Prologue (11) : Tirer l'Art de la Mort

Je n'entends plus le moindre bruit aux alentours.

Pas même les petits bruits des singes ou les criaillements des perroquets.

La voix se répercute dans mon crâne comme un écho démoniaque. Le haut-parleur dont elle vient, caché dans un arbre, dégage des ondes de mort et de sang. Est-ce parce que j'ai enfin la confirmation que je redoutais ? Est-ce parce que notre interlocuteur n'a même pas eu besoin de rire pour que je comprenne ce qui nous attend ?

Seize Ultimes, quinze rencontres, un Monokuma.

C'est le début de la fin.

Autour de moi, les capybaras sont les seuls à conserver une expression un tant soit peu blasée. Tous les autres se sont figés. Houshang est blême, Sachiko a les dents montrées, Alannah tremble de peur. Ester est serrée contre un arbre, Ansgar tape du doigt contre sa canne, les veines des mains de Seo-jun ressortent sur ses poings serrés. Et Sparrow, lui, a cessé de chanter, son regard de retour dans son absence habituelle.

Et moi ?

Moi, je n'arrive plus à bouger. La seule chose qui me maintient sur terre, c'est la chaleur dégagée par la peau d'Emerens, qui n'a pas quitté mon côté.

Sachiko repose délicatement son capybara. D'un pas sûr, elle se dirige vers le haut-parleur, prête sans doute à l'arracher ou en faire quelque chose de mal mais de très probablement détendant. Elle n'en a cependant pas le temps. De nouveau, le haut-parleur crachote, et la même voix en jaillit, teintée de la même euphorie, de la même cruauté que tout à l'heure encore.

« Très bien, très bien ! Maintenant que je suis sûr que tout le monde a saisi le message, j'aimerais que vous vous retrouviez tous au centre du parc naturel du cercle Six ! Je suis sympa, j'ai allumé de la signalisation pour les plus paumés d'entre vous ; cela veut dire, vous vous en doutez... »

Silence. Nouveau crachotement. Rire.

« ... Que je ne tolérerai pas le moindre retard ! Alors, dépêchez-vous, upupupupu ! »

Le centre du parc. C'est là où nous sommes. Quelle poisse. On ne va même pas avoir le temps de ruminer ça en marchant, nom d'un chien.

« Monokuma n'est pas ici, annonce Ansgar après quelques secondes de flottement. Ce qui signifie que nous devrons encore nous enfoncer dans ce parc. »

Personne ne semble protester. Sachiko et Seo-jun lui prennent chacun un côté, la laissant prendre la tête du groupe. Houshang et Ester ne tardent pas à suivre, discutant à voix basse toujours en allemand, et de rien de réjouissant, à mon humble avis. Les suivants sont Alannah et Sparrow, collés l'un à l'autre. La première tremble de tous ses membres, le deuxième fixe l'horizon de son regard vide.

Ils doivent être terrifiés.

Je m'attendais à cette possibilité, bien sûr. Ça n'empêche pas que ne suis absolument pas rassuré. Alors, que dire d'eux, qui n'ont jamais entendu parler de Tueries, ne pensaient même pas être capturés si tôt ?

« Allons-y, chuchote Emerens, les dents serrées. Si on y est pas à temps, j'ignore ce qu'il sera autorisé à faire de nous.

— j'ai pas envie de savoir, je grommelle en réponse De tout temps, ce sont les Monokuma qui fixent leurs règles. Autant ne pas leur laisser une occasion. »

Emerens pince les lèvres, avant de m'entraîner vers le centre du parc dans un silence de mort.

Nous n'en étions au final pas si loin que ça. Le centre du parc, perdu au milieu de la végétation, est une immense clairière pavée en cercles, de pierre noire et blanche. Seize statues entourent cette structure, perdues dans la végétation, mais cela ne m'empêche pas de les reconnaître. Et mon sang de se glacer.

Ce sont des statues de nous. Chacune d'entre elles. Les bras écartés, transpercées de clous, crucifiées. La facture est superbe, mais que dire de l'horreur du sang sculpté dans le marbre, de la souffrance indicible sur chaque visage ?

Qu'est-ce que ça veut dire, bordel de merde ?!

Nous sommes tous serrés d'un seul bloc. Au centre de la clairière, vide, guidés par le son du vent dans les arbres. Ça devrait être si tranquille, pourtant, chaque brise est un hurlement, mis dans la bouche de ces statues en pleurs et en sang.

« Qu'est-ce que ça signifie, siffle Houshang, cachant les yeux d'Ester déjà en larmes. Qui a pu faire des statues d'une telle atrocité ?

— Elles sont belles, ajoute Sparrow, perdu dans sa contemplation de sa propre statue. Mais elles crient. Pourquoi nous faire crier ? »

J'aimerais avoir la réponse à cette question. Mais Monokuma n'est pas encore arrivé. Et les seuls pas que j'entends, ce sont ceux des autres, les retardataires, qui se précipitent vers le centre du parc d'un pas rapide, avant de piler net devant les statues.

Ibrahim mène la marche. Derrière lui, Nako tient la main d'Aldéric, et Flor porte Ruben dans ses bras. Ade et Moanaura se tiennent l'une à côté de l'autre, discutant à voix basse en français. Ils se rapprochent tous de nous, tendus comme des ressorts, et Ibrahim rejoint immédiatement Ansgar, à quelques mètres de moi.

« Nous sommes là, madame Kasjasdottir. On a fait de notre mieux pour ne pas arriver en retard. Où est Monokuma ?

— Il doit nous attendre, grommelle Sachiko. Ces saletés sont là pour ménager leurs effets. Entre le Juge, le Gardien des Secrets et l'Impératrice... »

Elle a raison. Parce qu'au moment où je l'entends parler, aussi le moment où Ade et Moanaura mettent le pied sur les pavés noir et blancs, le centre de la place se met à vibrer. Avant de se soulever dans un vacarme d'enfer, dévoilant une sorte de pièce cylindrique entourée par des colonnes de marbre corinthiennes.

« Il se fiche de nous, siffle Emerens entre ses dents. A quel point ils ont mis de la thune dans notre prison ? »

Je me pose la même question que toi, mon vieux. Mais je n'aurai pas le temps d'y répondre. Parce que la porte devant nous s'ouvre dans un craquement d'enfer.

Un pas. Un autre. Puis, la silhouette entière. Longiligne, maigre, de grande taille, perchée sur des plateformes bicolores. Des cheveux, d'un côté noirs et longs, tressés à certains endroits, d'un côté courts et immaculés, coiffés trop parfaitement. Des vêtements trop bien taillés pour être honnêtes. Et ce sourire. Ce sourire fendu d'un demi sourire de l'ange du côté gauche de son visage, qui s'accentue encore, guidé par les mouvements d'une... D'une...

Sachiko retient un horrible juron entre ses dents. Elle n'est pas la seule. Parce que ce type, qui s'avance devant nous avec ce sourire de démon, porte autour de son cou une écharpe bleue tachée de sang.

CETTE écharpe bleue tachée de sang.

Et il en est parfaitement conscient, au vu de sa manière de caresser sous nos yeux ébahis chaque éclaboussure de rouge ternie par le temps.

« Salutations, chers Prodiges Condamnés ! Dites-moi, qu'est-ce que cela fait ? Qu'est-ce que cela fait, il s'exclame, d'être les participants du plus grand évènement de l'histoire du monde ! »

Je ne sais pas s'il s'attendait à des exclamations de joie, mais ce qui est clair, c'est que personne ne lui en donne. Tout le monde le fixe avec terreur, ou du moins hostilité. Voire, dans le cas de Sachiko, haine.

Il n'en est cependant même pas déstabilisé. Ses yeux hétérochromes nous balaient du regard, sans perdre leur étincelle réjouie.

« Bon, il y en a visiblement encore quelques imbéciles qui ne comprennent pas ce qu'ils fichent ici, je vais donc leur faire une piqûre de rappel. Vous êtes, il s'exclame avec un immense sourire, les participants d'un jeu de la mort qui ne peut se solder que dans le sang ! Seize Ultimes, réunis ici pour s'entretuer...

— C'est une blague ?! S'exclame Aldéric, la panique palpable dans son ton. Eh, non, ça suffit, tu me fais un canular, là, stop ! Et l'école ?! On était pas censés étudier à la meilleure école du monde ?! »

Nako se raidit d'un coup sec et lui plaque une main sur la bouche, mais trop tard, la tirade est lancée. Et Monokuma, puisque c'est forcément lui, secoue la tête, avec un air navré presque sincère.

« Eh bien eh bien, quand elle m'a dit qu'il y aurait sans doute des brebis perdues, je ne m'attendais pas à ce point. Au bout de trois ans, je ne suis pas censé avoir à refaire l'histoire, mais puisque visiblement je n'ai pas le choix... »

Un léger rire lui échappe. Et il écarte les bras, embrassant d'un large mouvement les seize statues que nous sommes et les seize statues qui nous entourent.

« L'examen de passage des Ultimes n'est pas un simple diplôme, les enfants ! Nouveaux comme anciens, vous devrez faire vos preuves au cœur d'une Tuerie, démontrer que vous êtes dignes de vos titres ! Ceux qui réussissent l'examen sont ceux qui y survivent... »

Aldéric glapit derrière la main de Nako. Il n'est pas le seul. Alannah est cramponnée à Sparrow, qui fixe Monokuma les yeux écarquillés. Flor elle-même est blême, et Ester marmonne des prières dans les bras d'Houshang. Et ne parlons pas de Moanaura dont j'ignore si elle s'étrangle de peur ou de rage.

Et nous, ceux qui savions ? On s'y attendait, certes. Connaissances, danger, ou simplement deuil, tout nous fait côtoyer les Tueries. Mais est-ce que ça en reste moins cruel pour autant ?

« Bon, maintenant que ça c'est clair, on va pouvoir reprendre le script, continue notre animateur avec un large sourire sur le visage. Je me présente, Monokuma, en ma qualité d'animateur, proviseur, professeur, logeur, dieu absolu et évidemment, je prendrai le rôle tant estimé de juge et de bourreau ! Est-ce que c'est bon pour vous ? »

Malheureusement oui. Le silence est désormais unanime, tout juste rompu par une série de pleurs plus ou moins discrets. Il est trop facile d'accepter son destin, quand on est génie et qu'on ne voit pas la moindre porte de sortie.

Si on en avait une, c'est ce monstre souriant qui en détient la clé.

Un rire lui échappe devant notre déconvenue.

« Voilà qui est mieux. Maintenant, on va pouvoir passer aux modalités de votre venue...

— Je te prierais d'abréger, gronde Ansgar, glaciale. Tu n'as qu'un mobile à annoncer, alors, dis-le. Nous avons à nous organiser et cela ne se fera pas si tu nous retiens pour nous décrire ce que la plupart d'entre nous savent déjà. »

Un murmure d'approbation parcourt l'assistance, repris par Emerens, Sachiko, Nako et Seo-jun. Monokuma est cependant très loin d'être déstabilisé. Il se contente de continuer à sourire.

« En fait, il s'agit de quelques nouveautés par rapport aux autres années. »

Sachiko se tend à côté de moi. Le regarde sortir un tableau numérique de son espèce de salle en sifflant.

« Des nouveautés, hein, marmonne Sachiko. En voilà un qui renouvelle, pas trop tôt.

— la ferme, Kimura, gronde Emerens du même ton. On ne va pas aimer ces nouveautés.

— Je n'en serais pas si sûre, si j'étais toi. »

Je leur fais signe de se taire. Par miracle presque, ils m'obéissent, et se contente de fixer Monokuma qui allume son tableau. La vache, ce sont de gros moyens qu'il met à notre disposition.

« Vous avez, il annonce, quatre solutions à votre situation. »

Un coup sur le tableau, et un schéma remarquablement bien réalisé d'un cercle de seize mains se dessine dessus, accompagné par une maison.

« Primo ! Vous vous installez ici et vous vivez bien sagement pour le restant de vos jours ! A condition que vous sachiez résister, je ne compte pas vous mettre la moindre limite de temps, il ricane, tapant du doigt sur son écran, et il se pourrait même que des enfants sages gagnent quelques privilèges ! Vous avez des réserves de nourriture cachées dans la ville pour qui sait les chercher, et cet endroit vous permet de cultiver fruits comme légumes de saison, il sera donc très facile de construire une communauté... »

J'ai bien entendu ?

Il prononce bien les mots que j'entends ?

Ça n'a aucun sens.

C'est un Monokuma.

Il veut qu'on tue

Et il veut nous y pousser.

Pourtant, le surréalisme de ses paroles n'est pas perçu que par moi. A voir les têtes des autres, on entend tous la même chose. Aldéric en regagne même un visage plein d'espoir, de même qu'Alannah. J'aurais bien envie de leur dire de ne pas y croire, que ce n'est pas possible, que ça ne va pas marcher...

Mais pour ça, il faudrait que je trouve la faille dans ses paroles.

« Secundo ! Continue Monokuma. Parmi vous, plusieurs personnes sont dotées de solides connaissances mécaniques, et vous disposez même de l'Ultime Ingénieure en Robotique ! Si elle parvient à concevoir un moyen de vous échapper à partir de ces ressources, ce sera tout à votre honneur, je m'engage à ne pas vous poursuivre, peu importe le nombre de survivants... »

Alannah sursaute, et porte immédiatement à ses lèvres un petit collier, qu'elle serre entre ses dents à intervalles réguliers. Sa nervosité est palpable. Autant que ma stupéfaction. Personne ne peut s'enfuir d'une Tuerie. Ceux qui ont essayé se sont fait poursuivre, se sont fait torturer, tuer, sans exception. Mais lui annonce sans la moindre pression qu'il ne nous poursuivra pas ?

Est-ce que les autres le feraient ?

Je ne suis pas le seul à en être stupéfait. Emerens et Ansgar ont les yeux écarquillés, et même Sachiko arrive à ses limites. Elle foudroie Monokuma du regard d'une telle intensité qu'un moment je me surprends à espérer qu'il ne se consume sur place, mais pas de chance, elle ne dispose visiblement pas du pouvoir bien utile de tuer par les yeux.

Dommage, j'ai toujours beaucoup aimé le mythe de Méduse.

« Tertio ! Cette cité n'a aucune barrière, si ce n'est celle de la forêt ! Je ne punirai personne pour avoir tenté de s'enfuir, contrairement à mes prédécesseurs ; si vous y arrivez, tant mieux pour vous ! Ce ne sera cependant pas chose facile, même pour vous, génies...

— Quatro, abrège, crache Emerens, tu me tapes sur les nerfs. Viens-en au fait, avoue comment tu veux nous forcer à nous entretuer, puisque c'est ton objectif, n'est-ce pas ? »

Le sourire de Monokuma prend soudainement des aspects plus cruels.

« Un petit conseil, mets-là en veilleuse. Au cas où tu n'aurais pas percuté, c'est moi, le maître du jeu. Un mot de ma part et tu meurs devant moi. Bye-bye, idole de la jeunesse ! »

C'est comme si d'un seul coup, la menace était devenue d'autant plus réelle.

Une seule phrase. Suffisante pour passer du Monokuma le plus conciliant jamais vu à celui qui nous tuerait tous de manière arbitraire sans le moindre remords.

Et en même temps s'impose à mon esprit une terrible pensée.

Nous sommes seize.

Peu importe la liberté qui nous est donnée, peu importe nos possibilités de fuite, il suffit d'un accroc, une seule personne qui chercherait à fuir seule, pour que le cauchemar débute pour de bon. Un seul grain de sable dans la machinerie de notre survie et rien n'empêchera l'ouverture du portail vers les Enfers. Et celui qui mourra en premier pourrait très bien être celui à qui je m'accroche depuis que nous sommes arrivés dans ce foutu parc.

Ça pourrait commencer par Emerens.

Et l'idée que de nous deux, je suis celui qui soit le plus affecté par la menace me donne envie de vomir.

Heureusement, Emerens ne répond pas. Il se contente de fixer Monokuma de ce regard plein de haine froide, sa main contractée autour de la mienne. Ce n'est qu'un maigre répit pour moi, mais au moins, Monokuma se détourne de lui avec un ricanement hautain.

« Maintenant que le pseudo-leader est calmé, on va pouvoir reprendre ! Quatro, donc. Pour vous échapper de là, il suffit de bien comprendre le fonctionnement de la Cité Perdue. Je vais donc vous faire un petit cours rapide ! »

Il tape de nouveau sur son écran. Le cercle de mains y est remplacé par le schéma d'une structure concentrique en six disques, dont le plus extérieur est colorié en rouge. C'est sur ce cercle que Monokuma donne un coup du bout de l'ongle, doigt levé en l'air.

« Écoutez bien, les jeunes, car je ne le dirai pas deux fois. Ceci, il annonce, est une carte simplifiée de la Cité Perdue. Vous vous trouvez ici, dans le cercle Six. Et là, il fait en pointant le cercle le plus au centre, il y a un ascenseur, qui représente sans le moindre doute votre moyen de sortie le plus sûr ! »

Un léger rire lui échappe.

« Cet ascenseur vous permet de rejoindre une série de voitures programmées exprès pour rejoindre la cité la plus proche. Une fois là-bas, vous n'aurez plus qu'à lancer un appel au secours grâce à l'émetteur radio intégré, je suis persuadé que quelqu'un sera à l'autre bout du fil... Sauf qu'il y a un hic.

— Laisse-moi deviner, soupire Ansgar. Les cercles après celui où nous nous trouvons sont verrouillés, et la clé s'obtient sur un cadavre.

— Exactement. Que serait une performance sans challenge ? Un meurtre, un cercle déverrouillé. Je me fous pas mal si c'est un suicide ou un double meurtre, du moment que le tueur est découvert, c'est son exécution qui vous ouvrira la porte !

— j'en conclus, intervient Houshang, qu'un tueur qui parvient à échapper à son châtiment recevra la même récompense que d'habitude.

— Évidemment, sinon c'est pas drôle. Mais je n'en avais pas fini, la gonzesse ! Donc ta gueule et écoute... »

Houshang grimace, et porte les mains à son torse, les dents serrées. Monokuma l'ignore cependant royalement. Il se contente de sourire encore plus.

Ses dents sont taillées en pointe.

« Les meurtres sont régis à des règles. Il s'agit, évidemment, de ne pas s'entretuer sans sens, de créer des œuvres d'Art ! Premièrement, pas de meurtre de masse par une seule personne, deuxièmement, si plus de la moitié des élèves survivants se font tuer d'un coup, j'exécute le ou les tueurs sans sommation, c'est trop facile de faire un simple massacre ! »

J'entends des bruits de déglutition autour de moi. Avec quelle désinvolture il parle d'un massacre...

Monokuma s'avance vers nous. Pas à pas. Son ongle peint en rouge prenant de plus en plus l'aspect d'une arme meurtrière.

« Je veux voir en vous l'Art que crée le génie. Je veux que vous me montriez, vous seize, vos meilleures performances artistiques, des œuvres qui me feront me dire que la flamme de la Création n'est pas totalement éteinte. Je veux, il s'exclame après une profonde inspiration, des meurtres de qualité, des énigmes même pour le meilleur des détectives, la preuve de votre talent Ultime ! Si je l'obtiens, alors, peut-être, consentirai-je à vous ouvrir un ou deux cercles supplémentaires... »

Merde.

Je vois ce qu'il veut. Je suis très clairement sa logique. Des œuvres d'Art, ce sont à ses yeux des monstres de raffinement, des démonstrations de torture, et en plus de ça un effacement de ses traces suffisant pour qu'aucun survivant ne puisse enquêter.

C'est remarquablement bien pensé. S'échapper ne se fera probablement pas comme ça. Ceux qui en ont l'espoir vont vite déchanter. Et lorsque tous nos espoirs se seront effondrés, lorsque tout le monde se sera rendu compte que pour au moins l'un d'entre nous, vivre coupés du monde est impossible, l'un de nous quinze mourra de la manière la plus cruelle possible.

Et son tueur pourra autant se sauver que croire nous sauver, nous.

« C'est foutu, je marmonne entre mes dents. On va tous mourir. Et on va pas y passer pacifiquement. »

Sachiko me jette un regard en coin, avant de lever les yeux vers Emerens, toujours à côté de moi. Je vois encore la colère briller dans ses prunelles jaunes. Mais cette fois, j'ai l'impression que ce n'est pas lui, sa cible.

C'est Monokuma, vers qui Emerens avance d'un pas, sa main toujours serrée dans la mienne.

« Tu oublies un petit détail. Tu es le seul ici, il siffle, qui nous force à nous entretuer, n'est-ce pas ? Rien ne nous empêche de t'éliminer et de trouver sur ton cadavre notre moyen de sortie. Cela m'étonnerait beaucoup que tu sois invulnérable, pauvre taré ! »

Le sourire de Monokuma s'élargit.

« Tu me mets au défi ? Essaie donc, imbécile ! Tu n'y arriveras pas. Je suis Monokuma, le marionnettiste de votre destin, celui qui décide qui sera l'Art et qui sera le combustible ! Toi, tu n'es que la toile que je vais peindre de ton sang !

— Très poétique, réplique Emerens, glacial. Tu aimes ménager tes effets, n'est-ce pas ? Mais tu n'es ni mon dieu ni mon maître. Toi, et les autres Monokuma n'êtes rien de plus qu'une bande de psychopathes Désespérés qui se contentent d'infliger la mort pour oublier celle de votre propre esprit. Vous êtes déjà morts au fond de vous-mêmes, ne vous prétendez pas dieux en versant votre propre sang. Les dieux, Monokuma, ils ne saignent pas. »

Ses mots claquent dans les airs, plus lourds encore que la peur qui transpire des Ultimes. Quelques hochements approbateurs accompagnent sa tirade, venant surtout d'Ade et d'Ansgar, mais ce sont les seules réellement convaincues.

Tous les autres le fixent avec colère ou terreur.

Monokuma est le seul à encore sourire.

« Dieu, dis-tu ? Eh bien, vas-y, prouve ce que tu avances. Sacrifie-toi, récupère mon sang sur tes mains pour une chance infime de sortir, mais à côté des moyens bien plus sûrs que vous avez pour échapper à mon œuvre d'Art Ultime, est-ce que ce n'est pas prendre un risque énorme pour un gain aléatoire ? »

Il écarte les bras de nouveau, ses yeux brillant de cruauté fixés sur Emerens.

« Je vous laisse la certitude absolue que vous arriverez à vous échapper, et ce avec un minimum de cinq victimes dans le cas où vous en arriveriez à considérer que faire couler le sang est la seule solution ! Ne suis-je pas assez généreux ?!!

— Attends une minute, s'exclame Seo-jun. Il y a un truc louche dans ton plan. Et l'organisateur ? Tu veux dire que le mec nous laisserait sortir sans meurtre ?!?

— Si toutefois vous y arrivez, siffle Monokuma avec tout le mépris du monde. Mais l'organisateur n'a que peu d'influence ici. Ne vous raccrochez pas à des codes établis, vous pouvez voir bien plus grand que ça... Êtes-vous certains qu'il est présent ici ?

— Pardon ? J'interviens d'une voix blanche. Mais c'est censé être impossible ! C'est la mort de l'organisateur qui signe la fin de la Tuerie, vous n'êtes pas censés avoir le droit de le mettre ailleurs, on le sait depuis 2017 !

— A partir du moment où vous avez une porte de sortie garantie, je peux tout me permettre, petit Théoricien, réplique Monokuma. Et vous n'avez aucun moyen de savoir ce que je me suis permis. L'organisateur existe. Vous n'en saurez pas plus ! »

Merde. Il est en train de chambouler toutes mes préconceptions ! Cette Tuerie ne sera pas comme les autres, je m'en doute depuis trop longtemps, maintenant. Trois jours de pause, un espace immense, et maintenant une porte de sortie. Jusque-là, ça me paraissait logique.

Mais la présence de l'organisateur était la seule variable sûre. Et maintenant, Monokuma s'acharne à la détruire.

Et il le fait avec cette saleté de sourire.

« Bon ! Je pense que j'en ai assez dit pour aujourd'hui. Je vous laisse vous organiser, faire ce que vous voulez, mais sachez que je veux tous vous voir ici au coucher du soleil ! Vous vivrez jusqu'à nouvel ordre là où JE déciderai, et sachez que même une fois libérés, j'autoriserai le voisinage, mais l'isolement sera puni sévèrement ! Vous avez bien compris ? »

Fais chier. Donc il nous oblige encore plus à vivre en communauté. Il est à prévoir qu'il a déjà un lieu de vie pour nous seize le temps que la nouba se déclenche, et la promiscuité risque de provoquer des emmerdes.

Malgré tout ce qu'il nous dit sur notre liberté d'action, il s'attend donc vraiment à ce qu'on s'entretue. Et agit pour.

« Inutile que je dise quoi que ce soit de plus sur les règles élémentaires des enquêtes et des procès de classes, je ne compte pas en rajouter pour le moment. Allez, dispersez-vous, les mômes ! Ici, au coucher du soleil. Et pas de retardataires, aucun vivant ne sera autorisé à sécher ! »

Et, sous le regard de tout le monde, il retourne dans son espèce d'ascenseur corinthien, qui s'enfonce de nouveau dans le sol, ne laissant pas une trace de son passage. Dans le silence général. Un silence lourd de panique, de colère et de circonspection.

Est-ce que je peux vraiment les blâmer ?

C'est un véritable désastre.

Et on est tous aux premières loges.


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