XXIV - Regain de tendresse

Sur la coiffeuse étaient posés une carafe d'eau et quelques verres sur un plateau d'acier. Aeria en servit deux verres dont un qu'elle tendit à Natanaël qui rentrait juste dans la pièce. Il en but une gorgée sans la lâcher des yeux. Elle semblait fatiguée mais sa beauté ne fanait jamais.

— Alors comment vous sentez-vous ? Demanda-t-il pour briser le silence.

Elle haussa simplement les épaules et s'appuya contre la coiffeuse.

— J'ai connu des jours meilleurs.

— Je sais que perdre son Dragon est une terrible épreuve à surmonter.

Aeria baissa le regard tout en se pinçant les lèvres.

— Quand vous avez perdu Jade, comment avez-vous fait pour passer outre la douleur ?

Natanaël termina son verre qu'il garda dans ses mains. Il avançait dans la pièce pour observer les moulures au plafond.

— Je possédais l'Armure de Thearsis, je suppose que c'est ce qui m'a sauvé et malheureusement, j'ai engendré un massacre peu de temps après. Perdre mon Dragon et ma femme en l'espace de quelques minutes à créé une rupture en moi que je n'ai jamais su réparer. Alors, pour répondre à votre question, je ne suis jamais passé outre cette douleur, j'ai seulement appris à vivre avec.

Aeria posa son verre sur le plateau et le suivit des yeux. Il n'y avait pas un seul jour sans qu'elle ne pense à Thearsis, sans qu'elle ne revoit cette scène tragique et déchirante et qu'elle ne se souvienne de cette terrible douleur qui ralentissait son coeur.

— J'ai cru mourir avec elle, avoua-t-elle les yeux dans le vide. J'ai senti mon coeur se serrer si fort dans ma poitrine, je me noyais dans mon chagrin et je ne parvenais plus à respirer. C'était horriblement douloureux...

Natanaël se retourna pour la regarder.

— Je ne comprends pas ce qu'il s'est passé mais... balbutia Aeria.

Il avait ressenti exactement la même chose ce jour-là, il n'avait jamais su pourquoi son coeur était sur le point de s'arrêter bien qu'il avait songé à la mort du Dragon.

— ... mais Kaïs m'a tendu la main, je l'ai saisi et...

— Et vous avez survécu, l'interrompit-il.

Elle hocha la tête.

— Kaïs n'est pas n'importe qui, Natanaël.

— Oui, je suis au courant. Il est celui qu'ils nomment Dërva ici, ils le prennent pour un démon, un Dragon qui a détruit leurs Tetres il y'a des siècles.

Aeria s'avança vers lui, sans le lâcher du regard. À vrai dire, difficile de ne pas s'y perdre, dans cet océan perçant et troublant.

— C'est le fils de Thearsis...

Natanaël plissa les paupières.

— Thearsis s'est réincarnée Natanaël, c'était une femme avant d'être un Dragon et Kaïs est né il y a plus de cinq cents ans.

Était-il immortel lui aussi ? Ou bénéficiait-il simplement de la vie éternelle ? Entendre Aeria prononcer les mêmes mots que Gorgia cent ans plus tôt lui fit quelque chose, c'était inévitable. Il s'arrêta devant la porte fenêtre ouverte et observa la lune au loin, illuminant le ciel jonché d'étoiles.

— Natanaël ? Appela Aeria, remarquant son silence.

Elle le rejoignit et s'arrêta près de lui, les yeux fixés sur l'horizon à son tour.

— Thearsis était une femme réincarnée dans un dragon et Kais... serait un Dragon réincarné dans le corps d'un homme ?

— C'est cela, affirma-t-elle.

Natanaël poussa un soupir puis se frotta le visage frénétiquement.

— Très bien... après tout, peut-être est-ce possible.

— Évidemment que ça l'est. J'entendais Thearsis parler, je comprenais sa pensée. Elle m'a appris tellement de choses... et elle était bien trop humaine pour n'être qu'un simple animal.

Natanaël serra ses mâchoires, quelque peu coupable. Il avait blâmé Gorgia sur tout ce qu'elle lui disait, son discours était le même et à cette époque, il ne la croyait pas. Il l'avait laissée seule, dans sa descente aux enfers. Il se tourna vers Aeria puis l'observa quelques instants. Elle ressemblait à Gorgia, de part sa beauté, ses cheveux roux, sa façon de parler et pourtant, les deux femmes avaient deux caractères différents. Gorgia était plus grande, plus fine, quand Aeria arborait des formes plus généreuses.

— Cela vous paraît fou... souffla-t-elle.

— Non, je vous crois Aeria.

Il passa une mèche de ses cheveux derrière son oreille. Elle avait abandonné sa longue tresse pour laisser libre ses longs cheveux de feu. Cette attention la fit frémir, dorénavant envoûtée par le regard de Natanaël, elle était tout bonnement pendue à ses lèvres. Il laissa glisser le dos de sa main sur sa joue. Hésitante, elle se rapprocha de lui, puis doucement, elle se blottit contre son torse chaud. Elle colla sa tête contre lui, bercée par les battements lents de son coeur, puis elle sentit ses bras protecteurs l'entourer pour la serrer, ce qui lui fit aussitôt fermer les yeux.

Ce sentiment de sécurité qu'elle n'avait connu avec personne d'autre l'envahit, procurant en elle une explosion de soulagement. Elle ne se sentait plus seule, ni triste, ni épuisée, simplement bien, entre les bras de l'homme qu'elle aimait.

— Vous êtes blessé, murmura-t-elle.

— Je vais bien.

Ses brûlures le faisait souffrir mais on lui avait confectionné un remède à base d'algues gluantes qui avait su apaiser ses douleurs, au moins pour quelques temps.

Aeria se détacha de lui, leva la tête puis sonda son regard.

— Vous m'avez manqué, Natanaël.

Il la gardait près de lui, car si elle s'éloignait, il n'était plus certain qu'ils pourraient de nouveau profiter d'un moment tel que celui-ci. Que leur réservait le futur ? Seraient-ils de nouveau séparés ? C'est comme si la vie ne voulait pas d'eux réunis, comme si tout était fait pour les briser, les séparer, les détruire.

— Vous aussi, vous m'avez manqué.

Elle se percha sur la pointe des pieds, les mains appuyées sur ses épaules. Elle approcha son visage du sien, leurs lèvres n'étaient plus qu'à quelques centimètres, si bien qu'une sensation d'électricité passait entre leur deux corps serrés. Une sensation de vie intense les parcourut, parce que l'amour provoquait un regain de vitalité en n'importe qui.

Finalement, leurs lèvres se scellèrent en un baiser passionné. Goûter de nouveau ses lèvres provoqua une tornade dans la poitrine d'Aeria. Elle l'avait rêvé tant de fois, sans vraiment comprendre ce que ce rêve signifiait et le voilà qui se réalisait, enfin. Elle laissa glisser ses mains sur son torse dessiné et parsemé de cicatrices puis lui ôta sa veste qu'il laissa tomber sur le sol. Il s'écarta d'elle légèrement pour la regarder, la voilà qui respirait beaucoup plus fort, tout comme lui. Impossible de contrôler le désir qui les animait, il prenait possession de leur corps et il leur était impossible de faire marche arrière.

— Redites-moi ce que vous m'aviez dit ce jour là, à Hazanel, murmura Natanaël.

Aeria s'était déjà libérée de son manteau et de ses bottes trop serrées. Elle recula d'un pas, puis d'un autre, sans lâcher son ex époux des yeux. Elle détacha lentement sa chemise, bouton par bouton, dévoilant lentement, sa peau laiteuse dont Natanaël rêvait encore.

— Pourquoi souhaitez-vous que je vous le redise ? demanda-t-elle en laissant tomber sa chemise.

Natanaël retroussa ses lèvres, la dévorant du regard, épris de désir, pour une fois incapable de se contrôler.

— Je veux l'entendre, encore une fois, rétorqua-t-il le regard sombre.

Aeria détacha sa ceinture, puis son pantalon qu'elle laissa glisser à ses chevilles.

— Je vous aime, Natanaël, articula-t-elle.

Cette simple phrase réveilla en lui toute son humanité. Il s'avança vers elle, saisit sa nuque et l'embrassa fougueusement. Elle se laissa faire, hypnotisée par ses baisers, par ses mains rêches qui descendaient au creux de ses reins. Il l'embrassa sur la joue, puis dans le cou, ce qui la força à pencher la tête sur le côté, le souffle court, le coeur martelant sa poitrine.

— Et moi, je vous veux, lui susurra-t-il à l'oreille.

Il la possédait déjà, elle était toute à lui depuis près de deux ans maintenant. Son amour pour lui la dévorait, et jamais encore elle n'avait ressenti cela pour quelqu'un.

Elle s'agrippa à son pantalon, dans l'espoir de lui enlever lorsqu'il la souleva pour l'asseoir sur la coiffeuse, renversant même le plateau sur le sol en marbre. Elle lui baissa ses pantalons, saisit son visage pour le regarder.

— Alors ne m'abandonnez plus jamais, demanda-t-elle.

— Jamais, rétorqua Natanaël.

Après quoi, il saisit fermement ses hanches, puis s'unit à elle délicatement. Aeria poussa un gémissement, s'accrocha à ses épaules qu'elle griffa légèrement, malgré ses blessures, Natanaël ne sentit rien, enivré par son désir, son corps tout entier ne ressentait plus la douleur. Seul le plaisir avait sa place, Aeria serra ses jambes autour de ses hanches, colla ses lèvres contre les siennes et s'efforçait de ne pas crier à chacun de ses vas et vient.

Natanaël lui donnait du plaisir, réchauffait son coeur, réconfortait son âme, et la faisait sentir plus vivante et libre que jamais. Si bien que, se sentant aussi paisible dans ses bras, Aeria laissa couler quelques larmes lorsqu'il la serra contre lui, grognant de plaisir. Elle mordillait la peau de son cou, gémissait chaque fois qu'il entrait en elle, des frissons parcouraient son échine toute entière et ce moment aurait dû durer des heures, si ce n'est pour l'éternité. Car chaque fois qu'ils s'unissaient, ils se séparaient ensuite comme si leur amour était impossible.

Alors, même lorsque le coït prit fin, Aeria resta accrochée à Natanaël, la tête sur son épaule et les larmes inondant ses joues rosies par l'excitation qui avait gagné son corps. Il ne la repoussa point, il la garda près de lui mais savait qu'elle sanglotait en silence.

Cela lui rappela l'une des dernières conversations qu'il avait eu avec Gorgia, peu de temps avant la Guerre du Feu.

~

Tout deux allongés dans le lit marital, Gorgia était blottie contre son époux, totalement nue et Natanaël laissait aller et venir sa main sur son bras aux poils hérissés par sa caresse.

— Pourquoi pleures-tu ? avait-il demandé, ses yeux suivant les mouvements de sa main.

Gorgia fixait un point devant elle, la tête posée contre son torse et les larmes ne cessant de couler.

— Je suis maudite, avait-elle murmuré.

Natanaël était resté silencieux, lui qui pensait qu'ils allaient enfin de l'avant.

— Et je t'ai maudit... par mon amour. Tu souffriras à cause de moi, à cause de l'amour que tu me portes. J'ai été égoïste... tu devrais te détacher de moi, m'oublier et vivre ta vie, sans souffrir.

Natanaël avait inspiré profondément pour expiré longuement par le nez.

— Ne dis pas de telles sottises...

Elle s'était redressée pour sonder son regard. La voir pleurer, ou même l'entendre lui brisait le coeur constamment. Il essuya ses larmes avec ses pouces puis laissa glisser sa main dans ses cheveux.

— Ne tombes plus jamais amoureux, Natanaël.

— Je ne pourrai jamais tomber amoureux de quelqu'un d'autre.

— L'amour te brise... et quand bien même je t'ai demandé de protéger les femmes aux cheveux roux... je t'en conjure, ne tombe jamais amoureux de l'une d'entre elles.

— Ne me dis pas de telles choses, ça n'arrivera pas.

— Promets-le moi...

— Je te fais maintes promesses à chaque fois... cesses de me demander de te promettre monts et merveilles. Tu sais que je n'aimerai jamais personne d'autre que toi. Alors qu'attends-tu de moi en me disant cela ?

Elle avait posé sa main sur sa joue puis l'avait regardé avec ce même regard, celui de l'amour et à la fois de la crainte.

— Car je sais que cela risque d'arriver...

— Tu vois l'avenir, maintenant ? avait-il lancé sarcastique.

Elle l'avait embrassé tendrement puis s'était repositionnée correctement contre son torse.

— Bonne nuit, mon amour, avait-elle simplement soufflé.


~


— Pourquoi pleurez-vous ? souffla Natanaël en fixant le mur face à lui.

Aeria se détacha de lui pour sonder son regard. Il essuya aussitôt ses larmes à l'aide de ses pouces puis pencha légèrement la tête sur le côté.

— Je suis heureuse, rétorqua-t-elle simplement, les yeux rouges à cause de ses larmes.

— Vous n'en avez pas l'air pourtant...

— Rien n'est plus précieux que de vous avoir près de moi, Natanaël. Prenez conscience de la valeur que vous avez. Je ferai tout pour que vous ne souffriez plus jamais comme cela a pu être le cas et je ne laisserai jamais Kaïs vous atteindre. Jamais.

Aeria n'avait pas cette noirceur en elle comme Gorgia, elle n'avait pas été empoisonnée par les dires d'un homme de pouvoir alors ses paroles avaient plus de sens pour Natanaël. Ce n'était pas à lui de faire des promesses, c'était elle qui lui en faisait et pourtant, impossible de ne pas s'en faire, secrètement, comme celle de protéger Aeria quoi qu'il arrive, car il l'avait promis à Gorgia, un jour. Il lui avait promis qu'il protègerait ces femmes aux cheveux de Feu, sans jamais réellement savoir pourquoi était-ce son devoir. Ce qui était sûr, c'est que celle de ne jamais tomber amoureux de l'une d'entre elles fut brisée dès sa rencontre avec Aeria.

~

Non loin de là, Anastasia restait au chevet d'Harold. Elle était assise sur une chaise en bois, légèrement voûtée, la tête appuyée sur sa main et l'autre qui tenait celle d'Harold, toujours endormi. Il était allongé sur un lit, le visage couvert d'algues gluantes et son cou en était rempli également. L'espoir qu'il se réveille s'envolait chaque jour qui passait.

Pourtant, malgré la nuit bien entamée, malgré la fatigue qui gagnait Anastasia et ses yeux à moitié clos, la respiration sifflante d'Harold la fit se redresser aussitôt. Enfin, il ouvrit les yeux qu'il tourna vers elle. Il s'accrocha à son bras, si fort que cela lui arracha une grimace. Il la tira vers lui et se redressa difficilement pour lui parler.

— Nous devons quitter l'île... balbutia-t-il. Nous devons la quitter maintenant, ou nous mourrons tous.

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