Chapitre 20
Les chiffres lumineux des étages défilaient devant ses yeux. Ce soir, après plusieurs semaines de réflexion, elle avait voulu savoir ce que ça lui ferait d'être là. Ce que ça lui ferait d'appeler l'ascenseur.
Un couloir sombre et lugubre s'étendait à l'infini de part et d'autre de l'endroit où elle se tenait.
La femme se raidit quand elle entendit le bruit si caractéristique de la cabine qui se déplace dans la cage, arrachée à l'attraction terrestre par des câbles.
L'ascenseur s'immobilisa devant elle et les portes s'ouvrirent lentement. Elle eut un brusque mouvement de recul quand elle aperçut un homme d'une quarantaine d'années émerger de la cabine. Il avait les traits creusés, des cheveux grisonnants et une barbe naissante.
Son cœur s'accéléra et elle sentit ses jambes se dérober. L'homme se rapprocha d'elle :
— Bonjour Sydney, ça fait un bail.
***
Sydney se réveilla en sursaut. Sandra la dévisageait.
— Quoi ? lança la destructrice sur la défensive.
Sandra se détourna d'elle et se leva :
— Le soleil est presque couché, la température est redescendue. On se remet en route ?
C'était maintenant au tour de Sydney de la dévisager.
— Quoi ? J'ai faim moi, je veux rejoindre la civilisation, se défendit Sandra. Enfin je comprends que t'aies besoin de deux minutes pour t'en remettre...
— Me remettre de quoi ?!
— Oh ! ça va... Tu m'as réveillée. T'as fait un cauchemar.
— Pas du tout.
— Ou un rêve érotique, nargua Sandra.
— Ferme-la. T'avais promis de la fermer.
— T'as raison... Va pour le rêve érotique alors.
Sandra s'éloignait déjà avec Archimède après avoir lancé sa provocation. Les rayons du soleil étaient moins accablants et l'air moins lourd.
Sydney rangea le paravent improvisé et chargea son sabre et son sac sur son dos avant de la rattraper en trottinant :
— Passe-moi l'eau.
— Vous n'avez pas dit le mot magique ! s'amusa Sandra.
— Putain, Sandra, passe-moi l'eau ! s'énerva Sydney.
— Tu parles de celle que j'ai bue pendant que tu dormais ?
Devant l'expression désemparée de la destructrice, la jeune femme s'empressa de lui tendre le précieux breuvage :
— Je rigole, tiens. J'aurais trop peur que tu m'égorges pour boire mon sang et pas crever dans ce désert.
— C'est exactement ce que j'aurais fait figure-toi.
— Je suis presque convaincue que tu ne mens pas... Ça fait peur. Quelqu'un t'as déjà dit que tu faisais peur ? s'enquit Sandra.
Sydney s'arrêta pour verser un peu d'eau dans la paume de sa main qu'elle tendit à Archimède. Il lécha la main goulûment jusqu'à ce qu'il ne reste rien.
— Quel gâchis... souffla Sandra devant cette scène.
Sydney dégaina son sabre aussi vite que l'éclair et le pressa contre la carotide de Sandra. Cette dernière leva les mains en signe de soumission :
— OK c'est bon, je retire ce que j'ai dit, tu ne fais pas peur, articula-t-elle doucement pour éviter que la lame tranchante ne rentre dans sa chair.
— Non, c'est pas pour ça. C'est pour le chien, corrigea la destructrice en indiquant son compagnon des yeux.
— D'accord, Archimède je m'excuse de t'avoir offensé.
Sydney appuya la lame une dernière fois sur sa gorge avant de rengainer.
Sandra se massa le cou, du sang avait commencé à perler sur sa peau. Après quelques secondes, elle reprit sa route encore choquée et tremblotante.
Je suis bonne pour au moins dix ans de psychothérapie après ça... Quelle pauvre conne... C'est qu'un putain de chien, pensa Sandra.
La jeune femme adressa au chien un regard plein de reproche, et celui-ci la regarda avec des yeux pétillants et la gueule grande ouverte en une espèce de sourire, la langue pendant le long de sa babine.
Imbécile heureux...
***
Cela faisait plusieurs heures qu'ils marchaient et le petit groupe arriva aux dunes de sable. Les gravir était une torture. Le sable fin se dérobait sous leurs pieds. Arrivés au sommet de la première dune, Sandra fut soulagée d'apercevoir des roches à quelques centaines de mètres seulement. Les amas rocheux émergeaient du sable pour casser le paysage monotone qui semblait s'étirer à l'infini.
Il faisait désormais nuit noire. Les formes que dessinaient le granit étaient effrayantes. Mais Sandra était trop épuisée pour se soucier de quoi que ce soit. Elle ne ressentait même plus le besoin de parler, et écouter quelqu'un le faire lui aurait demandé un effort dont elle n'avait pas la force. Cela faisait plusieurs kilomètres que chaque pas était douloureux. Et pas seulement à la plante de ses pieds, ou à ses orteils, mais partout : ses chevilles, ses mollets, ses genoux, ses cuisses, son dos. Et dire qu'il existait des gens qui faisait cela pour le plaisir. Au moins, malgré qu'il faisait très froid dans le désert la nuit, leurs corps ne se refroidissaient pas trop grâce à l'activité physique qu'elles fournissaient.
Une brise très fraîche la fit tout de même frissonner. La légère brise se transforma bientôt en bourrasques qui soulevaient les grains de sable en tourbillons autour d'elle.
Le vent devint si violent après quelques minutes qu'elle devait garder les yeux mi-clos pour espérer échapper à l'agression de ses cornées.
Sydney s'arrêta et se tourna vers elle :
— C'est le début d'une tempête de sable, cria-t-elle pour masquer le bruit assourdissant du vent.
— Et c'est quoi, une tempête de sable ?
Sydney la fixa, médusée :
— C'est un peu comme un ouragan, mais dans le désert. Au lieu d'avoir des trombes d'eau, nous, ce sera du sable. Dans la majorité des cas, si on ne se met pas à l'abri pas, on meurt.
— Cool...
— On va s'abriter dans les renfoncements dans la roche. Suis-moi.
— Je te suis depuis deux jours, tu croyais que j'allais subitement changer d'avis en pleine tempête de sable ?
Les deux femmes marchèrent rapidement vers leur aubaine de calcaire. Au plus elles se rapprochaient, au plus Sandra découvrit à quel point les roches étaient gigantesques. La taille de buildings de vingt étages.
Sydney les guida jusqu'à une crevasse dont l'entrée était protégée du vent par les agrégats de minéraux plus hauts. Ils commencèrent à s'y engouffrer, mais l'obscurité à l'intérieur, en l'absence de reflets lunaires, les empêchait de poursuivre. Sydney sortit de son sac une torche électrique qu'elle alluma et pointa vers les profondeurs de la crevasse. Qui était en réalité bien plus que cela, puisque sous les faisceaux de lumen apparaissait une grotte aussi vaste qu'un hangar. Et pas plus cosy non plus. Les parois grises luisaient d'humidité.
Ils s'aventurèrent jusqu'au fond, où plusieurs boyaux continuaient, mais étaient trop petits pour y entrer d'une manière digne.
Un froid indéfinissable habitait cet endroit.
— On va rester longtemps ? s'inquiéta Sandra.
Elle n'avait aucune envie de rester ici. L'air humide et glacial, les ombres effrayantes qui s'étiraient sur les parois et le bruit du vent dans les boyaux rendaient la grotte inhospitalière pour n'importe quel être humain. Sauf peut-être pour un tueur en série à l'odorat surdéveloppé, mais ça, c'est une autre histoire.
Ainsi, la réponse de la destructrice n'apaisa pas l'inquiétude de la jeune femme :
— Le temps qu'il faudra. On ne peut pas sortir tant que la tempête n'est pas terminée.
Sandra s'assit doucement sur le sol, faisant tout son possible pour éviter les douleurs atroces des courbatures dans ses jambes. Les crampes n'allaient pas tarder non plus à arriver avec la déshydratation.
Archimède vint s'asseoir contre elle. Elle réprima le réflexe de le pousser, ce qui les exposeraient, elle et sa gorge, à des réprimandes. De surcroît, la chaleur que dégageait le canidé n'était pas désagréable du tout.
Sydney avait posé la lampe torche sur le sol. Sandra, de peur de cette réponse-là aussi, préféra ne pas demander quand elle allait la couper. Car les piles n'étaient pas éternelles, il faudrait bien éteindre la lumière pour laisser place à l'obscurité complète. Dans une grotte. Au milieu d'un désert peuplé de créatures cauchemardesques.
Sydney prit place à côté d'Archimède et tendit une gourde à Sandra. Ce n'était pas la même que tout à l'heure, car la première était métallique alors que celle-ci était en plastique transparent.
— Tu m'as menti, signala Sandra en s'emparant de la gourde.
— Non. C'est pas de l'eau.
— C'est quoi alors ? Est-ce qu'il y a du GHB dedans ? demanda Sandra en feignant un air suspicieux.
— Non, il n'y a pas de GHB ! protesta Sydney, exaspérée. C'est de l'eau, du sucre, des protéines. Mais si tu n'en veux pas, rends-la-moi.
Sandra s'empressa de boire. Le goût sucré était très fort, mais elle savait que c'était juste parce qu'elle n'avait pas mangé depuis un certain temps. En réalité, cela devait être infecte, mais à cet instant précis, cela avait le même effet sur ses papilles qu'une Apple pie encore chaude.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top