XXXV - Un coeur brisé

⚠️ ATTENTION ⚠️
Ce chapitre comporte des scènes violentes.

Natanaël se tient face à la grande fenêtre ronde de son bureau. Les bras croisés, la main sous le menton. Il observe ces armées en retrait, qui ont finalement renoncé de combattre. Ils ne sont pas sans savoir que les flammes d'un Dragon sont impitoyables et ne laissent que rarement des survivants.

Il relève les yeux lorsqu'il entend frapper à sa porte fermée à clefs. On frappe, encore et encore, l'individu à l'extérieur comprend rapidement qu'elle est verrouillée et son seul moyen de pénétrer dans le bureau, c'est de l'enfoncer.

Natanaël a enfouit la broche de sa défunte épouse dans sa poche et a également pensé à décrocher l'épée qui lui servait de décoration jusqu'alors.  Il sait que si on frappe à sa porte, Hervos a échoué ou ils sont parvenus à passer les murailles et contrer les pièges.  Connaissant son père, Natanaël sait qu'il ne renonce devant rien pour obtenir ce qu'il veut.

Lorsque la porte s'ouvre, il reconnaît tout d'abord Aeria et sa magnifique chevelure rousse. Puis son père ensuite, inchangé depuis la dernière fois qu'il l'a vu. Natanaël tient fermement son épée en avant, le regard figé sur son paternel. Il a tellement de choses à lui dire, tellement de choses à lui demander... Il a toujours voulu comprendre pourquoi son père avait agi ainsi dans le passé, mais n'en a jamais eu l'occasion ni la force d'y réfléchir réellement.

— Te voilà enfin... vocifère Lauan.

Il fait un pas en avant mais Natanaël le menace de sa lame. Les lèvres retroussées, le regard noir, il ne fait même plus attention à Aeria, il n'y a que son paternel qui importe. Le voir face à lui lui procure tout un tas d'émotions incontrôlées et un dégoût extrême. Cette envie de le faire souffrir autant que lui même a souffert durant cent ans, éveillé et conscient de ses actes, ne l'a jamais quitté.

— Si tu oses t'approche de moi, je te tue, peste Natanaël entre ses dents.

Aeria reste en retrait, n'osant guère intervenir, ne sachant comment agir, la mort d'Hervos sur la conscience.

— Ton ami est mort, comme ta femme autrefois. Et cela continuera, si tu ne te rends pas, reprend Lauan.

Il marque une pause, lève le menton et jauge son fils. Pour Lauan, Natanaël a quelque peu changé. Ses cheveux ne sont plus longs, ils sont coupés courts, autrefois, il les portait longs, parfois plaqués en arrière, une barbe constamment rasée de près. Aujourd'hui, il en porte une  de quelques jours qu'il taille de temps en temps afin de ciseler davantage son visage. Natanaël n'a pas perdu sa carrure non plus ni même sa prestance et au fond de lui, Lauan est fier d'avoir un fils tel que lui, sa beauté, sa grandeur, sa persévérance, sa clémence et sa force d'esprit, font de lui un roi parfait, mais un roi qui, selon Lauan ne règnera jamais.

— Il est temps d'en finir, mon fils, poursuit le roi. Les Landes seront libérées de ce fléau et les Six Terres de nouveau soudées.

— Je suis né ici tout autant que toi, rétorque Natanaël, je ne laisserai personne prendre mes Terres et mon trésor.

Lauan fait claquer sa langue contre son palais puis regarde autour de lui, les étagères pleines de livre, la maquette détruite toujours sur le sol, les carafes de vin vides empilées.

— Tu ne me laisses donc pas le choix...

Lauan sort son épée de son fourreau, pour Natanaël c'est le moment tant attendu, ce combat qu'il n'a pas eu l'honneur de mener lors de la Guerre du Feu se présente enfin à lui. Néanmoins, il n'a pas toute sa tête, ivre comme il est, ses sens restent quelques peu brouillés. Contre toute attente, Lauan saisit fermement le bras d'Aeria, la plaque contre lui et pose sa lame contre la fine peau de son cou. Elle relève le menton, les lèvres retroussées et fixe son époux d'un regard désolé. Elle ne le supplie pas, car elle peut comprendre sa rancoeur.

Natanaël ne sait comment réagir, il reste impassible, comme il l'a toujours fait. Quelque chose en lui est brisé depuis toujours. Et les événements avec Aeria n'ont fait qu'empirer les choses, lui qui s'était finalement décidé à vivre une nouvelle idylle.

— Je lui tranche la gorge si tu ne te rends pas, déclare Lauan, et tu sais que j'en suis capable. Si elle meurt, son Dragon risque de se tuer a son tour et tout ce qui se trouvera autour de lui sera détruit.

— Et tu n'auras jamais le trésor que tu convoites tant... répond Natanaël.

Lauan serre les mâchoires, visiblement en colère. Natanaël ne cille pas, ce qui brise le coeur d'Aeria. Cependant, elle peut le comprendre. Elle peut entendre la déception de son époux, sa haine envers elle. Elle l'a abandonné et par sa faute, Hervos est mort. Une part d'elle ne souhaite plus suivre Lauan, cet homme semble trop dangereux et instable.

Néanmoins, un espoir naît en elle lorsqu'elle croise le regard de Natanaël. C'est comme si elle comprenait ce qu'il tente de lui faire comprendre ; elle porte l'Armure du Dernier Dragon et certains dons avec. Des dons qu'elle n'a jamais utilisé, peut-être est-ce le moment de s'y essayer.

Alors elle respire de plus en plus fort, ferme les yeux et brusquement, lève ses mains à hauteur du visage de Lauan. Un visage qu'elle saisit fermement. Lauan se met à hurler aussitôt, de la fumée foncée passe entre les doigts d'Aeria et la peau du roi rougit à son contact. Il la lâche et la repousse brusquement, elle se cogne contre Natanaël qui la retient en saisissant ses bras. Elle le regarde un instant pendant que Lauan ne cesse de pousser des gémissements plaintifs, les mains sur le visage. Aeria vient de le brûler, grâce à l'Armure, grâce à ses dons.

— Reste en retrait, lui ordonne Natanaël.

Il l'aide à se décaler sur le côté, garde son épée en mains et s'avance vers son père. Aeria lui saisit le poignet pour l'arrêter, il lui jette un regard en biais, elle peut ressentir sa déception, elle est telle qu'elle croit même entendre les battements de son coeur brisé.

— Pitié, ne fais pas cela, il y a d'autres moyens que la mort...

— Il n'y en a aucun, je protègerai ce trésor, jusqu'à la fin de ma vie. C'est la promesse que j'ai faite à ma femme, jadis.

— Gorgia... souffle Aeria.

Natanaël baisse le regard et se retire de son étreinte. Lorsqu'il se poste face à son père, ce dernier est prêt à se battre, les joues marquées par les brûlures. Sa peau est boursouflée, rouge et semble même peler, cela le défigure, lui qui tenait tant à son apparence.

Il lance la première attaque que Natanaël pare aisément. Il se glisse sur la gauche, donne un coup de pied dans les reins de son père qui manque de s'affaler sur le ventre. Il se redresse et en se tournant, assène un grand coup d'épée qui vient couper finement la joue de Natanaël.

Il passe ses doigts sur sa plaie ensanglantée, puis tourne la tête vers son père. Lauan reprend de plus belle ses attaques, puissantes, lourdes, qui veulent en dire beaucoup sur la colère qui l'anime. Natanaël les pare, non sans difficulté cette fois, légèrement fébrile suite à l'alcool qu'il a ingéré ces derniers jours. Alors que leur deux lames sont collées l'une à l'autre et glissent dans un tintement métallique, le roi en profite pour lui donner un coup de pied dans le genou. Le craquement de celui-ci résonne jusqu'aux oreilles d'Aeria. Natanaël grimace, sa jambe fléchit, alors il baisse son épée pour ne pas tomber à la renverse, le genou posé à terre.

Aerie sort la sienne et se précipite vers Lauan, elle lui donne un coup dans le dos, son armure lui évite une blessure mais le pousse tout de même en avant. Il reste un instant dos à elle, avant de se retourner rapidement et de la gifler, si fort qu'elle manque de perdre l'équilibre. Elle se retient à la table où était posée la maquette. Lauan lui saisit les cheveux et la tire en arrière, il la fait littéralement voler contre une étagère. Aeria perd son épée et s'affale à plat ventre sur le sol, le souffle coupé, la joue rougit par la gifle qu'elle a reçu et des livres tombant un à un sur elle.

Natanaël pousse un grognement de rage et se jette sur son père, il le saisit à la taille et le fait trébucher sur l'estrade où se trouve le bureau. À califourchon sur lui, il le frappe au visage, une fois, deux fois, prenant de l'élan à chaque fois pour que ses coups soient d'autant plus brutaux. Lauan, quelque peu sonné par la violence lui étant infligée, se munit de son poignard, attaché à son fourreau et le plante dans le flanc droit de son fils, et ce, à plusieurs reprises, rapidement, afin qu'il cesse de le frapper.

Natanaël grogne puis pose instinctivement sa main sur les multiples plaies, sur son flanc poignardé à six reprises, du sang coulant abondamment entre ses doigts. La douleur paralyse même sa jambe droite tant elle est intense. Lauan le repousse brusquement, Natanaël tombe à la renverse, malmené par la douleur de ses blessures.

Le roi se relève, le nez cassé, la lèvre fendue, les joues brûlées et les cheveux en pagaille. Essoufflé, sonné, il titube vers Aeria qui se redresse tout juste, lorsqu'elle souhaite poser la main sur le manche de son épée dorée, Lauan lui écrase le bout des doigts pour bloquer sa main. Le gantelet lui permet de protéger ses os, cependant, le roi se saisit de son arme avant elle.

Il attrape Aeria, afin de la retourner sur le dos et lui donne un coup de pied en plein visage.

— Arrête ! S'exclame Natanaël se vidant de son sang.

Lauan ne l'écoute pas, les oreilles d'Aeria sifflent, sa vue se trouble, son nez saigne et se bouche. Lauan lève l'épée au dessus d'elle et la frappe contre son armure. La jeune femme gémit à chaque coup, se recroquevillant sur elle-même. L'Armure tient bon, la protège mais la force des chocs que produit l'épée sur les écailles se propage dans tout son corps comme des ondes électriques, ce qui la tord de douleur.

— J'ai dit ; arrête ! Répète Natanaël.

Il se relève, récupère la broche qu'il avait laissé tomber sur le sol et se jette sur son père. Il la plante dans sa joue, à l'endroit même où se trouve sa brûlure. Lauan pousse un cri, lâche l'épée et lorsqu'il tourne la tête, sa joue s'ouvre. Il donne un coup de coude à Natanaël, étant blessé, cela le fait reculer machinalement, coupant sa respiration un instant. Il se penche en avant, la main sur ses blessures et serre les dents. Il grimace, un goût âpre dans la bouche... tandis que Aeria reste étendue sur le sol, comme paralysée par les ondes qui se sont propagées dans toute son Armure.

Lauan retire la broche de son visage, la regarde un instant et se met à rire. Il penche sur la gauche, comme s'il patinait à tenir sur ses deux pieds.

— Tu sais ce que j'en fais de Gorgia, Natanaël ? grommelle-t-il sans articuler.

Ce dernier relève la tête vers lui, le voyant jeter la broche sur le sol. Lauan l'écrase avec son pied, le rubis à l'intérieur se brise et la broche se tord sous sa semelle.

— Je vais te tuer ! Crie Natanaël fou de rage.

Il court vers son père, le cogne contre une étagère. Quelques livres leur tombent dessus. Il le maintient contre celle-ci, tandis que son père lui sourit, les dents couvertes de sang, la joue déformée par sa balafre grossière. Natanaël serre le poing, lève le bras et le frappe une première fois, puis une autre, aussi fort qu'il le peut, défigurant son paternel. Il pousse des grognements à chaque fois qu'il le frappe, afin d'y mettre ses dernières forces.

— Ils sont... tous morts... par ta faute... bafouille le roi.

Natanaël garde son poing levé, face au visage gonflé de Lauan. Ce dernier a un oeil fermé, boursouflé, violacé, la joue ouverte, brûlée... il est méconnaissable et à bout de forces. Du sang épais coule de sa bouche, tâche son menton, il est même incapable d'avaler sa salive.

— C'est toi... le responsable... reprend-il. Il... il fallait coopérer...

Natanaël se mordille les lèvres, les yeux embués de larmes. Il baisse finalement son bras, le laissant pendre le long de son corps puis grimace lorsque la douleur se réveille. Il pose sa main sur l'une de ses plaies, sa chemise est imbibée de son sang, incolore sur du noir et pourtant, il peut en sentir la chaleur et constater qu'il en a beaucoup trop perdu. Il recule d'un pas, puis d'un autre et se laisse glisser contre une étagère, se retrouvant assis, une jambe tendue et l'autre pliée, les paupières lourdes. Lauan reste debout, contre l'étagère d'en face, observant son fils de haut, n'ayant même plus la foi de bouger.

— Tu es lâche, marmonne Lauan.

Natanaël lutte contre la fatigue, avec tout ce sang de perdu, il n'a plus la force de garder les yeux ouverts alors doucement, il les ferme, puis les rouvre, puis les referme...

Bientôt, des soldats entrent dans la pièce, accompagnés d'Harold qui se précipite en premier lieu vers Aeria. Il l'aide à se redresser, la pauvre a le corps endolori, son nez saigne et elle peine à faire un mouvement sans en souffrir comme si son Armure s'était resserrée et l'emprisonnait.

— As-tu quelque chose de cassé ? Es-tu blessée ? s'inquiète Harold.

La jeune femme secoue la tête lentement.

— Natanaël... il... il...

— Je vais l'attacher, tu as raison ! Ne bouge pas.

Harold se relève et se précipite vers Natanaël qui garde ses yeux fermés, assis contre l'étagère, baignant dans son propre sang.

— Non... pas cela... soupire Aeria cependant personne ne l'entend.

Harold se charge de relever Natanaël et de lui attacher les bras dans le dos, sous l'ordre de Lauan qui repousse ses soldats lorsqu'ils souhaitent s'occuper de ses blessures.

— Êtes-vous certain qu'il n'est pas en train de mourir ? s'enquit Harold en maintenant Natanaël debout.

— J'en suis certain, rétorque le roi. Emmenez-le.

Harold et un autre soldat prennent en charge Natanaël, sa tête pend, ses pieds traînent sur le sol. On le croirait mort, dans une telle posture. Aeria les regarde quitter la pièce, avec son époux dans un état critique. Elle colle sa tête contre l'étagère derrière elle, ferme les yeux et laisse couler les larmes sur ses joues. Lorsqu'elle sent une présence face à elle, elle les rouvre. Lauan la toise de toute sa hauteur, méconnaissable.

— Un pacte est un pacte, balbutie le roi peinant à articuler, tu as gagné le droit de tuer le comte d'Epinasse.

Après ces mots, ils la laissent seule dans la pièce, dans laquelle elle restera plusieurs longues minutes, tentant de calmer les sanglots qui lui nouent la gorge. Elle s'en veut terriblement pour le mal causé et malgré ses tentatives, elle n'est pas parvenue à sauver Natanaël.

Avant de partir, Aeria ramasse la broche brisée de Gorgia qu'elle observe un instant, le métal est tordu, il ne reste que quelques morceaux du rubis dans les yeux du Dragon. Elle descend ensuite les escaliers, lentement et s'arrête devant le tableau peint. On peut y desceller une complicité, et surtout, deux visages détendus. Celui qu'elle porte sur ce tableau n'est plus celui qu'elle affiche aujourd'hui. L'innocence, la naïveté, toute son insouciance a disparu. Elle n'est plus une jeune fille apeurée, mais une femme au coeur brisé.

Elle traverse la muraille, à la recherche du corps d'Hervos, qu'elle ne retrouvepas. Alors Aeria quitte Les Landes, avec toutes les autres armées, cependant, elle fait un détour par la forêt et la Montagne du Trépas, là où le Dragon semblait l'attendre.

Aeria se laisse tomber à genoux devant la bête, la tête baissée vers le sol, ne pouvant arrêter ses larmes de couler.

— Pardonne-moi... je crois ne pas être digne de ta confiance... je suis un monstre...

Lorsqu'elle sent un souffle chaud près d'elle, elle relève la tête. Le Dragon tout près, la toise de ses yeux jaunes vifs. Elle lève sa main pour la poser contre son nez et c'est à ce contact qu'Aeria est envoyée dans le passé sanglant de la bête, c'est ainsi qu'elle peut voir la Guerre du Feu et qui a réellement tué Gorgia. Elle peut alors ressentir tout ce que la bête ressent, la peur, la tristesse, la colère, la solitude...

Elle retire brusquement sa main, son souffle soudainement plus rapide, son cœur frappant sa poitrine.

— Thearsis... souffle-t-elle. C'est ton nom.

Le Dragon se redresse, dominant la jeune femme de toute sa hauteur.

— Tu es mère... tu veux récupérer tes oeufs, c'est bien cela ?

Le Dragon déploie ses ailes pour pousser un long rugissement à en glacer le sang à tout ceux qui l'entendront à travers les Six Terres. Après cela, Thearsis prend son envole et disparaît derrière le sommet de la montagne. Lorsqu'Aeria laisse ses épaules s'affaisser, elle sent un poids la quitter, la libérer... l'Armure qu'elle porte se brise instantanément et toutes les écailles tombent en même temps sur le sol. Elle les observe un instant, déconcertée, en prend dans ses mains, comprenant alors que la créature ne lui fait plus confiance, du moins, pour le moment.

— Je les retrouverai... murmure-t-elle pour elle-même.

Aeria rejoint les armées, conservant la broche de Gorgia et les souvenirs du Dragon dans son esprit. Elle n'a plus qu'une idée en tête à présent : libérer Natanaël.


PREMIÈRE PARTIE TERMINÉE.

La suite sera mise en ligne très prochainement sur ce livre, en intégral. Conservez le bien au chaud dans votre bibliothèque 📚.

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