XXIV - Solitude

Des carafes de vin vidées, un bureau sans dessus dessous. Natanaël demeure ivre depuis des jours. Il ne quitte plus son bureau, il a détruit sa maquette, déchiré des livres dans lesquels les Dragons étaient mentionnés.

C'est comme s'il se laissait dépérir petit à petit. Natanaël est un homme qui se contient, c'est ainsi que son père l'a éduqué ; ne jamais montrer ses émotions, ne jamais pleurer. Pour son père, seule la colère était exploitable.

Maintenant, sa colère est passée, alors il laisse place à la solitude et l'alcool.

Quelqu'un frappe à la porte et entre, de toute façon, le roi n'aurait rien répondu. Il refuse toute visite depuis des jours.

— Natanaël...

Il reconnaît la voix d'Hervos. Cependant, le roi est avachi sur la chaise de son bureau, face à sa fenêtre, un verre de vin à la main, la broche de son épouse dans l'autre. Il est débraillé, décoiffé, les yeux cernés, les lèvres sèches.

— Ne reste pas là, bougonne-t-il. Prends ta femme et tes enfants et quitte Les Landes tant que tu le peux. Fais en sorte que le peuple te suive, cela évitera bien des morts inutiles.

Hervos rejoint Natanaël, se poste devant lui afin qu'il daigne le regarder.

— Vous allez les laisser vous écraser ? s'étonne son ami.

— Mon armée est trop pauvre.

— J'ai été chevalier des années durant, je peux entraîner ceux qui souhaitent défendre ces Terres. Vous savez que le peuple des Landes refusent que cette Terre appartiennent de nouveau au roi Lauan. Alors, battons-nous.

— Ils ont un dragon.

Hervos attrape le verre de Natanaël et le jette sur le sol, tachant le plancher du liquide pourpre qu'il abritait. Le roi se lève de son siège et le fusille du regard, quelque peu branlant suite à tout l'alcool ingurgité.

— N'y a-t-il pas eu un temps où vous montiez sur le dos des Dragons ?

— Je n'ai plus de Dragon, cela fait bien longtemps.

— Et alors ? Vous savez le faire ! Récupérez le Dragon que vous avez offert à votre femme !

— On ne vole jamais le dragon d'un dragonnier.

— Eux vous voleront tout, absolument tout.

Natanaël garde un regard vague, perdu dans ses pensées. Il baisse la tête, le corps penchant anormalement sur la droite.

— L'histoire se répètera si vous ne faites rien... reprend Hervos. Je suis votre seul confident, je suis le seul à connaître votre histoire et je vous fais entièrement confiance. Cependant... ce n'est pas une guerre que je pourrai mener seul. Il est temps que les choses changent et que Les Landes soient défendues pour ce qu'elles valent.

Natanaël pousse un profond soupir, il se tourne vers la fenêtre et pose sa main sur le mur à côté, il fixe l'horizon, les marais, le sommet de la montagne au loin... Il semble ailleurs, mais il sait également qu'il peut compter sur Hervos, et ce, depuis toujours.

— Vous m'avez sauvé une fois, vous m'avez vu grandir et devenir l'homme que je devais être. J'ai fait des erreurs, tout comme vous. Cependant, j'aimerais moi aussi vous aider, Natanaël.

Ce dernier ne rétorque rien, il serre et desserre ses mâchoires. Il garde la broche dans sa main, comme si cela lui ramènerait sa femme ou qu'elle pourrait apparaître soudainement et lui dire quoi faire, l'aider à trouver son chemin.

— Il est temps que Les Landes sachent la vérité et toutes personnes refusant de vous suivre, se verra libre de quitter ces Terres pour trouver refuge ailleurs. C'est votre peuple, ce n'est pas le peuple d'Aeria ou de Lauan. Ils vous écouteront.

— Ils partiront, rectifie Natanaël.

— Alors nous resterons, vous et moi, pour nous battre.

— Je préfère me battre seul, rétorque-t-il en se tournant vers son ami.

Hervos relève le menton.

— Je vais leur dire la vérité, reprend le roi, car celle-ci éclatera au grand jour, il est trop tard pour me cacher maintenant. Je ferai en sorte qu'ils partent d'ici, tous sans exception et tu feras de même, en emmenant ta femme et tes filles avec toi.

— Vous terrer dans la solitude ne vous aidera pas.

Natanael pose sa main sur l'épaule de son ami et la presse amicalement.

— Je ne cherche pas à être aidé. Cette guerre est personnelle, vous le savez.

Hervos pose sa main sur la sienne et la serre légèrement, l'expression qui anime son visage laisse entrevoir de la tristesse, peut-être même de la déception. Malgré ses erreurs, Hervos aimait combattre. Dorénavant, il n'a plus la possibilité de manier une épée mais préfèrerait rester auprès du roi, afin de l'aider dans cette guerre.

— Je te demande, s'il te plaît, d'écrire une missive en mon honneur et de l'envoyer dans tous les villages alentours, il faut aussi qu'elle passe les Cinq Terres, Lauan doit être informé que son stratagème ne fonctionne pas sur moi. Notre monde en sera averti bien avant qu'il n'ait eu le temps de le faire à ma place. Cela te prendra du temps mais je compte sur toi.

Hervos hoche la tête et s'avance vers la porte. Il pose sa main sur la poignée mais s'immobilise un instant.

— Je continue de croire que je devrais rester... souffle-t-il.

— Je te préfère loin d'ici, en sécurité. Si je t'ai épargné une première fois, ce n'est pas pour te voir mourir pour moi.

Hervos ravale sa fierté et quitte le bureau, laissant la porte se refermer derrière lui. Il ne tardera pas à rédiger une missive pendant que Natanaël rassemble la cour de son château, afin de les avertir des évènements à venir et de la vérité que le roi tente d'exposer contre lui.

Il se tient sur le perron de son domaine, son petit peuple au pas des escaliers, se demandant pour quelle raison les a-t-il réuni. Le roi croise ses mains devant lui, le menton levé, toujours vêtu de son accoutrement noir, cet air fier ne le quittant pas. Après un bon bain chaud, il retrouve peu à peu ses esprits, quand bien même, sa raison est embrumée par sa peine qu'il tente de dissimuler derrière son masque impassible.

— Si je vous ai réuni aujourd'hui, c'est pour vous exprimer la sincère gratitude que j'ai envers chacun de vous. Vous avez aidé à ce que ce domaine reste en état, vous avez combattu lorsque des colons tentaient de nous déchoir de nos droits. Je ne m'exprime que peu en public... cependant, aujourd'hui est un jour spécial.

Natanaël marque une pause, personne ne parle, tout le monde l'écoute, pendu à ses lèvres. Il a su se faire respecter, parfois par la force, d'autres par l'autorité. Il n'a pas été clément avec son peuple, il a toujours été jugé impitoyable et il l'était, jusqu'à ce qu'il rencontre Aeria et que la rousseur de sa chevelure lui rappelle amèrement celle de sa défunte épouse.

— Je souhaitais être sincère avec vous, pour une fois... Je m'appelle Natanaël Astassard, mon nom n'a jamais été encré dans les livres, car si tel était le cas, je les détruisais et détruisais également son auteur.

Il inspire profondément par le nez, il remarque la mine interrogée de son peuple.

— Je suis âgé de cent trente et un ans, et il y a cent ans, presque jour pour jour, la Guerre du Feu a ravagé ces Terres. Je n'ai pas vieilli et je n'ai jamais succombé à mes blessures. Je suis l'homme qui a détruit Les Landes. Je suis l'homme qui a éradiqué les Dragons et qui a conçu l'arme capable de percer l'Armure des Dragonniers.

Quelques chuchotements se font entendre, la plupart semblent outrés, certaines protestations fusent. Le peuple se sent probablement trahi, notamment car Natanaël s'est proclamé roi des Landes il y a seulement une vingtaine d'années. Ils avaient foi en leur souverain.

— Je vous demande, aujourd'hui, de quitter Les Landes vers d'autres Terres. La guerre est en marche et nous ne pourrons l'arrêter cette fois. Je vous ai suffisamment menti. Je veux que ce soir, vos affaires soient rassemblées et que vous preniez la route pour quitter cette Terre. À tout ceux qui souhaiteraient déjouer mon autorité, je vous punirai en conséquence.

Alors que le peuple commence à riposter, à protester, Natanaël, lui, rentre dans sa demeure et laisse les portes du domaine se refermer derrière lui. Il relève la tête face à ses domestiques, tous semblent encore sous le choc de cette annonce. Natanaël redresse ses épaules et lève son menton.

— Je n'ai plus besoin de vous, retrouvez vos familles et partez dès que possible.

Après cela, il monte les escaliers et s'enferme dans son bureau. Il passe le reste de la journée, face à sa fenêtre, à observer son peuple s'affairer pour rassembler leurs affaires. Les feux dans les chaumières s'éteignent, les écuries se vident, le marché est abandonné et les familles partent les unes après les autres, dès que les marais le permettent.

Natanaël tourne la broche de sa dulcinée dans sa main, lui jette un coup d'oeil et se pince les lèvres.

— Nous savions que ce jour arriverait, commence-t-il d'une voix basse. Je n'ai d'autres choix que de faire face à notre passé, ma douce...

Le soleil se couche lentement, sur une cour royale de moins en moins animée. Les minutes s'écoulent, les heures passent et les gens partent, un dernier regard vers Les Landes, les Terres sur lesquelles la plupart ont grandi, comme Natanaël, jadis. Aujourd'hui, il en est prisonnier.


« Chers compères,

Ces quelques mots vous sont adressés en raison de la guerre à venir. Avant que cette nouvelle vous parvienne par la missive du roi Lauan, je fais coucher sur papier, la vérité sur notre monde et sur qui je suis.

Il n'est plus question de me cacher, ni de vous mentir. Il convient que les Cinq Terres sachent qui règne sur Les Landes.

Cette missive sera envoyée dans la plupart des foyers de vos Terres et il conviendra de la partager autour de vous.

Je suis le dernier Dragonnier en vie, je suis celui qui a détruit Les Landes, celui qui a éradiqué les Dragons et leurs Dragonniers, sans oublier que je suis celui qui a orchestré la Guerre du Feu.

J'attends, sans étonnement, vos armées à mes portes. Sachez néanmoins que je ne me rendrai pas. Pour récupérer ces Terres, il faudra tout d'abord me tuer.

Les Landes m'appartiennent, le trésor que je protège est bien trop précieux pour m'avouer vaincu si facilement.

Je vous attends.

Avec tout mon respect,
Natanaël Astassard. »

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