XV - Unis par l'amour, séparés par le feu
Un jour, dans Les Landes, une femme aux cheveux immaculés fut retrouvée inconsciente, les vêtements partiellement arrachés, dans les marais. Ceux-ci ne l'avaient pas encore engloutie, ils l'avaient laissée là, agonisante. C'est un jeune homme, paysan de métier, qui l'avait trouvée. Par chance, il la ramena chez lui dans sa ferme, la couvrit de linges propres durant trois longs jours avant qu'elle n'ouvre enfin les yeux.
Le paysan n'en revenait pas. En plus de son étrange physique bien qu'envoûtant, la femme arborait de magnifiques yeux dorés, comme ses taches de rousseurs qui semblaient scintiller à la lumière du soleil. Lorsqu'elle le vit la première fois, elle se redressa brusquement et se colla dans le coin de la pièce, les jambes repliées contre sa poitrine, l'air terrorisée.
— N'aies pas peur... lui souffla-t-il.
Il s'accroupît non loin d'elle et l'observa un instant dans le silence. À eux deux, ils formaient un magnifique constate. Lui avec ses cheveux de jais, ses yeux verts perçants et elle ressemblait au soleil avec sa sublime tignasse rousse et ses yeux brillants.
— Je m'appelle Daniel, je t'ai retrouvée inconsciente non loin de là et...
— J'ai entendu votre prière, l'interrompit-elle de sa douce voix.
— Ma prière ?
Elle hocha la tête.
— Vous avez froid... vous avez faim...
Le jeune homme déglutît sans un mot. Il est vrai qu'il était couvert de plusieurs peaux de bêtes, que lorsqu'il respirait, même à l'intérieur de sa demeure, de la condensation sortait de bouche tant il y faisait froid.
— Et vous... vous devez être frigorifiée, déclara-t-il.
— Je n'ai jamais froid, avoua-t-elle.
Daniel restait étonné par ces propos. Cette femme sortait de nulle part, sa beauté le subjuguait et ses paroles l'intriguaient.
— Il vous fait du bois, souffla-t-elle, des brindilles, et de la patience.
— Je ne comprends pas...
— Récupérez du bois et je vous montrerai.
Malgré ses interrogations, Daniel laissa la jeune femme seule dans sa chaumière à moitié vide, les poules vivaient même à l'intérieur dans un coin, là où de la paille séchée était entassée. Il se rendit dans la forêt et récupéra des petits bois qu'il ramena chez lui à peine une heure plus tard. Il déposa le tas de bois sur le sol, face à cette étrange demoiselle. Il restait accroupit et l'observait, un sourcil haussé.
Elle s'agenouilla devant le tas de bois, passa ses cheveux emmêlés derrière ses oreilles légèrement décollées puis positionna ses mains au dessus. En quelques secondes, de la fumée s'échappa du petit tas, puis rapidement, il se mit à crépiter avant qu'un feu ne prenne vit et ne vienne réchauffer le visage déconcerté de Daniel, hypnotisé par les flammes naissantes.
— Par tous les Saints., qu'est-ce que...
— Le feu, l'interrompit-elle. Et avec le feu, vous n'aurez plus froid et vous n'aurez plus faim.
— Mais... mais je ne peux pas faire cela, moi...
— Prenez un morceau de bois, comme celui-ci, coupez le dans sa longueur, puis frotter le bout d'un autre bois pour faire du feu.
Elle prit un morceau de bois plat et posa le bout d'un second contre son côté. Elle le fit tourner rapidement, les deux mains jointes dessus puis souffla très légèrement dessus, au bout de quelques minutes de patience, le feu prit de nouveau et se mêla au premier qu'elle venait de créer avec ses mains.
— Qui es-tu... souffla Daniel qui n'en croyait pas ses yeux.
Elle relava ses prunelles dorées vers lui.
— Je me nomme Thearsis.
Il releva le menton, sous le charme de cette femme et à la fois, persuadé qu'il rêvait.
— D'où viens-tu ?
Elle laissa ses épaules s'affaisser et parut soudainement triste. Elle baissa la tête, les lèvres pincées et des petites perles salées qui roulaient sur ses joues en silence. Daniel voulut s'approcher d'elle et la réconforter cependant lorsqu'il posa sa main sur son épaule, elle recula brusquement et le fusilla du regard.
— Excuses-moi...
— Ils sont tous morts... sanglota-t-elle en ramenant ses jambes contre sa poitrine. Ma famille, mes amis, ma Terre entière... morte.
Daniel ne savait pas comment la réconforter. Alors, simplement, il lui déposa sur les épaules, une couverture en laine et resta près d'elle, dans le silence, bercés par la mélodie du feu.
Au fur et à mesure des jours qui passèrent, Thearsis commença à se livrer davantage au jeune homme. Ils firent connaissance, ils mangèrent de la viande cuite que Daniel sembla amplement apprécier. Rapidement, les deux inconnus se rapprochèrent, comme une évidence. Daniel permit à Thearsis d'occulter sa peine au moins pour un temps, et elle lui apprit l'amour, car pour la première fois de sa vie, il ressentait des sentiments pour une femme. Lui qui vivait constamment seul, en ermite.
Lorsqu'ils s'unirent l'un à l'autre pour la première fois, leur coeur se mit à battre à l'unisson, leur corps collé l'un à l'autre, ils s'échangeaient de tendres baisers jusqu'au jour où Daniel convainquit Thearsis de montrer son don au village entier. Ce qu'elle fit, bien que réticente. Les Hommes n'en crurent pas leurs yeux et lorsqu'elle leur parla des Dragons, ils la forcèrent à les appeler.
Ceux-ci exaucèrent des souhaits, comme celui de rendre les cultures fertiles, prospérantes, éradiquer les maladies... Le marché s'amplifiait et la richesse s'agrandissait jusqu'au jour où les Dragons furent chassés par Thearsis, afin de les préserver, il était temps d'arrêter de happer leur pouvoir. Elle avait entendu tant d'horreurs à leur sujet : les découper pour en faire de la viande, leur arracher leurs écailles pour les vendre outre-mer, les capturer pour les rendre esclaves...
Puis elle tomba enceinte, comme une punition, elle n'eut d'autre choix que de mener sa grossesse à terme, toujours épaulée par son aimé, son époux depuis quelques semaines déjà.
— Non !! Je ne veux pas ! Hurla-t-elle allongée sur un lit sur le point d'accoucher. Pitié... pitié mon amour... il ne doit pas voir le jour... PITIÉ !
— Je t'en prie, ne dis pas n'importe quoi, souffla Daniel tout en lui tenant la main.
— Il est le mal, je te le dis ! Il m'a suivie ! Il m'a suivie... ! Pitié... AAAH !
Cependant, leur bébé vit le jour et Daniel le voyait comme le fruit de leur amour quand Thearsis ne le voyait que comme une punition. C'est après la naissance de leur fils qu'ils nommèrent Loukas qu'elle commença à réciter d'étranges prières. Malgré tout, elle ne pouvait haïr son enfant ni lui faire du mal, et elle le nourrissait en lui donnant le sein, le berçait pour l'endormir avant que les habitants des Landes ne se révoltent et ne cherchent à la tuer à cause d'un roi persuadé d'avoir sur leurs Terres, une sorcière capable de les détruire tous. Une prime était proposée si on ramener la sorcière morte au Palais Royal.
Thearsis mourut sur le bûcher, sous les yeux de son amant qui ne resta traumatisé de sa mort. Par son chagrin terrible, Daniel cessa de faire prospérer sa ferme, il se laissa dépérir, seul dans sa chaumière, son fils lui avait été retiré. Il n'avait plus rien : plus d'argent, plus de famille...
Le jour où il voulut mettre fin à ses jours, Daniel erra dans les marais des Landes. Il n'avait plus la femme de sa vie près de lui, ni même son fils. Il errait, infiniment seul, désespéré. Sa barbe avait poussé, ses cheveux aussi, il était amaigri. La perte de Thearsis avait créé en lui une véritable destruction.
Il se laissa tomber à genoux, les bras le long du corps. Coincée dans le tissu de son pantalon, une dague qu'il avait ramené dans le but de s'infliger la mort.
Il la prit de ses mains tremblantes, la tourna vers sa poitrine et appuya la pointe contre sa cage thoracique. Il n'avait même plus de larmes pour pleurer. Il haïssait les Hommes et leurs croyances. Mieux valait mourir que de rester en ce monde où la pitié ne semblait pas exister.
Alors qu'il s'apprêtait à planter le couteau dans sa poitrine, une masse sombre le survola. Il releva ses yeux gorgés de sang vers l'énorme créature qui se posa quelques mètres plus loin. Ses pattes s'enfoncèrent dans la vase et ses yeux dorés le pétrifièrent, comme la première fois qu'il avait croisé le regard de sa douce.
Un majestueux dragon doré s'était posé face à lui, ses ailes triangulaires repliées contre son large corps. La créature le toisa de longues secondes sans que ni elle ni lui ne bouge avant qu'il ne laisse retomber son poignard.
— Thearsis... murmura-t-il. Ma douce Thearsis...
De nouvelles larmes humidifièrent ses yeux bien trop secs et son coeur sembla battre de nouveau en lui, comme si sa vie le retrouvait petit à petit.
— N'abandonnes pas ton fils... lui murmura une voix au creux de l'oreille.
Les poils de ses bras se hérissèrent à l'entente de cette douce et glaçante voix fantôme. Son menton se mit à trembler, sa peine le gagna, le rattrapa même. Il vivait dans la souffrance depuis plusieurs semaines et ne le supportait plus.
— Tu m'avais dit qu'il était le mal... tu avais tant eu de peine à l'accepter...
— Je crois en l'amour. Je crois en notre amour. Cet enfant est notre amour. Ne le laisses pas grandir auprès de ces Hommes sans cœur. Apprends-lui à aimer, à être clément, à faire preuve de compassion. Rends-le plus humain que quiconque sur ces Terres. Pour moi... Pour nous...
Daniel se releva, il avança vers la créature et leva la tête pour l'observer. Ses écailles dorées étaient merveilleuses, la chaleur qu'elle dégageait réconfortante... Sa prestance et sa bienveillance ne fit que confirmer au paysan que cette créature était bel et bien la réincarnation de sa femme. Quand bien même il imaginait cette voix, peut-être était-ce sa conscience, peut-être rêvait-il même ce dragon mais un espoir naquît en lui ce jour là.
— Reviens-moi, mon aimée... je t'en conjure.
La bête baissa son énorme gueule à hauteur du jeune homme, pour ainsi le toiser de plus près. Le coeur de Daniel sembla s'arrêter un instant car dans ces iris jaunes, il reconnut l'étincelle de vie de Thearsis. Cette femme si puissante et clémente, à qui la vie n'avait fait aucun cadeau.
— Je serai toujours présente...
Daniel tendit sa main et posa sa paume contre le nez du Dragon. Sa chaleur se transmit dans tout son corps, ce qui déclencha un long frisson qui parcourut son échine. Il ferma les yeux, laissant une larme rouler sur sa joue.
— ... près de toi.
La voix résonna en des milliers d'échos dans son esprit. Lorsqu'il rouvrit les paupières, la créature avait déjà disparut. Alors il laissa retomber son bras le long de son corps, de nouveau seul dans les marais, le cœur réchauffé par la flamme du Dragon.
Daniel se remit petit à petit de la perte de sa femme, et il se battit pour récupérer son fils qu'on lui avait arraché. Il demanda un procès dans les règles, il travailla nuit et jour pour construire sa défense et quand vint le jour du jugement, il gagna haut la main contre le maire de leur village. Le roi était présent lui aussi, et malgré lui, il accepta que Daniel récupère son enfant dorénavant âgé de trois ans.
Il lui apprit à vivre à la ferme, il lui forgea un caractère, il partagea avec lui des moments complices, le réconforta la nuit quand il faisait des cauchemars. Il protégea son enfant, il l'éduqua, comme Thearsis le lui avait demandé. Plus Loukas grandissait, plus il ressemblait à sa mère, bien qu'il arborait les yeux de son père, vert comme un émeraude, ses cheveux roux n'étaient pas sans rappeler ses origines.
Un jour, Thearsis en avait parlé à Daniel, elle lui avait confié ses peines concernant sa famille. Ils vivaient tous sur un île lointaine, inaccessible pour les explorateurs, à cause des fortes tempêtes à traverser pour l'atteindre. Elle lui avait confié que sur cette île, ils naissaient avec des dons, ils arboraient la même couleur de cheveux et parlaient une autre langue.
— Je voudrais t'emmener chez moi un jour, lui avait-elle soufflé un soir, blottit contre son torse. Je voudrais que tu rencontres mes frères et soeurs, que tu apprennes notre culture, que tu découvres un autre monde, plus bienveillant que le tien, beau et riche...
— Alors nous irons, lui avait-il affirmé tout en laissant ses doigts caresser le bras frêle de sa femme.
Thearsis avait sourit.
— Là-bas, les Dragons sont libres, ils vivent avec nous et nous les protégeons contre les invasions. Ils nous apportent le don du Feu et nous leur apportons la sécurité d'une existence paisible. Enfin...
Elle avait dégluti difficilement puis détourné son regard. Daniel s'était légèrement redressé, saisi doucement son menton et lui avait fait relever la tête vers lui.
— Que s'est-il passé Thearsis ? As-tu réellement entendu des prières ou t'es-tu enfuies ?
La lèvre inférieure en avant, la jeune femme peinait à contrôler ses émotions.
— Je voulais répondre à votre appel mais...
Elle avait baissé les yeux.
— J'ai fui mon île à cause du Dërva...
— Le Dërva ? avait répété Daniel
— Le Démon...
Daniel n'avait jamais eu le fin mot de l'histoire. Il mourut lorsque Loukas était âgé de seize ans. Personne ne sut comment, Loukas expliqua que son paternel s'était étouffé lors d'un repas et en était mort. Ce ne fut jamais vérifié et on oublia rapidement qui était le paysan, sa femme ne devint qu'un mythe et son fils construisit sa vie comme il le voulut, dans le vice, la manipulation et la stratégie. Personne ne sut jamais qui était réellement Loukas et si Thearsis avait dit vrai.
Sa propre mère l'avait su à peine était-elle tombée enceinte ; il était le mal. Cependant, elle avait emporté avec elle l'identité du spectre qui habitait son enfant.
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