1 - Jour de vent.

Paris – Juin.

Moi ? Le gentil gars bien élevé aux chemises bien repassées qui déclare pratiquer des activités clandestines ? Un chouilla illégales également. Vous me pensez mythomane qui exagère pour vous impressionner. Ou au mieux, vous me prenez pour un pauvre type qui s'invente une existence palpitante. Vous n'avez pas tout à fait tort pour la seconde option. Oui, j'ajoute du piquant à ma vie, mais pas en imaginant des histoires, plutôt des crimes que je prends plaisir à préparer ensuite.

Vous pouvez ranger tous vos livres ou idées reçues, je ne suis pas cinglé. Je reconnais que mes activités secondaires n'ont rien de classique ni de légal, mais je refuse une étiquette. Les experts eux-mêmes ne parviennent pas à se mettre d'accord sur des définitions exactes, alors nous n'allons pas épiloguer. La seule certitude, c'est que je ne suis pas sociopathe puisque j'aime mes proches et me préoccupe d'eux. Un peu psychopathe, ça, je veux bien l'admettre, les remords, l'avis des autres et les lois ne me perturbent pas. Mais peu importe, je n'ai pas l'intention de débattre sur ce sujet. Je me livre à vous tel que je suis, c'est tout.

– Josh ! Tu m'entends ?

Cette voix féminine agacée vient de Pamela, mon amie. Encore la preuve que je ne suis pas asocial puisque je tiens beaucoup à elle. Elle aussi malgré ce que peux laisser penser son attitude agressive. Dressée face à moi qui suis confortablement installé dans le divan de sa galerie parisienne toute neuve dont elle prépare l'ouverture, on peut dire que nos gestuelles diffèrent. Son regard noir et un escarpin qui tapote le plancher sont clairs, elle est énervée. Il faut dire qu'elle me parle depuis dix minutes sans obtenir de réponse, je ne lève pas le nez de la revue que je feuillette. Depuis petite, une de ses particularités est de s'escrimer à recueillir mon avis sur ses tracas insignifiants. En quelques années, nous sommes passés de la bonne couleur pour sa barrette à ses doutes sur le meilleur emplacement pour accrocher un cliché. Le dernier sujet concerne mon travail, mais ne m'intéresse pas pour autant. Malgré tout, je dois réagir.

– Mmmm.

Marmonner pour lui faire savoir que je ne l'ai pas oubliée devrait suffire à gagner un nouveau quart d'heure de paix.

– Alors, réponds ! Bon sang !

On dirait que non. Elle est tenace et peu patiente. En temps normal, elle me toiserait avec les deux mains sur les hanches, mais le grand cadre qui lui occupe les bras l'en empêche. En espérant qu'elle ne me le jette pas à la figure par exaspération.

– Je ne le fais pas parce que je me contrefiche de savoir où tu les accroches et comment tu t'y prends.

– Mais enfin, Josh ! Ce sont tes œuvres, tu devrais donner ton opinion.

– Je suis photographe, tu es galeriste. Chacun son boulot. Je reste à ma place en ce qui concerne les murs de ta boutique parce que je t'assure que si tu fourres ton nez derrière mon objectif, je t'envoie bouler. Je suis ici pour te soutenir moralement, ce n'est pas rien.

– On dirait que tu t'en fiches.

– Tu te méprends. Je te fais confiance, ce n'est pas du tout pareil. De plus, tu es la meilleure.

– Mouais. Enrobe-moi de miel. Mais tu as raison, ça marche, s'esclaffe-t-elle.

Un ajout de sirop n'est pas utile puisque Pam est une sucrerie à elle toute seule. Une jolie brunette aux cheveux courts et aux traits fins dont la taille de poupée mélangée à sa vivacité la rend adorable et facile à vivre. Tout l'inverse de moi. Ni beau ni laid, mais sportif, je cultive un aspect ordinaire en public. Une transparence physique nécessaire et un détachement permanent qui rebute les gens et assure ma tranquillité. On ne doit pas se retourner sur mon passage, ne pas se souvenir de m'avoir croisé, ou ne pas avoir envie de m'aborder.

Neutre est ce qui me définit le mieux. Parfois brun, parfois plus clair quand le soleil délave mes mèches, des yeux clairs mais pas frappants, alternant la barbe et le rasage en fonctions des situations, rien ne fait sensation. Même ma grande taille n'a rien d'exceptionnel de nos jours. Il n'y a que mon sourire qui interpelle, Pam le juge éclatant et irrésistible. En conséquence, si je l'utilise sans retenue avec elle, je fige mes lèvres en un trait le reste du temps. Les femmes étant attirées par les hommes mystérieux, je m'applique à feindre l'ennui. Un gars lisse, c'est tout moi.

– Je stresse, gémit Pam en déplaçant encore des cadres.

– Pour rien, comme toujours. Tu as toujours réussi tes expositions.

– C'est ma première à Paris et en solo.

C'est exact. Nous sommes tous les deux de Washington où Pam tenait une petite galerie qui fonctionnait bien, avant de tout plaquer pour s'installer à Paris. La faute à son mari français, Pierre Decallois, commercial en œuvres d'art. Un type sympa, même drôle, et très amoureux d'elle avec qui je m'entends bien. Il la rend heureuse, la soutient envers et contre tout, son unique défaut est d'avoir enlevé mon amie. À cause de lui, je me coltine des allers-retours au-dessus de l'Atlantique. Non pas que je sois en manque d'elle au point de venir en France presque tous les mois, mais elle est la seule à qui je confie mes clichés. Je suis rémunéré pour les reportages réclamés par mon employeur, la publication « Green Planet ». En revanche, pour les autres, les artistiques, c'est Pam qui s'en charge.

– Tu seras là pour le vernissage demain soir, n'est-ce pas ? s'inquiète-t-elle tout à coup.

– Je suis à Paris pour au moins trois semaines, donc, oui.

– Parfait. Bon, je le place où, celui-ci ?

Je lève le nez de la revue puis écarte les pieds posés sur son bureau qui se trouvent pile dans l'axe. J'ai une tendance à la cool attitude. Certains la définissent comme nonchalante, d'autres plutôt malpolie. Pam s'en fiche, elle m'aime comme je suis. Il y a belle lurette que nous restons nous-mêmes l'un avec l'autre. Confidents depuis l'enfance, nous ne nous cachons rien, ou presque.

Donc, son cadre. Ah oui, ce cliché-là ! Que de bons souvenirs, mais pas la moindre idée de l'endroit où l'accrocher. C'était une femme, alors entre des hommes ? Une hispanique, alors faire par type racial ? En fait, je m'en fiche vraiment, je n'entends rien à ces détails.

– Débrouille-toi. Je vais nous acheter des petites choses délicieuses dans la pâtisserie au coin de la rue. À tout de suite !

Ma phrase débitée en bondissant sur mes pieds, la revue jetée sur le bureau, je m'empresse de quitter la pièce avant qu'elle m'oblige à m'impliquer physiquement dans son travail.

– Lâcheur !

– J'avoue !

– Un éclair tout rose pour moi ! crie-t-elle avant que la porte ne se referme.

Sa galerie se trouve dans le quinzième arrondissement, Beaugrenelle est un quartier plaisant au bord de la Seine. Le mois de juin est doux et les jupes sont de sorties, du coup, les jambes aussi. À peine dehors et trois mètres effectués sur le trottoir, je croise deux femmes aux moues aguicheuses. Zut, j'arbore encore le sourire que Pam a fait naître, elles pensent donc qu'il leur est adressé. J'ôte vite ce faciès à problèmes puis laisse passer les deux jolies plantes en les ignorant.

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