Chapitre 16
Sydney marcha jusqu'à une vieille porte en bois à la peinture verte écaillée. Elle poussa le battant et s'engouffra dans ce qui ressemblait à un atelier de mécanique : des pièces de voiture parsemaient le sol çà et là, de vieux moteurs côtoyaient des boîtes de vitesse ou des jantes de diverses dimensions. Au fond, il y avait trois véhicules, dont un qui trônait à plus d'un mètre du sol sur un pont élévateur. Quand Sandra pénétra à son tour dans le bâtiment, une forte odeur d'huile et de carburant la prit à la gorge.
Sydney s'accouda à un comptoir poussiéreux et appuya sur une sonnette qui diffusa un doux tintement. Une simple ampoule nue suspendue à un câble au milieu du vaste atelier émettait une faible luminosité qui peinait à percer l'obscurité.
Plus glauque, tu meurs... se dit Sandra.
- Que puis-je pour vous, mesdemoiselles ?
La voix gutturale qui venait de derrière les deux femmes fit sursauter Sandra. L'homme à qui elle appartenait alla se placer derrière le comptoir. Il prit un paquet de cigarettes et en sortit une qu'il alluma à l'aide d'une allumette. Sydney fit glisser les clés du 4x4 sur la planche du comptoir vers l'homme :
- Combien pour un Winston de 87 ?
- Ça dépend, combien au compteur ? Quel état ?
Sandra ne pouvait s'empêcher de détailler l'homme en bleu de travail. Il devait avoir facilement cinquante ans. Mal rasé, les cheveux courts ébouriffés, la peau blanche et les vêtements recouverts de cambouis. Le mécanicien avait du remarquer le regard appuyé de Sandra car il la fixa un instant avant de demander, cigarette au bec :
- Elle a un problème la petite ?
- Fais pas attention, elle n'est pas normale, lui glissa Sydney. 350.000 miles au compteur, il est OK pour tout le reste.
- Plus 20 miles, marmonna Sandra dans son coin.
Si elle pense que me faire passer pour une déficiente mentale me fait quelque chose...
L'homme saisit les clés et sortit quelques billets de sa poche. La somme devait convenir à la destructrice qui remercia l'homme crasseux et sortit en direction du véhicule fraîchement vendu. Elle en sortit du coffre un gros sac à dos bien rempli et un autre vide.
- On va quand même pas marché 20 miles dans le désert ? s'insurgea Sandra.
- Si.
- Mais pourquoi ? On peut pas prendre une autre voiture ? Un taxi ? Un hélico ? Même un cheval si ça te chante !
- Non, répondit la destructrice sûre d'elle.
- Qu'est ce que t'as vu dans le hangar ?
- On va d'abord trouver un endroit où dormir, et je te raconterai.
La destructrice n'avait pas l'air rancunière. Par contre elle semblait profondément troublée, comme si ce qu'elle avait vu ce soir l'avait atteinte au plus profond de son âme. Elle referma le coffre de son ancienne possession et les deux femmes se mirent en route vers une ruelle adjacente. Archimède suivait toujours, sans bronché, d'un dandinement si reconnaissable à cette race de chien. Les rues étaient désertes à cette heure tardive, mais quelques cafés étaient encore ouverts. Les clients ne se pressaient pas cela dit, seuls quelques individus étaient encore attablés au bar à la lumière blafarde des néons.
Sydney s'immobilisa devant un vieux bâtiment mitoyen avec de multiples étages. Une pancarte sur la porte indiquait "motel", et la destructrice se tourna vers Sandra :
- On se pose quelques heures. Il faudra qu'on reparte avant le levé du soleil pour que personne ne nous remarque.
- C'est sûre que deux femmes qui partent dans un désert en pleine nuit, y'a pas plus discret...
- Arrête d'être ironique, ça commence à m'énerver.
- Tout t'énerve on dirait plutôt.
- Non, pas tout... Juste toi !
Elles entrèrent et Sydney demanda une chambre à la vieille femme assise derrière son bureau. Elle régla la chambre et la femme lui tendit la clé sans dire un mot, le visage cerné de rides profondes et l'expression éteinte.
De puissantes sirènes retentirent à l'extérieur. Sydney adressa un regard interrogateur à la gérante. Celle-ci répondit :
- Vous inquiétez pas, ça arrive tout le temps. Elles vont bientôt s'arrêter, c'est sûrement rien.
Et en effet, à peine arrivées à la porte de leur chambre que le bruit de l'alarme s'arrêta net. Sydney ouvrit la porte et laissa entrer Archimède. Un lit très simple était au centre de la pièce. Il n'y avait rien d'autre, pas de meubles, pas de penderie, pas de sanitaires. Sandra nota même l'absence de tentures à la fenêtre.
- On aurait pas mieux fait de demander à dormir dans l'atelier du mécano tout compte fait ?
- Ne raconte pas n'importe quoi. Je te laisse le lit, dit Sydney en déposant son sac à dos dans un coin et en farfouillant dedans.
Elle en sortit un sac de couchage et s'installa au pied du lit après s'être délestée de son sabre. Sandra se laissa tomber sur le lit et fixa le plafond. Son rythme cardiaque était encore anormalement élevé, comme si son corps n'acceptait pas de la laisser se détendre. L'adrénaline était encore tellement présente, comment Sydney pouvait-elle lui intimer de se reposer ? Personne ne pourrait dormir dans ses conditions... Sandra se pencha vers Sydney :
- Alors, tu vas me dire ce que tu as vu là-bas maintenant ?
Sydney avait ouvert les yeux mais ne dit pas un mot. Archimède s'était couché en boule à côté d'elle.
- Tu ne veux pas en parler ? Pourquoi ?
- Pour rien. Je ne sais pas ce que j'ai vu.
- Comment ça, tu ne sais pas ce que tu as vu ? lança Sandra après quelques secondes d'hésitation.
- J'ai vu des gars massacrer une goule... Mais je ne sais pas qui ils étaient et ce qu'ils faisaient exactement. Ils portaient des tenues militaires comme les vigiles des villes fortifiées.
- Quoi ? Et alors ? Qu'est-ce que ça peut faire que ses connards se défoulent sur une goule ? Pourquoi ils voudraient nous tuer ?
- Parce qu'on n'aurait jamais du voir ça et ils le savent. Ce n'est pas intelligent de provoquer les goules de la sorte, on ne peut pas parier sur des combats de goules.
- Ah bon ? On ne peut pas provoquer les goules ? s'offusqua Sandra. Ce n'est pas ce que tu as fait l'autre soir par hasard, les provoquer en en tuant une ? T'avais pas l'air d'avoir beaucoup de remords ! Et je vais même ajouter que t'étais plutôt triomphante, alors tes stupides principes tu les bafoues aussi.
- Non, ce n'est pas pareil ! Pour que les goules et les humains puissent coexister, il y a un certain nombre de règles mises en place. L'autre soir, elles avaient outre-passer les leurs, elles n'avaient pas le droit de s'attaquer à vous et j'en ai tué une pour vous sauver. Ce dont je te parle, ce que j'ai vu ce soir, ce sont des fils de putes surexcités à l'idée de voir une goule apeurée se faire mettre en pièce par un chien !
- Je vois toujours pas le problème...
- Laisse tomber, répliqua Sydney. De toute façon ils nous tueront pour protéger leurs magouilles, même si tu leurs dis que tu approuves leurs actes. Et entre nous, tu faisais moins la maligne quand tu te faisais tirer dessus par tes nouveaux copains !
- Je sais... Tu ne veux pas venir dans le lit ? continua Sandra en tapotant le faible espace libre à côté d'elle. Il y a de la place pour deux.
- Non, je suis bien installée.
- J'en doute pas, mais ça me fait bizarre de voir quelqu'un dormir sur le sol. Enfin, quelqu'un de sobre... Je te toucherai pas si c'est ce qui te fait peur, t'es pas mon genre.
- Bonne nuit, répondit Sydney d'un ton détaché.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top