XXIII - Nous devons fuir

Aeria était assise dans le champ d'herbes hautes, elle tirait sur les brins d'herbe qu'elle gardait en touffes dans sa main, un carnet sur les genoux tout en observant les bébés Dragons voler, puis se laisser tomber dans l'herbe avec Theodora juste en dessous qui rigolait, tournait sur elle-même et jouait avec eux. Elle esquissa un faible sourire en considérant l'innocence de la jeune fille et celle des Dragons.

Il y avait quelques jours de cela, Aeria avait demandé à Natanaël de confectionner deux selles, légères et agréables pour Filërys et Hystërys en lui assurant qu'il était temps de monter sur leur dos. Natanaël les considérait encore comme trop jeunes, ils dépassaient, certes, un Homme de taille adulte, mais n'étaient pas suffisamment grands pour supporter longtemps le poids d'un Homme sur leur dos.

Cependant, pour Aeria, il était primordial de les habituer très jeune à cela, pour qu'un lien soit créé et ne se brise jamais.

Alors depuis plusieurs jours, Natanaël travaillait sur ces selles, avec l'aide d'Hervos.

Après avoir abandonné les touffes d'herbe, Aeria tenait un carnet entre ses mains et ne cessait d'écrire les mêmes choses : cette prière qu'elle avait entendu dans son cauchemar.

— Qu'écris-tu ?

Aeria ferma aussitôt le carnet et leva la tête, la main au dessus de son front pour se cacher du soleil. Harold s'assit près d'elle, les jambes pliées, les bras posés sur celles-ci, il observait les dragons au loin.

— Rien, juste des choses qui me venaient en tête... marmonna-t-elle.

— Tu ne sembles pas en forme, Aeria. Tu ne parles à personne de ce qu'il s'est passé mais peut-être que cela te ferait du bien que de te livrer un petit peu.

Elle humecta ses lèvres et observa loin devant elle, les plaines, les arbres verdoyants, les Dragons, Theodora... Valmont semblait sublime, elle ne le savait que trop bien, puisqu'elle venait d'ici. Valmont était entretenu, peuplé, sublimé par la verdure. Il y avait toujours quelque chose à faire, des fêtes organisées en centre ville, des bals, des marchés, des épreuves avec au bout de celles-ci, un gain pour le vainqueur.

— Je ne souhaite pas me livrer à toi, Harold, grommela-t-elle.

Sans le regarder, elle put l'entendre soupirer bruyamment.

— Nous devrions mettre nos différends de côté.

— Tu devrais plutôt te remettre en question, rétorqua-t-elle. Je ne parviens pas à te faire confiance, je le souhaite, je t'assures mais je n'y parviens pas. J'ai l'impression que... si je le fais, je trahis Natanaël. Il ne mérite pas d'être trahi.

Harold se pinça les lèvres, quelque peu vexé mais il lui fallait tenter de comprendre et d'accepter que le pardon se méritait. Il lui faudrait faire ses preuves et prouver sa loyauté, prouver qu'il avait réellement changé. Le fait d'avoir emmené Aeria ici ne prouvait rien.

Le soleil fut, en quelques minutes de temps, recouverts par d'épais nuages noirs annonçants un orage prochain. Aeria resta assise, à gribouiller sur son carnet, aux côtés d'Harold qui lui raconta de nombreux souvenirs qu'il avait vécu auprès de ses parents, ceux-ci étaient décédés peu de temps avant l'arrivée d'Aeria dans Les Landes.

Ils avaient traversé les Six Terres tous les deux, alors qu'elle était grièvement blessée, elle n'avait eu d'autres choix que de le suivre, en espérant ne pas mourir. Ils avaient souvent dormi à la belle étoile, d'autres fois dans des auberges isolées, Harold payait la nourriture et le logement. Ce fut long et plus les jours passaient, plus sa blessure s'infectait. Aeria était fiévreuse, fatiguée, à bout de forces, à tel point que la plupart du temps, elle dormait lorsqu'ils étaient à cheval. Elle se cachait sous une large capuche, de crainte qu'un garde puisse la reconnaître à cause de la couleur de ses cheveux. Par miracle et peut-être grâce à cette infection, elle avait beaucoup maigri, son visage avait été abîmé par la chaleur et à ce moment là, Aeria avait perdu de sa beauté, elle ne rayonnait plus autant, ce qui leur permis de passer inaperçu.

Aujourd'hui, près de deux semaines plus tard, elle avait retrouvé un teint normal, bien que ses yeux étaient légèrement cernés a cause de ses cauchemars à répétition. Elle s'était remplumée légèrement et était bien plus souriante. Harold ne pouvait nier le fait qu'en présence de Natanaël, le visage de la jeune femme était plus lumineux et quand bien même le jeune homme mit du temps à accepter le fait qu'elle ne l'aimait pas réellement, aujourd'hui, il s'en était fait une raison. Ses sentiments à lui ne disparaissaient pas, mais se battre pour cela n'avait plus aucune valeur, le coeur d'Aeria était déjà pris.

— Theodora ! Appela Aeria, rentrons, il va pleuvoir !

Theodora dit au revoir aux Dragons en leur adressant un câlin à chacun. Elle se collait contre leur corps brûlant, fermait les yeux puis leur faisait de grands signes de la main tout en avançant vers Harold et Aeria.

Ils rentrèrent dans la chaumière au moment même où le premier éclair fendit le ciel. Les premières gouttes de pluie tombèrent, avant qu'un torrent ne s'abatte sur la petite ferme. Maria alluma quelques bougies et leur servit de la bière à tous. Le bas de la demeure était scindé en deux, la cuisine et la salle à manger se rejoignait, un petit séjour de l'autre côté de l'entrée permettait de se reposer près d'une cheminée beaucoup plus petite que celle présente dans la salle à manger.

— Il était temps, avec un petit peu d'eau, les récoltes seront meilleures, déclara-t-elle en tendant une chope à son époux.

— Et demain, l'air sera davantage respirable, renchérit Hervos.

— En tout cas, vous avez bien travaillés, maintenant que les débris sont ôtés, vous pourrez reconstruire la grange, poursuivit Maria.

— Il y a encore un petit peu de travail, rétorqua Natanaël.

Aeria lui jeta un regard, il tenait sa chope, adossé contre la cheminée éteinte. Elle le trouvait beaucoup trop séduisant. Il était si grand, si fort, si sombre, serein et réfléchit.

Le tonnerre commença à gronder, si fort que les murs de la bâtisse tremblèrent et en firent sursauter quelques uns. Theodora se réfugia dans les bras de son père et sa mère monta à l'étage pour récupérer son bébé qui s'était alors mis à crier à cause de la tempête qui s'annonçait à l'extérieur.

— En tout cas, Hervos, vos terres sont vraiment belles et bien entretenues, assura Harold pour briser le silence.

Hervos qui caressait les cheveux de sa fille lui jeta un regard et hocha la tête en signe de remerciement tandis que Natanaël le dévisageait. Remarquant l'air qu'avait l'ancien roi des Landes, Harold détourna le regard et claqua sa langue contre son palais tout en tapant ses doigts sur sa chope à moitié vide.

— Que comptes-tu faire à présent ? demanda Natanaël de sa lourde voix ce qui brisa le silence.

Harold se concentra de nouveau sur lui.

— Moi ? souffla-t-il en posant sa main sur sa poitrine.

— Oui, toi.

— Oh, euh... et bien... je pensais...

Natanaël haussa un sourcil et Aeria se pinça les lèvres afin de se retenir de ne pas rire en remarquant l'air gêné qu'affichait Harold.

— ... Je pensais rester ?

— On a du travail à la ferme c'est vrai, avoua Hervos. Tu pourrais m'être utile.

Harold esquissa un léger sourire.

— Tu souhaites garder un traitre chez toi, Hervos ? s'étonna Natanaël.

— Je pense qu'il ne nous trahira plus, répondit son ami.

— On ne pourra jamais le savoir.

— Oui, tout comme on ne saura jamais si toi tu me trahiras, si Aeria nous trahira, enfin... on ne sait pas, Natanaël et on ne saura jamais, de quoi est fait demain.

— Certes mais...

Natanaël ne termina pas sa phrase, le lustre au plafond vacilla très légèrement et cela ne semblait pas provenir de l'orage. Bientôt, à travers le boucan du vent, de la pluie et du tonnerre, ils entendirent les rugissements des Dragons et ceux-ci ne semblaient pas s'amuser.

Natanaël posa sa chope, saisit son fourreau qu'il attacha à ses hanches, Harold et Hervos firent de même.

— Theodora, rejoins ta mère à l'étage s'il te plaît, ordonna-t-il à sa fille.

La petite fille monta les marches rapidement tandis que les hommes sortirent de la chaumière, dans la tempêtes. Aeria saisit le poignet de Natanaël lorsqu'il passa devant elle, il sonda alors son regard.

— Natanaël... souffla-t-elle, je crois que...

— Le roi est là, l'interrompit-il.

Elle hocha la tête, l'air terrifié qu'elle affichait déformait son visage. Il se pencha vers elle et posa sa main sur la sienne.

— Tant que je suis là, il ne vous arrivera rien, lui assura-t-il.

Il sortit à l'extérieur par la suite, Aeria sur les talons. Ils contournèrent la maison et à l'arrière, dans le champ de hautes herbes où étaient assis Aeria et Harold quelques minutes plus tôt, ils purent reconnaître Thearsis poser ses deux énormes pattes griffues sur chacun de ses bébés afin de les plaquer au sol brutalement. Aeria voulut aussitôt se précipiter vers elle mais Natanaël la retint fermement par le bras alors que le roi Lauan descendait lentement du dos de la bête.

Le plus troublant dans tout cela, c'était l'étrange muselière qui maintenait les mâchoires de Thearsis fermées. Elle était énorme et des piques en métaux semblaient avoir été enfoncés avec violence dans ses chairs, arrachant des écailles par la même occasion. La créature ne pouvait plus rugir, ni cracher ses flammes et les mords qui servaient à guider le Dragon étaient coincés entre ses dents aiguisées.

— Que lui a-t-il fait... souffla Aeria le coeur lourd.

Il n'était pas difficile de voir le sang qui coulait des plaies de la bête, à première vue, cela ne paraissait pas du tout confortable et ressemblait à de la torture. Son oeil jaune était extrêmement dilaté, la pupille toute fine, elle n'avait plus le même regard que lorsqu'Aeria l'avait laissée. Elle ressemblait beaucoup plus à une bête féroce qu'au Dragon en qui elle avait toujours eu confiance.

Lauan s'approcha d'eux, une cape virevoltant dans son dos avec le vent. Il ajusta ses gants en cuir puis passa ses mains dans ses cheveux trempés pour les plaquer en arrière, la pluie s'était légèrement calmée. Ensuite, il tendit les bras de part et d'autre de son corps, un sourire mesquin au coin des lèvres pendant que les bébés ne cessaient de pousser des rugissements plaintifs, écrasés par leurs mères.

Natanaël quant à lui, ne lâchait pas le bras d'Aeria et il le tenait si fermement qu'il lui coupait la circulation sanguine.

— Incroyable, commença Lauan sans quitter son affreux sourire.

Il ne portait plus son masque doré, ses lèvres étaient abîmées, tout comme son visage qui arborait d'horribles cicatrices. Cependant, il semblait s'en être accommodé à présent.

— Aeria est bel et bien en vie, poursuivit-il à travers la pluie.

Cette dernière respirait fort, trempée jusqu'aux os, elle rêvait de se jeter sur lui, de rejoindre Thearsis et de l'aider, afin qu'elle libère ses bébés.

— Lauan, elle va leur faire mal ! tenta-t-elle.

— Mais non, grommela-t-il, elle sait comment se comporter avec ses bébés.

— Je vous conseille de quitter mes terres, gronda Hervos son épée en main.

Lauan tourna la tête vers lui, haussa les sourcils et se mit à rire. Un rire lugubre, mêlé à cette cicatrice qui dessinait un demi sourire sur son visage devenu ingrat.

— Natanaël... souffla Aeria, il tient les Dragons par la violence...

— Je sais, rétorqua-t-il. Je réfléchis, laissez moi une minute...

— N'avancez-pas ! gronda Hervos son épée en avant lorsque Lauan voulut s'approcher de lui.

— Sinon quoi petit paysan ? Tu vas me tuer ?

— Vous devrez vous défendre seul, votre Dragon ne peut pas cracher de feu.

— Non, mais il peut t'écraser comme un vulgaire insecte, vociféra le roi.

— Je défendrai mes terres jusqu'à ma mort.

— Ces terres m'appartiennent dorénavant, menaça Lauan.

Natanaël se mordillait les lèvres, observant les Dragons, le roi, ses amis, les plaines alentours... Il lui fallait trouver un plan et vite. Il leur fallait fuir, mais jamais sans les Dragons.


Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top