XXX - Jamais l'un sans l'autre

Natanaël se trouvait dans son ancien bureau. Il avait réussi à rafistoler une vieille table qui lui servait de bureau, quelques étagères cassées, mais la moitié des livres manquaient. Il se tenait face à la fenêtre ronde donnant sur les marais, des planches de bois avaient été posées pour limiter l'air qui y rentrait, puisqu'Aeria l'avait brisée en sautant à travers.

Cette dernière entra dans la pièce alors qu'il était perdu dans ses pensées. Il ne se retourna pas, il attendit simplement qu'elle parle. Cela faisait deux semaines qu'ils étaient rentrés à présent, le château reprenait vie petit à petit. Natanaël espérait revoir sa demeure comme auparavant d'ici une année où deux, le chemin serait long mais il était prêt. Les Landes étaient sa Terre, et Amélia semblait ravie de s'y trouver de nouveau. Elle aussi avait des souvenirs dans ce château, bien que cent ans plus tôt, la demeure était bien différente.

— Natanaël, il faut que je vous parle, déclara Aeria.

Il se retourna vers elle puis descendit de la petite estrade.

— Je veux que vous parliez au peuple et que nous rassemblions tous les volontaires pour la guerre.

— Aeria...

— Je veux tuer Kaïs.

— Et je le comprends amplement, il mérite la mort. Cependant, le peuple de Daghvïir est tout juste installé. Les gardes peuvent se battre mais le peuple... il doit être préservé.

Aeria poussa un profond soupir.

— Vous ne comprenez pas. Kaïs viendra nous attaquer, il sait que nous avons quitté Daghvïir et que le peuple n'a aucun repère. C'est le moment idéal pour lui. Tout ce que nous faisons, il l'avait prévu.

— Justement, qu'attendez-vous de moi en parlant au peuple ?

— Il faut qu'ils comprennent que le danger n'est pas écarté et qu'il convient de se préparer au combat.

Natanaël posa ses mains à plat sur la table et observa Aeria de longues secondes tout en serrant et desserrant ses mâchoires.

— Je ne peux pas, déclara-t-il.

Elle haussa les sourcils.

— Pourquoi cela ?

— Parce que j'ai détruit une Terre entière il y'a cent ans, Aeria. Parce que, tout comme vous, j'étais aveuglé par une vengeance que je voulais à tout prix assouvir et...

— N'avez-vous pas plutôt été manipulé ? L'interrompit-elle.

Natanaël se tut, un sourcil haussé.

— Un jour, Lauan m'a dit que Gorgia était loin d'être celle que vous croyiez et qu'elle vous avait manipulée. Vous parlez de vengeance, mais cette vengeance est venue après, seulement quand elle a été tuée.

— Vous ne savez rien, grommela-t-il.

— Vous non plus... vous ne la connaissiez peut-être pas réellement.

Natanaël se redressa, tout en lui jetant un regard empreint de colère. Il serrait ses poings, mordillait ses lèvres et avançait dans la pièce tout en tentant de garder son calme.

— Quand bien même, reprit-il, le peuple ne se battra pas, Aeria.

Elle pouffa de rire, visiblement déçue.

— Vous avez trop peur maintenant ?

Il lui jeta un regard.

— N'avez-vous plus la hargne d'avant ?

— Bien-sûr que si, gronda-t-il en s'arrêtant devant elle. Mais pas comme cela.

— Vous m'aviez dit que vous seriez à mes côtés.

— Je le suis, Aeria...

Il posa ses mains sur son visage pour ainsi la regarder droit dans les yeux. Il l'aimait, il le sentait au fond de lui, même s'il tentait de se persuader du contraire. Cependant, sauver un peuple puis le forcer à se battre ensuite n'était pas une bonne idée selon lui.

— Même si nous attendions, Kais, lui, n'attendra pas, reprit-elle. Et je refuse de lui laisser l'opportunité de tuer un autre être qui m'est cher.

— Mais des innocents Daghvïiriens, oui ?

Aeria secoua la tête et recula d'un pas pour le repousser.

— Je ne peux pas attendre, tout comme vous n'avez pas su attendre quand les filles d'Hervos ont été kidnappées par votre père. Vous vous êtes jeté dans la gueule du loup, furieux comme vous l'étiez.

— Aeria... regardez ce que cela a engendré.

Natanaël retroussa ses lèvres, s'empêchant de dire quoi que ce soit qui pourrait la blesser. Bien que ses paroles à elle, le touchait.

— Vous ne voulez pas qu'un peuple périsse, c'est tout à votre honneur. Moi, je n'attends pas, vous pouvez dire à Hervos de rentrer chez lui, le plan a changé.

Elle lui tourna le dos et s'apprêta à sortir lorsqu'il s'empressa de lui fermer la porte au nez. Il garda sa main appuyée dessus puis tenta de trouver son regard. Il avait réparé la porte récemment, celle-ci avait été arrachée de ses gonds par Kais.

— Ne faites pas quelque chose que vous regretteriez.

— Je ne crois pas à toutes ces histoire de Dräkir... souffla Aeria.

— Moi non plus.

— Parfait, alors il vaut peut-être mieux que je règle cette histoire seule. Kais ne me tuera pas. Vous, il vous tuerait aussitôt vous verrait il.

— Ne faites pas cela.

— Laissez-moi sortir Natanaël.

— Aeria, vous savez très bien que je vous suivrai si vous faites cela !

Elle tourna la tête vers lui.

— Alors ne me suivez pas. Cessez de souffrir à cause de moi, Natanaël.

Elle humecta ses lèvres puis laissa glisser sa main sur sa joue.

— Je suis si heureuse quand je suis près de vous, mais la présence de Kaïs me tue, parce que je sais qu'à tout moment il s'en prendra à vous. S'il vous tue... je meurs. Mais vous... vous, vous faites toujours tout pour moi, vous avez été torturé pendant douze longs mois, vous avez été brûlé, malmené, poignardé... ça suffit Natanaël. Alors s'il vous plaît, laissez-moi sortir.

Il retira doucement sa main tout en détournant son regard, les mâchoires serrées. Aeria tourna la poignée.

— Qu'est-ce qui a changé en si peu de temps ? La mort de votre chat vous a fait voir la vie différemment ?

— Pour vous ce n'était qu'un petit animal fébrile... pour moi, c'était un membre de ma famille.

— Je vous pensais différente d'elle.

— Je suis désolée, Natanaël.

Elle ouvrit la porte et quitta le bureau, le laissant ainsi, seul, avec ses tourments.

Natanaël serra les poings en même temps que ses mâchoires. Lorsqu'il se retourna, son pied heurta violemment son bureau qui céda sous sa force, à peine fut-il restauré. Il passa ses mains dans ses cheveux puis observa par la fenêtre un instant, des questions plein la tête.

D'une part, l'idée que Gorgia ait pu tenter de le trahir jadis ne le quittait plus, et le simple fait de songer à une trahison de la part de la femme pour qui il avait tout sacrifié le détruisait silencieusement. D'une autre part, son envie de préserver le peuple martyr de Daghvïir le poussait à choisir le retrait et la stratégie plutôt que la violence pour une fois, mais il lui était aussi impossible de se convaincre de laisser Aeria partir à l'abattoir.

Alors lorsqu'il vit le dragon noir de la jeune femme survoler les marais, son cœur s'arrêta de battre un court instant et une colère puissante grandit en lui.

Il quitta ses bureaux, descendit les escaliers à la hâte . Il y avait du monde dans le château, tout le monde s'efforçait de le rendre vivable suite à tous ces pillages au cours des deux années à l'abandon. Il croisa Hervos qui avança à ses côtés, il n'était pas difficile pour l'ancien chevalier de constater l'état de son ami.

— Natanaël, tout va bien ?

— Aeria est partie, grommela-t-il.

Hervos haussa les sourcils, ils descendirent les escaliers vers le vestibule en même temps.

— Partie... c'est-à-dire ?

Natanaël s'arrêta et se tourna vers son ami qui manqua de lui rentrer dedans.

— À la rencontre de Kaïs ! Je ne sais pas ce que sa mère lui a dit, mais elle est partie à Hazanel sur le dos de son Dragon.

— Et que comptes-tu faire ?

Natanaël reprit sa marche, Hervos sur les talons.

— Je ne vais pas la laisser y aller seule.

— Je viens avec toi.

Natanaël s'arrêta près des anciennes écuries, afin de s'équiper d'une épée suffisamment longue et tranchante. Il fouilla dans les affaires Daghviiriennes à la recherche d'une arme puissante.

— Non, Hervos. Tu dois rester ici, je compte sur toi pour maintenir l'ordre.

— Je n'ai rien d'un gouverneur moi, je veux me battre ! Enfin, depuis qu'on me parle de ce Kais, j'espère bien le rencontrer.

— Je ne te conseille pas de le rencontrer. Si tu souhaites revoir tes filles, restes ici.

— Que se passe-t-il ?

Anastasia et Harold les rejoignaient tout juste.

— Rien... grogna Natanaël.

Les deux amis se tournèrent vers Hervos.

— Aeria est partie à la rencontre de Kais et Natanaël compte la suivre. Seul, expliqua Hervos.

— C'est de la folie que d'y aller seul ! Gronda Anastasia.

— Je n'ai qu'un dragon. Et à cheval, le voyage serait trop long.

— Et alors ? Intervint Harold. Ton dragon est suffisamment grand pour transporter au moins trois à quatre personnes comme nous !

Natanaël se tourna vers ses camarades.

— Vous voulez vraiment combattre sans aucune préparation ?

— Parce que vous pensez que nous étions préparé quand nous vous avons fait sortir de Dranne ? Poursuivit Anastasia.

Natanaël retroussa ses lèvres puis inspira profondément. Amélia ne tarda point à les rejoindre tous les quatre, curieuse de savoir ce qui se passait.

— Natanaël... que t'arrive-t-il ? Demanda-t-elle en remarquant la mine agacée de son fils.

Il se munit d'une épée dorée, il passa deux doigt sur la lame pour vérifier son tranchant puis la cala dans son fourreau.

— Vous deux, vous venez avec moi, commença Natanaël à l'attention d'Harold et Anastasia. Et toi, Hervos, tu restes au château, dans le cas où Kais aurait eu la superbe idée de nous duper. Prépares le peuple avec l'aide d'Irënia, nous devons être en mesure de défendre les Landes.

— Tu ne vas pas t'exprimer face à eux ? Souffla Hervos.

— Non... soupira Natanaël. Je reviendrai suffisamment vite pour leur parler ensuite. Et j'espère que je leur apporterai de bonnes nouvelles.

— Et si tu ne reviens pas ?

Natanaël croisa le regard inquiet d'Hervos.

— Tu sauras quoi faire.

Amélia saisit le bras de son fils qui se tourna vers elle.

— Je t'en prie, laisses-moi venir avec toi.

— Pour quoi faire ? Je ne souhaite pas que tu sois blessée, Mère.

— Je dois venir.

Natanaël plissa les paupières.

— Je sais beaucoup de choses, reprit-elle. Je peux vous aider. Fais-moi confiance.

Ce n'était plus une question de confiance, mais une question de sécurité. Perdre toutes les personnes chères à ses yeux n'était pas une option pour lui. Il n'avait encore jamais affronté Kaïs, il avait simplement vu l'étendu de son pouvoir et il n'était probablement pas au bout de ses surprises.

Malgré tout, Natanaël accepta. Il légua à Hervos la grande responsabilité de s'occuper des Landes en son absence, de demander de l'aide à Irënia et surtout, de préparer les Daghvïiriens à une possible Guerre. Tous espéraient néanmoins que cette Guerre serait la dernière.

Filërys accueillit sur son dos quatre individus, ce n'était pas chose facile que de se tenir sur le dos d'un Dragon mais Filërys avait la particularité d'arborer un corps longs, avec quelques piques sur lesquels s'accrocher. Natanaël avait insisté pour que tout le monde soit attaché les uns aux autres. Il se tenait sur la selle, une grosse ceinture de cuir le liait à Anastasia puis à Amélia et enfin, à Harold. Ainsi, ils pouvaient se tenir tous ensembles, sans risquer d'en perdre un en chemin.

Ils quittèrent les Landes bien rapidement et le Dragon passa au dessus des nuages sombres par cette nuit d'été. Un orage grondait au loin, pour quelqu'un doué en orientation comme Natanaël, cela ne faisait aucun doute que cet orage s'abattait sur Hazanel. Pour Amélia qui, malgré elle, était hantée par les souvenirs de Thearsis, elle savait que cet orage n'était pas anodin et probablement pas naturel non plus.

Natanaël avait un plan, il survolerait la ville et si l'armée de Kaïs tentait de les empêcher de pénétrer le château, alors il ordonnerait à Filërys de tout brûler. Il n'avait pas une once de pitié pour les soldats qui suivaient, aveuglément, un usurpateur. Certes, Kaïs était doté de pouvoirs cependant, il y avait toujours des dommages collatéraux lors de conflits. Il souhaitait sauver le peuple de Daghvïir qui lui vouait une confiance inébranlable, mais ne pouvait pas sauver tout le monde.

Néanmoins, à leur arrivée, ils n'eurent nul besoin de se battre puisque les remparts du château d'Hazanel étaient, pour la plupart, détruites. Des gravats étaient tombées sur les plaines et quelques autres sur la ville, des habitations étaient écroulées, du feu persistait ici et là, et notamment sur les cadavres carbonisés des soldats qui tenaient le château. Le Dragon Noir tournait autour du domaine, tout en rugissant, vif comme il l'était, personne ne lui échappait. De leur place, ils purent voir quelques soldats tenter de prendre la fuite vers les collines, en vain. Chaos battit des ailes et cracha ses flammes sur eux. Leurs hurlements de douleur parvinrent jusqu'aux oreilles des quatre camarades. Les soldats se roulèrent sur le sol, mais les flammes avaient déjà commencé à ronger leur peau, à faire fondre leurs armures...

Filërys se posa dans la cour avant du château, ses pattes brisèrent des pavés sour ses griffes. Natanaël se détacha puis aida ses camarades à descendre et avant de pénétrer la demeure, il posa sa main sur le nez brûlant de Filërys.

— Restes près de ton frère et protèges-le, ordonna-t-il.

Il fit bien de lui ordonner cela, puisqu'un rugissement perçant leur fit lever la tête à tous. Hystërys se jeta sur Chaos. Les deux Dragons se donnèrent des coups de crocs, de griffes puis s'écrasèrent contre la tour nord, les briques tombèrent, le toit s'affaissa.

— Vas ! cria Natanaël à Filërys.

Le Dragon battit des ailes puis prit de la hauteur. Il n'attendit guère longtemps avant de se jeter sur Hystërys, ils chutèrent tous les trois sur les remparts qui cédèrent sous leur poids. Le cri d'Aeria interpella Natanaël qui décrocha son regard des Dragons.

Il bouscula Harold sans le vouloir et poussa les lourdes portes du château. À l'intérieur, quelques soldats étaient morts, gisant sur le sol, la gorge tranchée, les yeux percés et certains, l'armure tellement fondue qu'elle avait fusionné avec leur peau.

— Lâches-moi ! hurlait Aeria.

Natanaël et ses amis se précipitèrent dans la salle de trône. Cette grande et magnifique salle, sur le sol marbré était dessinée la carte des Six Terres, colorées, parfaite et le plafond de voûtes étaient sculpté, avec quelques touches de dorées qui n'étaient pas sans rappeler Daghvïir.

Kaïs tenait une poignée de cheveux d'Aeria dans une main et pinçait son menton de l'autre. Lorsque Natanaël entra dans la pièce, il tourna la tête vers eux. Ni une ni deux, ses yeux verts percèrent la salle, le tonnerre gronda si fort que les murs en tremblèrent, la pluie déferla et les éclairs fendirent le ciel, camouflant les rugissements des Dragons. Il lâcha Aeria puis tendit sa main en leur direction. Cette dernière poussa un cri de rage, le feu jaillit de ses paumes et heurta Kaïs.

Aeria en profita pour courir en direction de Natanaël,  les joues humidifiées par ses larmes salées. Kaïs secoua ses bras, le feu s'éteignit rapidement et sa peau n'en portait aucune marque. Il releva les yeux pour remarquer Aeria qui courait vers Natanaël. Il retroussa ses lèvres, ramassa sa dague qu'il jeta aussitôt en direction de la jeune femme.

Celle-ci se planta entre ses deux omoplates, au moment même où elle les rejoignit. Elle s'arc-bouta puis tomba aussitôt dans les bras de Natanaël qui posa un genou à terre.

— Non, Aeria !

Cette dernière peinait à respirer, le corps totalement paralysé par cette dague plantée dans ses chairs. Ses larmes coulaient, ses lèvres tremblotaient et ses yeux ne quittaient pas Natanaël.

— Vous... vous êtes venu... marmonna-t-elle.

Kaïs époussetait ses bras pour se libérer de la suie, ses vêtements partiellement en lambeaux. Lorsqu'il fit quelques pas en leur direction, Harold et Anastasia se postèrent devant Natanaël et Aeria, leur épée braquée sur leur ennemi.

— Aeria... restes avec moi, souffla Natanaël.

Elle posa difficilement sa main sur sa joue, là où une perle salée roulait et se mêla à ses doigts frêles.

— Je sais à présent, commença-t-elle d'une faible voix, que toi, Natanaël Astassard, tu es l'homme de ma vie. Toujours près de moi...

— Je le resterai, et ta vie ne fait que commencer.

Aeria lui adressa un faible sourire, ses commissures tremblèrent puis soudainement, son corps entier se relâcha, sa tête partit en arrière et plus aucun souffle ne passa le seuil de ses lèvres.

— Non... non pas encore... pas encore !

— Je peux la sauver, intervint Kaïs.

— N'approchez pas ! menaça Harold lorsqu'il fit un pas vers eux.

Natanaël releva ses yeux embués de larmes et à la fois rouges de colère.

— Je peux la sauver, Natanaël, reprit Kaïs les mains en l'air à hauteur de son visage. Mais je n'ai que quelques secondes pour cela, avant que son cerveau ne soit plus irrigué par son sang à cause de son coeur qui ne bat plus.

Il était difficile de le croire, difficile de l'accepter et pourtant, s'il y avait un espoir de ramener Aeria, Natanaël ne pouvait renoncer. Il se redressa, résigné, il déposa lentement le corps d'Aeria sur le sol. Il n'y avait pas une minute à perdre, alors il recula d'un pas, puis d'un autre. Lorsque Kaïs s'approcha et retira la dague de sa blessure, Natanaël dégaina sa lame dorée qui fit loucher le Dërva. Ce n'était pas une coïncidence, cette lame avait appartenu à un homme qu'il avait chéri, son Dragonnier, Jarrett.

Il releva le menton, les mâchoires serrées, les yeux cernés et l'orage gronda, encore et encore, de plus en plus fort.

— Rends-moi cette lame, gronda Kaïs.

— Sauves Aeria, ordonna Natanaël les mâchoires serrées.

— Cette lame...

— SAUVES-LA ! hurla Natanaël.

Kaïs pouffa de rire avant qu'Amélia ne prononce son nom, d'une voix si douce et sereine que cela le fit taire aussitôt. Il la suivit des yeux lorsqu'elle s'approcha de lui. Impossible de la quitter du regard. Quand tout le monde ne voyaient qu'une simple femme aux cheveux de jais, Kaïs, lui, voyait cette grande Prêtresse aux cheveux de feu, aux yeux dorés...

— Kaïs... répéta Amélia. Ou peut-être... Laurys ?

Kaïs secoua la tête, les lèvres retroussées.

— Non... non, tu ne peux pas être encore en vie !

— Je ne suis pas en vie, reprit Amélia sous les yeux écarquillés de ses amis. Je ne suis qu'un vestige d'une vie passée.

Le visage de Kaïs était déformé par la haine et pourtant, ses yeux brillaient, comme si des larmes s'y formaient. Amélia continuait de s'avancer vers lui, sans écouter les appels de son fils, Natanaël. Elle posa sa main sur la joue brûlante de Kaïs et plongea ses yeux bleus dans les siens.

— J'ai tout fait pour t'aimer lorsque tu n'étais qu'un bébé, j'ai tout fait pour que le peuple ne t'arrache jamais de mes bras. Je savais qui tu étais à la minute où j'ai su que j'étais enceinte tout simplement parce que je ne pouvais pas avoir d'enfants... ce miracle n'était pas un hasard.

Kaïs la toisait, les veines et tendons de son cou saillaient, ses poings étaient serrés et sa haine se lisait sur son visage parsemé de tâches de rousseurs dorées.

— Je suis désolée, je ne comprends pas pourquoi tu veux autant de mal à notre monde... Mais tout cela pourrait être derrière toi, à présent. Tu pourrais... vivre une vie paisible, et être aimé à ta juste valeur.

Il la toisait, l'écoutait au plus grand étonnement d'Harold, Anastasia et Natanaël. Amélia se rapprocha de lui, hésitante, apeurée mais il le fallait, il fallait essayer de le faire revenir à la raison car une partie de lui était plus humaine que l'autre. Kaïs n'était qu'un spectre, comme Thearsis fut un spectre pour le Dragon Doré ou pour Amélia... Elle l'enlaça, et il ne la repoussa pas. Il tourna simplement légèrement la tête pour lui murmurer à l'oreille :

— Je détruirai chaque partie de toi qui reviendra en ce bas monde, murmura-t-il de sorte à ce que personne ne l'entende. Alors si une partie de toi, Thearsis, se trouve dans ce corps, je le détruirai aussi...

La pointe du poignard transperça le corset d'Amélia puis vint se loger sous sa cage-thoracique, si lentement qu'elle en sentit chaque millimètre. Son coeur ne fut guère épargné par cette lame d'acier, néanmoins, Kaïs la gardait près de lui, personne n'y voyait rien. Amélia entrouvrit la bouche, des perles aux coins des yeux.

— Si je n'ai pas eu le droit à une belle vie, alors personne n'y aura jamais droit. Mais jamais, au grand jamais, je resterai sans mon seul et véritable allié. Tu n'as toujours pas compris, Mère, ou devrais-je dire, grande Prêtresse, que je ne suis qu'un cauchemar et que personne ne se réveillera jamais de ce cauchemar.

Après ces quelques mots, il repoussa brutalement Amélia qui recula de quelques pas, le poignard planté dans la poitrine. Natanaël ouvrit de grands yeux et se précipita vers sa mère qui s'écroula sur le sol, retenue de justesse par Anastasia. Kaïs en profita pour s'occuper de réanimer Aeria.

Natanaël se laissa tomber à genoux près du corps de sa mère. Sa respiration était saccadée, rapide, ses dents s'entrechoquaient et sa poitrine ne se soulevait plus lorsqu'elle respirait, car son coeur ralentissait de plus en plus.

— C'est un cauchemar... grogna Natanaël, pitié.. pitié... je ne tiendrai pas...

Il serra la main de sa mère dans la sienne, contrôlant sa rage et lorsqu'elle le regarda, il crut apercevoir dans ses prunelles bleus, une étincelle dorée, comme du feu. Elle lui fit signe de se rapprocher, ce qu'il fit. Elle s'accrocha à ses épaules, difficilement, en souffrance, son sang imbibait ses vêtements et la lame torturait son organe vital.

— Et c'est ainsi que le Dräkir naquît... murmura-t-elle au creux de son oreille.

Natanaël fronça les sourcils, lorsqu'il se redressa, les yeux figés d'Amélia lui firent comprendre qu'elle était retournée auprès de son défunt époux et cette étincelle dorée se volatilisa, avec le souvenir de Thearsis.

Quant à Aeria, elle fut forcée de se rappeler qui elle était lorsque Kaïs la ramena à la vie.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top