Les deux femmes s'étaient emmitouflées dans le sac de couchage pour échapper à la température très basse de la grotte. Un courant d'air froid ajoutait encore plus au calvaire que leur infligeait l'endroit.

Sandra avait collé son dos contre celui de Sydney. Au diable la pudeur, l'hypothermie les guettaient réellement et si une chose était sûre, c'est que, malgré sa vie à la dérive, elle ne voulait pas mourir. Archimède s'était glissé de tout son long contre elle. Ce chauffage à poils était très efficace.

Le vent soufflait toujours à l'extérieur, le bruit qui résonnait dans la grotte n'y trompait pas. Sandra ne pouvait pas fermer l'œil. Outre les frissons irrépressibles qui agitaient tout son corps, l'obscurité totale à laquelle ses pupilles ne parvenaient pas à s'habituer l'effrayait. Chaque son, chaque craquement était suspect. Elle avait perdu la notion du temps, cela pouvait faire seulement dix minutes qu'elles étaient allongées, tout comme cela pouvait faire des heures.

Et comment était-il possible de dormir dans ses conditions ? Sydney y parvenait de toute évidence. Du moins, c'est ce qu'elle laissait paraître puisqu'elle n'avait fait aucun mouvement depuis qu'elles s'étaient étendues sur le sol rocheux. Et elle n'était pas morte, puisque Sandra sentait sa respiration dans son dos.

Un craquement sec se fit entendre. Sandra se contracta. C'était à l'évidence le vent.

Puis un bruit plus sourd, comme quelqu'un qui saute finit de la convaincre que cela ne pouvait pas être le vent. Elle se tourna rapidement vers Sydney, faisant valser Archimède plus loin, et secoua cette dernière pour qu'elle se réveille.

— Arrête ça tout de suite ! Je ne dors pas ! l'informa Sydney dans un murmure.

— Mais merde, t'as pas entendu ou quoi !? Y'a quelque chose avec nous !

— Si, j'ai entendu justement ! Mais ce qui est là aussi maintenant, grâce à toi.

Archimède grogna à côté d'elles, ce qui suffit à convaincre Sydney de sortit du sac de couchage et de bondir sur ses pieds. La torche électrique à la main, elle l'alluma et braqua le faisceau vers l'entrée de la grotte.

Une ombre passa furtivement sur leur droite. Sandra prit position derrière Sydney et lui saisit les épaules pour s'en servir comme bouclier humain. La chose repassa et s'immobilisa. Sydney dirigea adroitement la torche vers elle et émit un hoquet de surprise quand une goule apparut à la lumière artificielle de la lampe.

— Salut, Sydney ! dit la créature d'une voix caverneuse mais néanmoins féminine.

La goule leva la main en guise de salutation.

— C'est bon, c'est Hannah, lâcha Sydney dont tous les muscles du corps se détendirent d'un coup.

— Hannah ?! s'étonna Sandra.

— Elle n'est pas méchante, l'informa la destructrice.

La jeune femme, apeurée et encore plaquée contre Sydney, se crispait à mesure que la créature se rapprochait. Elle était plus frêle et plus petite que les goules qui avaient tué Tim et les avaient pourchassés.

Sandra put la détailler alors qu'elle se positionna à moins de deux mètres des deux humaines. Elle avait la peau laiteuse, des ongles qui s'allongeaient en griffes et des cheveux blancs lui tombaient jusqu'aux épaules. Détail assez incongru que la jeune femme ne manqua pas de remarquer : la créature, à l'allure très humanoïde, était nue comme un ver. Deux seins ronds et petits étaient terminés par des tétons dépourvus de mélamine, alors que des poils pubiens blancs cachaient son intimité. Ses yeux, entièrement noirs,  la fixait abusivement.

— Enchantée de te rencontrer ! Moi c'est Hannah, s'enthousiasma la goule.

— Sandra, la présenta Sydney en se dégageant d'elle. Elle est un peu intimidée, elle n'a jamais côtoyé de goules. Enfin, en quelque sorte...

— Est-ce que c'est une blague ? interrompit Sandra, les yeux grands comme des soucoupes qui trahissaient son étonnement face à la situation.

— Non. Elle ne mange pas les humains, elle ne nous fera aucun mal.

— C'est vrai ! appuya la goule de sa voix légèrement rocailleuse. Et moi non plus je ne côtoie pas beaucoup d'humains. Ils ont tendance à... à avoir peur.

— Nan, tu déconnes ? Je vois vraiment pas pourquoi...

— Sandra, stop ! lança Sydney. Ne fais pas ça.

— Ne fais pas quoi ?

— Etre ironique. Ce que tu fais avec moi, ne le fais pas avec elle.

— Et quoi, dans cinq minutes tu m'annonces que tu sors avec un vampire ?

— Ah ! non, ça ne peut mal, frémit Hannah. Un vampire et une humaine, ça serait... beurk ! Et en plus Sydney n'est pas...

— D'accord Hannah, c'est bon, t'es pas obligée de lui déballer ma vie privée. Je ne la connais que depuis trois jours.

— Oh ! Tu veux dire... qu'elle fait partie de ceux qui sont arrivés par l'ascenseur ? Elle sent comme eux.

— Oui, c'est ça. Ecoute Hannah, il faut qu'on retourne à Plainfield. Est-ce que tu pourrais m'ouvrir le chemin et éloigner les goules ? J'ai comme l'impression que tu ne dois pas être la seule dans les parages.

— Si vous vous éloignez rapidement des rochers, ça devrait aller. On cherche Cath, elle n'est pas rentrée hier... On a pensé qu'elle s'était peut-être abritée à cause de la tempête.

— Merde... lâcha la destructrice.

— Qu'est-ce qu'il y a ? interrogea Hannah, une expression d'inquiétude affichée son visage blanc.

— Cath... Je peux pas être sûre, mais je pense qu'elle est morte. Elle s'est faite emmener par des gars. Il faut que tu me promettes de ne pas t'approcher des odeurs humaines. J'ai pas le temps de t'expliquer, mais tu es en danger près des humains. Les gars qui ont tué Cath, c'est à cause d'eux qu'on est ici. Ils sont bien plus forts que vous toutes réunies...

— Non... murmura la goule, plus pour elle-même que pour qu'on l'entende. Il faut que vous partiez maintenant, reprit-elle soudainement avec beaucoup d'assurance, j'ai choisi d'explorer ce secteur, mais les autres risque de commencer à s'inquiéter ! Ravie de t'avoir rencontrée, Sandra.

— Euh oui, moi aussi, balbutia cette dernière le plus maladroitement du monde.

Après avoir serré la créature dans ses bras et lui avoir dit de faire attention à elle, Sydney se dépêcha de sortir de la grotte. Sandra avait complètement oublié ses courbatures, et ses jambes raides ne l'empêchèrent pas de suivre rapidement Sydney. Elle ne voulait pas rester une seconde de plus avec la goule.

Dehors, il faisait encore nuit et le vent s'était calmé. Archimède trottinait - enfin, amblait, car sa race n'avait pas eu la chance d'hériter du pas leste et aérien de ses ancêtres - pour suivre le rythme trop soutenu de la fuite en avant de leur leader.

Si elle accélère encore, je sais que je ne vais pas suivre...

Un point de côté. Sandra se pencha en avant, expira, rien à faire. Son côté droit devenait de plus en plus douloureux, l'obligeant à ralentir la cadence. Elles s'étaient à peine éloignées des monticules rocheux.

Sydney s'arrêta et marcha jusqu'à Sandra, qui c'était maintenant immobilisée et penchée en avant, les mains sur les genoux.

— J'ai... un point de côté... haleta Sandra.

— Reprends ton souffle, je ne te laisserai pas.

Je ne te laisserai pas...