XXXIV - Un aller sans retour
Hystërys et Chaos se posèrent sur une haute falaise entre deux Terres. Chaos n'était pas fébrile, que peu fatigué tandis qu'Hystërys, à peine posa-t-il ses pattes dans l'herbe verdoyante qu'il s'affala de tout son long.
Kaïs descendit de son dos rapidement et avança sur la falaise, en direction des collines à perte de vue. Il n'y avait rien à des kilomètres. D'un côté se trouvait l'océan agité qui s'échouait sur la roche et de l'autre, des plaines et des collines sans une once d'habitations.
Kais avait entouré sa main d'un morceau de tissu qu'il gardait serré. Il pouvait sentir son organe vital battre dans sa blessure si bien que son menton tailladé ne semblait plus si douloureux.
— Je vais le tuer ! Cria-t-il en colère tout en maintenant son poignet.
Aeria l'observait, sans un mot. Elle arborait toujours cet air hagard, perdue, confuse. Elle peinait à situer, à comprendre tous ces souvenirs qui se bousculaient dans son esprit. Tout se mélangeait. Ses souvenirs à elle puis ceux du Dragon, si bien qu'il devenait difficile de faire la part des choses et surtout, de retrouver une chronologie parfaite.
Kaïs se tourna vers elle, les lèvres retroussées, le visage déformé par sa douleur. Il la rejoignit, l'observa de longues secondes, le vent fouettait leur visage et le soleil se couchait à l'horizon, offrant au ciel de magnifiques couleurs orangées.
— Est-ce vraiment toi ? Maerlys ?
Aeria baissa la tête un instant, elle la releva lorsque Kaïs posa sa main en état sur sa joue, y laissant une trace de sang. Les yeux dorés de la jeune femme étaient gorgés de larmes, elle avait terriblement mal à la tête et se sentait déchirée entre son amour pour Natanaël et celui de Maerlys envers Kaïs.
— Oui, c'est moi... souffla-t-elle d'une faible voix. Mais que fais-tu, Kaïs ?
Ce dernier plissa les paupières et laissa retomber sa main le long de son corps.
— Je détruis, je continue ce que j'avais commencé. Mais je t'ai à mes côtés à présent, je ne suis plus seul... Je suis tellement navré pour ce qui t'es arrivée. Je suis sincèrement navré de ne pas avoir pu te sauver de leurs griffes voraces.
Aeria le toisait, son regard était bien différent mais pourtant, il n'était pas difficile de la reconnaître. Cependant, le peu d'ignorance et d'insouciance qui lui restaient avaient disparu. Ressentir la trahison, ressentir la mort comme l'avait vécu ce Dragon d'Eau avait brisé quelque chose en elle. Son âme était blessée.
— Et que feras-tu, une fois que tu auras détruit ce monde ? demanda-t-elle.
— Je serai avec toi, près de moi, nous serons la nouvelle race de l'humanité. Je pourrais te donner des enfants, nous pourrions repeupler cette Terre d'âmes pures, nous pourrions leur apprendre à vivre autrement, sans guerre, sans détruire la nature. Mais tu sais, Maërlys, aussi bien que moi... que pour faire renaître ce monde, nous devons le réduire à Néant.
— Alors est-ce cela, ton plan ?
— Oui, mais je n'y parviendrai jamais sans toi.
Aeria déglutit difficilement. Elle cligna plusieurs fois des paupières puis jeta un regard autour d'elle, à ces magnifiques paysages verdoyants, elle écouta le chant des vagues, le cri des mouettes et la respiration rauque des Dragons...
— Kaïs... commença-t-elle la gorge nouée.
Ce dernier demeura muet, l'air inquiet, il craignait que Mearlys ne soit plus vraiment elle et que tous ces siècles à l'attendre n'étaient que du temps perdu.
— Nous devrions demander une trêve, reprit-elle.
Ce dernier haussa les sourcils. Kaïs avait déjà subi beaucoup de dégâts, contrairement à sa forme de Dragon, son corps d'homme ne se régénérait pas. De ce fait, il avait perdu un oeil et rien ne pourrait le ramener, sa main resterait sectionnée à jamais et son menton garderait une cicatrice grossière pour le restant de ses jours. Il était mal en point, mais pas suffisamment faible pour en venir à bout facilement. Peut-être même que sa seule faiblesse, au delà du physique, était Maërlys.
— Jamais, gronda-t-il.
— Tu dois te faire pardonner, tu pourrais changer les choses, tu pourrais... reconstruire ta vie différemment, sans destruction, sans tuer.
— Es-tu prisonnière des souvenirs d'Aeria ?
— Mais je suis Aeria autant que je suis Maërlys, rétorqua-t-elle en posant ses mains sur sa poitrine.
Elle affronta le regard de Kaïs, son air plus que sincère déçut Dërva qui espérait retrouver l'entièreté de l'âme de Maërlys. Néanmoins, n'était-elle pas entière ? Fusionnant à la perfection avec son nouveau corps.
— Tu te trompes.
— Je ne me trompe pas, c'est toi qui pense que je peux effacer la vie d'Aeria en un claquement de doigts. Je n'ai pas envie de l'effacer, ce monde est parfois cruel, ce monde est imparfait et ces Hommes le sont tout autant et pourtant... je trouve tout cela incroyablement beau.
Kaïs retroussa ses lèvres, il lui tourna le dos et avança jusqu'à donner un coup de pied dans un rocher qui se fendit en deux dans un craquement sinistre.
— Pitié... siffla-t-il entre ses dents. Pitié, ne me dis pas que tu l'aimes, lui...
Aeria releva le menton, l'air attristée de voir Kaïs souffrir à ce point.
— Je ne peux pas effacer Natanaël.
Et c'était terrible, car son amour pour Natanaël ne mourait pas, et celui pour Kaïs refaisait surface.
— Alors je le tuerai, grommela-t-il toujours dos à elle.
— Je n'accepterai pas de détruire ce monde, je...
Kaïs poussa un hurlement de colère, ce qui réveilla les deux Dragons endormis. Leurs pupilles se dilatèrent et ils commencèrent à grogner. Le soleil venait tout juste de se coucher et le ciel s'assombrît. Les nuages ne laissèrent guère leur place aux étoiles, des éclairs fendirent le ciel, l'orage gronda, la mer s'agita et le vent s'énerva...
Aeria avança vers Kaïs, terrifiée par l'immensité de son pouvoir. Elle passa doucement ses mains autour de sa taille puis colla sa tête contre son dos brûlant. Elle put entendre son cœur battre violemment, son souffle rauque après ce terrible cri de désespoir.
— Je t'en supplie, Kaïs...
Il ne répondait rien, il respirait fort et fixait un point devant lui, là où un éclair s'abattît et enflamma un arbre, ce qui illumina les alentours.
— Je ne te laisserai jamais tomber, reprit-elle tout en le serrant davantage. Mais nous devons essayer. Je veux que tu découvres ce monde et que tu le vois comme je le vois...
Une larme perla au coin des yeux de Kaïs qui ne daignait plus parler.
— Essayons de trouver notre place, poursuivit Aeria.
— Tu retourneras le voir, marmonna-t-il. Tu me laisseras seul quoi qu'il arrive.
Aeria se détacha de lui lorsqu'il se tourna vers elle. Ses larmes ne coulaient pas, car il savait ravaler son humanité, il savait l'enterrer au plus profond de lui. Mais cette humanité, Maërlys la faisait ressortir malgré elle.
— Je te promets, que jamais je ne t'abandonnerai, Kaïs. Si tu es prêt à faire ce sacrifice et demander une trêve, alors...
Elle déglutit difficilement, la sensation que son cœur se déchirait, finissait en miettes dans sa poitrine.
— Alors moi aussi je suis prête à faire le sacrifice de ne plus jamais revoir Natanaël.
— Nous le verrons si nous demandons la trêve.
— Et une fois la trêve acceptée, nous partirons toi et moi.
Kais serrait et desserrait ses mâchoires. Difficile de résister à la douceur de Maërlys, et pourtant, en tant que Dragon, cette douceur s'était transformée en arme, ce qui avait eu raison de sa vie.
— Si tu te souviens si bien de lui, alors tu te souviens aussi qu'il serait capable de te tuer s'il apprenait qui tu es.
Elle hocha la tête.
— Je sais.
Kaïs inspira profondément. Lorsqu'il expira longuement par la bouche, les nuages se dissipèrent lentement, l'orage cessa et les étoiles furent libérées de l'obscurité.
— J'accepte, grommela-t-il. Cependant, s'il venait à tenter quoi que ce soit contre toi ou moi... alors je le tuerai, et je détruirai ce monde. Cela ne saurait que me prouver que ce que je pensais des Hommes était vrai.
Aeria lui adressa un faible sourire puis caressa doucement la joue de Kaïs.
— Je suis fière de toi, Kaïs.
C'était un aller sans retour pour Maërlys et Kaïs car une chose était certaine ; Natanaël et ses camarades élaboraient déjà un plan pour l'éliminer définitivement.
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