Prologue (7) : La plume contre l'épée

L'avantage ? C'est que Ade, seule depuis son réveil, n'a pas fait trop de difficultés pour se joindre à notre rassemblement. Au vu de ses paroles, elle en savait assez sur les Tueries pour comprendre quelle était notre situation, mais reste quand même assez intelligente pour considérer qu'un groupe est la meilleure option.

L'inconvénient ? maintenant, j'ai un cinquième problème à gérer sur les bras, qui est, Ade n'arrête pas de tenter de faire la conversation à Emerens. Elle lui pose des questions sur tout, sa vie à Hope's Peak, sa prochaine œuvre, sa dernière apparition publique. Et autant son ton est simplement curieux, et elle ne cherche pas à creuser les réponses qu'il ne lui donne pas, autant elle nous exclut totalement du groupe et vu la gueule de Seo-jun, il s'en rend compte autant que moi.

Alannah est toujours concentrée sur son écran. Sachiko, elle, nous guide de manière beaucoup plus pressante, un ou deux grommellements en japonais qui ne me paraissent pas très amicaux très certainement à destination de notre nouvelle venue. Cette dernière l'ignore résolument, mais putain, la tension est à couper au couteau.

« J'espère que ça va pas être ça toute la journée, grommelle Seo-jun. Parce que là, elle commence à me soûler, la fan.

— Je ne te le fais pas dire, je réponds sur le même ton. Presque envie qu'on entende ce foutu rire dans les haut-parleurs qu'on en finisse. »

Seo-jun fait la grimace.

« Parle pas de malheur, s'il te plaît. Je suis pas prêt à en voir... Un maintenant.

— Honnêtement, va falloir t'y faire, mon vieux, et encore, je crois qu'on tient la palme du début le plus long. L'Enfer Aquatique a débuté combien de temps, une heure après le réveil de Monogatari ? Les Abysses, même topo, et le Bal, on a pas beaucoup d'infos mais comme ils avaient moins de place que nous...

— C'est pas faux ça. Je me demande bien pourquoi il nous laisse autant de temps...

— Ma théorie se base sur l'espace qu'on nous donne, relié à la tradition. Je crois qu'ils aiment bien que tout le monde ait rencontré tout le monde, avant qu'on commence à s'arracher les entrailles, je soupire. Ça fait sens. T'apprends à les connaître comme si tout allait bien, et ensuite, tu dois les tuer. »

Seo-jun hoche la tête. Je vois ses veines ressortir de ses poings serrés, mais s'il est en colère contre un truc, ça ne doit pas être contre moi. En tout cas, ce n'est pas moi qu'il fixe de derrière ses paupières plissées.

« Ouais, sans doute. Le souci, c'est que justement, dans l'Enfer Aquatique, on ne se concentre que sur le point de vue de Wen Xiang. J'ai un peu discuté avec Reina, tu sais, il soupire en se tournant vers moi. C'est la survivante des Abysses qui avait plus ou moins le même rôle que Wen Xiang. Elle, elle pense que certains de ses participants ne s'étaient jamais vus avant de se retrouver avec Monokuma. Elle pense même être la seule à avoir vu les quinze... »

Tiens donc. Je m'y attendais pas, à celle-là. Donc, il y a réellement une possibilité pour que des gens d'une Tuerie ne se soient jamais parlés avant qu'on le leur dise qu'il faut s'entretuer ? Mais il faut bien que tout le monde ait rencontré quelqu'un au moins une fois, non ? J'imagine que ce n'est pas « tout le monde est au courant de tout le monde » mais plutôt « au moins une personne sait qui tu es ».

Mais dans ce cas, pourquoi Monogatari comme Satou ont pu rencontrer tout le monde ? Parce que Satou, encore, je veux bien, elle est probablement la seule avec Saki Tamura à avoir rencontré Nakano. Mais Monogatari, elle, avait croisé tout le monde en petits groupes, vers la fin.

Cheng Hui et Hugges. Karasu et Aoki. Jouslin de Pisseloup de Noray, le fameux Fusae Amane et Stahlkörper. Les derniers qu'elle a rencontrés, ce sont Kizoku, Son et Asyna. Qui discutaient déjà à trois.

Pourquoi le Juge Ultime a-t-il attendu qu'elle les voie ?

C'est bizarre. Mais je n'ai pas le temps d'y réfléchir davantage. Parce qu'Emerens semble s'être lassé de sa discussion avec Ade, et l'a plantée en beauté pour venir vers moi.

« Vous parlez de quoi comme ça ?

— De l'annonce de Monokuma, répond Seo-jun. Ça va, bien de lâcher tes fans ? »

Ladite fan nous fixe d'ailleurs du regard, avant de hausser les épaules. Je remarque néanmoins que son expression s'est refroidie. Contrairement à Seo-jun, d'ailleurs, qui brille de l'intérieur. Je me moquerai bien, mais je dois être pareil. Enfin elle lui fout la paix...

Emerens pince les lèvres.

« L'annonce de Monokuma... Je m'étonnais de ne pas l'entendre.

— Je pense que c'est parce qu'on a pas encore vu tout le monde, j'explique. Mais justement, ça a soulevé quelques questions. Genre, des deux Tueries les plus connues, on a que Monogatari et Satou qui ont vu tous leurs participants avant l'annonce. Et c'est bizarre... Pourquoi elles ? »

Les yeux d'Emerens se plissent, et l'un de ses doigts vient caresser son menton.

« Hm, c'est une hypothèse personnelle, mais les deux se sont illustrées dans leurs Tueries, de manières certes très différentes mais néanmoins évidentes. Les Monokuma avaient peut-être senti qu'elles avaient quelque chose de spécial... Qu'elles étaient les héroïnes de leur propre histoire. Ça expliquerait.

— De ce que je sais du Juge et de l'Impératrice, ils s'en branlaient pas mal du spécial.

— Certes. D'où le fait que cela reste une hypothèse. Elle peut être assez aisément détournée par le simple fait que Lajunen n'a pas lâché Wen Xiang d'une semelle, il ajoute, une légère grimace sur le visage. Et que c'était peut-être bien lui que le Juge Ultime suivait. Mais toujours est-il que dans le cas où ça s'applique, je me demande lequel d'entre nous ça serait.

— Mouaif, je grommelle. Pas envie d'y réfléchir. C'est même pas avéré qu'on est dans une Tuerie, il y a trop de trucs qui clochent. Avant de commencer à nous attribuer des rôles, on ferait mieux de confirmer notre situation.

— Je vois pas ce que ça pourrait être d'autre, réplique Seo-jun, aigre. Ansgar est ici, et apparemment pas de son plein gré. On est tous entre Ultimes, et même si notre nombre augmente, on dépasse pas encore les seize présumés. Y'a pas d'autre possibilité, mec.

— C'est pas en réfléchissant pas plus loin que le bout de son nez qu'on en voit en tout cas, je réplique sèchement. Je suis l'Ultime Théoricien. Je le suis pas devenu en me rattachant au scénario le plus probable. »

Seo-jun lève les yeux au ciel.

« Et c'est pas avec ton optimisme que tu vas réussir à survivre. Je vais voir ce que branle Alannah, je reviens. »

Super ; Je l'ai vexé ? Tant pis pour lui, il avait qu'à réfléchir. Enfin, trop tard pour répliquer, il s'est déjà éloigné, na laissant qu'Emerens. Qui lui me fixe dubitatif. Oh non, mec, pas toi aussi.

« Une possibilité qu'on ne soit pas dans une Tuerie, hein.

— Oui. Je veux dire, trop de trucs clochent. On a une place absolument faramineuse, et Monokuma, si présent, ne se manifeste même pas. Ça fait plus d'une journée qu'on est ici, et on est toujours pas plus avancés. On est très loin du déroulement d'une Tuerie normale.

— Si tu le dis... J'espère juste pour toi que tu n'es pas guidé par un faux espoir.

— Me prends pas pour un con. L'Espoir, le Désespoir, ce sont des notions basées sur les ressentis, elles n'ont aucune force factuelle. Je n'écoute ni l'un ni l'autre parce que quand tu raisonnes, ça sert à rien. »

Et je suis bien placé pour le savoir. Je... On... Je les ai étudiés bien assez longtemps.

Emerens a un léger rire. Son bras passe autour de mes épaules.

« A t'entendre, tu as trouvé le remède miracle. J'aimerais vraiment que ça fonctionne comme ça. »

Si les gens sont suffisamment bêtes pour se laisser guider par leurs émotions aussi... Les faits, c'est la seule chose qui compte. C'est la seule chose qui vaut. Les Monokuma qui détruisent l'humanité sur la seule base d'une notion de philosophie, ça m'a toujours ulcéré.

Quel est l'objectif ?

Et quel est l'objectif d'Emerens, aussi. Qui ne me lâche pas d'un iota, maintenant je suis littéralement sous son aisselle. J'ai l'impression qu'il me prend pour un poteau, là, quoique, on ne caresse pas les cheveux d'un poteau avec autant de soin. C'est ça, essaie de m'amadouer pour que je bouge pas. Et je dois dire que, eh bien, ça fonctionne.

Ade, qui nous regarde toujours, me fixe avec étonnement. Je vois son œil rose me balayer de haut en bas. Je remonte dans ton intérêt, Ade ?

« Eh, oh, Alannah, lance Seo-jun plus loin. Des nouvelles ? »

Cette dernière lui répond d'un grognement, visiblement pas en mesure de l'écouter.

« Rien, grommelle Sachiko à sa place. J'espère que vous êtes prêts à marcher, bande d'imbéciles.

— C'est pas à toi que je pose la question, siffle Seo-jun, mais à Alannah. On peut tomber sur un autre Ultime n'importe quand, comme avec Ade, et c'est pas tes délusions de grandeur que je vais considérer comme une réponse acceptable !

— Si tu ne m'écoutes pas aussi, homme de peu de foi, tu veux que je fasse quoi ? Crache Sachiko. De temps à autres, il faudrait apprendre à écouter les dieux !

— Et ça recommence, grimace Emerens. Désolé, trésor, mais si tu veux que tout se passe bien, je crois qu'il est de mon devoir que de distraire ce cher Seo-jun avant que le mur d'en face ne fasse la rencontre du crâne vide de Kimura. Je reviens tout de suite... »

Sa prise sur mon épaule se relâche. Pour lui permettre de bondir, presque littéralement, sur le dos du garde du corps avant qu'il n'ait eu le temps de répliquer. Le tout en ricanant comme un démon. Ça va, tu te fais plaisir, Emerens ?

« Eh bien alors, Seo-jun, est-ce vraiment le moment de faire un tel cirque ? »

La manœuvre, bien qu'osée, a le mérite de distraire le garde du corps de la cible actuelle de sa colère, puisqu'il pousse un cri de surprise et tente de déloger l'importun. Mais rien à faire, Emerens reste bien cramponné, et a même le culot de serrer ses bras autour de son cou.

Une Ade stupéfaite le regarde faire, les yeux écarquillés, avant de chercher explications auprès de quelqu'un d'autre. Mais Sachiko est trop occupée à fixer les deux idiots avec un certain jugement, et Alannah est trop concentrée sur son écran.

Conclusion logique ? Il ne lui reste plus que moi. Et c'est donc vers moi qu'elle se dirige.

« ... C'est toujours comme ça ? »

Je me permets un léger sourire, les yeux fixés sur Emerens toujours dans ses délires. On tombe des nues, on dirait, miss fan ?

« J'en ai bien peur. En tout cas, ça dure depuis hier. »

Pas à ce point, certes, mais quand même, Ade n'a pas besoin de le savoir. Et nan, je ne sais pas ce qui me motive à salir son image... Il le fait très bien tout seul, certes, mais quand même.

Par contre, Ade n'a pas la réaction que j'escomptais. Elle se contente de décaler ses cheveux de son oreille gauche, où je vois surplombant un lobe à moitié brûlé un petit appareil rose. Un appareil auditif. J'en conclus de son regard qu'elle n'a pas tout compris.

« Désolée, mais j'apprécierais que tu parles assez fort, ou vers moi, que je puisse compenser en lisant sur tes lèvres. Ou me parler en français, si tu tiens à ne pas être compris. »

Ben voyons. Autant partir sur la deuxième option, aucune envie qu'Emerens me surprenne à commérer, ce serait probablement la pire connerie de ma vie. Je me tourne vers elle, assez pour qu'elle puisse lire sur mes lèvres sans que j'aie à me tordre le cou.

« Mieux ?

— Beaucoup, merci. Depuis hier, tu disais ? Est-ce depuis ce temps que tu le connais ?

— Non, ça fait neuf ans. »

Sans vouloir insister. Même si techniquement, on ne s'est vraiment connus qu'une année scolaire. Le reste... C'est un sujet sensible.

En tout cas, je crois bien que j'ai fait mouche. Ade écarquille les yeux.

« Neuf ans... Tu connais le meilleur auteur de son temps depuis neuf ans ?

— Meilleur auteur de son temps, je trouve que c'est un peu exagérer, je grommelle. Il y a quantité d'Ultimes Ecrivains, je te signale. »

Entendons-nous bien, j'adore Emerens. Et j'ai assez vu de son talent pendant qu'on était à l'école, je sais qu'il raconte des histoires comme personne. Mais il n'est effectivement pas le seul Ecrivain Ultime. Et sans avoir lu quoi que ce soit de sa bibliographie, j'avoue que pour moi, ce titre irait plutôt à Sorasaki, l'ancien Ultime Ecrivain Fantasy.

C'est simplement dommage que... Les Tueries sonnent le glas de tels talents. Henrion Staal de Magnoncourt de Tracy, de Contarvillers, Sorasaki.

Monogatari.

Je ne voulais pas insulter Emerens en disant ça. Mais vu la tête d'Ade, j'ai l'impression d'avoir traîné hors de la tombe toute sa famille sur cent générations. Honnêtement, ça lui ferait certainement plaisir, d'ailleurs, à Emerens. Les van Heel ne sont pas des enfants de chœur...

« Vraiment ? C'est d'un réducteur, elle soupire, me fixant avec froideur. Il n'est pas qu'un simple Ecrivain Ultime. Il est celui qui a permis de révolutionner la vision de son genre de prédilection dans la culture occidentale et africaine. Un précurseur d'une certaine manière.

— Me voilà curieux. En quoi donc ? »

Au cas où vous ne l'auriez pas noté de mon ton grinçant, je suis effroyablement sarcastique. La honte de l'avoir jamais lu combinée au fait que je suis resté huit ans de ma vie sans lire ses histoires, ça met sur la défensive. Sans compter que l'expression de plus en plus froide d'Ade m'indique que soit elle croit que je suis un ami indigne, soit elle se doute que le temps que j'ai passé avec lui était beaucoup plus réduit que neuf ans.

« Est-ce que tu as vraiment lu ses livres ?

— J'ai entendu ses histoires lorsqu'on était à l'internat, ça me suffit, je siffle. Réponds à ma question au lieu de me cracher dessus. »

Elle lève les yeux au ciel.

« Je vais considérer pour ne pas te laisser chuter dans mon estime que tu es un garçon adolescent classique qui considère la romance comme sa kryptonite. Il s'agit d'avoir réussi à construire un univers aussi connu et célèbre basé sur des personnages dont on parle peu. Les minorités de genre, d'orientation, d'ethnie, de capacités physiques comme mentales.

— ... C'est ça ta révolution ? Fiche-toi de moi, je grommelle. Au risque de te faire chuter de ton nuage, ta description correspond à deux auteurs, et l'un d'entre eux est Sora Yamasaki. Ça ne me suffit toujours pas pour dire que c'est le meilleur des deux.

— Ce qu'il y a de révolutionnaire, c'est que ces histoires placent les minorités au centre de l'histoire. Sorasaki, puisque tu me parles de lui, tirait sa force de son lore ultradéveloppé. Mais ce lore éclipsait trop de fois ses personnages. C'est un défaut qu'il n'a pas. Et ces histoires sont devenues des classiques du genre. Est-ce que tu te rends compte du bonheur que c'est de voir des gens comme soi, qui vivent des histoires comme les tiennes ? Et de voir qu'autour de toi, il arrive à faire apprécier ces histoires à des millions de gens ? »

Oui, Ade, je sais, je suis très queer, et si j'avais pu lire, étant petit, de la romance entre hommes véritablement proche de ce que je ressentais à l'époque... On va pas creuser ce sujet-là.

Bref.

Je suis certain qu'en effet, ça m'aurait frappé en plein cœur. Mais je n'aime vraiment pas ta manière de prendre les autres auteurs de haut. Surtout que tu as tort, Sorasaki savait très bien balancer lore comme personnages, et je le sais, j'ai passé une bonne partie de ma vie à étudier son storytelling.

Enfin, j'ai pas envie de partir dans une dispute digne de Twitter avec une gamine visiblement trop étroite d'esprit pour voir plus loin que le bout des fesses de son auteur préféré, et même si elle a de jolis mots et des arguments.

« J'ai compris le principe, Ade. En attendant, je fais en pointant du doigt l'espèce de bagarre non loin, le meilleur auteur de son temps, il est là. Et pas décidé à faire honneur à sa réputation.

— C'est là que tu te trompes, réplique Ade plus glaciale qu'un iceberg, et plus ça va plus je me demande si tu le connais vraiment. Dans à peu près toutes ses apparitions depuis 2016, il a un comportement particulièrement libéré. »

Elle soupire. Ne me laissant même pas le temps de répondre à son accusation, surtout qu'elle frappe en plein dans les points sensibles.

« ... Même si j'avoue que je ne m'attendais pas à ce que ce soit à ce point. »

A ce point, c'est peu dire. Seo-jun, malgré tous ses efforts, n'a toujours pas réussi à déloger Emerens, et même si maintenant, les deux rigolent, le petit diablotin du moment ne semble pas décidé à laisser sa victime en paix de sitôt. Le pire, c'est que Sachiko ne s'y intéresse même plus. Elle essaie de voir sur l'écran d'Alannah, toujours concentrée, jetant de temps à autres des regards mauvais à Ade et moi.

Surtout dirigés vers Ade, j'ai l'impression.

Cette dernière, qui la remarque à peu près en même temps que moi, lui jette un regard noir.

« Vous êtes tous comme ça, vous, les Ultimes ?

— Je préfère ne pas répondre à cette question, comme ça, ça veut dire beaucoup de choses. Et je préfère faire l'autruche que démarrer une nouvelle dispute, puisque tu viens assez clairement de nous insulter. »

Ade me regarde froidement, mais n'a heureusement pour moi pas le temps de répliquer. Visiblement, Seo-jun et Emerens ont fini par remarquer qu'on parlait d'eux, et heureusement qu'on est restés sur le français, parce que là, putain, c'était grave. Et c'est de toute évidence la distraction qu'il fallait à Seo-jun pour faire passer Emerens par-dessus son épaule et le faure aterrir, non sans douceur, sur le sol.

Ce dernier proteste, mais Seo-jun ravi d'être libéré ne l'écoute même pas.

« Dites-donc, vous deux ! Même sur du français, on comprend que vous êtes en train de nous juger. Vous voulez pas repasser sur l'anglais qu'on puisse répliquer un peu ? »

Je lève les yeux au ciel. Le principe du commérage, c'est que vous ne puissiez pas nous comprendre, et quand je dis vous je parle surtout du diable blond qui se relève comme si tout allait bien, époussetant ses vêtements comme s'il ne venait pas de subir un violent ippon seoi nage.

« C'est ça. On peut plus avoir des conversations privées, maintenant ?

— Eh nan, ricane Emerens. Ayez donc un peu pitié de nous et permettez-nous de vous suivre, vos Majestés, nous pauvres rustres ne sachant pas parler français !

— Pas... »

Ade ravale ses mots. Elle se contente de soupirer.

« Peu importe. Ravie de voir que vous avez terminé votre... Numéro.

— Oh, c'était ça où la bagarre, sourit Emerens imperturbable. Et moi, je préfère ça. Même si ça me vaut de me faire balader, je sais que je pourrai me venger plus tard, hmmm, n'est-ce pas Seo-jun ? »

Ce dernier rougit d'un seul coup, et la couleur de ses joues ne s'arrange ni au clin d'œil ni au subtil rapprochement d'Emerens. Dont le ton tendancieux est. Euh. Fort évocateur. Vous êtes sûrs que vous étiez que camarades de classe, tous les deux... ?

Heureusement pour moi, une exclamation d'Alannah me distrait de ce subtil pincement au cœur. Tant mieux, parce que j'ai pas le temps de déterrer ces conneries.

« Les gars ! On en a un de plus !

— Encore un Ultime ? Lance Seo-jun.

— Non, une grenouille taureau. Oui, encore un Ultime, débilus !

— Merci de la précision, Alannah, je la coupe, aigre. Et où est cette Ultime ?

— Deux mètres plus haut. A dix, cinq, quatre... »

Je n'ai que le temps d'entendre un bruit de cavalcade et le cri de surprise d'Alannah avant que Seo-jun ne ploie, autant sous la surprise que sous le poids qui vient de lui atterrir sur les épaules.

Par chance, ou miracle, aucun des os que je craignais de voir se briser n'explose sous l'impact ; Seo-jun arrive même à se redresser plus ou moins comme il faut, et l'assaillant, ou plutôt l'assaillante, ne semble pas perturbée du tout puisqu'elle descend de ses épaules d'un geste d'une fluidité impossible pour quelqu'un de normalement constitué.

C'est forcément une Ultime, en effet. Et probablement l'Ultime la plus sans-gêne de tous les temps. Elle a les cheveux bouclés, mais pas autant crépus que ceux d'Ade, retenus derrière un foulard violet ; Son style semble très copié des pirates de film, avec beaucoup trop de violet pour être honnête. Mais l'élément le plus évident de sa tenue n'est ni plus ni moins que le foutu sabre à sa ceinture.

La voilà donc. La fameuse fille au sabre. Il était temps, tiens.

Je ne sais pas si je dois être soulagé d'enfin tomber sur ce qui me paraît être la meurtrière la plus évidente de tous les temps où terrifié parce que je tombe sur la meurtrière la plus évidente de tous les temps.

Seo-jun ne semble pas avoir apprécié de se faire tomber dessus. Nan sans blague. Mais la fille, loin d'être gênée par la quantité d'insultes en coréen qu'il lui balance, se contente de remettre ses cheveux en place, avant de lui jeter un air goguenard.

« Ah bah oui, fallait pas avoir les épaules solides. La flemme d'atterrir sur le béton, et t'avais l'air d'avoir la meilleure masse de muscles ! »

Seo-jun cligne des yeux, silencé. J'aimerais croire que c'est la répartie de la demoiselle qui l'a calmé, mais à mon humble avis, le fait qu'il ne puisse répliquer vient surtout du fait qu'il n'a pas compris un mot du français de notre nouvelle arrivante.

Et évidemment qui c'est qui doit encore m'y coller, vu qu'Ade s'est emmurée dans sa contemplation de la scène ?

Y'a pas écrit Ultime Interprète sur mon front, merde, je suis Théoricien, et j'aurais préféré ne pas l'être !

« Dis-donc, miss, je lance à l'adresse de l'importune. L'anglais, c'est mieux avec eux.

— ça serait bien, dans ce cas là, elle rigole, que je le parle. D'ailleurs, qui t'es, toi, le nain ? »

Encore une que je sens que je vais pas aimer. Je suis pas si petit, bon dieu de merde...

« J'ai pas demandé tes commentaires. Et avant que je te réponde, sois sympa, et dis-moi ton nom. »

Elle rigole de nouveau.

« Mais avec plaisir, le nain. Je me présente, Moanaura X, Ultime Capitaine ! »

... C'est ça, cassez vous les couilles à prévenir que ce genre de commentaires ne vous plaît pas, tout ça pour qu'elle en rajoute une couche... Nan, c'est définitif, je vais vraiment pas l'aimer. Et vraiment, la seule raison qui m'empêche de lui en mettre une maintenant, même en sachant au plus profond de mon âme que ce ne serait que le karma, c'est son sabre même pas en fourreau qui pend à sa ceinture.

Cette fille est l'Ultime Capitaine. Si j'en juge au style, elle est très probablement capitaine de bateau, et son agilité est une preuve supplémentaire. Clairement pas un adversaire que je peux prendre, moi, pauvre crevette aux airs de geek. En tout cas pas sans crever la trachée ouverte.

Emerens se racle la gorge.

« Thibs. Le français. S'il te plaît ?

— J'essaie, moi, je râle, mais elle parle pas un mot d'anglais, et j'ai pas envie de me faire chier à la traduire !

— Je vais le faire, intervient ausitôt Ade. Cette fille est Moanaura X, Ultime Capitaine. Elle a traité Thibault de nain deux fois, et explique que Seo-jun est un excellent trampoline. »

... Merci pour cette traduction qui n'est parfaite que quant à l'insulte que je me suis pris, Ade, j'apprécie toujours. J'aime de moins en moins les filles de cette Tuerie, moi, entre Sachiko, Ade, Moanaura et Alannah, je crois qu'ironiquement, ma préférée est Flor. Nako étant évidemment la première toutes catégories confondues.

Le pire, c'est qu'Emerens vient de pouffer. Dix contre un qu'il en rajoute une couche...

« Un nain ? Très réducteur que tout ceci. Je dirais plutôt un leprechaun. Ça s'accorde mieux avec le roux. En plus, c'est mignon comme tout, les leprechaun...

— On parle bien des mêmes leprechaun ? Lance immédiatement Alannah de son coin. Parce que mes leprechaun à moi, c'est des gros barbus grognons ! Vous me direz, ça lui va super bien, sans la barbe et le gros ventre... »

SPLEN. DIDE.

Vraiment, le top du top, cette conversation, vraiment, j'adore. A ça de commettre le premier meurtre de toute cette Tuerie sans même avoir rencontré Monokuma. Sauf que, premièrement, ça me condamnerait direct vu mon public, deuxièmement, je préfère attendre qu'on soit sûrs d'y être pour une raison qui s'appelle la loi.

En plus, non contents de me traîner dans la boue, les deux imbéciles s'en fendent la poire. Seo-jun, lui, pouffe, me jetant de temps à autres un regard désolé, ça va mec, tu peux laisser tomber, même toi t'y crois pas. Quant à Ade, elle échange quelques mots avec Moanaura avant de se diriger vers Sachiko, la seule qui n'a toujours rien dit.

Et vu la froideur entre ces deux-là, j'aime pas trop la tournure que ça prend.

« Moanaura se demande ce que vous fichez là, explique-t-elle. Et aussi ce que vous comptez faire. Comme les autres sont trop occupés à se remettre de la brisure de leur ego ou à briser celui des autres, je te demande à toi. Tu as un plan en tête ?

— J'en aurais un, grommelle Sachiko, si tu n'étais pas la seule personne en mesure de m'écouter. D'ici environ deux heures, on devrait rejoindre l'abri où se trouve Ansgar, qui, avec un peu de chance, saura calmer cette bande d'imbéciles... Et j'ose espérer que les trois autres seront un peu moins idiots que vous !

— Sachiko, au cas où t'aurais pas remarqué, je comprends quand tu m'insultes. »

La Chanceuse Ultime lève les yeux au ciel à ma remarque fort agacée.

« Je parlais pas de toi. Quoique. Alors, la tarée, elle vient, cette traduction, oui ou merde ?

— Compte-là-dessus, réplique froidement Ade. D'abord, je veux savoir d'où vient cette insulte gratuite.

— Oh, crois-moi, tu vas pas tarder à piger. Comme vous tous, d'ailleurs. Traduis, bordel de merde !! »

Je crois bien que c'est la première fois que je vois Sachiko aussi énervée.

Je ne sais pas ce qui l'a remontée à ce point contre Ade, et visiblement, Ade elle-même non plus, mais ça semble être suffisamment violent pour enflammer la tension qui stagnait dans les airs. La transformant en une gigantesque boule de gaz qui empourpre même la froide Archéologue.

Elle n'est pas la seule à regarder Sachiko de travers, d'ailleurs. Seo-jun la fixe les paupières écarquillées, son œil passant d'elle à Ade, puis Emerens. Qui lui, a cessé de rire avec Alannah pour fixer froidement la Chanceuse. Pourtant, il y a quelque chose de particulier dans son regard.

En tout cas, c'est lui le plus calme. Même Moanaura, qui n'a rien capté, semble piger qu'il y a du bordel dans l'air. Et vu qu'Ade semble absorbée par toute la rage dégagée par Sachiko, c'est à moi de lui traduire.

Enfin, je vais pas tout lui dire, faut pas déconner. Juste l'essentiel.

« On en a encore pour deux heures avant de rejoindre le groupe qu'on cherche, je dis à Moanaura. Après, on avisera.

— Okay, acquiesce cette dernière. Question, vous avez un point de chute, ou un truc du genre ?

— Ouaip, une maison pas trop loin. On a marché une heure depuis qu'on en est partis, on ne devrait donc pas être trop loin. »

Moanaura pousse un profond soupir.

« Cool. Du coup c'est là que je vais aller, je crois. Faut vraiment que je dorme, je suis sur le qui-vive depuis hier. Y'a quelqu'un qui me montre le chemin ?

— Je crois qu'il serait bon que j'y aille, intervient immédiatement Ade. Avec l'aide de quelqu'un, vu que je ne sais pas où est ledit point de chute. »

Ce disant, elle jette un regard noir à Sachiko, que cette dernière ne se prive pas pour lui rendre. Ouais, jusque là, c'est normal. Mais le regard en coin qu'elle vient de balancer vers Emerens, là par contre, il est beaucoup moins normal. Tu cherches quoi au juste, bordel ?

Le pire, c'est que personne se propose. Et deux heures, c'est long, pour un gars avec une prothèse, sans compter le retour. Vu l'expression sur son visage, il hésite à se proposer pour rentrer, ce qui ne m'étonnerait pas... Et quelque chose me dit que ni lui ni moi n'avons envie qu'il fasse le chemin avec Ade pour seule compagnie avec qui il peut communiquer.

Moi ? Jaloux ? Absolument pas.

Et en attendant, moi non plus, j'avais pas anticipé les deux heures. Du coup...

« Nan, autant que j'y aille. Un, je sais où est la maison, deux, je parle français. Ça sera plus efficace qu'un seul guide pour trois. »

Et vu qu'Ade et moi somme les seuls locuteurs français, c'est elle ou moi. Donc, me proposer la vire automatiquement du groupe. Même si Emerens décide, au final, de ne pas rentrer, il ne sera pas seul avec la fan absolue...

Ade me jette un regard froid et Sachiko bougonne un truc en japonais, mais visiblement, les autres semblent suivre ma logique, au moins pour une grande partie.

« Ouais, ça vaut mieux, je crois, lance Alannah. Et si quelqu'un rentre avec lui, ça fait deux guides, donc deux fois moins de chance de se perdre. On a pas Google Maps ici, et je dois rester là pour retracer le chemin entier avec les autres...

— J'approuve Alannah, renchérit Seo-jun. Et on a besoin de Sachiko ici pour trouver Ansgar et compagnie. Du coup, il reste...

— Inutile de tergiverser, Seo-jun, soupire Emerens, je rentre. Deux heures plus le retour, c'est trop pour ma prothèse, je préfère me poser. En plus, entre un sandwich de supermarché et la bonne cuisine de Nako, le choix est vite fait... »

Ce faisant, il me fait un clin d'œil. Tiens donc. Tu es sûr que c'est la cuisine de Nako, la seule raison de ton retour ?

En tout cas je vais pas m'en plaindre, c'est moi qui ressors gagnant dans cette histoire. Et ce n'est pas la mine dépitée d'Ade qui me convaincra du contraire.


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