Chapitre 18

Cela faisait plus d'une heure que les deux femmes marchaient dans l'obscurité. Le sol, d'abord constitué de terre aride craquelée et facilement praticable, avait laissé place à un terrain fin et sablonneux qui se dérobait sous leurs pas, ce qui leurs demandait un effort surhumain pour progresser. Il faisait froid. L'air glacial faisait apparaître de la vapeur à chaque expiration.

Archimède semblait avoir de plus en plus de mal à se déplacer, l'une de ses pattes arrières faisait un mouvement moins ample que l'autre, ce qui produisait un boitement très distinct.

— J'ai une question très indiscrète pour toi, je peux te la poser ? demanda Sandra, qui tentait tant bien que mal de suivre la cadence imposée par Sydney.

— Vas-y, répondit Sydney, suspicieuse.

— Si ça avait été moi dans cette chambre, tu y serais rentrée ?

— Non.

— Ben... Pourquoi ? s'étonna Sandra.

— On se connait depuis trois jours. Je ne suis pas assez stupide pour faire ça pour quelqu'un dont j'ignore tout.

— Et pour un proche ? T'as des frères ? des sœurs ? des parents ?

Sydney fit volte-face pour se trouver devant Sandra, l'air exaspéré :

— Ecoute, tu as déjà du mal à suivre sans parler, tu ne veux pas garder ton énergie pour avancer ?

— Justement ça m'aide, argua Sandra. Si je parle, j'oublie que je marche en pleine nuit dans un putain de désert, sûrement infesté de bestioles, avec un pitbull peureux et une sociopathe. Du coup, le temps passe plus vite et je me sens mieux. Car si l'espace d'un infime moment je songe à la réalité de tout ça, j'ai juste envie de m'arrêter et de pleurer.

Sydney leva les yeux au ciel et se retourna pour reprendre sa marche sur le sol sableux.

— Hé, j'ai vu ton geste ! lança Sandra essoufflée. En plus je te suis sans soucis, je suis beaucoup plus sportive que tu ne sembles le penser. Je fais - enfin j'ai fait - de la boxe française à un très bon niveau. Alors cette petite marche est une promenade de santé pour moi !

— Entre nous, rien de tout ça ne m'enchante plus que toi. J'ai juste très envie de rentrer chez moi et de ne plus t'entendre. Ta voix m'empêche de voir le temps passé et de me sentir bien, tu comprends ? On peut trouver un terrain d'entente tu crois ?

— Est-ce que tu me demandes de la fermer ? s'offusqua la jeune femme. Pour ça, il faudrait que tu répondes à mes questions tout simplement, après je te foutrai la paix. Parce que ton petit jeu, de ouh ! regardez-moi, comme je suis mystérieuse ! Je suis pleine de secrets, je trucide des goules, leurs arrache les griffes et tout ça sans une goutte de sueur et sans remords. Ce jeu-là, il prend pas avec moi...

— Qu'est-ce que tu racontes ? Je ne joues à aucun jeu, se défendit Sydney.

— Oh que si ! Tu fais ton impassible, sans cœur. Mais j'ai bien vu qu'il y avait une autre facette en toi. L'autre jour, dans ta chambre.

— Je ne te suis plus du tout là, intervint Sydney.

— Ta cicatrice. Ta blessure. Tu m'as montré que quelque chose t'avait brisée un jour, et ça, ça prouve que tu n'es pas invincible. Et là je te parle juste de la partie visible de l'iceberg, en dessous, tu dois avoir encore plus de blessures invisibles qui parsèment ton âme.

— Bon, elle est finie la séance de psychologie maintenant ? Pour ton information, je suis simplement normale en voulant préserver mon intégrité physique, et ce même au détriment des autres sans que l'on puisse poser un diagnostique de psychopathie. C'est juste humain. Ah et au fait, ne t'inquiète pas, il n'y a aucune bestiole dans ce désert, les goules les ont dévorées depuis bien longtemps.

Sandra émit un hoquet de surprise à cette annonce.

Ah oui, vraiment ? Allez, marchons ensemble main dans la main au milieu des goules ! Elle essaye de me faire peur, il suffit de voir son sourire en coin en observant ma réaction...

— Bon j'ai une idée ! dit Sandra pour changer de sujet.

— Génial, on est sauvées alors, ironisa Sydney.

— Je te pose une question et tu m'en poses une. T'es obligée d'y répondre et moi aussi, et après je me tais jusqu'à ce qu'on meurt dans d'atroces souffrances. Ça marche ?

— D'accord, convint Sydney après quelques secondes d'hésitation.

Elle a mordu à l'hameçon ! Je vais lui arracher les vers du nez, lui faire cracher ses mystères si mystérieux. Je vais la cuisiner jusqu'à ce que ça sente le brûler dans toute la maison et que les voisins appellent les pompiers...

— Je commence ! s'empressa d'annoncer Sandra. Tu as de la famille ? Ils sont où ?

— OK c'est beaucoup moins amusant qu'il n'y parait. Fous-moi la paix.

— Ah non, pas avant que tu répondes ! Vas-y, c'est pas compliqué. Je sais que t'es un être incroyable, mais tu dois bien avoir des parents comme tout le monde.

— J'avais une mère, admit Sydney.

— C'est un bon début. Elle est où ? Et ton père ?

— Je n'ai pas de père et ma mère est morte.

Et bam, trouvé ! La corde sensible de la famille, utilisable à l'infini et qui marche à tous les coups. Tout le monde a un problème avec sa famille, même Power Girl alias la destructrice. Et maintenant on pince délicatement la corde...

— Je suis sincèrement désolée... C'était il y a longtemps ? Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

— Elle est morte, c'est tout. On peut arrêter de parler de ça maintenant ? J'ai répondu à ta question.

— Oui, pardon... A ton tour, pose-moi une question.

— Pourquoi t'as arrêté la boxe ?

— Elle est naze ta question, contesta la jeune femme.

— Contente-toi de répondre, après tu te tairas comme tu l'as promis.

— OK, capitula Sandra. J'ai en quelque sorte foiré un combat. J'ai pas écouté mon coach, je suis partie en vrille et du coup ça s'est mal passé. Je venais d'apprendre la maladie de ma mère, je n'écoutais plus personne à ce moment-là.

Sydney fit mine de s'étrangler.

— Ben quoi ? l'interrogea Sandra.

— Parce que tu écoutes les gens d'habitude ?

— Tu vas arrêter avec cette histoire de voiture ? Tu m'as dit de rester dedans, je suis restée dedans ! J'ai juste bougé la voiture mais j'étais bel et bien dedans, merde !

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