesure que ses yeux survolaient les mots. La destructrice avait désormais le teint livide et resta suspendue, sans mot dire. Jessica s'empara du mot pour le lire, car de toute évidence Sydney n'était pas en état de leur communiquer quoi que ce soit.

Avant qu'elle n'ait le temps de le parcourir à son tour, Sydney fit volte-face et quitta l'appartement précipitamment. Après avoir dévalé quatre à quatre les rangées d'escalier, elle s'élança dans la rue à toute vitesse.

Elle courut ainsi plusieurs kilomètres dans les rues, puis sur le chemin de terre à l'extérieur de la ville barrière, jusqu'à ce que ses jambes et son souffle l'abandonnent. Ses poumons brûlaient. Elle s'écroula à genoux à l'orée du désert, là où les champs de Plainfield s'arrêtaient brusquement par manque d'irrigation. Elle voulut pleurer mais la rage en elle l'en empêcha. Sa vision ne se brouilla pas, ne déformant pas ces vastes étendues désertiques qui encerclaient la ville, et qui abritaient des formes de vie peu recommandables.

Elle avait envie d'évacuer toute cette haine qui lui lacérait les entrailles, ce à quoi sa course folle n'avait pas suffi. Son poing s'écrasa violemment sur le sol chaud et poussiéreux. Elle recommença, encore et encore, jusqu'à sentir des picotements dans sa main et ses phalanges. La douleur physique n'était rien qu'un lointain stimulus nerveux noyé au milieu d'un océan d'angoisse, et seule son intelligence, qui lui rappelait de sauvegarder son intégrité physique, lui permit de reprendre pieds. Car elle aurait couru dans ce désert, elle serait allée jusque là-bas à pied, sans ravitaillement, si elle n'écoutait que ses pulsions primaires.

Vider de toute énergie, elle se répéta mentalement ce qu'il y avait d'inscrit sur le papier :


" Viens la chercher,

Sunset"

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