XIX - Le peuple de Daghvïir
— Tenëros touya, ordonna le roi.
Deux gardes s'avancèrent vers Natanaël et prirent Harold. Ce dernier voulut riposter, cependant, le troisième garde pointa sa lance en sa direction, la lame de celle-ci chatouilla son menton. Natanaël ne cilla point alors qu'Harold fut emmené hors de la pièce. Lorsque les portes se refermèrent brusquement dans un bruit sourd, le roi s'appuya sur son sceptre pour se lever. Il descendit les marches de son estrade et observa ses invités ou peut-être ses intrus.
— Qu'allez-vous lui faire ? Gronda Natanaël.
— Soigner ses brûlures, rétorqua le roi tout en roulant les r.
— Ce n'est pas le Dragon qui lui a fait cela !
— Dërva ! Riposta le roi. Les Dragons n'existent plus.
— Je suppose qu'une guerre a fait rage ici, tenta Anastasia. Mais au delà de l'Ocean, les Dragons sont admirés.
— Hm, bougonna Natanaël, on cherche surtout à se les attribuer pour leur pouvoir...
— Assez ! S'impatienta le roi.
Il avança vers Natanaël. Il s'arrêta juste devant lui, appuyé sur son sceptre qui lui servait de canne. Visiblement, il boitait.
— Istrë ho tiräx, ordonna le roi.
Le garde baissa aussitôt sa lame et se repositionna comme une statue. La main gauche sur la cuisse, la lance dans la main droite, le dos droit et le menton levé.
— Nous ne vous voulons aucun mal, reprit Natanaël. Nous cherchons une Terre qui regorge de...
Il ne termina pas sa phrase et soupira. Il était certain que Lauan avait découvert cette Terre, et que le trésor dont il parlait, c'était tout cet or, cette cité abandonnée. Des vestiges devaient y rester, peut-être des armes et de l'argent...
— Nos Terres ! Menaça le roi. Ce sont nos Terres !
— Alors laissez-nous partir, grogna Natanaël.
— Impossible, Dërva a été entendu de tous. Il y a déjà quelques semaines, Dërva nous a survolé...
— Ce ne sont pas des démons, intervint Amélia. Ce sont des Dragons, ils sont encore si jeunes et ne nous font aucun mal. Au contraire, ils nous aident.
Le roi s'avança alors vers elle. La tête penchée sur le côté, de sa main libre, il saisit une mèche des cheveux d'Amelia pour l'observer.
— Nous cherchons à libérer notre Royaume, expliqua Anastasia, d'un tyran qui, lui, s'apparente réellement à Dërva.
Le roi haussa ses sourcils puis lâcha les cheveux d'Amelia. Il leur tourna le dos et regagna son trône sur lequel il s'assit.
— Notre Royaume est libre, et maintenant que d'autres peuples connaissent notre existence, alors notre Royaume est en danger.
Il marqua une pause, le bras posé sur son accoudoir. Il sembla réfléchir un instant.
— Je ne peux pas vous laisser partir. Vous contrôlez Dërva, vous êtes alors Dërva...
Natanaël s'apprêta à répondre lorsqu'on lui saisit fermement les bras ce qui t'éveilla immédiatement les douleurs liées à ses brûlures. Anastasia et Amélia furent également attrapées par les gardes.
— Si vous nous enfermez, j'appellerai mon Dragon ! Et je brulerai vos Terres ! Menaça Natanaël.
— Non ! S'empressa de s'opposer Amélia les bras coincés dans le dos. Natanaël, réfléchis ! Ne te fais pas de nouveaux ennemis !
— Tenëros issë ! Gronda le roi.
Les gardes s'empressèrent de les mener jusqu'aux cachots. Ils les firent avancer dans les rues pentues menant à la cité abandonnée sous l'œil curieux du peuple. Tous les regardaient comme des bêtes de foire, des monstres. Certains leurs touchaient les cheveux, tiraient sur leurs vêtements, tripotaient leur peau bien plus blanche que la leur...
Ils furent enfermés dans des cachots dans les ruines d'une grande bâtisse dépourvue de toit. Les cachots se trouvaient sous terre, humides, froids et sombres. On ferma la grille de leur prison après les avoir jeté à l'intérieur. Lorsque le cliquetis du verrou retentit, Natanaël se releva et se jeta contre les barreaux. Le garde face à lui lui lança un regard noir avant de lui tourner le dos. Lorsqu'ils fermèrent les portes menant à l'extérieur, ils furent alors plongés dans l'obscurité la plus complète.
~
À des milliers de lieux de là, Aeria observait Hervos embrasser ses filles. Theodora semblait triste, les lèvres boudeuses, les bras croisés.
— Je reviendrai vite, declara Hervos.
— Mais moi je veux voir les Dragons...
— Tu les verras à notre retour. Pour le moment, vous resterez chez la Nourrice, vous savez, notre voisine, Madame Guyard.
— Et si tu ne rentres jamais ? Comme maman...
Hervos enlaça sa petite fille, la main posée sur sa tête frisée.
— Jamais je ne vous laisserai. Je t'en fais la promesse.
— Et on reverra Natanaël aussi ?
Hervos se détacha d'elle puis posa ses mains sur son visage.
— Nous verrons cela.
Il se redressa, la main posée sur l'épaule frêle de sa fille puis se tourna vers Aeria.
— Viens avec nous, je pense que ma Nourrice pourrait t'apprendre beaucoup de choses.
— Que veux-tu dire ? S'enquit Aeria qui était adossée contre le mur.
Hervos porta Camille la plus petite et Theodora tendit aussitôt sa main à Aeria, qu'elle saisit sans hésitation.
— Madame Guyard fut Archiviste à Valmont avant de s'occuper des enfants. Et quand je lui ai parlé de toi une fois, elle m'a dit avoir lu des archives qui mentionnaient des personnes... comme toi.
Hervos ouvrit la porte et invita Aeria à le suivre, ce qu'elle fit, docile. Ils avancèrent dans le pré et passèrent par l'arrière, sans traverser la forêt, là où attendait patiemment Chaos.
Aeria jeta un coup d'œil par dessus son épaule et esquissa un faible sourire. Elle le ressentait, il n'était pas parti. Cette créature était dotée d'une grande intelligence et surtout, le lien entre eux semblait puissant.
La maison de la Nourrice se trouvait à deux kilomètres plus loin, dans un pré également. Lorsqu'ils s'en approchèrent, Aeria put distinguer les deux tours aux extrémités de la bâtisse, également, l'endroit ressemblait à un manoir où un orphelinat. Hervos expliqua à Aeria, sur le chemin qui les menait là-bas, qu'il avait confié à cette femme ses filles à son arrivée ici. Cela lui permit de rénover un petit peu leur chaumière, et également de faire son deuil, dans les larmes et l'alcool.
Ils passèrent le pré aux herbes hautes et vertes habillé d'arbres anciens desquels les feuilles d'automne tombaient puis Hervos frappa à la porte en saisissant l'anneau qui y était accroché. Quelques secondes plus tard, une femme d'un certain âge leur ouvrit la porte. En reconnaissant les petites, elle afficha un large sourire et enlaça Theodora avant de prendre Camille dans ses bras.
— Deux petits anges me rendent visite ! S'exclama-t-elle.
— Est-ce que les autres enfants sont là ? Demanda Theodora.
— Bien-sûr, ils sont dans la cour à l'arrière, vas les rejoindre.
Theodora jeta un regard à son père qui lui accorda cette faveur. Alors elle courut dans le vestibule pour rejoindre l'arrière de la grande demeure. L'intérieur était entretenu et propre, le bois était ciré, les escaliers, le lambris et le parquet étaient de la même couleur. Une peinture saumon légèrement craquelée harmonisait le tout.
Madame Guyard les invita à prendre une tasse de Thé dans le salon dédié aux invités.
Assis sur le sofa, Hervos prit sa fille Camille dans ses bras et Aeria s'installa à côté de lui. Leur hôte s'assit sur le fauteuil en face, seule une petite table en bois sculptée les séparait. Ils étaient réchauffés par le feu de cheminée qui crépitait en continue. Elle leur tendit leur tasse de thé fumant qu'ils prirent volontiers.
Aeria garda ses mains autour de la porcelaine, appréciant sa chaleur.
— Je lui ai dit que vous aviez été Archiviste, commença Hervos tout en berçant sa fille.
— En effet oui, rétorqua Madame Guyard, j'ai tout de suite remarqué vos magnifiques cheveux et vos yeux uniques...
Aeria lui répondit d'un sourire courtois.
— Connaissez-vous vos parents ? Demanda la Nourrice.
— Non, enfin... j'ai cru comprendre que les parents qui m'ont élevée n'étaient pas ceux qui m'avaient conçue.
— Il va de soit que si vos parents arboraient tous deux des cheveux plus sombres ou blonds, jamais ils n'auraient pu concevoir une femme telle que vous. À moins d'une union hors mariage... un adultère de la part de votre mère.
— Ma mère était si stricte que cela m'étonnerait... soupira Aeria.
Elle but une gorgée de son thé alors que Madame Guyard posait sa tasse sur son socle. Elle croisa les jambes, maniérée comme elle l'était, elle paraissait pourtant chaleureuse. Ses cheveux grisonnants étaient relevés dans un chignon, sa jupe ajustée et son chemisier rouge n'affichait aucun plis.
— Voilà ce que je sais... commença-t-elle.
Aeria garda ses bras posés sur ses jambes, prête à entendre ce qu'on avait à lui dire.
— Il y'a bien longtemps, il existait un peuple. Le peuple de Daghvïir. Ils vivaient reclus sur une île, et leur sang pur les rendaient uniques. Leurs cheveux étaient roux, leurs peaux était bronzée par le soleil. Certains naissaient avec des dons disaient-ont. Sur leur île, Daghvïir, vivaient aussi les Dragons. Leur peuple était gouverné par celle qu'ils avaient appelé la grande Prêtresse, leur souveraine à tous, Thearsis.
Aeria haussa les sourcils, elle humecta ses lèvres, un pincement au coeur.
— Elle seule possédait le pouvoir unique de manier le feu, et celui de comprendre les Dragons. Cependant, le bonheur n'existe qu'un temps et la sérénité aussi. Leurs richesses provenaient de l'or conçu par les dragons, par le feu... mais tous n'étaient pas si dociles. Dërva, le démon dans leur langue natal, était un dragon puissant, le tout premier de sa lignée. Ce dragon ne se soumettait jamais et au fil du temps, avait décidé de les détruire et de devenir le souverain suprême. Cependant, une guerre éclata lorsque Thearsis, son peuple et ses Dragons ripostèrent. Dërva brûla tout sur l'île, les enfants, les femmes, les maisons, les animaux, la végétation... et le peu de survivants furent abandonnés par leur souveraine qui quitta ces Terres après un rude combat, la raison a cela... personne ne la connaît.
Le thé d'Aeria refroidissait. Pendue aux lèvres de la Nourrice, elle écoutait son récit, comme si elle le vivait.
— Vous imaginez bien qu'au fur et à mesure, certains explorateurs découvrirent cette île, dépourvue de Dragon. Dërva fut vaincu des années auparavant, personne ne sait comment, probablement fut-il tué par Thearsis mais sa dépouille ne fut jamais retrouvée. Des liaisons eurent lieu entre les explorateurs et les Daghvïiriens, de rares enfants roux comme vous Aeria, naquirent outre-mer.
Madame Guyard affichait une esquisse, compréhensive et douce.
— Dans les archives, ils parlèrent d'une histoire qui manqua de provoquer une guerre civile à Daghvïir. Cette histoire s'est produite il n'y a pas si longtemps. Il est dit qu'un homme souhaitait par dessus tout découvrir le monde, mais le roi n'a jamais voulu que son peuple martyr ne connaisse de nouveau le chaos et la souffrance en quittant leur île. Ce même homme avait une femme qu'il chérissait de tout son coeur et de cet amour naquit un enfant. La mère de cet enfant demanda à son époux de quitter l'île et d'emmener leur progéniture avec lui. La vie à Daghvïir n'était pas simple, ils étaient souvent attaqués par les pirates pour que l'or soit pillé et n'avaient plus le droit de quitter leur Terre au risque d'une grave sanction par leur Roi.
— Un Royaume indépendant alors... marmonna Aeria.
— Tout à fait, une septième Terre, par delà l'océan. L'homme quitta son île, avec son enfant. Il brava l'océan, dans l'espoir d'offrir à son bébé, une vie riche et remplie de rencontre, de diversité et surtout... l'espoir d'évoluer, et de ne plus avoir peur du moindre ennemi, du moindre inconnu... Ils vivaient dans la peur constante d'une nouvelle Guerre, la peur de croiser de nouveau un Dragon... ils en étaient effrayés à cause du passé de leur île. Rapidement, le peuple de Daghvïir perdit son nom, et outre-mer, pour ceux qui connaissaient leur existence qui devint une légende au fil des années, nous les appelions ; Le peuple de Feu.
Aeria inspira profondément. Venait-elle de là-bas ? Tout laissait à croire que c'était le cas.
— Dans les archives, l'enfant est mentionné. Ils avaient atteint Valmont et son port. Malheureusement, le père de l'enfant était mort d'une pneumonie mais nous pûmes récupérer son journal ainsi que toutes les informations écrites à l'intérieur, dont cette histoire de Dërva et Souveraine...
La Nourrice termina son thé puis pinça ses lèvres peintes de rouge.
— L'enfant a été adopté par un couple de commerçants, peu fortunés mais ils ne pouvaient pas avoir d'enfants. La couleur de ses cheveux ne définissait pas son ethnie à Valmont, là-bas la population est diversifiée...
— Alors la mère de l'enfant est toujours en vie ? Demanda Aeria.
Madame Guyard savait très bien que la question d'Aeria la concernait elle. Il n'était pas difficile de songer à sa propre personne à l'entente de ce récit. Sa particularité étant si rare que en cent ans, Aeria fut la seule femme aux cheveux roux à voir le jour outre-mer.
— Peut-être est-elle en vie, oui.
— Les archives mentionnaient son prénom ? Ou bien le journal de cet homme ? Insista la jeune femme.
— Il y avait un nom, rétorqua la Nourrice.
Aeria l'interrogea du regard tandis que Hervos demeurait silencieux, son enfant endormie dans les bras. Il profitait de cette étreinte, car il ne pouvait anticiper le temps que durerait sa nouvelle aventure aux côtés d'Aeria.
— La mère de l'enfant se prénommait Irënia.
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