XXI - La Confiance
— Je reviendrai vite... souffla Hervos en serrant ses filles contre lui.
Des larmes noyaient ses yeux, cependant, il les retenait pour pas qu'elles s'en rendent compte. Il se détacha d'elles pour les regarder, tout en leur souriant.
— Papa ! Papa ! Auvoir... papa ! bafouilla la petite Camille.
— Tu reviens vite, hein ? demanda Theodora en triturant ses doigts.
— Bien-sûr, je reviens vite et en attendant, Madame Guyard prendra bien soin de vous.
Il était temps pour Hervos de partir, Aeria quant à elle, embrassa les deux jeunes filles. Impossible pour elle de ne pas se sentir coupable d'enlever le père de ces deux enfants. Cependant, elle ferait tout pour qu'Hervos retrouve ses filles. Était-ce égoïste que de le convaincre de la suivre dans une histoire si dangereuse ? Peut-être légèrement... mais sans Natanaël, sans alliés, Aeria ne savait pas comment s'en sortir. Elle avait, certes, un Dragon mais Kaïs avait des Terres entières avec lui, des pouvoirs illimités...Personne ne connaissait réellement l'étendu de son pouvoir, ce qui nécessitait de prendre des précautions.
Ils retournèrent à la ferme d'Hervos, là où ils s'équipèrent tous les deux. Il cacha un couteau dans sa botte, un autre au niveau de l'attache de son manteau puis s'habilla de son fourreau. Il invita Aeria à faire de même. Elle eut droit à une veste brune brodée d'un tissu épais aux multiples boutons en bronze, elle put y attacher deux petits couteaux, s'équiper d'une dague coincée à sa ceinture et d'une épée également.
Elle se tressa les cheveux puis ils sortirent de la chaumière. Hervos avança dans le pré, la main sur le manche de l'épée avant de se retourner et d'observer sa demeure tout en poussant un profond soupir.
— Tout va bien ? demanda Aeria qui s'était arrêtée un petit peu plus loin.
— Je ne peux m'empêcher de me dire que mes filles finiront orphelines.
Aeria s'avança vers lui puis posa sa main sur son bras, ce qui lui fit instinctivement tourner la tête vers elle.
— Hervos, tu reverras tes filles mais nous avons besoin de toi à la tête d'une armée.
— Et quel est ton plan, Aeria ? Tu as des pouvoirs, moi... je suis estropié, je te signale.
— Je ne sais pas maîtriser mes pouvoirs... Je ne sais pas comment agir, comment les recruter. J'ai réussi à m'en servir réellement une seule fois, contre Kaïs mais la dernière fois, chez toi... j'ai incendié ta propriété... Ils me terrifient ces pouvoirs.
— Si tu ne te fais pas confiance, alors tu ne parviendras jamais à les maîtriser.
Elle hocha la tête puis laissa retomber son bras le long de son corps. Il avait raison, mais tout cela était nouveau pour elle. Sentir cette énergie se réveiller en elle, pouvoir émettre du feu par le simple biais de ses mains, c'était étrange et terrifiant. Le feu est destructeur lorsqu'il n'est pas maîtrisé.
— Et si nous allions sur l'île dont nous a parlé Madame Guyard ?
Hervos ouvrit de grands yeux. Traverser l'océan ? Trop peu pour lui. Il n'aimait pas naviguer sur un bateau et ce peuple avait vécu l'enfer, les voyageurs ne devaient pas être les bienvenus.
— C'est beaucoup trop loin, Aeria et penses-tu que ce peuple nous accueillerait à bras ouverts ? On ne connaît rien d'eux...
— Mais eux connaissent beaucoup de choses et peut-être qu'ils pourraient m'aider à gérer mes pouvoirs, tu ne crois pas ?
Hervos plissa les paupières, l'air inquisiteur.
— Ne chercherais-tu pas plutôt à retrouver ta mère ?
— Imagines que...
— Ils sont là, tuez-les ! cria quelqu'un.
Hervos et Aeria se retournèrent en même temps, des hommes apparurent de derrière la chaumière quelques mètres plus loin. Ils étaient une dizaine, tous armés, vêtus d'armure aux couleurs royales, rouge et or. Les deux camarades se mirent à courir en direction de la forêt alors que des flèches fusèrent dans le ciel. Il n'était pas difficile de les entendre siffler dans les airs. Elles se plantèrent non loin d'Aeria et d'Hervos qui zigzaguèrent et pénétrèrent dans la forêt aux arbres rapprochés.
— Cours Aeria ! Ne te retournes pas ! cria Hervos.
Elle n'entendait plus que son souffle, son coeur qui battait contre sa poitrine, résonnait dans ses oreilles. Elle regarda sur sa droite pour voir, malgré les arbres qui défilaient à toute vitesse, que son ami empruntait le même chemin qu'elle. Elle slaloma entre les arbres, jeta un coup d'oeil par dessus son épaule, ils étaient à leurs trousses et bien décidés à les tuer. Elle trébucha et roula dans les feuilles mortes lorsqu'une flèche frôla son épaule, scia sa veste et entailla sa chair.
Elle poussa un grognement puis sa chute se termina le dos contre le tronc d'un arbre. Elle se redressa tant bien que mal, la main sur sa blessure. Lorsqu'elle vit les hommes se précipiter vers elle, elle paniqua quelques peu. Elle palpa sa veste, saisit l'un des deux couteaux qu'elle jeta en direction de ses ennemis. Il se planta dans le front d'un soldat de petite taille qui s'affala brusquement sur le sol, comme projeté en arrière.
Hervos la rejoignit, brandit son épée et la braqua sur ses adversaires. Aeria s'aida de l'arbre pour se relever afin d'imiter son ami. Cependant, lorsqu'ils furent face à leurs bourreaux, Aeria rengaina son épée sous l'oeil intrigué des sbires de Kaïs.
— Vous voulez vous battre, hm ? grommela Aeria.
— Le roi Kaïs nous a ordonné de vous ramener au palais et tuer tous vos alliés.
— Alors essayez de tuer celui-ci...
Aeria enfonça deux doigts dans sa bouche puis siffla, si fort que les oiseaux dans les arbres s'envolèrent tous en même temps et qu'un écho sembla lui répondre. Tout cela se produisit avant qu'un bruit sourd ne retentisse. Les hommes de Kaïs levèrent la tête vers le ciel avant d'écarquiller les yeux lorsqu'ils aperçurent un jet de flammes s'abattre en leur direction.
Aeria se jeta sur Hervos, ils roulèrent sur le sol, sentirent même la chaleur du feu de Chaos. Elle se releva puis tendit sa main à son ami. Hervos la regarda, l'air déconcerté, le coeur prêt à bondir hors de sa poitrine.
— Fais moi confiance, Hervos, souffla Aeria.
Il retroussa ses lèvres avant de saisir sa main. Le feu se propageait doucement, l'écorce craquait, la nature grinçait, se plaignait, la sève coulait, les feuilles partaient en fumée... Cependant, lorsque le Dragon décida de se poser, il le fit sur les arbres en train de cramer. Certains cédèrent sous son poids et le souffle de ses ailes, de son large corps qui entrait en contact avec la Terre, éteignit aussitôt l'incendie qui se propageait. Comme on soufflerait sur des bougies, les flammes s'estompèrent, quelques cendres virevoltèrent dans le ciel, poussant Aeria et Hervos à se retourner. Aeria aperçut Dragon, non loin de là, se coucher sur les cadavres calcinés des neufs hommes qu'il venait de tuer.
Hervos le regardait avec effroi, ses yeux sortaient presque de leurs orbites alors qu'Aeria esquissa un sourire.
— Tu es incroyable...
Elle jeta un regard à Hervos tétanisé, peu convaincu ou rassuré.
— Fais moi confiance, Hervos.
— Je ne veux pas remonter sur le dos d'un Dragon et encore moins sur le dos de ce Dragon, Aeria...
— Je te promets qu'il ne te fera jamais de mal.
— Il vient de réduire en poussière dix hommes !
— Pour nous sauver la vie.
— Les Dragons sont dangereux...
— Hervos, je t'en prie...
— Et où veux-tu qu'il nous mène ? gronda-t-il.
Aeria humecta ses lèvres, les bras ballants.
— Je veux me rendre à Daghvïir.
— Je croyais que nous devions former une armée.
— Nous le ferons.
— Ce n'était pas prévu, Aeria, grommela Hervos en croisant les bras.
Voyager aussi longtemps sur le dos d'un Dragon ? Finalement, peut-être que naviguer était une meilleure idée.
— Un voyage n'est-il pas meilleur lorsqu'il est composé d'imprévus ? tenta-t-elle.
— Tu attends quoi de ta mère ? Elle ne se souvient peut-être pas de toi. Elle ne veut peut-être même pas te rencontrer.
Aeria déglutit difficilement, quelque peu touchée. Elle ne savait pas vraiment pour quelle raison elle souhaitait par dessus tout se rendre là-bas. Cependant, elle n'avait entendu que des histoires sur Gorgia ou Thearsis mais jamais elle n'avait rencontré de personnes comme elle, à part Kaïs. C'était son instinct qui la forçait à se rendre là-bas. C'était là-bas qu'elle devait être.
— Imagines que ce peuple soit doté de pouvoirs, comme moi, comme Kaïs... imagines ce qu'ils pourraient faire dans une armée. S'ils ne sont pas coopératifs, alors nous partirons.
Hervos sembla réfléchir un instant, bien qu'agacé, ou peut-être dérangé, apeuré ? Difficile de le décrypter sur le moment. Ne devait-il pas tout simplement lui faire confiance ?
— Allons à la rencontre de ce peuple, grogna Hervos.
~
Sur l'île de Daghvïr, Natanaël avait été invité à s'allonger sur une sorte de table ou d'autel. Quelques fleurs et bougies étaient éparpillées autour de lui, ce qui ne le rassurait pas. Il s'était libéré de sa chemise en lambeaux, comme le lui avait demandé Irënia puis s'était allongé sur l'autel en pierres. Ils se trouvaient dans les catacombes du palais, le roi faisait honneur de sa présence. Amélia et Anastasia restaient silencieuses, l'une près de l'autre.
— Vos bras, ordonna Irënia, laissez-les le long de votre corps.
Natanaël décroisa ses bras qu'il laissa reposer le long de son corps. Il fixait le plafond vouté, en pierres lui aussi, dans cette pièce sombre et humide. Irënia se tenait d'un côté et le roi de l'autre, toujours appuyé sur son sceptre doré.
— Qu'allez-vous me faire ? grommela Natanaël.
— Irënia arrêtera votre coeur.
Natanaël se pinça les lèvres, sans jeter un regard à personne.
— Pourquoi sur un autel ? demanda Anastasia, peu rassurée.
De plus, à la grille se tenaient des gardes, toujours prêts à sauter sur quiconque tenteraient quoi que ce soit.
— Va-t-il souffrir ? s'enquit Amélia.
— Mourir fait souffrir, rétorqua Irënia en frottant ses deux mains l'une contre l'autre.
Natanaël tentait de garder son calme, de respirer normalement. Il ne savait même pas s'il était encore immortel, il ne savait pas si le don que Thearsis lui avait donné s'était évaporé avec elle lors de sa mort.
— Irënia, hölcha, ordonna le roi dans sa langue.
Elle cessa de frotter ses mains entre elles, jeta un regard en biais à Natanaël qu'elle n'appréciait toujours pas puis posa ses deux mains brûlantes sur son torse, là où les brûlures ne l'avaient pas rongé. Il respirait fort, sa poitrine se soulevait au rythme de sa respiration. Les mains d'Irënia étaient posées à l'endroit où se trouvait son coeur et au fur et à mesure, il sentit ses battements rapides s'atténuer, doucement. Il l'entendait même, ce rythme inquiet devenir de plus en plus lent, ce qui lui provoqua un pincement dans la poitrine, lui saisit la gorge, raidit ses jambes, son corps... Il serra les dents, les veines et tendons de son cou saillirent.
Ses mains étaient crispées sur la pierre de l'autel, il poussa un râle d'agonie, un grognement non contrôlé. Son coeur le brûlait et plus son souffle s'estompait, plus les flammes des bougies s'intensifiaient.
— Nous devrions leur demander d'arrêter... s'inquiéta Anastasia. Il souffre, regardez...
— Faites leur confiance, souffla Amélia.
La vue de Natanaël devint trouble, respirer devenait un véritable calvaire et bientôt, ses yeux se révulsèrent, ses paupières se fermèrent puis son coeur s'arrêta tout simplement de battre. Ses mains relâchèrent la pierre, un dernier souffla passa le deuil de ses lèvres entrouvertes. Irënia retira ses mains de son torse, là où une marque rouge était clairement visible. Elle recula d'un pas, les bras croisés derrière le dos, le menton levé.
— Attendons, à présent, déclara le roi.
La mort d'un Dragonnier affecte aussi son Dragon, notamment lorsque le lien qui les uni est si puissant, que l'auto-destruction est parfois inévitable.
C'est ce que Filërys ressentit, alors qu'il volait au dessus de l'océan. Il poussa un rugissement étouffé avant de manquer de s'écrouler dans l'eau. Il battit des ailes à plusieurs reprises, mais son corps devenait de plus en plus lourd et ses rugissements, de plus en plus plaintifs. Finalement, à la vitesse à laquelle il volait, il cessa de battre des ailes et son corps heurta violemment l'eau glaciale de l'océan. Comme s'il venait d'être englouti puis effacé du paysage, de l'horizon...
— Réveilles-toi... marmonnait Amélia.
— Cela fait combien de temps ? demanda le roi.
— Déjà trois minutes, votre Grâce, répondit Irënia.
— On l'a tué... souffla Anastasia.
L'océan était calme ce jour là, les vagues n'étaient pas mouvementées, la tempête était bien loin et le soleil étincelait de ses milles reflets sur la surface. Pourtant, le Dragon Vert se hissa hors de l'eau, ses ailes trempées se libérèrent du liquide froid chaque fois qu'elles battaient l'air avec vigueur et de la fumée s'échappait de ses écailles, comme si le feu en lui brûlait, lui permettant de survivre et de sécher.
Natanaël rouvrit les yeux, lentement, le souffle faible, le corps encore endormi et les bougies s'éteignirent toutes en même temps.
Jade avait été un Dragon extraordinaire, doux et proche de la Terre.
Filërys n'en était pas si différent, à la seule condition que sa destinée était Natanaël et que sans lui, il ne vivait plus.
Lorsqu'il s'assît sur l'autel, la tête qui tournait, la bouche pâteuse, son coeur peinant à reprendre un rythme normal, il aperçut, tout comme Amélia et Anastasia, les gardes poser leur lance à terre, puis un genou, la tête baissée vers le sol. Enfin, Irënia sembla se résigner et imita les gardes à la suite de quoi, le roi lui-même posa un genou au sol.
Tous ployèrent le genou devant Natanaël sans qu'il n'en comprenne la raison, comme le faisait un peuple devant leur roi.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top