3 - Rapprochement.

Toujours sur la terrasse, assis en face de... Jules — il va me falloir un temps d'adaptation pour ne plus buter sur son prénom —, j'attends son accord sur notre potentielle future relation amicale.

– En vrai, vous vous ennuyez dans la vie. C'est ça ?

– Pas vraiment, mais je reconnais que vous l'agitez un peu, je m'esclaffe.

– Ah ! Je pensais que c'était les insultes sur votre travail qui avaient séduit. Vous n'allez pas me proposer un truc louche comme des coups de cravache sur vos fesses recouvertes d'une culotte en dentelle ?

Aussitôt, je m'étrangle avec ma salive. Après avoir toussé pendant quelques secondes, je m'indigne.

– Oh my God ! Je vais devoir me laver le cerveau à la javel pour effacer cette image horrible !

Elle grimace en hochant la tête.

– Oui, moi aussi. Le champagne, ça aide, alors tchin, pouffe-t-elle en agitant sa coupe vide.

– Quitte à boire à notre rencontre, autant le faire correctement. Je reviens.

Je me lève d'un bond pour filer dans la cuisine. Rapidement, j'attrape une bouteille au frais puisque l'autre s'est réchauffée, puis je me hâte pour la rejoindre. À nouveau assis sur le transat à ses côtés, je débouche la bouteille puis nous sers. Une fois nos coupes pleines, nous trinquons au sauvetage de son téléphone. J'engage la discussion, mais la demoiselle est avare de détails sur sa vie. Pour l'encourager, je lui parle de la mienne.

Ce qui me donne l'occasion de vous en apprendre plus sur moi, et de vous décevoir. Je dirais bien que je n'ai pas de cadavres dans mes placards, mais ce serait déplacé. C'est la seule expression que je ne peux pas utiliser. Issu d'une famille de la classe moyenne, enfant unique de parents aimants, j'ai grandi bien dans ma tête et mes chaussures. Ma scolarité s'est passée sans problème, un gentil garçon travailleur, et j'ai obtenu un diplôme supérieur en art visuel et photographie.

Exclusivement entre nous, pour répondre à vos éventuelles interrogations, je n'ai jamais tué d'animaux. Peut-être arraché quelques ailes de mouches en camping, mais c'est tout. Je n'ai jamais eu de comportements étranges, n'en déplaise aux spécialistes.

Connaissant ma vie par cœur, je n'ai pas besoin de me concentrer sur mes paroles, ce qui me permet de reporter mon attention sur son physique. Elle a les traits fins, pas ce qu'on appellerait une beauté, mais indéniablement beaucoup de charme. Des cheveux d'un doux châtain parsemés de légers reflets auburn qui les illuminent. D'un style naturel, peu maquillée, une simplicité qui la rend encore plus séduisante. Son regard est expressif et souvent taquin. D'ailleurs, la couleur noisette de ses yeux devient ma préférée.

Au cours de la conversation, une brise soulève ses cheveux. Elle frissonne, ses avant-bras nus se couvrent de chair de poule. Le temps s'arrête, me voici hypnotisé. Les réactions épidermiques, c'est mon point faible. La cause de tous mes secrets. Les petits poils dressés me susurrent de venir les caresser.

Quand Jules se frotte le bras, je reviens sur terre en clignant des paupières pour dissiper la brume de mes pulsions, puis je lève les yeux pour retrouver son regard. Ce faisant, la situation empire. Je découvre un adorable grain de beauté qui me fait de l'œil. Il est admirablement situé sur son cou, dans le prolongement de l'oreille. Les narines qui frémissent, j'inspire doucement pour dissimuler mon émoi.

Vous devez penser que c'est bien peu de chose pour me mettre dans cet état. Sauf quand on sait que c'est justement pour ce type de détails que je sélectionne mes modèles. Une petite particularité qui les rend uniques et que je veux m'approprier. Mon drame est que je ne peux pas les laisser apparaître sur mes clichés, ce serait trop risqué. Je me contente de les graver dans ma mémoire et de les utiliser pour nommer mes souvenirs. Là, ce serait « la fille au grain sous l'oreille ».

Je n'ai pas le temps de créer des scénarios, car sa voix résonne et me fait reprendre mes esprits dans le même temps.

– Vous parlez parfaitement français et sans accent. C'est surprenant.

– Avec Pam, nous étions scolarisés dans une école française de Washington.

– Vous aviez l'intention de vivre en France ?

– Du tout. Ces écoles sont réputées pour leur enseignement, c'est tout.

– Que pour la frime, me taquine-t-elle.

– Tout de suite, les moqueries. Elles sont bien cotées, juste ça. En revanche, si Pam est à Paris, c'est pour son Français, mais l'homme, pas la langue, je m'esclaffe.

– Et vous souhaitez découvrir si la Française vaut également la peine ?

– Du tout. L'intérêt que je vous porte est né de vos réactions et votre franc-parler. Ça faisait longtemps que je n'avais pas eu affaire à une telle sincérité sans filtre.

– Excusez-moi, mais vous n'êtes pas une star. Il ne faudrait pas que ça vous monte à la tête.

– Voilà ! C'est exactement ce que je viens de dire. Pour renvoyer sur terre, vous êtes exceptionnelle, j'approuve en éclatant de rire.

Ensuite, la discussion tourne sur mon travail, mes voyages et je parviens enfin à l'inciter à se confier.

– Rien de bien palpitant en ce qui me concerne, d'où ma réserve pour m'étendre sur ma vie lorsque je me retrouve face à des personnes aux professions intéressantes.

Avec ce que j'ai vu d'elle, son caractère et sa façon de parler, je suis certain qu'elle minimise les faits. En m'annonçant qu'elle est dresseuse d'ours, je tiquerais à peine.

– Votre métier ne peut pas être aussi déprimant que vous semblez le croire, je l'encourage, maintenant rongé de curiosité.

– Je suis agent du Trésor, fonctionnaire au centre des impôts du 15ème arrondissement.

– Euh...

Oui, d'accord. Ça ne fait pas rêver et j'étais à cent lieues de lui attribuer une occupation si fade. Je cherche mes mots pour rattraper ma réaction, je ne voudrais pas l'offenser.

– Ne perdez pas votre temps à vous casser la tête pour me vanter les mérites d'un métier si riche et épanouissant.

– Tant mieux, parce que je sèche, je m'esclaffe.

– Notez que ça aurait pu être pire. J'aurais pu vous annoncer que je suis employée dans un abattoir.

Pire ? Pas vraiment. Cela nous aurait offert l'opportunité d'un débat enfiévré sur la façon de procéder à la découpe efficace des muscles, mais je vais taire cette précision. Donc, fonctionnaire aux impôts... Mais oui !

– Je viens de faire le lien ! Vous êtes la comptable qui a aidé Pam dans les démarches administratives pour la création de son activité ?

– C'est bibi, oui. Notre rôle n'est pas toujours de trouver le meilleur moyen de vous piquer de l'argent. Nous apportons également notre aide pour que vous le versiez vous-même en toute facilité, s'esclaffe-t-elle.

J'apprécie vraiment son humour et ris de bon cœur avec elle.

– Tant de bonté en vous, je suis en admiration.

– Je vous offrirai mes services si vous comptez vous installer en France un jour.

– Ce n'est pas à l'ordre du jour. Je suis attaché à mes racines et à ma famille que j'aime retrouver le plus souvent possible.

– Et moi aux miennes. Nous pourrons peut-être devenir amis, mais jamais plus même si affinités, conclut-elle avec un clin d'œil.

Et paf ! Elle me remet une petite claque derrière la tête pour me dissuader de la séduire. Contrairement à ce qu'elle pense, mon intérêt pour sa personne n'a rien de sexuel pour le moment, alors ça ne va pas me décourager.

– Par contre, vous me seriez d'une grande aide pendant mon séjour ici. Vous pourriez me faire visiter les lieux qui méritent d'être pris en photo. Je parle d'autre chose que les endroits connus, je me promène au hasard pour en découvrir.

Mon prétexte fait mouche, elle accepte, mais en ajoutant qu'il est l'heure pour elle de quitter les lieux.

– Je vous ramène chez vous. Comme ça, je pourrais revenir vous chercher demain.

– C'est inutile, j'ai prévu un taxi, refuse-t-elle en se levant.

J'ai beau insister pour qu'elle le décommande, elle ne veut rien entendre. Ce qui m'agace fortement, car je n'ai pas envie de la lâcher si tôt. Après lui avoir donné ma carte, je la suis comme un petit chien à l'intérieur de l'appartement. Pendant qu'elle remercie Pamela pour l'invitation, je trépigne, contrarié de la voir s'éloigner. Et encore plus parce qu'elle ne montre pas le moindre regret à nous séparer.

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