Chapitre 13

La voûte céleste offrait son plus beau spectacle de scintillements en l'absence de nuages. Dommage, elle n'était pas là pour les étoiles.

Sydney se déplaçait rapidement dans la nuit fraîche. Les millions de grains qui s'agitaient sous ses pas se transformaient en sable mouvant et elle devait déployer un surplus d'énergie pour ne pas ralentir la cadence, mais elle avait l'habitude.

Il n'y avait personne autour du hangar et elle s'avança au plus près prudemment. Des rires sonores s'échappaient de l'entrepôt. La destructrice se hissa sur un pick-up garé le long du bâtiment pour atteindre une fenêtre en hauteur. Elle voulu jeter un coup d'œil à l'intérieur, mais il y avait quelque chose posé de l'autre côté qui obstruait la vue, il était impossible d'apercevoir quoi que ce soit. Elle se hissa alors sur le toit en tôle et rampa jusqu'à une autre vitre. Il n'y avait pas besoin d'être trop précautionneuse et silencieuse, vu le boucan là-dedans, personne n'allait l'entendre.

Par chance, ils n'avaient pas pensé à barricader les fenêtres de toit. Elle distingua une cage au milieu du hangar, assez grande et en barreaux rigides comme pour les chenils. Elle devait faire presque cinq mètres sur cinq. Plusieurs dizaines d'hommes en tenue militaire se pavanaient autour, avalant des bières et riant fort.

Aucun de ces visages ne lui était familier. Peut-être étaient-ce de vrais militaires des villes fortifiées ? Mais que viendraient-ils faire ici ? Ou alors plutôt des pilleurs, de ceux qui vivent en réquisitionnant de force les ressources des villes barrières les moins protégées. Après tout, certaines villes n'avaient même pas de police ou de chiens, alors les brigands ne se gênaient pas pour en profiter.

Un petit groupe d'hommes se mit à hurler et à siffler, suivit rapidement de toutes les autres personnes présentes entre ces murs. Sydney plissa les yeux pour apercevoir l'objet de leur hystérie soudaine : c'était la goule. Elle était attachée dans un coin de la pièce, toujours rendue inoffensive par le sac sur la tête et les liens dans son dos. Deux hommes saisirent sa chaîne et l'emmenèrent jusqu'à la cage en passant à travers la foule. Un homme, particulièrement éméché, jeta la bouteille qu'il tenait à la main sur la goule, qui tressaillit mais continua de suivre ses bourreaux. Une fois dans la cage et les barreaux refermés, l'un des bourreaux lui enleva le sac de jute et les liens à l'aide d'un couteau depuis l'autre côté des tiges métalliques.

Sous la lumière artificielle, la goule dut fermer ses paupières car ses rétines étaient si sensibles à la clarté inattendue qu'elles lui occasionnèrent une douleur intense. Sydney remarqua qu'elle était déjà blessée à la jambe droite au niveau du mollet. Il y a avait deux profondes entailles de part et d'autres. Cela ressemblait aux marques qu'un piège à loup pourrait causées. C'était récent car la chair était encore à vif.

C'est comme ça qu'ils t'ont attrapée ? se demanda Sydney.

La créature était apeurée face à cette foule enragée. Elle savait qu'elle allait mourir, qu'elle n'aurait aucune chance de s'en sortir, aucune échappatoire. Ses yeux trahissait son désespoir, sa posture imitait parfaitement celle de ses victimes habituelles.

Un homme amena un chien, l'un de ces grands chiens noirs qu'on utilise partout pour se défendre des goules. L'animal était particulièrement excité et Sydney n'eut aucun doute sur son utilisation : cela allait être un combat. Un combat à mort. Des billets commençaient à s'échanger. Le chien devint complètement incontrôlable à la vue de sa cible. Il tirait si fort sur sa laisse qu'un deuxième homme dut aider le premier à le maîtriser. De la bave s'écoulait de ses babines et il aboyait de rage en direction de la cage. La goule se planta au milieu, encore plus effrayée qu'auparavant. En même temps, ce faire déchiqueter à mort par un chien était la moins agréable des morts envisageable. Même pour une goule.

Un tintement de cloche se fit entendre, ce qui annonçait la fin des paris et le début de la boucherie. Sydney se demanda si les paris étaient sur les chances de l'emporter de la goule, ou sur le temps qu'elle resterait en vie une fois le chien lâché... Les hommes en manque d'hémoglobine s'amassèrent au plus près des barreaux, pour ne rien rater du spectacle. Quelqu'un ouvrit la cage et le chien fut détaché aussitôt. Le molosse se rua sans aucune hésitation sur sa proie. La goule n'eut pas le temps de réagir que l'animal était déjà sur elle et elle tomba lourdement au sol sous la violence du choc. Le chien avait saisit son bras et arrachait de la fine peau blanche à l'aide de ses crocs. Du sang s'écoulait par flots, il avait touché une artère. Alors que la goule tenta de se redresser dans une dernière volonté d'échapper à la mâchoire du canidé, ce dernier lui sauta à la jugulaire. Il secoua son énorme tête et ce ne fut pas long avant que la goule ne s'écroule dans une marre de sang. Le chien ne lâcherait pas tant que sa proie ne serait pas morte, Sydney le savait. C'est alors que le regard de la goule, pétrifiée et allongée sur le dos, se posa sur elle. Elle l'avait vue, et elle savait que la goule l'avait vue aussi. Son regard parlait pour elle : elle l'implorait. Elle l'implorait de mettre fin à ça. De mettre fin à sa souffrance, ou de mettre fin à leurs vies ? Qu'elle se transforme en vengeresse de goules, elle, la destructrice ? Sydney détourna les yeux et un frisson la parcouru. Elle s'éloigna de la fenêtre et s'allongea, le dos appuyé contre le toit incliné. Un souffle froid passa le long de son corps. Si elle avait cru à l'âme, et à toutes ses conneries mystiques, elle aurait pu croire que celle de la goule venait de quitter son enveloppe charnelle à cet instant précis. La salve d'applaudissement dans son dos confirma sa pensée.

Les étoiles accrochées au ciel semblaient se foutre du spectacle qu'offraient les humains. Pourtant, leur éternité était rassurante. Et l'infinité des cieux qui oppressait d'habitude Sydney avait ce soir un goût échappatoire à la stupidité humaine.

Deux individus assez baraqués étaient sortit pour soulager un besoin urgent, juste sous l'endroit où se trouvait la destructrice, qui s'efforça de n'émettre aucun bruit. Ils étaient enthousiastes de la représentation sanguinaire, elle put les entendre glousser.

Une détonation retentit au loin et Sydney sursauta de surprise. Puis un deuxième coup de feu fendit le silence de la nuit. Cela provenait des dunes.

— Putain, c'était quoi ça ? s'inquiéta l'un des gars.

Et merde...

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