Partie I : le calme avant la tempête


Lundi 15 Décembre - Lin

-- LIIIIIIIIIN ! M'interpelle une voix stridente. Je me retourne brusquement, avant de fusiller du regard mon amie. Pourquoi se sent-elle obligée de crier à travers le corridor ? Comme si le joyeux tintamarre des moniteurs ne suffisait pas à me coller une migraine !


-- On est ensemble sur le snow-park avec les minots..


Elle poursuit sa phrase, sans se soucier plus que ça des quinze mètres nous séparant. Est-ce que toutes les italiennes sont comme ça ?


-- C'est censé être une bonne nouvelle ?


Je la taquine, en réalité je suis soulagée qu'on soit ensemble. Je ne connais personne ici, et ils me font l'effet d'être une grande famille un peu select sur les critères d'admission. J'ai repéré les deux ou trois couillons qui se prennent pour les pachas du centre, sous prétexte qu'ils repiquent leur saison pour la quatrième fois, et je compte les fuir autant que possible. Esther passe en m'empoignant les fesses, tandis que je me raidis. Je l'adore, mais les démonstrations d'affection en public c'est définitivement pas mon truc, surtout quand je vois qu'elle lorgne vers un beau gosse siliconé en même temps qu'elle me pelote.


-- Barbie. Ôte tes paluches de ce royal postérieur, c'est trop musclé pour toi.


Bon, on va devoir se taper les gadins des mioches, mais le snow-park c'est trop géant ! Et puis un marmot en combi, c'est toujours adorable, pas vrai ? S'enthousiasme t-elle en ignorant mon sarcasme. Je lève les yeux aux ciels : c'est sa première saison, et elle est aussi excitée qu'un surfeur qui réussit son premier backflip.


-- Mouais. Attend qu'ils veuillent aller pisser, on va voir si ils seront aussi craquants. Je te laisse ma belle, je dois farter ma planche pour mon prochain entraînement.


Elle hoche la tête, le regard rivé sur un saisonnier presque aussi blond qu'elle assis au fond de la salle. Mon snowboard est évidemment parfaitement farté, et elle le sait, mais elle connaît aussi ma nature angoissée, et le besoin incessant que j'ai de vouloir tout contrôler une dernière quinzième fois.


Ma planche est entreposée au sous-sol, au milieu du bordel des autres employés. J'hésite presque à la prendre dans la petite prison qui me sert de chambre, je n'aime pas la savoir à la portée de n'importe qui. Les dernières paroles de mon père retentissent dans ma tête. Je dois lâcher prise, apprendre à faire confiance, me détendre. Je suis trop stressée, je me met une pression d'enfer pour une simple sélection... UNE SÉLECTION ! C'est l'opportunité de la vie, pas question de la laisser filer, je suis née pour la réussir, quoiqu'en pense mon père.


Inspire. Expire. Je ferais mieux d'aller me vider la tête avec Esther et la dizaine d'amis qu'elle ne va pas tarder à se faire. C'est un vrai rayon de soleil, elle attire les gens comme un pot de miel au milieu des ours. Je glousse en secouant la tête à l'image d'une Esther recouverte de liquide sucré, et d'une horde de saisonniers affamés qui lui lèchent le corps lascivement, tout en rejoignant mon amie partie se changer pour démarrer l'installation du centre.


**

-- J'y vais en premier !


Je ne laisse pas à mon interlocutrice le temps de répondre, réajuste mon masque et m'élance d'un coup de hanche sur le snowpark. J'attends de prendre un peu de vitesse, tente un gentil cork brillamment réussi, ma tête passant près de la neige, puis j'attrape ma planche entre mes gants dans une torsion périlleuse digne de mes meilleurs backside, tout en tournant sur moi-même, plusieurs dizaines de centimètres au-dessus de la neige. Je reviens enfin vers le groupe qui m'attend au pied du park, attendant avec une pointe d'appréhension leur réactions. Je ne leur ai pas sorti le grand jeu, mais je suis plutôt fière de mes réceptions. Les retours des jeunes skieurs aux yeux brillants ne se font pas attendre, tandis qu' Esther me claque l'épaule d'un air fier que je devine malgré son énorme masque de ski, doublé par un casque et un léger cache-nez.


-- V'voyez les mioches ? C'est ça qu'on veut. Bon, pas tout de suite, mais à la fin de la semaine vous ferez deux fois mieux que ça ! S'exclame la monitrice en combinaison rouge, juste pour le plaisir de voir leur bouches esquisser une mine terrifiée.

Je ricane pour appuyer sa déclaration,avant d'avoir un peu pitié d'eux et de tempérer nos mensonges.

-- On va commencer par apprendre à franchir chaque bosse et chaque virage, sinon vous pouvez dire adieu à vos petites fesses fragiles.


Je frappe gentiment le crâne d'un bavard, Evan, si je me fie à l'autocollant collé à son casque orange.


Dans l'ensemble, le cours se déroule bien pour un premier jour, et les enfants ne passent pas leur temps à se plaindre comme je l'avais crains. A la fin, ils me redemandent même une petite démonstration de mes talents, que j'exécute avec plaisir. Je vois que j'ai déjà été repérée par les employés de la station, qui se font des signes pour me regarder passer. Je rosis dans mon cache-nez, et me mords la lèvre comme à chaque fois qu'une paire d'yeux extérieurs pose un regard intrigué sur moi. Mon cœur et ma respiration s'emballent à l'unisson, suivi de près par une fine couche de sueur. Je souffle un bon coup avant de m'élancer, claque mes deux gants trois fois selon mon rituel et m'élance enfin.


Je n'ai pas le temps de jeter un coup d'oeil à la petite dizaine de curieux, car déjà la première bosse arrive. Le premier virage, suivi du second, j'enchaîne backflip, backside air, Mc Twist jusqu'à la fin de la piste, sous les regards médusés des quelques moniteurs et de leur groupes. Je rate ma dernière réception dans un soupir déçu, et tente de calmer les battements intempestifs de mon cœur, qui s'est comme à chaque fois, bien trop emballé pour une simple descente. Ce stress injustifié me joue des tours, mais je n'arrive pas à y remédier.


Le snow, c'est tout pour moi. Ma planche, voilà le seul amour de ma vie. Si elle aussi me lâchait, je n'y survivrai pas. De toute façon, une planche n'a pas de sentiments, et c'est sans doute pourquoi je lui voue une confiance aveugle.


Dire que j'ai enfin une opportunité d'intégrer l'équipe de France, à la fin de l'hiver ! Vingt ans que j'attends ce moment. Je ne me pardonnerai pas un échec. C'est tout ou rien : soit je réussis, et je m'envole pour les prochains Jeux Olympiques, soit j'arrête tout. Mon cœur saignera trop à chaque fois que j'enfilerai mes chaussures, je me connais par cœur. Dire que je passe peut être ma dernière saison avec mon surf bicolore. Je l'ai toujours voulu très simple ; le style, c'est dans l'attitude, la posture, les figures du rider, pas sur sa planche. Les juges voudront voir du concret, de la maîtrise, pas la poudre aux yeux que je pourrais ajouter en ayant une planche stylisée. Trop de gens auront les yeux rivés sur moi, je ne peux pas les décevoir, me décevoir.


Cette foutue planche occupe mes samedis, mes dimanches, mes lundis, et à peu près tous les autres jours de la semaine. Je n'ai pas vraiment confiance en l'humain, alors il faut bien que quelque chose comble ce manque affectif ! Je réprime un rire : je suis pitoyable, mais je m'en fiche royalement.


Nous redescendons à la station avec notre petit groupe, et j'entends deux combinaisons affreusement jaunes jacasser dans la navette qui nous emmène au centre.


-- Alors K, ça fait quoi de ne plus être le meilleur surfeur de la station ? Commence une voix enjouée.


Je sens que cette conversation va vite me pomper l'air.


-- Ta gueule, je m'en balance et tu le sais très bien.


N'empêche, c'est une nana, j'aurais pensé que t'aurais voulu défendre ton blason de mâle viril, continue de se moquer la première voix.


Qu'est-ce qu'un mec peut être stupide quand il s'y met ! C'est presque effarant : j'ai jamais été aussi heureuse d'être une nana. Je déteste ce genre de comparaison, mais l'ego masculin a comme un semblant de connerie quand il s'agit d'honneur.


-- Justement, c'est qu'une fille qui a voulu frimer, je vais pas surenchérir pour tes beaux yeux d'amoureux transi


Je n'y tiens plus, je suis obligée de me tourner vers eux, au moins pour faire barrage au flot de conneries qui semble s'échapper de leur bouches un peu plus à chaque minutes ! Je percute deux orbes plus bleues qu'un ciel de montagne, et les fusille du regard. Foutu blond bodybuildé.


La navette s'arrête à ce moment-là, alors je ravale ma fierté, déglutis et raccompagne mon groupe au râtelier pour aider les enfants à ranger leur planche.

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