XXXII - Jusqu'où irons-nous ?
— Ne t'approches pas d'elle ! cria Natanaël lorsque Kaïs s'approcha d'Aeria.
Elle semblait endormie, elle transpirait à grosses gouttes, gesticulait, gémissait et semblait plongée dans un terrible cauchemar. Kaïs se redressa, leva ses mains à hauteur de son visage, l'air faussement innocent.
— Recules, poursuivit Natanaël la pointe de son épée vers son ennemi.
Kaïs ne le lâchait pas des yeux, il recula d'un pas, puis d'un autre, obéissant.
— Tu penses que porter une Armure te protège de moi, Natanaël ? s'amusa Kaïs.
Natanaël ne le quittait pas du regard, de peur qu'il fasse ne serait-ce qu'un seul geste, pour tous les tuer.
— Sortez la d'ici, ordonna-t-il à ses deux amis.
Anastasia et Harold se résignèrent à rengainer leurs armes et abandonner le corps sans vie d'Amélia. Ils s'empressèrent de porter Aeria le plus délicatement possible et d'avancer vers les deux grandes portes battantes. Kaïs replia seulement ses doigts sur sa paume, les portes claquèrent sous le nez des deux combattants. Natanaël retroussa ses lèvres, son coeur battait à tout rompre mais l'Armure qu'il portait le protègerait.
— Sortez ! insista-t-il.
— Natanaël... souffla Harold.
— Sortez et emmenez-la le plus loin possible de ce monstre !
Anastasia tira la poignée, hésitante. La porte s'ouvrît et Kaïs ne les empêcha pas de quitter le château. Lorsqu'ils furent seuls tous les deux, Kaïs esquissa un rictus fourbe, observant Natanaël et son regard noir, son regard menaçant, sa façon de se tenir. Il n'était pas difficile de comprendre qu'il était bon combattant à la vue de sa posture parfaite, de sa stabilité et de sa force certaine. Mais Aeria était une terrible faiblesse pour un homme comme lui. L'amour est probablement la plus grande faille d'un guerrier.
— Gorgia m'a beaucoup parlé de toi, tu sais, commença Kaïs.
Natanaël serra les mâchoires, resserra sa main autour du manche de son épée dorée.
— Elle me disait qu'elle t'aimait mais... qu'il lui manquait quelque chose dans tes bras. Et puis, soyons honnêtes toi et moi, un homme qui ne peut donner la vie... un homme qui ne peut offrir un tel cadeau à une femme... en est-il vraiment un ?
— Fermes-la ! Ou je t'étripe sur place.
— Mais qu'attends-tu, Natanaël ? Ou devrais-je dire... Dräkir...
Difficile à dire, Natanaël observait son ennemi, pour connaître ses failles. Kaïs ne semblait pas en avoir, sauf peut-être Thearsis mais la faible étincelle qui restait de son âme venait de disparaître avec celle d'Amélia.
— Veux-tu que je t'aide ? reprit Kaïs.
Il rouvrit la main puis baissa son bras, Natanaël fut comme attiré par lui. Il fit plusieurs pas en avant pour finalement ancrer ses pieds dans le sol et lutter contre le pouvoir de Dërva. Il baissa son arme un instant, le temps de retrouver sa stabilité. Il inspira profondément, puis lorsqu'il se redressa, il donna un coup de sa lame à son ennemi. La pointe dorée heurta le menton de Kaïs. Sa tête valsa en arrière, il se retourna rapidement et avança vers le trône, la main sur le menton, le visage déformé par la douleur. Il s'appuya contre le trône, il respirait fort, commençait à s'énerver. Tous les deux n'étaient pas si différents, deux coeurs impulsifs, blessés, torturés. Deux coeurs qui étaient restés seuls bien trop longtemps.
— Tu ne peux pas détruire notre monde ainsi, vociféra Natanaël.
Du sang coulait du bout de sa lame sur le sol marbré, à l'endroit même où se trouvait Hazanel sur la carte. Kaïs releva la tête vers lui, les lèvres retroussées, le menton tailladé, déformé et douloureux.
— Bien-sûr que je le peux, grommela-t-il. J'ai tout donné aux Hommes, et eux... que m'ont-ils donné à part la solitude, la souffrance, le malheur ? Vous... les Hommes...
Kaïs se redressa, ses épaules craquèrent, ses yeux verts devenaient sombres.
— Vous n'êtes qu'une erreur de la nature... et je compte bien la réparer car vous n'êtes et ne serez jamais dignes des Dragons. Et toi, Natanaël, tu n'es qu'un obstacle sur mon chemin.
Il se tourna face à lui et posta ses mains, paumes ouvertes, poignets collés l'un à l'autre en direction de Natanaël.
— Et je compte bien éliminer cet obstacle, gronda Kaïs.
Du feu jaillit de ses paumes, comme Aeria quelques minutes plus tôt. Natanaël se jeta sur le sol puis roula derrière l'une des quatre poutre de pierres qui soutenaient le plafond de la grande salle. Il put apercevoir le corps de sa mère être victime des flammes en peu de temps, elles ravagèrent l'entièreté de son corps, rongèrent sa peau et ne laissèrent derrière elles qu'un faible feu, et un corps calciné.
Natanaël resta assis contre la poutre, ravalant ses émotions. Il colla sa tête contre celle-ci, les lèvres pincées, le souffle court. Il venait d'échapper au feu car rien ne disait que son immortalité pouvait lui permettre de résister à une telle chaleur ou alors, il reviendrait, complètement détruit.
À l'extérieur, Harold portait Aeria et Anastasia le suivait son épée bien en mains. Lorsqu'ils rejoignirent la cour avant du château, deux Dragons s'écrasèrent juste devant eux. Les arbustes, les fleurs, l'herbe et même les sculptures se brisèrent sous leur poids. Ils se grimpaient dessus, se mordaient, se griffaient et poussaient de terribles grognements. Ils roulèrent dans l'herbe, écrasèrent tout ce qui se trouvait sur leur passage. Anastasia tira le bras d'Harold pour lui montrer des escaliers qui descendaient vers les jardins arrières, là où ils pourraient fuir vers les collines.
Lorsqu'ils se retournèrent, près à fuir, Chaos, se posa juste devant eux. Ils s'immobilisèrent alors que la créature fixait Aeria, inconsciente dans les bras d'Harold.
— Ne fais pas un seul geste brusque... souffla Harold à sa camarade.
— Je ne souhaite pas te tuer, Natanaël, poursuivit Kaïs en avançant le pas lent, tout en regardant derrière les poutres.
Natanaël gardait son épée en mains, il se concentrait pour écouter chacun de ses bruits de pas, afin de calculer la distance qui le séparait de son ennemi. Ainsi, il saurait quand attaquer, uniquement lorsque Kaïs serait suffisamment près. Il convenait de le prendre par surprise, même si cela semblait impossible.
— Je n'aurais pas besoin de le faire, reprit-il.
Kaïs s'arrêta au milieu de la pièce, les mains croisées derrière le dos, une vilaine balafre sur le menton et un oeil blanc, totalement aveugle.
— Le Dragon Rouge qui... malgré sa petite taille me rappelle qui j'étais, avant d'être l'homme que je suis aujourd'hui... c'est lui, qui va te tuer, Natanaël. Parce que le fait que tu l'ai aidé à venir au monde, ne changera en rien sa vision de toi.
Kaïs passa sa langue sur ses lèvres et fixait la poutre derrière laquelle restait Natanaël.
— Vois-tu, les Dragons ont cette perception de l'Homme que l'Homme n'a pas du Dragon. C'est pourquoi ils sont si purs... et lorsqu'un Dragon choisit son Dragonnier, c'est parce qu'il a su lire dans son âme. Hystërys m'a choisi et toi... tu n'étais rien pour lui.
— Si je dois tuer ce Dragon pour t'atteindre, je le ferai ! grogna Natanaël.
Kaïs esquissa un faible sourire.
— C'est certain que tu sais tuer les Dragons...
Natanaël se munit d'un kunaï, il en avait ramené quelques uns, afin de pouvoir atteindre sa cible à distance. Il s'était douté qu'il ne pourrait pas approcher Kaïs facilement. Il se releva puis quitta sa cachette, il jeta le kunaï aussitôt en direction de Kaïs qui l'attrapa juste avant qu'il ne se plante dans son cou. Il loucha sur la petite lame, lorsqu'il releva les yeux, il vit Natanaël courir en sa direction alors de son autre main, il saisit l'épée dorée qu'il tenta d'abattre sur lui. Natanaël força contre sa paume ensanglantée pour lui couper. Kaïs serra les dents, enfin face à son redoutable ennemi.
Du sang coulait le long de son avant bras et de la fumée commençait sortir de sa plaie, comme s'il tentait de faire fondre l'or de la lame. Le remarquant, Natanaël força sur ses jambes et ses bras, il força si fort, il recruta toute l'énergie de l'Armure, afin de trancher la main de Kaïs.
Chose qu'il parvint à faire après une lutte qui sembla durer une éternité pour lui. Malgré l'or qui commençait à fondre, la force de Natanaël eut raison de la main du Dërva. Celle-ci se coupa en deux et la lame dorée se planta dans le sol qui se fissura tant la force mise dedans était puissante. Kaïs poussa un hurlement, il ne lui restait plus qu'un bout de sa main et son pouce, son sang coulait abondamment et la douleur le torturait.
Ce hurlement perturba Hystërys qui lâcha la gorge de Filërys. Il redressa sa tête puis prit aussitôt son envol, ce qui désintéressa Chaos d'Aeria. Hystërys vola autour de la demeure, malgré ses écailles arrachées, ses ailes égratignées. Il ouvrit grand sa gueule puis cracha un jet de flammes puissant contre la bâtisse. Les vitres explosèrent toutes les unes après les autres et il ne s'arrêta que lorsque Chaos se jeta sur lui pour protéger Natanaël encore à l'intérieur. Les deux Dragons tombèrent contre les falaises mais le feu dévorait déjà une bonne partie du château, celle qui avait été en contact direct avec la force de propulsion des flammes était toute écroulée.
Aeria s'accrocha au bras d'Harold, ce qui le fit sortir de sa torpeur. Lorsqu'il posa ses yeux sur elle, elle ouvrait tout juste les siens, le doré qui les habitait plus brillant que jamais.
— Kaïs... marmonna-t-elle.
— Il faut... Il faut qu'on sauve Natanaël ! paniqua Anastasia en remarquant que le feu se propageait à grande vitesse.
Filërys poussa un plainte, allongé de tout son long dans l'herbe ratatinée, les ailes étalées autour de lui. Anastasia jeta un coup d'oeil au Dragon, puis au château, le coeur lourd, une angoisse montante.
— Kaïs... répéta Aeria.
Plus elle répétait son prénom et plus son corps devenait chaud dans les bras d'Harold qui transpirait déjà beaucoup. Lorsqu'elle se redressa, il l'aida à se remettre sur pied et remarqua que sa peau avait rougi à certains endroits, à cause de la chaleur qui avait émané du corps de son amie.
Aeria semblait déboussolée, elle leva doucement la tête vers le château, l'air absente. Son regard n'était plus le même.
— Aeria, je t'en prie, il faut sortir Natanaël, tu es la seule à pouvoir traverser les flammes, souffla Anastasia les larmes aux yeux.
— Je dois retrouver Kaïs... balbutia Aeria.
Elle avança d'un pas, tangua d'un côté, Harold la soutint pour pas qu'elle tombe. Elle posa sa main sur son front brûlant, grimaça légèrement.
— Laissez-moi le retrouver...
— Aeria, je t'en prie. On a besoin de toi, ici... supplia Harold. Et il faut aider Filërys...
Elle jeta un regard à Filërys, le pauvre Dragon peinait à se remettre sur ses pattes tant il s'était battu, tant son énergie s'était envolée. Il lui manquait beaucoup d'écailles, du sang tâchait le vert de sa parure, son nez était balafré d'une grosse entaille profonde et ses mâchoires étaient couvertes de sang.
— Je suis désolée... souffla-t-elle. Je ne m'appelle pas Aeria.
Harold fronça les sourcils.
— Je dois y aller ! grogna Anastasia.
Elle s'empressa de regagner le château et passa par l'entrée presque détruite, sans écouter les avertissements d'Harold.
— Je m'appelle... je m'appelle... Maërlys... marmonna-t-elle l'air perdue.
— Alors vas-t'en ! cria Harold.
Elle sembla sortir de sa torpeur lorsqu'elle l'entendit crier. Elle posa ses yeux dorés sur son ami, l'air interloquée. Des perles salées roulaient sur les joues salies d'Harold, se mêlaient à sa sueur, caressaient sa peau calcinée et encore endolorie, une peau qui resterait marquée à tout jamais.
— Vas-t'en et retrouves-le ! reprit-il. Jusqu'où irons-nous pour te sauver, Aeria ou Maërlys, peu importe ton nom ! Est-ce que tu te rends compte de tout ce que nous faisons pour toi ? Jusqu'où irons-nous, Aeria, bon sang ! Il vaut mieux que tu partes, oui, car tu es un poison pour nous tous et quand nous risquons notre vie pour t'aider, toi... que fais-tu ? Tu restes là, tu laisses un démon emprisonner ton esprit... je n'ai pas la force de te retenir.
Harold renifla puis essuya ses larmes d'un revers de la manche. Il lui jeta un dernier regard avant de lui tourner le dos et de rejoindre Filërys dans l'espoir de lui apporter son aide et des soins. Aeria l'observa s'éloigner, la gorge nouée.
Elle comprenait la réaction de son ami, et peut-être avait-il raison. Cependant, au fond d'elle et maintenant qu'elle était habitée par de nombreux souvenirs de sa vie passée, elle n'avait d'autres choix que de retrouver Kaïs.
La raison de ce besoin, elle ne la connaissait pas.
Ses amis étaient prêts à tout pour elle.
Et elle, jusqu'où irait-elle ?
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