XXXV - Le plan tortueux

Autour d'un feu, au rythme des tambours, le peuple de Daghvïir dansait et chantait, accompagnés par les quelques survivants des Landes. Les gens fêtaient une victoire pourtant non acquise. Cependant, leur Dräkir avait été élu roi par le peuple, rien ne pourrait empêcher cela et pour eux, c'était déjà une victoire et une possibilité de se développer de nouveau, loin de leur île maudite et de devenir un peuple nouveau.

Natanaël restait adossé contre le mur de son château en rénovation, à observer tout le monde danser, faire la fête et pendant une fraction de seconde, il songea au fait que c'était ainsi que se déroulerait leur vie, si tous leurs ennemis étaient vaincus.

Devenir roi, en si peu de temps, de façon si soudaine, imposait de lourdes responsabilités. Quand Filërys fut suffisamment reposé et remis sur pieds, Natanaël décida de rentrer dans les Landes pour protéger ce qu'il restait du peuple de Daghvïir. Kaïs était toujours quelque part à rôder et probablement en train d'élaborer un plan pour tous les détruire.

En se confrontant à lui, Natanaël avait compris les intentions de Kaïs. Il pouvait comprendre ce que la haine pouvait créer dans le cœur d'un Homme et cela se produisait aussi dans le cœur d'un Dragon. Natanaël avait déjà ressenti cela, à tel point qu'il en avait sacrifié tous ses proches mais la culpabilité qui survint par la suite fut difficile à encaisser, comme un fardeau, il la portait encore aujourd'hui sur ses épaules.

Contrairement à Kaïs, Natanaël avait su se raisonner, il n'en voulait pas au monde entier pour la perte de Gorgia alors que Kaïs s'en prenait à tous les Hommes pour la perte de son Dragonnier et la solitude dans laquelle il avait été forcé de vivre. Son âme était brisée et sa raison inexistante.

Pour Natanaël, Kaïs était un cas perdu, irrécupérable, il ne pourrait jamais penser avec la raison. Ce qui l'animait et le faisait vivre, c'était sa rancœur et sa soif de destruction. Kaïs n'avait plus rien d'un Homme, c'était un véritable Démon dorénavant.

Anastasia rejoignit Natanaël, tout sourire, quelques perles de sueur sur le front à force de danser autour du feu.

— Venez donc danser avec nous !

Natanaël secoua la tête.

— Non, je ne danse pas.

— Mêlez-vous au peuple, ils n'attendent que vous.

Natanaël esquissa un faible sourire.

— Je suis trop pensif pour m'amuser.

Le sourire d'Anastasia disparut mais son regard montrait beaucoup de compassion.

— Nous avons un plan qui fonctionnera, commença-t-elle pour le rassurer. Nous devons attendre maintenant. Ne vous empêchez pas de vivre en vous faisant du mouron.

— Ce plan pourrait échouer...

— Je sais que vous faites un grand sacrifice en le mettant à l'œuvre mais je sais aussi qu'il fonctionnera. Pour cela, il faut y croire de tout cœur. Ne soyez pas pessimiste à voir le mal, à songer au mal... faites-vous confiance. De toutes façons, c'est la seule solution pour l'atteindre réellement. Et je sais pertinemment que vous retrouverez Aeria.

Anastasia se pinça les lèvres puis baissa la tête une seconde.

— Aeria est chanceuse, vous savez.

Natanaël plissa légèrement les paupières l'air inquisiteur.

— Bénéficier de l'amour si puissant d'un homme comme vous... c'est une chance que peu de femmes ont. Je crois qu'elle ne se rend pas bien compte à quel point elle est chanceuse d'occuper toute la place dans votre cœur.

Natanaël demeura muet un instant. Il avait succombé au charme d'Aeria, il n'avait pas écouté Gorgia qui l'avait mis en garde et aujourd'hui, il en payait le prix fort : la souffrance, la dévotion, la peur. Tout cela, il le gardait pour lui et pourtant, les paroles d'Anastasia sonnaient justes. Aeria l'aimait, elle lui montrait mais était-elle suffisamment reconnaissante ? Se rendait-elle compte de ce que Natanaël était prêt à faire pour elle ? Bien que cette fois-ci, le plan élaboré par lui et ses camarades était loin d'être le plus juste. Si Aeria avait été présente, peut-être l'aurait-elle refusé.

— Vous connaîtrez un homme qui vous aimera réellement, Anastasia. Mais vous êtes encore si jeune.

— J'aurais beaucoup aimé que cet homme soit vous...

Natanaël  haussa les sourcils, ne sachant quoi répondre, bien que flatté. Anastasia passa ses longs cheveux blonds et lisses derrière ses oreilles.

— Ne le prenez pas mal et surtout ne croyez pas que je flirt avec vous. Je me dis simplement que je pourrais mourir demain et qu'il est bon parfois de libérer sa pensée.

— Vous avez raison, rétorqua-t-il. Peut-être que si mon cœur n'était pas emprisonné par Aeria, nous aurions pu nous entendre vous et moi...

Anastasia sourit légèrement, ses joues s'empourprèrent quelque peu.

— Vous êtes une guerrière redoutable, reprit-il. Cela me plaît beaucoup chez une femme. J'aime la force, la persévérance et la hargne de vaincre. Vous semblez n'avoir peur de rien et surtout, vous êtes loyale à vos proches, c'est une qualité que peu d'entre nous ont.

— Vos paroles me réchauffent le cœur, Monsieur Astassard.

Elle regarda le peuple danser et s'amuser, sans quitter ce joli sourire qui était si rare depuis toutes ces péripéties traversées.

— Accepteriez-vous de me prendre dans vos bras ? demanda-t-elle.

Elle croisa le regard de Natanaël qui lui adressa une esquisse, chaleureuse et rassurante. Elle se blottît alors contre lui et il l'enlaça de ses bras. Elle ferma les yeux, la tête posée contre son torse à écouter le rythme régulier de son cœur immortel.

— Nous ferons tout pour vous ramener Aeria, murmura-t-elle. Et nous ferons tout pour sauver le monde.

— Peut-être que sauver le monde et ramener Aeria n'est pas possible, souffla-t-il en fixant les flammes du feu quelques mètres plus loin. Peut-être que nous devons faire un choix... Peut-être que je dois faire un choix.

~

Plus tôt, ils avaient élaboré un plan pour affaiblir Kaïs. Ils s'étaient tous réunis dans le bureau de Natanaël au dernier étage de son château et avaient longuement discuté de stratégie. Hervos préparait le peuple à la bataille, les sous sol étaient déblayés pour y loger les plus faibles, les personnes âgées, les femmes enceintes et les enfants...

Harold avait expliqué à Natanaël ce qu'Aeria lui avait dit avant de partir.

— Natanaël, Aeria n'est plus vraiment elle, avait-il commencé les mains posées à plat sur le bureau.

Ils étaient éclairés à la simple lueur des bougies et les rayons de la lune qui passaient au travers de la fenêtre brisée.

— Aeria ne se souvenait de rien, elle ne se souvenait pas de sa vie passée, celle du Dragon. Kaïs, en la ramenant à la vie, lui a redonné ses souvenirs. C'était un plan, il avait déjà tout prévu.

— Où veux-tu en venir ? avait grogné Natanaël.

— Aeria m'a dit s'appeler Maërlys et je suis persuadé que...

— Maërlys était un Dragon d'Eau très ancien, l'un des premiers à avoir vu le jour, était intervenue Irënia. Dans nos légendes, il est dit que Kaïs, Maërlys et Bernïs étaient les trois premiers Dragons, des Dieux pour nous, humains. Ils nous ont tout donné, Mearlys nous a donné l'eau et les mers, Kaïs nous a donné le soleil et la lune, les saisons et la verdure et Bernïs nous a donné les animaux, la vie, la nourriture...

Irënia avait marqué une pause pour jauger tout le monde. Personne ne parlait, tout le monde l'écoutait attentivement.

— Bernïs a été tué par Kaïs, du moins, c'est ce que les légendes racontent et Kaïs a récupéré ses pouvoirs. Quant à Mearlys, il a été tué par les six derniers Dragons lorsque Kaïs a décidé de détruire Daghvïir une première fois. Par la suite, Kaïs est mort, tué par le Dragon de Thearsis qui s'est sacrifié à sa mort, pour que l'âme de notre Prêtresse perdure, dans le corps de son cher Dragon...

— Donc Maërlys... c'est Aeria ? S'était enquit Hervos.

Natanaël avait poussé un profond soupir et s'était mordillé les lèvres.

— Il manquait plus que cela... avait-il grommelé.

— Peut-on expulser le spectre du corps d'Aeria ? Avait demandé Anastasia.

Irënia avait semblé réfléchir un instant, l'air perdue dans ses pensées. Il était question de sa fille et même si aucun lien n'était réellement créé entre elles, elle restait la chair de sa chair. Néanmoins, il n'était pas possible de savoir si un Dragon se réincarnerait dans le corps d'un enfant, personne ne pouvait le prédire et si l'enfant grandit sans s'en rendre compte, le Dragon reste endormi ainsi que ses souvenirs.

— La mort expulse le spectre et il n'a ainsi plus la possibilité de se réincarner. Cependant, Aeria ne pourra jamais se réincarner dans son Dragon noir. Si nous tuons Aeria, nous tuons Maërlys et peut-être que si nous la ramenons rapidement... les souvenirs de Maërlys n'auront le temps de revenir en elle.

— Non, avait grondé Natanaël. C'est beaucoup trop risqué ! Nous ne tuerons pas Aeria.

— Je peux ralentir son coeur, comme je l'ai fait avec vous.

— Oui, mais Aeria n'est pas immortelle !

— Nous la ramènerons.

— Comment ?

— Avec l'amour... avait soufflé  Irënia.

Natanaël avait pouffé de rire puis tourné sa langue dans sa bouche. Il avait fait quelques pas dans son bureau, les mains sur les hanches, il serrait puis desserrait ses mâchoires. Tuer Aeria était impensable pour lui.

— L'amour... avait-il bougonné, vous dites n'importe quoi ! Vos croyances sont fondées sur les écrits de Thearsis, mais elle a simplement voulu vous donner espoir alors qu'elle vous avait abandonné !

— Natanaël... avait tenté Hervos en le voyant s'énerver.

— Thearsis savait ce qu'elle faisait, avait répondu Irënia.

— Thearsis n'était rien d'autre qu'une femme aux dons extraordinaires, mais elle n'était pas un Dieu et ses écrits ne sont qu'un ramassis de conneries qu'on vous a rabâché toute votre vie.

— Si vous ne croyez pas en l'amour, alors Aeria mourra.

— Nous trouverons peut-être une autre solution, était intervenue Anastasia.

— Oui mais tuer Aeria briserait Kaïs... avant marmonné Harold, et ce serait une bonne chose pour l'affaiblir...

— Je vous ai dit non ! Avait crié Natanaël en se tournant vers eux. Vous vous dites amis avec Aeria mais vous êtes tous prêts à la tuer ?

— Irënia dit qu'on peut la ramener, avant répondu Hervos.

— Elle n'en sait strictement rien !

— Je sais plus de choses que vous, s'était défendue la Daghvïirienne.

Natanaël lui avait lancé un regard électrique.

— De toute façon, avait repris Hervos plus calmement, nous n'avons pas cent milles solutions. Si Aeria se souvient de ses souvenirs en tant que Maërlys, elle sera avec Kaïs. Natanaël, quoi qu'il advienne, tu la perdras.

Ce dernier les avait rejoint autour du bureau, il avait croisé les bras sur son torse et humecté ses lèvres. Difficile de l'admettre et quand bien même, les paroles d'Hervos furent tranchantes, il avait raison.

— Cela fonctionnera réellement ? Avait-il questionné. Les souvenirs de Maërlys s'éteindront ?

Irënia avait affronté son regard adoucit malgré sa colère certaine.

— Je ne peux pas vous promettre que cela fonctionne. Mais ce que je sais, c'est que Thearsis nous disait toujours qu'il fallait croire en l'Amour.

— Donc... l'amour ramènerait Aeria à la vie ?

— Je l'espère, avait avoué Irënia.

Natanaël avait haussé les sourcils. Il était parfois trop terre à terre et ne cachait jamais son scepticisme. Cependant, Hervos avait eu raison sur une chose : faire croire à Kais qu'Aeria était éliminée créerait en lui une faille, d'autant plus s'il pensait perdre sa douce Maërlys.

— Très bien... avait grommelé Natanaël. Nous tuerons Aeria.

~

À ce jour, alors qu'il enlaçait Anastasia et songeait à ce qui se passerait ensuite, il n'avait pas encore fait de choix.

Sauver Aeria ou sauver le Monde ?

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top