XXVIII - Un cadeau empoisonné
Il y a près de milles ans, les Dragons existèrent sur des îles éloignées de tout. Ils vivaient en harmonie avec un peuple, uniquement composé d'individus dont les capacités dépassaient celle des Hommes. C'était comme si, vivre avec les Dragons, leur permettait de naître avec certains dons. En réalité, c'était simplement une aubaine de la nature, une génétique parfaite pour ainsi préserver un équilibre sain.
Il y avait les Dragons puis le peuple de Daghvïir et enfin, les Hommes. Au début de leur création, les Dragons et le peuple de Daghvïir se devaient de vivre en harmonie, d'apporter au monde persévérance, prospérité, et toutes ces petites choses qui faisait de la nature, une immensité de diversité.
Communément appeler des Dieux par les Hommes, ces êtres surestimés vivaient reclus et l'harmonie persistait, jusqu'à la première Guerre. L'Homme par sa curiosité, fouillait, explorait, dérobait, si bien que lorsque des explorateurs découvrirent Daghvïir, les ennuis commencèrent.
Les Dragons n'étaient plus un mythe, ils étaient réels et le plus troublant, c'est que certains Dragons se liaient d'amitié avec les Hommes. Le lien était spirituel, c'était deux âmes qui s'unissaient par une parfaite cohésion, une entente indescriptible, une facilité de vie, une évidence.
Le premier Homme non Daghvïirien à se lier avec un Dragon s'appelait Jarett, citoyen de Valmont, fils d'un Duc, il n'avait rien d'extraordinaire, si ce n'était sa force d'exploration. Il avait mené tout un équipage à cette île et avec le temps, s'étant échoué à Daghvïir, il noua une drôle d'amitié avec un Dragon.
La créature était imposante, gigantesque et impressionnante. Elle provoquait des cauchemars à tous a cause de sa gueule énorme, de ses piques acérées, de ses dents pointues qui ressortaient de ses mâchoires, sans compter son pouvoir. Elle provoquait pourtant en Jarett une fascination démesurée. Le Dragon arborait des écailles rouges comme le sang, brillantes au soleil et plus sombres à la nuit tombée. Parfois, elles semblaient même changer de couleur tout comme ses yeux verts. La créature vivait recluse, et les autres Dragons ne l'approchaient que très rarement à l'exception d'un seul, plus petit, avec qui il avait grandi et évolué. Pour Jarett, l'étrange relation avec l'animal était un cadeau, bien qu'il effrayait ses camarades de part taille imposante qui était impressionnante et son aura puissante.
Il n'y avait rien de plus beau qu'une amitié entre un Homme et un animal, il n'y avait rien de plus vrai, et d'autant plus lorsque le Dragon choisissait son Dragonnier. Il lui offrit une Armure hors du commun, brune, épaisse, faites d'écailles de Dragon. Cette Armure lui vaudrait une place sur le trône à son retour. Jamais encore, aucun dragon n'avait offert son Armure à un Homme.
Cependant, quand il souhaita quitter l'île avec son équipage, la créature refusa. Impossible pour les Dragons de s'éparpiller, ils restaient groupés, ensembles et surtout, ne quittaient jamais Daghvïir.
Jarett ne pouvant se résoudre à laisser tomber son ami, renvoya son équipage sur les Six Terres et resta à Daghvïir. Là, il dût se montrer noble, et surtout, prouver au peuple sa loyauté, sa bonté et sa foi. Ici, les croyances étaient réelles et personne ne pouvait les bafouer. Il était primordial de garder l'équilibre et de respecter ces Terres. C'était des valeurs qui plaisaient à Jarett, des valeurs qu'il ne retrouvait pas ailleurs dans les Six Terres, là où l'Homme en voulait toujours plus, là où le vice vivait dans chaque âme impure.
Lui qui parvenait à obtenir la confiance d'un Dragon si puissant et ancien put se fondre dans la masse, bien que certains restaient réticents à sa venue à Daghvïir. Rapidement, il tomba amoureux d'une femme, leur union n'était pas bien vu à cause de leurs origines différentes, néanmoins, ils eurent un enfant puis se marièrent peu de temps après.
Le roi peina à reconnaître l'enfant mais finit par le bénir comme à chaque naissance. L'enfant se voyait plongé dans la rivière, puis levé vers la lune pleine et arrosé des premiers rayons de lumière du jour. Une prière était récitée pour lui octroyer les dons nécessaires à sa survie. Ainsi, selon le peuple, la Lune et le Soleil choisissaient les dons de chaque nouveau-né.
Ils nommèrent leur fille Thearsis. Plus le temps passa et plus Jarett devint un Daghvïirien, cependant, il abandonna l'Armure qu'il ne portait plus afin de rester égal à son nouveau peuple. Il ne rendait plus aussi souvent visite à son Dragon non plus. Sa femme et son enfant étaient bien plus importants que tout le reste. Il avait enfin construit sa vie et oublia ce pour quoi il était parvenu à être accepté sur ces Terres.
Le Dragon Rouge perdit peu à peu la confiance de son Dragonnier, et vice versa. Il le déchut de l'Armure, se replia dans une caverne accompagné du second Dragon de qui il ne se séparait jamais et ne se montra plus.
Quelques années plus tard, des Hommes rejoignirent de nouveau Daghvïir et la première Guerre éclata. Le peuple refusait toute visite, leurs Terres sacrées devaient le rester et surtout, l'existence des Dragons devait être préservée. Malheureusement, la Guerre fit bons nombres de victimes. Malgré tout, Daghvïir fut sauvé mais Jarett fut jugé pour atteinte à la sécurité de l'île.
Selon le roi, si autant d'innocents avaient été tué lors de ce bain de sang, c'était uniquement de la faute de Jarett et du fait que, quelques années plus tôt, il avait autorisé un équipage tout entier à regagner les Terres outre-mer alors qu'ils avaient vu, de leurs yeux, la richesse de Daghvïir et la valeur des Dragons, leur pouvoir, leur capacité à donner sans jamais rien recevoir en retour.
Jarett fut pendu, malgré toutes les tentatives de sa femme de le sauver. Il fut jugé à l'unanimité comme responsable de la première Guerre. Malgré la rancoeur de son Dragon, sa mort provoqua en lui une terrible douleur, caché au fond de sa caverne, le Dragon pleura jour et nuit. Il est dit que son chagrin provoqua multiples tempêtes autour de l'île et plus personne ne put l'atteindre. Ces tempêtes et ces pluies diluviennes provoquèrent la perte des fruits, des animaux, des insectes...
Thearsis grandit sans son père et sa mère mourut peu de temps après, ne se remettant pas de la perte de son bien aimé. Elle fut élevée par le peuple tout entier et rapidement, lorsqu'ils remarquèrent que, comme Jarett auparavant, elle était capable de nouer des liens forts avec les Dragons, ils commencèrent à la voir comme une bénédiction. Grâce à ce lien, les Dragons chassèrent les tempêtes, ramenèrent le soleil . Les fruits poussèrent de nouveau, les animaux retrouvèrent domicile sur l'île et enfin, la végétation reprit sa place. Daghvïir renaissait.
Elle fut vénérée, elle devint souveraine de Daghvïir encore si jeune et elle prit la place du roi, qui la lui légua sans hésitation. Pour eux, elle devint leur Prêtresse, leur espoir, leur joyau précieux. Daghvïir retrouva sa sérénité malgré le chaos ramené par son père et Thearsis vécut de longues années, sans jamais vieillir.
Néanmoins, vint un jour où le Dragon Rouge sortit de sa cachette, de son interminable sommeil. Il était accompagné d'un second Dragon, un Dragon d'Eau, au corps longs et aux écailles bleutées. Chaque Dragon avait un nom, Thearsis connaissait chacun d'eux, car elle avait le don de communiquer avec eux. Il n'était pas difficile pour elle de lire en eux, de connaître tout d'eux.
Quand elle se trouva face au Dragon Rouge, elle sut qu'il se nommait Kaïs et qu'il était le tout premier Dragon à avoir vu le jour, à avoir nourri cette île et que la perte de son Dragonnier avait brisé la dernière étincelle de lumière en lui. Une haine indescriptible envers l'être humain l'habitait dorénavant, d'une part à cause de l'abandon de Jarett et de l'autre, à cause de sa mort si brutale et douloureuse. Personne ne s'inquiéta de l'état de Kaïs, personne ne se demanda où il pouvait bien se cacher depuis toutes ces années. Personne ne s'occupait de lui, personne ne s'inquiétait pour lui. Et le Dragon d'Eau subissait le même traitement.
Ce fut le seul Dragon sur Daghvïir qui suivit Kaïs dans sa quête de vengeance, et à eux deux, ils détruisirent Daghvïir. Une seconde Guerre éclata, entre un peuple et les Dragons. Beaucoup périrent lors de cette bataille, car seul le Dragon Rouge avait la faculté de se régénérer. Il dévora ses frères et sœurs, il croqua des innocents, détruisit des familles, brûla des forêts entière, piétina des animaux, des chaumières, il écrasa la vie, tout simplement.
Et Thearsis était pour lui, la cause de ce désespoir. À cause de la naissance de Thearsis, il avait perdu son Dragonnier. À cause de la naissance de Thearsis, il n'avait su le protéger.
Alors que l'île brûlait, alors que Thearsis venait de perdre plus de la moitié de ses Dragons et son peuple tout entier, elle se retrouva face au démon, à celui qu'ils avaient nommé Dërva dans leur langue. Elle était agenouillée dans le sable, le visage strié de marques, de brûlures et de suie. Ses larmes l'inondaient, brouillaient sa vue et la chaleur de l'incendie les séchait en quelques secondes.
La créature avait baissé sa gueule à sa hauteur, pour ainsi affronter son regard doré. Le seul regard doré jamais vu sur Daghvïir avant sa naissance.
— Fuis, avait marmonné la voix du Dragon au creux de son oreille. Fuis et je te retrouverai. Je reviendrai sous toutes mes formes pour, à jamais, te hanter...
Après ces mots tranchants qui résonnèrent dans l'esprit de la Prêtresse en de milliers d'échos, six Dragons se jetèrent sur Kaïs pour l'anéantir. Ils venaient tout juste de tuer son seul allié, le Dragon d'Eau. Son corps bleuté gisait sur la plage plus loin, lacéré de griffures, l'abdomen perforé par des morsures et les yeux crevés, son sang se déversait dans la mer déchaînée.
Thearsis s'était relevée et s'était accrochée au Dragon Doré qui s'était présenté à elle. Elle était grimpée sur son dos et l'avait supplié de l'emmener loin de cette île maudite et le plus loin possible de Kaïs.
C'est ce que le Dragon Doré fit, il prit son envol, survola l'océan, le traversa littéralement, pour la mener le plus loin possible de Daghvïir. Thearsis s'était donnée l'excuse des prières, cependant, ce n'était pas elle qui les entendait ces prières, mais les Dragons. Chaque personne qui récitait ces quelques paroles : « Esprits du Ciel, venez à moi. Esprits de la Terre, écoutez-moi. Entendez mon appel et aidez moi à ne plus jamais avoir peur du noir ». Ces paroles étaient celles des plus croyants dans les Six Terres. Tous ces Hommes qui avaient eu vent de l'existence des Dragons et quand bien même cela ressemblait à des légendes, certains espéraient qu'elles soient vraies. Car les Hommes aussi créaient des Guerres et certains espéraient simplement que la paix règne. Pour eux, la paix ne pouvait s'acheter qu'avec la présence des Dragons.
Ce qui fut le cas, quelques temps après l'arrivée de Thearsis et avant son assassinat sur le bûcher. Elle avait fui une île maudite, pour finalement trouver le bonheur et comme son père auparavant, elle fut exécutée par ses prochains. Cependant, elle eut la chance de se réincarner dans le corps de son Dragon.
Kaïs, après la fuite de Thearsis, fut tué par les cinq Dragons restant, ces mêmes Dragons qui furent liés à Démos, Lena, Lauan, Natanaël et Marcus, sans oublier Gorgia, qui se lia au Dragon Doré, à Thearsis elle-même.
Avant sa mort, Thearsis écrivit des lettres qu'elle fit passer par les Dragons au peuple survivant de Daghvïir et dans ces lettres, elle leur inculqua des croyances. Elle leur assura qu'elle connaissait l'avenir et qu'elle leur promettait la paix éternelle. Ainsi, sur ces morceaux de papier qui traversèrent le temps, elle expliqua qu'une nouvelle Prêtresse verrait le jour, que Dërva renaîtrait de ses cendres mais qu'un Dräkir sera choisi pour sauver le monde de la tempête provoquée par Kaïs, le Dragon Rouge, détruit par ses frères.
En fuyant, Thearsis avait ramené avec elle le Mal, et ainsi, empoisonna les Six Terres de son pouvoir, et au fil du temps, Kaïs qui n'avait pas manqué de la suivre, monta une vengeance sanguinaire qu'il était sur le point d'exécuter.
~
Dans les Landes, l'ancre était tout juste jetée, après près de deux mois de navigation sur les mers, ils posaient enfin le pied à terre. Pour le peuple de Daghvïir, c'était un endroit tout nouveau. Les Landes retrouvaient de leur verdure, et les grandes montagnes à perte de vue semblèrent en éblouir plus d'un, l'herbe sèche amusa les enfants, les marais intriguèrent les plus curieux.
Le peuple se reconstruirait, ici, dans les Landes. Ce sera un long chemin semé d'embûches mais tous unis, espéraient voir les prédictions de Thearsis s'exaucer. Peut-être était-ce cela, la paix éternelle qu'elle leur avait promis : quitter Daghvïir pour toujours et laisser l'île se consumer une bonne fois pour toute.
Natanaël aidait tout le monde à rejoindre l'enceinte du château abandonné. Il y avait beaucoup de travail pour rénover la bâtisse et surtout, à leur arrivée, ils durent désarmer les forces de Kaïs. Fort heureusement, les Landes n'étaient pas autant gardées que les autres Terres de part leur manque de population. Alors les gardes Daghvïirien arrêtèrent rapidement la garde Royale des Six Terres. Ceux qui ployèrent le genou devant Natanaël se virent offrir une place au sein de ses rangs et tous ceux qui refusèrent furent exécutés par les gardes Daghvïirien, comme le faisait Artys jadis : ampalés sur une pique, près des marais pour que quiconque oserait approcher et défier le roi des Landes et son armé, soit alors averti de ce qui l'attendait.
Natanaël les laissait agir comme ils le faisaient sur l'île, afin de leur laisser une certaine liberté. Les gardes avaient leur façon de se battre, de punir et cela lui convenait.
Aeria quant à elle, approcha de l'entrée du château alors qu'autour, les valises et caisses étaient posées, du monde déambulait pour explorer les lieux. C'était étrange que de revoir autant de monde dans la cour du château, cela la ramenait deux ans en arrière, lorsqu'elle était arrivée dans les Landes.
Une caisse à la porte retirée de ses gonds attira son attention. Elle la prit, étonnamment lourde et lorsqu'elle l'ouvrît, son cri interpella toute la foule autour. Natanaël lâcha le sac qu'il portait et se précipita vers elle. Elle venait de lâcher la caisse et s'était laissée tomber à genoux, les larmes dégringolaient sur ses joues, son cœur palpitait. Le rugissement de Chaos vint couvrir l'agitation qui gagnait la foule cependant, Aeria n'entendait plus rien. Elle s'accrocha au bras de Natanaël, sans cesser de pleurer.
— Pourquoi a-t-il fait cela ?! Pourquoi ?! hurlait-elle, haletante. Pourquoi Natanaël... ! Je ne peux pas... je ne peux pas !
Ce dernier la gardait près de lui. Il contrôlait parfaitement ses émotions mais était aussi capable de comprendre la réaction d'Aeria puisque dans cette boite en bois se trouvait le petit corps de son chat, Flocon. C'est Hervos qui ramassa le morceau de papier posé sur son pelage blanc tâché de sang.
« Les petits animaux ne sont rien, face aux grands prédateurs. Réfléchis Aeria, si tu me résistes, alors je continuerai de tuer chaque être qui t'es cher.
~ Kaïs. »
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