Chapitre 24

Sandra se réveilla. Son sommeil avait été difficile, rythmé par les pensées qui tournaient dans son esprit et ses jambes qui étaient parcourues de fourmillements. Rester immobile lui était insupportable alors qu'elle n'aspirait qu'à cela.

Sydney s'était enfin décidée à dormir dans le même lit qu'elle. Dommage qu'elle ait fait ce choix au mauvais moment, car entre les sursauts et les agitations, la destructrice n'avait profité d'aucune quiétude.

Elle avait d'ailleurs déserté le lit aux aurores, alors que le soleil se levait à peine sur Plainfield. Sandra n'avait même pas remarqué son absence avant d'émerger de son subconscient.

Le réveil. Ce moment brutal où tout ce que l'on croyait imaginaire devenait réel, annihilant les derniers espoirs que tout cela ne soit qu'un cauchemar.

L'emplacement vide à côté d'elle troubla Sandra. Elles avaient juste dormi, mais qu'elle ne soit plus là, à ses côtés, la rendait vulnérable. Les stigmates de ses deux jours passés ensemble dans le désert.

Elle se leva, le corps endoloris à tel point qu'elle aurait juré être passée sous un rouleau compresseur, et se dirigea vers un rangement au coin de la pièce pour se saisir de divers vêtements. Une chose est sûre, en cas d'apocalypse, le style n'a plus aucune importance : elle enfila un haut et un bas en total désaccord, à en faire frémir d'effroi n'importe quel styliste des émissions de télévision. Une fois apprêtée, elle sortit de la chambre pour pénétrer dans le séjour baigné de la lumière du soleil du petit matin. Elle en déduisit qu'elle avait dormi une journée entière.

— Bonjour, lui lança Jessica, appuyée contre le plan de travail de la cuisine.

— Salut, répondit Sandra, plus par politesse que par réel intérêt.

— Tu as bien dormi ?

— Comme si ça t'intéressait, rétorqua Sandra qui parcourut le petit espace du regard.

Nathan dormait toujours à poings fermés, affalé sur le ventre dans le lit d'appoint. Archimède somnolait, quant à lui, près de la porte d'entrée. Mais aucune trace de Sydney.

— Comme tu veux, dit Jessica sur un ton neutre.

— Enfin je veux dire, ça va, se ravisa Sandra. J'ai connu mieux. Et sinon, super tes points. J'avoue que je suis jalouse que tu saches suturer de cette façon.

— Y'a pas de quoi.

Sandra commença à ouvrir les portes de placard, à la recherche de n'importe quoi de comestible. Son amie lui tendit une boîte en plastique, au fond de laquelle étaient entremêlés des sortes de bouts noirs. Devant l'air suspicieux de Sandra, qui trouvait les aliments dans le compartiment peu ragoûtants, Jessica soupira :

— C'est bon, goûte. Y'a pas grand-chose d'autre de toute façon. Je pense qu'elle est végé, y'a pas la moindre trace de produits animaux.

Ne jamais engager une discussion sur les animaux avec Jessica, jamais... Jessica était végétarienne... Enfin végétalienne, pardon ! Mais peu importe, pour Sandra c'était du pareil au même. La liste de ses évictions alimentaires était aussi longue que son bras, c'est tout ce qu'elle retenait. Elle repensa d'ailleurs à cet apprentissage des sutures sur des souris... Cela avait été sans aucun doute une dispute aux allures de troisième guerre mondiale entre Jessica et son père, un chirurgien bourru et borné qui poussait sa fille à suivre la même voie que lui. Elle avait refusé au début, à coup sûr, et il avait dû taper du poing sur la table, menacé de la foutre dehors. Alors elle avait cédé. L'amertume qu'éprouvait l'étudiante envers son père était quelque chose de frappant lorsqu'elle parlait de lui.

Sandra se remémora aussi cette fois où Tim, dans toute sa splendeur, avait trouvé judicieux, alors que tout leur petit groupe mangeait, de décrire un reportage qu'il avait visionné la veille, en n'omettant aucun détail, sur la façon dont les orques épaulards mangeaient les manchots : elles les attrapaient dans leurs bouches et les compressaient fortement entre leurs langues et leurs palais, faisant gicler leurs boyaux hors de leurs corps. L'orque aspirait ensuite l'intérieur de sa proie et recrachait l'enveloppe sans vie du pauvre volatile. Autant dire que Jessica, qui était devenue très pâle, n'avait pas fini son dîner. Elle avait bien tenté de foudroyer Tim du regard, mais ce dernier, pas peu fière d'avoir instauré le dégoût chez tous ses condisciples, avait avidement mordu dans son hamburger, dont la sauce tomate avait coulée sur sa serviette, et ponctué ses propos d'un "bon appétit".

Donc Sandra évita toute remarque sur le thème de la nourriture ou des animaux, et elle avala sans broncher ce que son amie lui tendait : en y regardant de plus près, cela ressemblait à des fleurs trempées dans du sucre. C'était bon à défaut d'être appétissant, c'était le principal.

— Y'a un truc avec Sydney ? demanda Jessica d'un air faussement détaché.

— Comment ça ?

— Tu ressens un truc pour elle ? précisa Jessica.

— En quoi ça te regarde ?

— Juste que Nathan est persuadé qu'entre Sydney et toi, il y a un truc.

— Il n'y a rien du tout.

— Pourquoi ?

— Je... tu sais bien pourquoi Sydney ne me fait aucun effet. Tu m'as embrassée je te rappelle.

— J'étais bourrée. Et grandis un peu, tu veux toujours ce que tu peux pas avoir ! A chaque fois que t'es avec quelqu'un de bien, tu trouves ça chiant et tu t'amuses à draguer une névrosée ou une hétéro selon ton humeur. Je suis juste ton obsession du moment !

A quelques mètres, Nathan se tourna sur le côté, ce qui coupa définitivement court à leur échange. Parce qu'aucunes des deux femmes n'étaient prêtes à assumer cette soirée. Parce que même si Sandra endossait depuis des mois la responsabilité de quelque chose dont elle n'était pas coupable, Jessica ne voulait pas s'expliquer sur le sujet. Ni ce baiser, ni rien d'autre. Du moins, de manière civilisée et posée.

— Je sors, s'exclama Sandra qui fit bien attention de ne pas parler trop fort pour ne pas réveiller leur ami.

— Pour aller où ?! fit Jessica, les yeux grands ouverts de surprise.

— Quoi ? J'ai survécu à deux jours dans le désert, je vais juste me dégourdir les jambes.

Et en effet, si elle restait sans rien faire, ses douleurs allaient s'accentuer. Mais autre chose la poussait à s'aventurer dehors.

Sandra détailla rapidement son amie. Elle avait comme à son habitude des longs cheveux noirs parfaitement lisses, ses habits n'étaient même pas froissés. Son visage aux traits fins, et ses lèvres délicates, finirent de la convaincre qu'il fallait qu'elle s'exile de cette pièce. Car son corps réclamait quelque chose qu'il n'aurait jamais, et son cœur se serra dans sa poitrine à cette simple constatation.

— Ah ! Et elle est où Sydney ? lança Sandra qui se dirigeait déjà vers la sortie.

En fait, cette question la taraudait depuis le début de la conversation, mais elle ne voulait pas passer pour une addict. Une addict à quoi ? A elle. Ce n'était ni de l'amour, ni rien qui s'en approche, mais l'absence de la destructrice à son réveil éveillait en elle une carence affective qu'elle voulait combler. Même si elle ne comprenait pas pourquoi elle lui manquait de la sorte. Comment pouvait-on s'attacher si rapidement à quelqu'un ?

— Elle est sortie chercher de quoi manger.

A ses mots, Sandra s'éclipsa dans le couloir. Dès la porte refermée, elle respira profondément. Elle n'avait plus parlé de la sorte à Jessica depuis très longtemps, son aplomb la surprenait elle-même. Ce regain de confiance était un effet secondaire assez intéressant de son périple au pays du grain de sable.

Surtout lorsqu'elle se trouva à nouveau face aux marches. Parce que si les gravir avait été un calvaire la veille, les descendre était encore plus difficile. Après plusieurs techniques et plusieurs échecs, avec des jambes qui répondaient autant qu'un freeze de Windows, elle se décida à les aborder de biais pour soulager ses quadriceps.

Alors sortie du bâtiment, la clarté ambiante irrita ses rétines. Une odeur d'essence et de poussière flottaient dans les rues presque désertes. Un tracteur passa dans une rue perpendiculaire, avec un homme en bleu de travail à son volant, comme seule preuve de vie dans les environs. Tout le monde travaillait à cette heure, absorber par les tâches ingrates et rudes de l'agriculture et de l'élevage.

Elle progressait dans une ruelle qui longeait l'immeuble qu'elle venait de quitter, quand un bruit derrière elle lui fit faire volte-face. Trop tard, trop vite. Trop violent. Un objet contondant heurta sa tête et sous le choc, son corps tomba lourdement au sol. Une fois à terre, des mains encapuchonnèrent sa tête dans un sac sombre et lui enserrèrent le cou. Elle agita ses membres de toutes ses forces pour se soustraire à l'emprise puissante de son agresseur, mais une douleur très forte au niveau de son dos l'arrêta dans son élan.

La jeune femme manqua bientôt d'air et sombra dans l'inconscience.

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