Prologue (6) : La mort de l'aube
« Allez les gens ! On se lève, debout, debout, le soleil brille, les oiseaux chantent, et on a un programme chargé ce matin ! »
Bon sang de bonsoir...
Mon cerveau est encore endormi, bordel, j'avais vraiment pas besoin de la voix aiguë d'Alannah pour le tirer des limbes. Déjà que j'ai pas bien dormi pour la deuxième nuit de suite...
Enfin, si on peut parler de nuit, vu que je me suis réveillé en pleine journée.
Bref. Que me dit mon organisme ? Voyons voir. Un, Alannah est plus bruyante encore que les oiseaux, et sa manière de pépier de bon matin n'est vraiment pas des plus agréables. Deux, j'ai un poids sur mon ventre, et vu la masse, quelqu'un m'a pris pour un coussin. Super. Trois, je me réveille à même le sol, ce qui n'a rien de surprenant comparé à la fois dernière. Sauf que contrairement à cette fois-là, je suis enroulé dans un plaid, et il y a un truc qui me fait office d'oreiller.
Je vais clairement pas pouvoir me rendormir, là, autant que j'obéisse à l'oiselle de Cendrillon. Je me permets donc de cligner les yeux, tâtonnant aux alentours pour choper mes lunettes. Par miracle, personne ne s'est endormi dessus.
Le temps que ma vision ne cesse d'être trouble, j'en profite pour me dégager, bougeant de facto le poids sur mon ventre, avant de regarder sur quoi je dorm– Eh là, une minute. Je ne crois pas avoir de souvenir de m'être endormi sur Ibrahim, qu'est-ce qu'il foutait sous mon crâne ?!?
Visiblement pas gêné pour deux sous, le Soldat, bien réveillé, m'adresse un signe de la main.
« Bonjour, Thibault. Désolé, tu es venu te caler sur moi pendant la nuit, et je n'ai pas eu le cœur de te déloger. »
Mais qu'est-ce que la promiscuité me fait faire, bon sang... Et lui, alors qui m'avoue sans pression que je me suis servi de lui comme oreiller, et le pire, c'est qu'il a même pas l'air fâché. J'ai honte, maintenant. Envie de m'enterrer dans un coin. Ce qui est mal barré vu que les seuls trucs sous lesquels je peux me cacher à l'instant présent, c'est les plaids et la masse d'Ultimes étalée au sol.
Enfin, ils ne sont pas tous sur le sol. Ruben est toujours sur son canapé, c'est vrai qu'on s'était dit que l'en tirer lui ferait vraiment pas de bien. Emerens a pris l'autre en invoquant le privilège des unijambistes. Ses propres termes. Les autres, à savoir Nako, Seo-jun, Alannah, Flor, Ibrahim et moi, avons dormi au sol, et de ce groupe-là, je suis de toute évidence le dernier à émerger, vu qu'ils sont tous actifs d'une manière ou d'une autre.
Tous act- mais alors d'où vient ce poids sur mon– oh. Oooooooh.
« Sérieusement ? Je siffle, le moins fort possible pour pas réveiller Ruben et Emerens. Je suis un oreiller pour toi, Sachiko ?!? »
Les paupières de cette dernière vibrent, et elle s'étire paresseusement, non sans, bien évidemment, peser de tout son poids sur mon pauvre ventre. Et le pire, c'est qu'elle prend bien tout son temps pour se relever.
« Bonjour à toi aussi, petit humain. Pas ma faute si tu es le plus confortable ici... »
Vraiment ? Permets-moi d'en douter lorsque Nako existe. Mais maintenant que j'y pense, vu les cernes sous ses yeux, elle a pas dû beaucoup dormir, la Nako.
Et je sais que je peux pas parler vu comment je me réveille, mais sans déconner ?!?
« Elle a défoncé la porte pendant la nuit avant de s'incruster sans la moindre gêne, soupire Seo-jun, occupé à faire le guet devant la fenêtre. Je ne prends plus de risques, maintenant. »
Flor regarde la nouvelle arrivante avec hostilité aussi, mais elle est bien la seule. Alannah, concentrée sur sa manette, ne fait même pas attention à sa présence, et Ibrahim l'ignore résolument. Quant aux autres, eh bien, ils dorment.
En attendant, je commence à en avoir marre. Je repousse la grosse tête de Sachiko qui ricane, avant de me tourner vers Emerens. Ce dernier dort toujours, prothèse accoudée à son canapé près de lui, sans espoir de réveil proche visiblement, mais vous savez pas quoi, moi, j'ai encore moins envie de le réveiller maintenant que Sachiko est là.
Malheureusement, Alannah n'est pas animée des mêmes scrupules.
« Bon, il se réveille, Emerens ? On a besoin de lui pour prendre des décisions...
— Et pas du gamin ? Demande Sachiko, sourire angélique sur le visage. Je suis sûre qu'il serait plus utile que cette amibe sous-marine...
— On a décidé hier de foutre la paix le plus possible à Ruben, je grommelle, il est malade d'un truc et j'ai pas envie de le réveiller si c'est pas absolument nécessaire.
— Ouais, réveillons pas le gamin, marmonne Flor de son côté. Il mérite de dormir un peu. Il a fait plein de cauchemars. »
Des cauchemars ? Je me tourne vers Flor, quelque peu alarmé, mais cette dernière s'est déjà concentrée sur un colifichet entre ses doigts, accroché à son enregistreur vocal. Son dictionnaire anglais est ouvert à côté d'elle. Et évidemment, je suis le seul à l'avoir comprise, donc je ne peux pas guetter le soutien des autres.
Et en attendant, je crois qu'Alannah est sur le point de faire la plus grosse erreur de sa vie.
Est-ce que je l'arrête ? Vais-je être sympa ? Hmmmm... Nan. Elle l'a bien mérité, à me réveiller si brusquement. En plus, pour une fois que ce n'est pas moi qui me prends les claques...
C'est donc silencieux que j'observe Alannah se rapprocher de ma belle au bois dormant préférée, main tendue, prête à le secouer dans tous les sens. Ma pauvre choute, quelle idée de merde. Mais moi, en attendant, je vis ma meilleure vie. Quel délice que ces quelques secondes de calme avant la tempête... Allez, cataclysme dans trois... Deux... Uuuun...
Au moment où se forment dans mon esprit les syllabes du mot « zéro », ma prédiction se réalise, et Alannah n'a que le temps de lever une main devant son visage avant que celle jaillie des couvertures n'empoigne fermement la jambe artificielle, qui décrit un superbe arc de cercle en plein vers la tête de la malheureuse oiselle du matin. Et en même temps, sort de sous l'oreiller une tête passablement échevelée arborant sur ses traits une superbe combinaison de sommeil et de colère, qui darde un regard de vipère sur une Alannah prise par surprise.
Ah quel plaisir. Alors, Alannah, ça te prend toujours de réveiller les gens brusquement maintenant que le karma t'a rattrapée ?
Ledit karma, incarné par un Emerens ma foi fort grognon, redresse la tête et balaie notre groupe du regard, avant de montrer les dents.
« Sans déconner ? y'avait pas meilleur réveil ?
— Bonjour à toi aussi, ô ours sanguinaire, je ricane depuis mon canapé. On est toujours aussi peu du matin ?
— Oh, ta gueule. »
Je serais ravi de t'obéir, mon grand, mais pour une fois que c'est pas moi qui en suis la victime, j'en profite. D'ailleurs, je suis pas le genre à avoir capté la couille, visiblement. Seo-jun se tient le front entre les mains, fixant Alannah mi-désolé mi-désabusé.
Cette dernière gonfle les joues.
« C'est pas gentil, ça, Emerens ! T'aurais pu me faire mal !
— J'aurais dû. Quelqu'un peut m'expliquer ce que Kimura branle ici ?! »
Cette dernière lui tire la langue, mais ne répond rien. C'est Seo-jun qui prend le relais.
« Elle est arrivée pendant la nuit, askip en ayant retrouvé Ansgar, mais Ansgar n'est pas là. Donc bon, on t'attendait pour décider de la suite.
— Et c'est une raison pour me réveiller, ça, bordel...
— Regardez comme il fait le méchant, je pouffe. Trop chou. Tu veux que je te fasse gouzi gouzi aux joues pour te calmer ? »
Courageux mais pas téméraire, je me suis planqué derrière Ibrahim en disant ça. Et bien m'en a pris, puisque le regard qu'Emerens porte sur moi est encore plus froid que l'Antarctique.
« Si je n'ai pas ma tasse de café dans les trente prochaines secondes, je raccroche ma prothèse et je peux t'assurer que tu t'en sortiras pas vivant, Thibs. »
Aïe, ça sent mauvais ça. Autant que je ne pousse pas le bouchon trop loin, j'ai Ibrahim entre lui et moi mais il y a des limites à ce que je peux sortir comme blagues. En plus, la menace semble avoir porté vu que Nako se précipite dans la cuisine, suivie par Alannah peu rassurée et Flor visiblement atteinte par la tension du coin. Ne restent finalement dans le salon que Ruben qui dort encore, Seo-jun, Sachiko, Ibrahim et moi.
Visiblement, Emerens a compris que Nako allait nous sauver les miches vu qu'il se détend un peu, et baille ostensiblement avant de se redresser. Putain, il a dormi en caleçon-chemise, comment il fait ? C'en est d'autant plus étonnant qu'il n'a même pas enlevé ces protections autour des avant-bras...
« Ouf, je chuchote, sauvé. Je ne mourrai pas aujourd'hui.
— Ni jamais, j'espère, reprend Ibrahim sur le même ton. Pourquoi t'obstiner à l'énerver ?
— A ce stade, c'est une blague entre nous, t'inquiète. »
Oui parce que depuis que nos camarades d'internat et moi-même avons remarqué qu'Emerens a le réveil draconique, c'est devenu le plus gros gage de tous les temps. Et on ne manque pas de se moquer des deux. Alors bon, voir Alannah reproduire un de mes souvenirs d'enfance, moi, ça m'avait bien amusé. Oui je suis une petite merde, oui c'est très vilain de ma part, et oui j'en suis fier.
Allez, toutes saloperies mises à part, faudrait que je bouge, moi. Vu que Sachiko a cessé de roupiller sur mon estomac, plus rien ne m'empêche de me préparer, et il serait de toute façon temps qu'on discute de cette fameuse stratégie.
« Bon. C'est quoi les nouvelles ?
— Ansgar a trouvé quelques Ultimes, m'annonce Sachiko. Pas pris le temps de les voir, mais il y en a trois, au dernières nouvelles. Un gamin, un beau mec et un grand type souriant. Pas les plus dangereux, jusqu'à preuve du contraire.
— Et iel est où, du coup ?
— Loin. Vous vous imaginez pas le temps que j'ai mis à vous retrouver...
— J'aurais préféré que tu ne nous retrouves pas, » marmonne Emerens entre ses dents en néerlandais.
Je lève les yeux au ciel, mais sa tolérance à l'égard de mes conneries est suffisamment basse comme ça, autant ne pas trop s'avancer. Et je préfère me concentrer sur les informations supplémentaires. Donc, on est neuf, actuellement, plus Ansgar, dix, et iel en a visiblement trouvé trois de plus. Selon la description de Sachiko, aucun ne semble être la fameuse fille au sabre d'Alannah, donc quatorze au total.
Plus on se rapproche des seize et moins j'aime ça.
« Tu saurais nous guider ? Demande Nako de retour dans la pièce avec les cafés. Parce que là, actuellement, ça fait très peu d'indices.
— Sûr. En plus, vu comment c'est loin, y'a des chances pour qu'on croise ceux qui nous restent. Alors, on bouge ou on se fait bouffer par un ours sanguinaire ?
— Baisse d'un ton, grogne l'ours sanguinaire en question. Ta voix de bon matin me donne mal à la tête.
Nako attrape le bras de Sachiko au moment où cette dernière se préparait à lui jeter une chaussure. Ouf, la crise est passée.
« Je vois, j'interviens avant que ça dégénère. Du coup, on se base ici ? »
Les gens échangent des regards incertains, mais Flor secoue la tête.
« Mauvaise idée. La grande fille a cassé le loquet en défonçant la porte. Pas sécuritaire pour les enfants. »
Elle montre du doigt Ruben et Alannah, cette dernière lui jetant un regard incertain, visiblement ne comprenant pas pourquoi elle se fait désigner. Heureusement que je parle espagnol, bon dieu de merde... Je hoche la tête à l'adresse de Flor, avant de traduire ses paroles aux autres. Provoquant une grimace ironique de Sachiko, qui tire la langue à Flor.
Cette dernière lève les yeux au ciel.
« Quelle plaie...
— Bien d'accord avec toi, Flor, je soupire en espagnol. Mais on en a besoin, c'est la seule qui peut nous guider. Du coup, on change de maison ? »
Ma dernière phrase est heureusement pour les autres, dite en anglais, et Ibrahim hoche la tête.
« C'est la meilleure idée. Autant prendre celle d'à côté, on ne devrait pas trop s'éloigner de notre seule source de nourriture viable. Nako et moi pouvons rester ici, avec Ruben... Kimura peut vous emmener voir Ansgar, et Alannah vous aidera à revenir. Ça me semble être un bon plan. »
Ouais, je suis assez d'accord. Donc, explorateurs et campeurs pour cette joyeuse journée. Reste à savoir quel camp je vais intégrer. Plutôt rester tranquille ici, ou partir prendre l'air ?
« Je reste ici, annonce Flor de son côté. Plus pratique pour travailler l'anglais. Plus calme. »
Bon à savoir. Le plus logique, ce serait que je reste avec elle, mais la flemme monumentale, et traduire sa décision me casse déjà les couilles. Je le fais, évidemment, parce que j'ai pas le choix, mais quand même, c'est vraiment désagréable.
Donc, il ne reste à se décider que Seo-jun, Emerens et moi. Seo-jun qui jette un regard à Ibrahim et Flor, avant de hausser les épaules.
« Si Flor reste ici et qu'Ibrahim prend le campement en charge, autant que je vienne, ce sera plus sûr pour la sécurité. De toute façon, je fais pas confiance en Kimura pour couvrir Alannah.
— Parce que tu crois que tu es plus fiable, toi, réplique une Sachiko tout sucre tout miel. Moi au moins, je n'ai pas deux échecs évidents sur mon curriculum vitae... »
Il faut toute la force de persuasion de Nako et de Flor pour empêcher Seo-jun de se jeter sur la Chanceuse, son insupportable sourire toujours bien accroché à ses lèvres. Nako, visiblement peu satisfaite de voir pareilles disputes, a une fort vilaine grimace aux lèvres, et j'entends Flor se permettre un juron en espagnol avant de ceinturer Seo-jun de ses bras.
« Du calme, elle grommelle. Attaquer ne servira qu'à déranger les petits. »
Petits qui sont soit endormis soit pas rassurés du tout. Alannah s'est rétractée dans un coin de la pièce, tremblante, aussi éloignée de possible de Seo-jun, Sachiko et Emerens. Oh, ça sent pas bon, ça... Je peux pas la laisser seule avec ces deux-là, ça va mal finir.
« Je viens aussi, j'annonce pour couper court à toutes velléités de dispute. Faut quelqu'un capable de réfléchir pour aider Alannah. »
Cette dernière me lance un regard de remerciement, accompagné des grognements de Sachiko comme Seo-jun. Ce qui fait qu'il ne reste finalement qu'Emerens, qui regarde le groupe de Nako, puis le mien avant de pousser un profond soupir sur sa tasse de café.
« Autant que je vienne, si je reste emmuré toute la journée, je vais étouffer. Flemme de rester là à attendre. »
Oh, génial. Donc, le groupe d'exploration se compose des personnes qui peuvent le moins se blairer ici. Certes, je peux faire confiance à Emerens pour calmer Seo-jun ; Mais entre lui et Sachiko, c'est une tout autre histoire.
« Très bien, c'est donc décidé, sourit Nako. Je reviens tout de suite avec le petit-déjeuner. Thibault, tu peux réveiller Ruben ? »
Ah, pas trop tôt. Je vais peut-être enfin avoir un peu de place sur un canapé ? Oui, parce que jamais je m'approche de l'autre, Emerens a pas fini son café, je suis sûr qu'il veut toujours m'étriper. Donc bon, maintenant qu'on m'autorise, je vais pas me gêner.
« Allez, je soupire en me relevant. En espérant qu'il soit moins grognon que l'autre dragon. J'ai eu ma dose du bon vieux temps...
— Tu sais ce qu'il te dit, le dragon ? » Réplique vertement, eh bien, ledit dragon. « Attends un peu, on va reparler du bon vieux temps. Je suis sûr que toute l'assistance serait ravie de m'entendre expliquer en détail comment tu passais désespérément ton rasoir sur un menton sans le moindre poil dans l'espoir qu'ils viennent un jour te donner un air plus viril. »
Oh le– Mais il tire à balles réelles aujourd'hui ? Et le pire, c'est que ceux qui l'ont entendu, à savoir Alannah et Seo-jun, rigolent comme des cons. Ils cassent les couilles, sans déconner. Et lui c'est pire. Okay, je l'ai cherché, mais dans ce cas il cherchera aussi le superbe doigt d'honneur que je lui balance.
« Alors c'est vrai ? S'exclame Alannah entre deux rires. Les garçons se rasent vraiment avant d'avoir leurs premiers poils de barbe ? Mais c'est con !
— Faites genre les filles font pas pareil avec leurs jambes, je grogne, je te croirais pas. Vous êtes encore pires que nous sur ce point.
— Premièrement, réplique Alannah en levant le doigt, les filles elles font ça pour plus avoir de poils, pas pour qu'ils repoussent plus vite. Deuxièmement, je l'ai jamais fait, tiens, mate ! »
Attends qu'est-ce qu'elle– Et elle vient de remonter sa jambe de pantalon, dévoilant une jambe effectivement recouverte de poils roux qui n'ont jamais été débroussaillés. C'est ça, c'est ça, fais-en une fierté... En attendant, nous, on est toujours emmerdés par la société, gamine, c'est pas parce que t'as la peau plus dure que nous que tu peux te permettre ce genre de piques.
« Okay, je t'accorde cette victoire. Mais fais pas trop la fière non plus. On est pas tous denses comme des briques. »
Alannah me tire la langue, mais je suis trop grognon pour avoir envie de lui répondre. Je me contente de m'asseoir à côté de Ruben, qui représente encore à mes yeux la personne la plus raisonnable ici Ibrahim excepté. Quoique, je l'ai pas beaucoup vu intervenir, Ibrahim, Salopiaud.
Pas besoin de le secouer beaucoup pour qu'il se réveille. Au bout de trois tentatives, ses paupières frémissent, et il tourne la tête vers moi, me fixant de derrière ses paupières chassieuses.
« ... Qu'est-ce qu'il se passe ?
— Petit-dej. Et après on déménage, donc faut se réveiller fissa. C'est bon pour toi ?
— Oh, okay ! Dans ce cas, eh bien... »
Merde, son sourire est beaucoup trop innocent pour moi. C'est déstabilisant.
« Merci beaucoup de m'avoir réveillé, alors ! »
Euh. Eh bien. Pas de souci ? Moi tu sais je faisais pas ça pour toi, enfin je crois ? Bref. L'avantage, c'est qu'il a bougé un peu ses fesses, et que du coup je peux m'installer à ses côtés, et enfin choper ma propre tasse de café. Ah, la vache, c'est tellement mieux.
Nako dépose une tasse de chocolat devant lui avec un sourire, et Ruben la remercie avant de se mettre à le siroter. Y glissant deux comprimés dont je me demande d'où ils viennent. Sans doute pour ses douleurs chroniques... Mais ils sont pas giga efficaces, dans ce cas, si il est toujours endolori le soir ?
« On partira après le petit-déjeuner, je pense, annonce Ibrahim. Ruben, tu viendras avec moi, Nako et Flor pour s'installer à côté, si ça te va ? Comme ça, tu pourras te reposer, et nous aider à essayer de communiquer avec Flor. »
Ladite Flor, entendant son nom, relève la tête et adresse un signe du menton à Ruben, qui la regarde. Ce dernier lui sourit en retour, et le visage de la Forgeronne se détend un peu.
« Pas de souci, répond Ruben en se tournant vers Ibrahim. De toute façon, je préfère ne pas... Ne pas trop bouger. Et les autres ?
— Seo-jun, Alannah, Sachiko, Emerens et moi, on va récupérer quelques Ultimes qui restent, je réponds. On en a sans doute pour une bonne partie de la journée, sauf changement de programme. »
Parce que cette cité reste immense et si Sachiko a mis tant de temps à nous retrouver, je pense que ça veut bien dire qu'ils sont très loin. Un aller-retour risque de nous prendre du temps.
« Pensez à prendre des sandwichs au supermarché, d'accord ? Je vous en aurai bien préparé, continue Nako, mais ça me prendrait trop de temps pour que ce soit gérable vu le planning, et j'aimerais bien pouvoir tout ranger avant de partir.
— Je m'occupe du rangement, lance Flor après avoir cherché quelques mots dans son dictionnaire. Préfère quand c'est propre, et pas confiance en vous. »
Elle me donnait pas l'effet d'une maniaque, tiens. Je répète dans le bon langage ses paroles à Nako, qui la remercie chaleureusement. Sans grande réaction de la part de Flor, par contre. Elle est trop occupée à essayer de traduire.
« Dans ce cas, annonce Alannah, je vous laisse un drone derrière, pour vous surveiller et essayer de communiquer. Enfin, y'a de micros sur aucun, c'est pas le but... Mais s'il vrombit très, très fort, c'est qu'il y a un os avec nous, okay Nako ? Donc vous faites gaffe !
— Bien reçu, sourit cette dernière. Allez, finissez votre petit déjeuner et filez. »
Alors ça, on va pas se faire prier.
Un bon gueuleton plus tard, et nous voilà dans les rues, avec le petit groupe le plus infernal que je puisse me faire. Qui heureusement, se tient plutôt tranquille, Sachiko étant trop occupée à guider pour faire du bordel et Alannah à cartographier notre chemin pour crier dans tous les sens. Quant à Emerens et Seo-jun, ils sont plongés dans leur propre petite conversation sur Hope's Peak, et le seul contact que j'ai avec eux est ma main dans celle d'Emerens ; J'ai donc toute l'occasion de réfléchir de mon côté.
Nako, Ibrahim, Ruben, Flor. Emerens, Seo-jun, Alannah, Sachiko. Moi. Ansgar. Ça fait dix. Apparemment, on en a encore pour trois autres Ultimes à trouver avec Ansgar, donc treize, et un repéré par Alannah, quatorze. Pour faire une Tuerie classique, il en faut deux autres. On est assez proches du point de rupture.
L'un d'entre eux est très probablement l'organisateur.
Je suis assez rodé aux Tueries pour comprendre que je dois m'attendre à tout. Malheureusement, pour l'instant, je n'ai aucune preuve contre qui que ce soit, il serait donc inutile de chercher à l'instinct. Ça ne ferait que me desservir. On a jamais pu prouver quoi que ce soit avec son instinct...
Je n'ai que le temps de penser ça avant que Sachiko n'écarte les bras pile devant moi.
« Eh-là, pas bouger ! Un Ultime arrive. Faut qu'on puisse l'accueillir. »
Ah merde, trop concentré pour faire gaffe aux alentours ? Va falloir que je me débarrasse de cette sale manie, ça pourrait me valoir la mort. Aux aguets, je tends l'oreille, mais contrairement à ce à quoi je m'attendais, je n'entends rien du tout.
Et au vu de la tronche des autres, eux non plus.
D'accord.
« Tiens donc, je siffle. Et comment tu sais ça ?
— Je le sais, c'est tout. Allez, tais-toi et reste en place ! »
... Qu'est-ce que je disais tout à l'heure sur le fait de ne rien pouvoir prouver par son instinct ? Elle baisse sérieusement dans mon estime, la Sachiko. Sauf que pas d'autre choix que de lui obéir, sauf si je veux me perdre ou rentrer. C'est le seul guide qu'on a.
Alannah, la seule en mesure de faire quelque chose, trifouille sa manette de commande.
« Ah oui, en effet ! Là, à vingt mètres, y'a un être humain qui remonte la rue. Iel devrait pas tarder à nous croiser, vu comment iel va vite, et... Ah, voilà ! »
Voilà, effectivement. L'avertissement d'Alannah se conclut juste au moment où sort de la rue susnommée une fille toute vêtue de rose et de blanc. Elle est de petite taille, mais ses cheveux lui donnent au moins dix centimètres de plus, vu à quel point ils sont crépus. Je lui donne pas plus de quinze ans au vu de la rondeur de son visage. Sauf que le regard qu'elle jette sur nous, abîmé par une brûlure lui prenant le côté gauche du corps, est plus adulte que celui de certains du groupe.
Non, je ne vise absolument personne.
A peine nous eut-elle remarqués qu'elle se dirige vers nous, d'un pas sûr, avant d'incliner la tête.
« Bonjour à vous. J'ose espérer que vous n'êtes pas vous aussi d'Hope's Peak, parce que cela rendrait nos perspectives d'avenir assez noires. »
J'aime beaucoup sa politesse et sa manière d'aller droit au but. L'ennui, c'est qu'elle a parlé français. Et le français, au vu des tronches des autres, personne ne le parle, en tout cas personne ne se donne la peine de lui répondre. C'est encore à moi de m'y coller, ça veut dire ? Quelle joie.
« Salut, je réplique, toujours en français. A tout hasard, tu parles anglais ? J'ai bien l'impression qu'il n'y a que toi et moi ici qui causons français. Et oui, désolé de te décevoir, mais on est tous des Ultimes. »
Elle hausse un sourcil surpris, mais ne semble pas s'en offusquer. Et dieu merci, ses prochains mots sont en anglais.
« Je vois, merci de me prévenir. Je demandais si vous étiez des Ultimes, ce qui est apparemment le cas. Puis-je vous demander de parler assez fort, si l'anglais est une nécessité ? A l'oreille, je le maîtrise moins que le français.
— Si ce n'est que ça, sourit Seo-jun, on peut s'arranger. Tout le monde parle fort ici. Tu n'aurais pas vu d'autres Ultimes, par hasard ?
— Non, je me suis réveillée hier et depuis, je n'ai croisé personne. Puis-je vous demander qui vous êtes ?
— C'est vrai, quels malpolis nous sommes, pouffe Emerens. J'en oubliais les présentations. Alors, nous avons là... »
Il donne, tour à tour, chaque nom et Ultime, et je dois mettre toute ma force mentale pour retenir une grimace à l'entente de mon titre. Mais ce n'est pas celui qui intéresse l'adolescente. Au contraire, c'est à l'énoncé de celui d'Emerens que je vois une lueur s'allumer dans ses yeux, avant qu'elle ne se dirige droit vers lui et ne lui tende une main, un sourire assez radieux sur le visage.
« C'est un honneur de rencontrer enfin le meilleur romancier de son temps. Ade Okafor, Ultime Archéologue, elle annonce dans le même temps. Ravie de tous vous rencontrer. »
Elle dit tous, mais je la vois focalisée sur Emerens, qui d'ailleurs en est parfaitement conscient vu son petit tic de la paupière. Je suis cependant le seul à le remarquer, et son ton est tout à fait égal quand il répond à Ade, acceptant sa poignée de main.
« Plaisir partagé de rencontrer une fan. Je suppose que tu es nouvelle ? Je n'ai pas souvenir de t'avoir vue à Hope's Peak.
— En effet, hélas. Je n'ai même jamais vu l'établissement avant ma capture. Et au vu de leurs antécédents, je doute que ce soit bon signe. »
Elle commence à me soûler à clairement nous exclure de la conversation... Et en plus, merci de citer l'évidence, sans compter que t'es en train de paniquer Alannah qui se ronge les ongles. Je crois qu'on avait tous remarqué que c'était bien la merde.
Et je commence à en avoir marre de continuer à compter.
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