XXVI - Un vrai roi ne quitte jamais ses Terres

Aeria était allongée, blottie contre le torse de Natanaël qui gardait son bras derrière sa tête. Il fixait le plafond et appréciait les douces caresses qu'elle lui offraient sur sa peau. Ses doigts fins parcouraient ses muscles, puis redessinaient ses cicatrices. Pour une fois, il se laissait toucher, sans rechigner, sans ce sentiment de honte concernant toutes ces marques. Ses brûlures s'étaient atténuées, bien que sa peau était encore très abîmée. Tous deux étaient nus, blottis l'un contre l'autre, le corps partiellement couvert par les draps.

— Cette Anastasia semble vous apprécier, souffla Aeria ce qui brisa le silence.

— Nous avons traversé beaucoup de choses en très peu de temps, rétorqua Natanaël.

— Elle parle beaucoup de vous, je suppose qu'elle n'est pas insensible à votre charme.

Natanaël lui jeta un regard, les sourcils haussés et l'air amusé.

— Seriez-vous jalouse ?

— Absolument pas, mais il est mal de convoiter un homme marié.

— Techniquement, nous ne sommes plus mariés, Aeria. Vous avez dit oui à un autre homme et vous ne portez plus d'alliance.

Aeria se redressa, appuyée sur son coude. Elle observa Natanaël, ses longs cheveux encadraient son visage et la rendait encore plus lumineuse.

— Vous m'en voulez.

— Non, j'en veux à Kaïs d'avoir volé ma femme.

Tout chez Natanaël attirait Aeria et quand bien même ils s'étaient liés deux fois d'amour en l'espace de quelques heures, elle espérait que cela recommence encore. Lorsqu'il lui faisait l'amour, une sensation de bien-être habitait la jeune femme, elle en oubliait tout ses problèmes. C'était comme voler avec un Dragon, cela lui faisait le même effet à quelques détails près.

Elle saisit la main de Natanaël et elle observa la bague autour de son annulaire. Elle toucha ses doigts, ses paumes rêches. Il avait quelques égratignures, ses veines ressortaient légèrement et ses doigts étaient épais.

— Vous ne l'avez jamais enlevée ? demanda-t-elle.

— Non, jamais.

Il la fixait, elle et son corps dissimulé sous les draps, elle et ses cheveux flamboyants, elle et son insouciance disparue. Natanaël s'assit à son tour tandis qu'Aeria tint le drap contre sa poitrine.

— Ce n'est pas grave si vous n'avez plus votre alliance, reprit-il. Après tout, ce mariage n'était pas une réussite.

— Vous n'êtes donc jamais en colère après moi ?

— Bien-sûr que si, je l'ai été tellement de fois Aeria. Je vous ai haïs lorsque vous avez eu votre petite aventure avec Harold, j'ai eu envie de vous...

Il se pinça les lèvres et se tut.

— De me...? s'amusa Aeria. Me tuer ? Me frapper ? M'étrangler ?

— C'est une chose à laquelle je ne peux plus songer à présent. Je regrette même de l'avoir pensé un jour.

Aeria sourit légèrement puis se pencha en avant pour se rapprocher de lui.

— Quelles sont vos pensées à présent ?

Il vit cette étincelle de malice dans son regard alors il la saisit pour la coucher sur le dos et se posta au dessus d'elle, le corps collé au sien, peau contre peau.

— Je peux vous le montrer, marmonna-t-il.

À la suite de quoi, il l'embrassa avec tendresse. Des baisers dont Aeria ne se passerait jamais et alors que la tension montait petit à petit comme à chaque fois, on tambourina à la porte.

Natanaël se redressa, quitta le lit pour enfiler ses pantalons à la hâte au moment même où la porte s'ouvrît sur Hervos. Aeria remonta rapidement les draps pour cacher sa nudité les yeux grands ouverts alors que Natanaël ramassait tout juste sa veste.

— ... eh bien, on dirait que les activités changent de chambre en chambre ici, commenta Hervos.

— Que se passe-t-il ? demanda Natanaël en ignorant la remarque sarcastique de son ami.

— Harold est réveillé et... il a beaucoup de choses à dire.

Natanaël poussa un profond soupir, il se rhabilla, s'attacha en partie les cheveux puis jeta un regard à Aeria qui lui it signe d'y aller, elle comptait les rejoindre bien rapidement. Alors il suivit Hervos dans les couloirs du palais abandonné. Aucune décoration ou très peu, la peinture craquelait sur les murs couverts d'humidité à certains endroits.

Ils rejoignirent rapidement les appartements dans lesquels Harold reposait. Il était assis sur son lit, le visage dégagé de toutes ces algues. Tout le côté droit de sa face était brûlé, sa peau était rouge, luisante et boursouflée à certains endroits. Une partie de son sourcil avait disparu et son cou n'était pas épargné. Heureusement, il lui restait des cheveux. Anastasia était assise près de lui, elle se leva lorsque les deux hommes entrèrent dans la pièce. Natanaël s'arrêta devant le lit et observa Harold un instant.

— Je ne suis pas très beau à voir, pas vrai... soupira-t-il.

Sa voix était encore cassée, sa respiration sifflante. Il était amoché mais était tiré d'affaire.

— Laissons le temps guérir tes blessures, répondit Natanaël.

— Harold, dis-leur ce que tu m'as dit, intervint Anastasia les bras croisés.

Il poussa un long soupir, les yeux dans le vague, les mains sur les couvertures.

— Nous devons quitter cette île le plus rapidement possible.

— Pourquoi ? interrogea Natanaël.

— Parce que si nous restons, nous mourrons.

Harold releva la tête vers Natanaël qui restait droit, les bras croisés sur son torse.

— Pourquoi mourrions-nous si nous restions ? s'enquit Aeria qui entrait juste dans la pièce.

Le visage d'Harold s'illumina et il lui offrit un sourire qu'elle lui rendit. Rapidement, il reprit ses esprits et la joie qui venait de traverser son visage disparut bien rapidement.

— Je ne sais pas, je l'ai vu, c'est tout. J'ai vu cette île être totalement détruite. Si nous restons, nous périrons et le peuple qui habite ces Terres aussi.

— Tu as... rêvé ? soupira Natanaël.

— Je sais que tu ne me croiras pas, tu seras sûrement le seul d'ailleurs.

— Je suis simplement logique, on ne peut pas rêver l'avenir.

— Je le sais, je le sens, c'est tout ! Comme j'ai senti que tu courais un grave danger en te présentant à ces jeux stupides à Dranne !

— Harold, calmes-toi... souffla Aeria.

Elle s'assit au bord du lit et posa sa main sur la sienne. Elle lui adressa un chaleureux sourire qu'elle voulait rassurant.

— Dis-nous ce que tu as vu dans ce rêve.

Natanaël leva les yeux au ciel et s'écarta du lit, peu crédule. Heureusement, Harold ignora son comportement.

— J'ai vu du feu réduire en cendres tous ces magnifiques armes, j'ai vu la mort détruire la vie, j'ai entendu les cris, les supplices, les plaintes... Je vous assure que nous devons partir. Ce n'est pas ici que nous pourrons nous battre contre Kaïs.

— Imaginons que ce soit vrai, comment pourrions-nous convaincre ce peuple ?

— Aeria, gronda Natanaël, vous ne pouvez pas croire de telles choses ?

— Si, je le crois. Parfois, nous pouvons voir ou ressentir des choses inexplicables. Si la réincarnation existe, si les pouvoirs existent, si les dragons existent... pourquoi ce que dit Harold serait faux ? Vous êtes bien immortel, c'est tout aussi fou que des prédictions.

Natanaël haussa les sourcils mais demeura silencieux.

— Il n'y a que vous, Monsieur Astassard, qui pouvez convaincre ce peuple de quitter l'île, déclara Anastasia.

— Je leur dis quoi au juste ?

— Que Dërva arrive, rétorqua Aeria. Et qu'il ne laissera sa chance à personne.

~

Dans la salle de trône, le roi était assis sur son siège, comme à son habitude. Dès les premiers rayons de soleil, il quittait ses appartement et s'asseyait sur son siège. Dans les Six Terres, les activités des rois étaient diverses. Entre la chasse, les bals, les repas, les promenades, les quémandes, les impôts... ils en avaient des choses à faire. Artys, lui, restait sur son trône la plupart du temps. Sa vieillesse, sa fatigue et sa maladie le poussait à ne plus sortir, du moins, il sortait le moins souvent possible.

Quand Natanaël entra dans la pièce, il brisa sa sérénité matinale. Le roi se redressa sur son siège, son sceptre en main et il l'observa s'approcher des marches menant jusqu'à lui. Natanaël posa son genou à terre, mais le roi lui ordonna de se relever aussitôt.

— Le Dräkir ne se soumet jamais, même au roi, bougonna-t-il.

— Je ne sais pas ce que cela signifie, je n'ai pas été éduqué comme vous.

— Le Dräkir est l'être immortel dans nos légendes, celui qui peut combattre Dërva sans craindre la mort. Le Dräkir est le sauveur de Daghvïir.

— Dans les légendes, poursuivit Natanaël. Mais nous sommes dans la vie réelle, votre Grâce et justement... un danger approche.

Artys plissa les paupières, l'air inquisiteur. Sa barbe rousse et blanche était parfaitement taillée et malgré son âge avancé, il paraissait toujours plus jeune. Sa peau n'avait pas de défauts, pas de tâches, quelques rides, mais toujours bien situées, rien de grossier.

— Dërva va détruite Daghvïir.

Artys pouffa de rire puis s'appuya contre le dossier de son trône. Un trône en or, pour compléter l'immense richesse de la pièce.

— Il l'a déjà détruite et tout a repris vie.

— Mais les personnes qui y vivaient sont mortes. Si nous ne quittons pas l'île, alors nous mourrons.

— Je ne quitterai pas l'île et mon peuple ne quittera pas l'île.

— Vous les menez tous à une mort certaine.

— Je suis leur roi, quand bien même votre immortalité font de vous un espoir pour eux... je reste leur roi.

Natanaël se mordilla les lèvres, Artys avait la tête dure, impossible de le convaincre d'une chose qu'il interdisait à son peuple tout entier.

— Je suis persuadé que vous avez une flotte, je suis persuadé que vous récupérez les bateaux échoués et que si nous les remettons d'aplomb, nous pourrions quitter cet endroit en une semaine.

— Mais cela n'arrivera pas ! s'offusqua le roi en frappant son sceptre sur le sol.

Il se leva ensuite, descendit les marches et s'arrêta face à Natanaël qui le dépassait d'une tête.

— Osez défier mon autorité... votre pouvoir ne m'impressionne pas, pesta-t-il au visage de celui qu'il nommait Dräkir.

Natanaël garda le menton levé, les lèvres retroussées. Il faisait confiance à Aeria et si elle disait qu'il devait croire Harold, alors il le croyait.

— Je ne vais pas attendre votre aval pour en informer votre peuple. Je suis navré de ne pas pouvoir suivre vos ordres, votre Grâce. Cependant, je ne fais pas partie de votre peuple, je ne suis pas Daghvïirien, je suis né dans les Landes et je refuse de laisser un peuple tout entier mourir à cause de l'orgueil de leur roi.

Artys le toisait avec dédain, déception et rancoeur. Il y avait de quoi mais il savait aussi, sans réellement connaitre Natanaël, qu'il ne parviendrait pas à le faire changer d'avis. Deux fortes têtes l'une contre l'autre : c'était déjà perdu d'avance.

— Où se trouve votre flotte ? insista Natanaël.

— Je ne vous dirai rien.

Le roi lui tourna le dos pour rejoindre son trône.

— Vous allez tuer votre peuple tout entier ! Contrairement à la première fois, au premier roi, vous avez la possibilité de les sauver ! Alors dites-moi où est cette flotte !

— Au sud de l'île, sur les plages de sable blanc, intervint une voix féminine.

Natanaël se retourna pour ainsi apercevoir Irënia s'avancer vers lui. Elle s'arrêta à côté de lui et sonda le regard de son roi. Un regard qui en disait long et des yeux rouges de colère.

— ... et je partirai avec eux, reprit-elle.

— Irënia, nostra eïtu... vociféra le roi.

— Je vous ai écouté toute ma vie, Père. Aujourd'hui, je veux découvrir le reste du Monde. Aujourd'hui, je ne souhaite pas laisser mon fils mourir sur cette île car vous refusez de vous ouvrir à une autre culture. Notre Terre est perdue, Père... Il est temps de lui dire Adieu. Dërva ne nous laissera jamais tranquille. Nous devons abandonner Daghvïir et nous reconstruire, ailleurs.

— Nos gènes seront perdus à jamais si nous faisons cela !

— Non, rétorqua-t-elle aussitôt. Nous diversifierons nos origines, nous partagerons nos dons avec le monde. De nouveaux enfants naîtront et...

— Des enfants comme Aeria ? l'interrompit le roi.

— Aeria est Daghvïirienne de sang pur.

— Edhmir était un traître !

— Non ! Il était tout ce pourquoi je vivais, gronda Irënia les larmes aux yeux. Il a choisi la liberté ! Et moi... j'ai choisi d'abandonner mon enfant et mon époux pour rester auprès de mon Père... mais aujourd'hui je refuse qu'Amiliën meure ! Je n'abandonnerai pas une nouvelle fois mon enfant.

Irënia se tourna vers Natanaël. Elle essuya ses larmes d'un revers de la main.

— Rendez-vous au Sud de l'île, sur les plages de sable blanc, il y a plusieurs navires. Il vous faudra les remettre en état rapidement. Je vais me charger de parler au peuple.

Elle marqua une pause puis jeta un regard à son père.

— Ils auront le choix de nous suivre ou de rester ici, poursuivit-elle.

Natanaël recula d'un pas puis d'un autre. Il croisa le regard du roi qui relevait tout juste la tête, les lèvres retroussées, en colère.

— Un vrai roi ne quitte jamais ses Terres ! cria-t-il lorsque Natanaël lui tourna le dos pour quitter la pièce. Vous ne serez jamais un vrai roi Natanaël ! Vous n'êtes qu'un roi déchu.

Il poussa les portes qu'il laissa claquer derrière lui. Il s'arrêta un instant, les mâchoires serrées. Il ferait tout pour être un bon roi, comme il avait tenté de le faire dans Les Landes. Quand bien même il avait perdu ses Terres lors de l'attaque de Lauan deux ans auparavant, au moins, il avait sauvé son peuple tout entier.

Il n'avait pas trouvé d'armes capables de détruire Kaïs, car visiblement, cela n'existait pas et le trésor dont avait parlé Lauan n'était autre que tout l'or qu'abritait l'île. Ce détour n'avait servi à rien, si ce n'est à tenter une nouvelle alliance et peut-être rallier une armée de leur côté.

Néanmoins, ce détour lui avait permis certaines choses : comme celle de retrouver Aeria.
Ou celle de retrouver la hargne d'un roi, déchu ou non.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top