XVIII - Harold
— Je ne suis pas là pour te faire du mal, grommela Harold lorsqu'Aeria voulut se relever à la hâte.
Elle se résigna malgré elle à cause de la vive douleur qui s'installa au niveau de son ventre. Elle grimaça, posa sa main sur sa blessure et demeura assise, docile. Elle releva ses yeux vers Harold, son regard se voulait dédaigneux. Elle ne lui avait pas pardonné son comportement.
— Tu as blessé le Dragon avec tes flèches.
À cause de lui, Thearsis avait perdu un oeil.
— Je le sais, j'en suis sincèrement désolé... je crois que... je ne réfléchissais pas.
Aeria haussa les sourcils, elle arborait un teint cadavérique, sa peau était très pâle, ses lèvres gercées, ses yeux dorés cernés et un bleu avait fait doublé de volume sa pommette droite.
— Je ne croirai aucun mot sortant de ta bouche, vociféra-t-elle.
— Je le conçois... soupira-t-il en se concentrant sur le feu.
Il poussa quelques braises à l'aide d'un morceau de bois.
— J'ai tout fait pour te retrouver, reprit-il. Évidemment, j'ai su que le roi t'avais donné Epinasse et lorsque je m'y rends, un massacre a lieu et puis j'ai entendu tes hurlements... j'ai tenté de te récupérer dans le fleuve, mais le courant était trop fort, alors je l'ai suivi jusqu'à la plage, là où j'ai pu te réanimer, par miracle...
— Qu'est-ce que tu me veux ? grogna Aeria.
Elle le regardait du coin de l'oeil, les lèvres retroussées. Elle était épuisée et ne se voyait pas se lever pour prendre la fuite, ni même se battre. Cependant, pour elle, c'était impossible de lui faire confiance, il l'avait brisée un an auparavant et elle ne ressentait pour lui plus que du dédain et de la déception.
— Je veux t'aider, soupira Harold.
Il lui jeta un regard pétillant, démontrant une certaine sensibilité qui ne fit point flancher Aeria.
— Tu aurais dû m'aider bien avant cela... souffla-t-elle en détournant le regard.
Son menton se mit à trembler, son coeur à battre beaucoup trop fort dans sa poitrine, ce qui ne faisait qu'empirer la douleur. Elle se demandait même comment elle avait pu survivre à une telle blessure.
— Tu aurais dû m'écouter, tu n'aurais pas dû t'allier au roi, tu...
— Après ce que j'ai fait, j'ai demandé au roi de me laisser quitter Hazanel, il m'a exilé à Dranne, là où j'ai pu prendre un nouveau service, l'interrompit Harold. Cependant, je faisais qu'entendre des rumeurs sur toi, sur Natanaël, sur les Dragons. Je n'ai pu m'empêcher, quand j'ai su qu'il s'était échappé, de le chercher moi aussi... j'ai tout quitté, j'ai tout abandonné pour cela.
— Pour quelle raison ? gronda Aeria. Pour le tuer ? Le trahir à nouveau ? Il t'avait fait confiance, Harold. Il t'avait donné ce que tu avais toujours voulu, quitte à blesser son meilleur ami et tu l'a trahi, tu m'as trahie, tu m'as manipulée...
— Je l'ai été moi aussi, tu sais. Lauan n'est pas différent de son petit fils, ils ont cela dans le sang... le vice, l'intelligence au point de savoir jouer avec les sentiments de leurs victimes.
— Je m'en fiche, je n'ai aucune pitié pour toi.
— Ce que je veux dire c'est que... aujourd'hui je t'ai retrouvée et je veux t'aider.
Aeria s'était rallongée et fixait le ciel, les branchages des arbres qui cachaient les étoiles qui brillaient au dessus de leurs têtes. Elle pouvait apercevoir également la fumée du feu s'élever doucement dans la nuit, sentir la chaleur réconfortante des flammes non loin de son corps abîmé.
— Je sais où se trouve Natanaël, insista Harold ce qui brisa le silence.
Aeria ferma les yeux un instant, une larme roula au coin de l'un d'eux, elle la sentit ensuite se perdre dans ses cheveux, près de son oreille.
— Je peux t'y emmener.
Elle avait la sensation d'avoir tout perdu : les Dragons pour commencer, son chat Flocon, son père, Epinasse tout entier et Natanaël ne semblait n'être qu'un fantasme à présent, comme s'il n'avait jamais existé.
— Arrêtes... marmonna-t-elle la gorge nouée.
— C'est la vérité ! Je peux t'emmener à Valmont, j'ai un cheval, j'ai de quoi te soigner, nous pourrons nous nourrir durant le voyage et tu pourras te reposer dans les chaumières. Aeria, tout le monde te pense morte, tu peux traverser le pays sans risquer de te faire emprisonner.
— Rien ne me dit que tu ne vas pas tenter de me tuer, ou de me livrer au roi, bougonna-t-elle.
— Je comprends ta réticence et je te promets que je ne te trahirai plus. J'ai appris de mes erreurs.
Elle tourna la tête vers lui, essuya les larmes qui perlaient au coin de ses yeux. Elle ne lui faisait pas confiance mais qu'avait-elle à perdre dorénavant ? Elle ne pouvait pas voyager seule ni même survivre dans cet état. Alors elle devrait se résigner à le suivre, si cela pouvait lui permettre de retrouver Natanaël et de trouver le moyen de récupérer le bébé Dragon, de raisonner Thearsis et de tuer le roi pour de bon.
— D'accord, souffla-t-elle, je te suivrai. Cependant, je ne te pardonne pas.
À Valmont, le soir de la possible mort d'Aeria, Natanaël s'était réveillé en sursaut, dégoulinant de sueur. Il s'était retrouvé assis au milieu du lit, sa poitrine se soulevait anormalement vite. Il posa sa main sur sa celle-ci, afin de retrouver un rythme cardiaque décent. Pour lui ce fut étrange, il avait l'impression d'avoir vu Aeria se faire exécuter, il avait la sensation d'avoir senti toute l'eau entrer dans ses poumons pour le noyer.
Les jours qui suivirent, il n'était plus le même avec Theodora ou bien Hervos. Il participait aux tâches de la ferme, sans grandes convictions. Il surveillait Theodora et les Dragons mais semblait ailleurs.
Les bras croisés, devant la grange, il les regardait courir et jouer ensemble. Les deux Dragons volaient autour de la jeune fille puis se laissaient tomber dans les hautes herbes pour ensuite se roulaient par terre, alors la petite fille faisait pareille et poussait des éclats de rire qu'Hervos et Maria adoraient écouter.
Son ami se posta à côté de lui, il releva le menton et observa sa fille jouer au loin, un faible sourire étirant ses lèvres, sans qu'il ne puisse le contrôler.
— Que se passe-t-il Natanaël ? Tu n'es pas le même depuis quelques jours...
Ce dernier se pinça les lèvres, gardant ses bras croisés sur son torse musclé.
— Hervos... soupira-t-il, je crois qu'Aeria est morte.
Ce dernier fronça les sourcils et se tourna vers lui.
— Pourquoi dis-tu une telle sottise ?
— Car je l'ai rêvé.
— Ce n'était qu'un cauchemar, Natanaël. Je suis persuadé qu'elle s'en tire très bien.
— Non tu ne comprends pas, gronda Natanaël, je te dis que je l'ai rêvé mais tout cela m'a semblé bien trop réel pour que ce ne soit qu'un rêve. Je... je l'ai ressenti, je t'assure. J'ai déjà été mort, à deux reprises, et je peux t'assurer que je l'ai ressenti à nouveau.
Hervos demeura muet, Natanaël s'était tourné vers lui, avait décroisé ses bras et son regard semblait bien trop triste, ce qui brisa le coeur de son ami.
— J'ai ressenti ce vide, ce néant infini dans mon coeur, et c'est certain qu'elle l'a ressenti aussi et qu'elle le ressent probablement toujours... Mon père l'a tuée, Hervos...
Natanaël serra les mâchoires, afin de contenir ses émotions. Il ne pleurait jamais, cependant, cette fois, en songeant à la mort d'Aeria, il semblait profondément atteint.
— Nous aurions dû l'emmener avec nous et ne pas la laisser là-bas avec ce monstre ! Bougonna-t-il.
— Natanaël, nous n'avions pas le choix, tu ne sais pas tout.
— Je m'en fiche ! Nous l'avons tuée !
— Aeria avait passé un marché avec le roi, elle voulait simplement protéger un peuple.
— Et voilà où elle en est aujourd'hui. Bon sang... j'ai été sot de la laisser de côté ainsi. Maintenant, il est trop tard...
— Je suis sincèrement désolé, mon ami... je peux comprendre ta peine.
— Non, tu ne peux pas, grommela Natanaël. Tu ne peux pas, parce que ta femme à toi, elle est là, près de toi. Moi, j'ai perdu Gorgia, j'ai perdu Aeria. Je n'ai pas cette chance, Hervos, de vivre avec une famille ou une femme que j'aime et qui m'aime. Tu ne sais pas ce que ça fait que de perdre un être qui t'es aussi cher. Et je ne te le souhaite pas, mais tu ne peux pas comprendre ma peine.
Natanaël baissa la tête en remarquant le silence de son ami, probablement blessé par ses propos.
— Excuse-moi... soupira-t-il, je vais aller chasser pour que les Dragons puissent se nourrir.
Il tourna le dos à son ami et se dirigea vers la grande afin de s'équiper. Hervos le suivit des yeux, l'empathie en lui le poussait à avoir de la peine pour son ami. Il est difficile parfois, d'accepter sa peine, sa tristesse et son chagrin. Natanaël se refusait à ressentir quoi que ce soit, ce qui ne faisait qu'empirer son état.
— Sois prudent... marmonna Hervos sans être sûr que Natanaël l'avait entendu.
Si Aeria était morte, Hervos était persuadé que le roi finirait par les retrouver et sa famille était alors probablement de nouveau en danger. Peut-être était-il temps d'apprendre aux Dragons à se défendre, afin d'avoir une chance de protéger son trésor à lui : sa femme et ses filles.
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