XVII - Invité peu convenable
— La prochaine étape de votre amitié avec cette bête, sera celle de monter sur son dos. Un Dragonnier digne de ce nom monte sur son dragon et survole les Terres, vous ne devez faire qu'un avec la bête, commence Nathanael, les mains appuyées sur son bureau, un carnet posé juste en dessous dont Aeria est impatiente d'en découvrir le contenu.
— Certes mais... le Dragon ne reste que peu de temps en ma présence, on dirait qu'il prend peur... il me laisse le toucher, mais j'ai tenté de lui parler de vive voix et il s'est envolé, cela se produit depuis au moins une semaine...
— Vous ne monterez pas sur son dos si facilement, et de plus, pour vous y installer, il vous faut une selle spécifique.
Il se redresse et ouvre le carnet dont il feuillette les pages. Il l'ouvre sur un schéma de selle conçue sur mesure pour tenir sur le dos d'un dragon et permettre à un Homme de s'asseoir dessus, s'accrocher et guider le dragon.
— Je suis en train de concevoir cette selle, au début, vous n'aurez d'autres choix que de mettre ces deux rennes dans sa mâchoire, sinon, le Dragon tentera par tous les moyens de vous éjecter de son dos. Il conviendra de les utiliser pour le guider comme vous le faites avec un cheval. Puis lorsque votre confiance sera suffisante, vous n'aurez plus de cela et vous pourrez l'en libérer. Ne restera plus que la selle, sur laquelle vous adorerez vous asseoir, je vous l'assure.
Aeria se mordille un ongle, observe le schéma. Les rennes sont faites de chaînes d'acier avec des lanières en cuir et deux crochets pour les accrocher. Cela ne lui plaît guère, l'idée de faire mal à cette bête lui brise le coeur et la terrifie à la fois. La selle semble épaisse, un dossier permet de rester en place, des étriers sont également prévus pour y mettre les pieds.
— Et bien... je ne savais pas que vous étiez doué de vos mains, s'amuse Aeria.
Harold, à la porte encore ouverte, pouffe de rire. Les deux mariés relèvent la tête en même temps vers ce dernier. Nathanael relève le menton, serre et desserre les mâchoires tout en observant son garde, dos à eux.
— Veuillez fermer la porte, Harold.
— Oui, Majesté, grommelle ce dernier.
Il ferme finalement la porte, leur laissant un peu d'intimité. Nathanael ferme le carnet lorsqu'il remarque qu'Aeria était prête à tourner les pages, elle relève les yeux vers lui tandis qu'il laisse sa main posée à plat sur la couverture de son bien.
— Je ne suis pas doué de mes mains, j'aime concevoir certaines choses et d'autant plus si elles peuvent être utiles.
— Et bien cela veut dire la même chose, rétorque-t-elle un léger sourire aux lèvres. Nous pouvons aimer bricoler, sans être doués pour autant. Je suppose que vous, vous l'êtes.
— Nous verrons cela lorsque je l'aurai terminée.
— Comment vous y connaissez-vous si bien en matière de Dragon, de monture, de comportement ?
Nathanael ouvre un tiroir dans lequel il range son carnet et le ferme à clé. Clé qu'il garde précieusement avec lui.
— Je lis beaucoup de livres, vous savez, il n'y a pas grande occupation ici, alors je lis, je m'instruis et j'ai une très bonne mémoire.
— C'est remarquable, s'amuse Aeria.
On frappe finalement à la porte, celle-ci s'ouvre sur Harold et Hervos, ce dernier est ami du roi à présent. Il entre dans la pièce. Ses mains ne sont plus bandées, ses cicatrices sont encore boursouflées mais ne sont pas hideuses. Il lui manque deux doigts à chaque mains cependant il semble s'en être accommodé.
— Majesté, nous avons un visiteur.
— Qui ? grommelle Nathanael visiblement pas enchanté par cette visite.
— Le compte d'Epinasse.
Nathanael pousse un juron qu'Aeria entend, elle le suit des yeux alors qu'il quitte la pièce en lui demandant de s'apprêter pour le dîner à venir. Le Comte d'Epinasse est un grand stratège, il a mené bon nombre de guerre pour l'argent et la nourriture, chaque fois il en sortait vainqueur. Jamais il n'a encore dirigé une guerre avec la même ampleur que la Guerre du Feu mais il n'est pas sans croire qu'il ferait un bon conseiller. Néanmoins, Nathanael se pose davantage de questions sur la raison de la venue de cet invité chez lui, sans qu'il ne l'y ait convié.
Le voilà dans la cour, là où il a plu des jours durant. Le Comte sort tout juste de sa voiture tirée par deux étalons noirs. Il est gras, bouffis, tient difficilement sur ses deux jambes de part son âge et son état de santé. Il n'est que peu actif et s'empiffre de luxure. Il s'arrête devant Nathanael et fait mine de lui faire une révérence, le Comte d'Epinasse, Alecsi de son prénom, est un homme sarcastique, qui ne prend au sérieux, que ses véritables alliés.
— Majesté, dit-il d'un air amusé.
— Alecsi, que me vaut la joie de votre visite ? grommelle Nathanael.
Il ne compte pas se montrer enjoué, les deux hommes ne sont pas amis.
— Le roi m'envoie, et je suppose que vous ne me chasserai pas comme vous avez chassé son pauvre messager le jour de votre mariage.
— Certes, non, je vous invite, vous pouvez rester autant de temps que vous le souhaitez, rétorque Nathanael.
— Fort bien, j'aimerais que vous envoyiez votre garde à Hazanel, le roi le demande.
Nathanael le toise, les mâchoires serrées. Il tente, cependant et par tous les moyens de rester impassible et de conserver son calme.
— Pour quelles raisons devrais-je envoyer mon garde ?
— Avez-vous un messager ?
Nathanael regarde Hervos, dans les yeux de celui-ci, on lit clairement son désaccord pour quitter Les Landes, sachant qu'il ne peut plus tenir une épée en main. Nathanael soupire profondément et humecte ses lèvres.
— Pourquoi veut-il voir mon garde ?
— Car c'est ainsi que vous discutez, tout deux, n'est-ce pas ? En vous envoyant des messagers.
— Compte-t-il se venger pour le nez tailladé que j'ai laissé au sien ?
— Craignez-vous pour la vie de votre garde ? N'est-il pas censé être vaillant ?
Nathanael ne lui fait plus confiance mais n'a que peu d'hommes qui sache se battre suffisamment pour le protéger. Le fait de l'envoyer à Hazanel qui est à des jours de cheval ne l'enchante pas, il sera seul, et surtout, il ne sait pas encore si Harold est digne de confiance. La jalousie qu'il éprouve est-elle assez forte pour briser son serment ? Nathanael n'a jamais empêché Aeria de le fréquenter mais on dirait que le garde ne le voit pas du même oeil.
— Non, évidemment que non, je l'enverrai voir le roi si tel est son souhait et si cela peut nous empêcher quelques représailles que ce soit.
— À la bonne heure ! Le souper est-il prêt ? Je meurs de faim !
Le Comte avance, branlant, aux côtés de Nathanael qui le dépasse d'une tête si ce n'est plus. Ce dernier reste droit, les mains enfoncées dans les poches de son manteau noir, l'air pensif.
— Aurez-vous des femmes à m'offrir ? On dit que les femmes des Landes n'ont peur de rien.
— Hervos se chargera de vous en trouver deux, soupire Nathanael.
— Quatre, j'en veux quatre, rectifie le comte.
— Vas Hervos, s'il te plaît...
Hervos hoche la tête en signe d'obéissance et les laisse seuls.
Aeria, de son côté, a enfilée une robe noire, pour la première fois de sa vie. La robe est ceinturée, légèrement fendue au niveau de la jambe droite, le corset serré fait ressortir sa poitrine et elle a décidé de laisser ses cheveux lâchés, bouclés. La couleur rousse de ceux-ci rayonne sur l'obscurité de sa robe, un collier d'argent et un petit peu de poudre pour terminer le tout.
Elle sourit légèrement en se regardant dans le miroir quand Flocon se frotte à ses jambes tout en miaulant.
— Ne me juge pas, j'aimerais plaire au roi ce soir, souffle-t-elle. Je suppose qu'il aime le noir, alors je devrais lui plaire dans cette robe.
Elle s'accroupit pour caresser son chat, elle n'a pas mis de jupons, elle préfère laisser ses formes naturelles et ici, Nathanael ne lui demande pas d'en faire trop avec ses tenues. Elle s'habille comme elle le souhaite, elle peut même porter des pantalons, il ne la réprimande pas pour cela, pas comme faisaient ses parents.
Lorsque le dîner est prêt, Aeria les rejoint en salle, les domestiques sont déjà présents et le comte et Nathanael ne semblent pas à leur premier verre de vin. Le Comte se lève aussitôt Aeria entre dans la pièce et sourit à cette dernière. Elle lui jette un regard et s'arrête devant lui, un bras derrière le dos, il saisit la main frêle de la reine et baise le dos de celle-ci.
Par la suite, ils s'assoient, le roi et la reine l'un en face de l'autre, le comte à leurs côtés.
— Votre femme est sublime, Nathanael. Permettez-moi de vous dire que j'en ai rarement vu de si belles.
Nathanael jette un regard à Aeria qui le lui rend.
— Il est vrai, rétorque-t-il, ce soir plus qu'un autre jour.
Le sourire de la jeune fille est inévitable, elle a bien choisi sa tenue.
— Si nous pouvions échanger nos femmes ! Je sais que je ne quitterai jamais ce lieu ! Raille le Comte.
Aeria hausse les sourcils.
— Nous sommes bien trop fidèles, répond-elle.
— Hm... grommelle Nathanael en buvant son verre.
— Votre château est agréable, j'y resterai probablement quelques jours, cela me changera d'Epinasse.
— Faites comme chez vous, soupire Nathanael. Mais... ne souhaitez-vous pas penser à une alliance pour nos deux Terres ?
Alecsi pose son verre et s'intéresse au roi, étonné de cette proposition.
— Dites-moi, Nathanael, pour quelle raison aurais-je envie d'une alliance avec Les Landes sachant que j'ai avec moi, toute la terre d'Hazanel ?
— Nous avons peut-être autre chose à vous offrir.
Aeria lui lance un regard, elle ne souhaite pas que les dragons soient mêlés à tout cela, notamment car la plupart des Hommes avaient tenté de les éradiquer.
— J'apprécie votre hospitalité et votre force de proposition mais... il n'y a rien ici que vous pourrez m'offrir qui me permettrait de changer d'avis. Je ne suis pas là pour une alliance, je suis ici car le roi me l'a demandé et voyez-vous, en échange, j'obtiens de vrais cadeaux.
Nathanael pose doucement son verre sur la table et toise le comte, il semblerait que ces paroles ne lui plaisent pas. Alecsi, la bouche pleine, poursuit son monologue.
— Voyez-vous, je profiterai de ce domaine, je ferai connaissance avec votre épouse mais jamais, au grand jamais, je ne ferai alliance avec une Terre morte comme la vôtre.
Il rigole, boit un coup pour faire descendre toute la nourriture dans son gosier.
— Vous êtes tout ce qu'il y a de plus rebutant chez un allié, vous êtes seul et serez seul pour le restant de vos jours. Les Landes ne sont pas prêtes de briller de nouveau et vous non plus, mon cher Nathanael.
Alecsi se resserre de la viande en grande quantité, il luit tant il se remplit la panse.
— Avez-vous une autre proposition de ce type ou avez-vous compris que les Cinq Terres ne feront jamais affaires avec vous ? Soyons honnête, vous n'êtes pas vraiment un roi, votre titre ne vaut même pas le mien... vous êtes comme ces rats que je déguste depuis tout à l'heure, risible et facile à écraser.
Nathanael frappe ses mains sur la table et se lève brusquement. Aeria sursaute, lève la tête pour le regarder. Ses mâchoires sont crispées, les veines et tendons saillants... il toise le Comte d'Epinasse qui se lèche le bout des doigts.
— Si vous le voulez bien, vocifère Nathanael entre ses dents pour se contenir, cette discussion m'a coupé l'appétit. Profitez de votre soirée.
Il pousse la chaise, tire sur le col de son manteau et quitte la pièce d'un pas lourd. Alecsi ricane et jette un regard en direction de la reine.
— Nous voilà enfin seuls tous les deux.
Il tend son bras pour toucher de sa main grasse, celle d'Aeria, qu'elle retire rapidement. Elle se lève à son tour.
— Veuillez m'excusez...
Elle sort de la pièce et grimpe les escaliers aussi vite qu'elle a quitté la table tout en essuyant sa main sur sa robe. Il n'est pas difficile de ne pas entendre Nathanael et sa colère. Dans son bureau, ce dernier est en train de tout détruire.
Aeria est étonnée de ne pas voir Harold à la porte, cependant, elle se concentre sur son époux. Elle ouvre celle-ci et aperçoit le roi, en train de donner un coup de pieds dans une chaise qui valse à l'autre bout de la pièce. Sa force semble notable.
— Je suis comme un rat ?! Gronde-t-il.
Il attrape une partie de sa maquette.
— Personne ne peut m'écraser facilement !
Il la jette sur le sol, celle-ci se brise aussitôt. Aeria entre dans la pièce, peu sûre d'elle. Nathanael est grand, imposant et lorsqu'il est en colère, il dégage une aura inquiétante.
— Bon sang, pourquoi suis-je si sot ?! Ils tentent tous de me déchoir de mes droits !
Il fait les cents pas, les points serrés, le visage renfrogné.
— Nathanael... tente Aeria.
— Non ! Grogne-t-il en se tournant vers elle. Je vous interdis de venir ici sans mon autorisation !
— Bien-sûr que je viens ! Et je vous assure, n'écoutez pas ce que dit cet homme, il est clair qu'il est imbu de sa personne et a bien trop confiance en lui.
— Cela je n'en doute pas, mais il est ici pour me provoquer !
Il s'approche d'Aeria, elle recule d'un pas, son bassin se cogne contre le bureau.
— J'ai envie de tous les détruire, j'ai envie de les voir me supplier... jubile-t-il. Vous ne connaîtrez jamais une telle envie...
Aeria pose sa main tremblante sur la joue de son époux, ce qui le surprend quelque peu.
— Ne pensez pas cela, ne leur donnez pas ce qu'ils attendent de vous pour vous retirer votre couronne.
Il la toise un instant, serre et desserre ses mâchoires.
— Vous n'en savez rien, vous ne connaissez rien d'un Gouvernement.
— Non, mais je vous connais vous... du moins, je commence à vous connaître. Ne laissez pas les paroles de cet homme vous atteindre...
Elle pose son autre main sur la poitrine de Nathanael, là où elle pensait sentir son coeur battre la chamade mais il n'en est rien. Cependant, elle demeure perdue dans ses yeux bleus. Nathanael n'apprécie guère qu'on le touche sans qu'il en donne l'autorisation, pourtant ce contact semble l'avoir radouci. Aeria se décolle du bureau pour se rapprocher de lui. Elle glisse sa main sur son épaule, s'appuie dessus pour se hisser sur la pointe des pieds. Ils ne se lâchent plus des yeux à présent, si près l'un de l'autre, pouvant ressentir l'énergie de chacun, c'en est électrisant.
— Embrassez-moi, Nathanael, souffle-t-elle épris de désir.
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