XIX - Entraîne ta lame

Aeria se trouve dans la cour arrière du château, là où habituellement, les chevaliers s'entraînent. Nathanael lui a fourni une cotte de mailles qui semble peser une tonne, des gants car il fait froid et une épée en bois. Il s'est également muni d'une fausse arme.  Cela fait bien longtemps qu'il n'a pas manié l'épée, la dernière fois était pour couper le nez du messager du roi, mais cela n'était guère un combat. Nathanael ne s'est pas battu à l'épée depuis bon nombre d'années.

Il fut un temps durant lequel il était un combattant hors pair, agile, rapide, efficace, personne ne résistait au tranchant de sa lame, pas même les adversaires les plus coriaces. Il n'avait aucune pitié pour ses ennemis, son épée coupait tout sur son passage et laissait derrière elle une mare de sang qui plaisait au jeune homme qu'il était.

Cette épée est dorénavant accrochée au mur, dans son bureau, au dessus d'une étagère, là où elle lui semble impossible à atteindre pour ne jamais plus y toucher.

— Nous allons tester vos réflexes, commence-t-il.

Il met sa main libre dans son dos, se tient en place, l'épée de bois en main, Aeria fait de même, la tenant à deux mains. Nathanael attaque une première fois, elle pare son coup, recule en même temps car ce dernier était puissant. Les bras de la jeune femme tremblent, cela lui parait difficile à éviter. Nathanael frappe et avance chaque fois qu'elle recule, elle se presse de parer ses coups jusqu'à ce que son arme glisse de ses mains et n'atterrisse sur le sol. Nathanael garde son épée pointée vers la jeune femme, le bout de celle-ci chatouillant son menton. Aeria relève celui-ci, sans lâcher son époux des yeux.

— Vos bras sont trop fébriles, grommelle le roi.

— Recommençons, grogne Aeria.

Droit comme un soldat, Nathanael baisse son arme et se remet en place, faisant tourner l'épée dans sa main avec une dextérité étonnante. Cela ne manque pas d'impressionner la jeune femme, mais elle ne doit pas s'arrêter là. Si elle sait se défendre, plus aucun homme ne pourra la bafouer comme l'a fait Alecsi.

Elle ramasse son épée, souffle sur une mèche de ses cheveux puis se remet en place. À peine l'est-elle que Nathanael l'attaque. Aeria tient son épée à deux mains, pare les coups de son époux mais ne cesse de reculer à chacun d'entre eux. Il est rapide et ne lui laisse pas une seconde de répit, finalement, il tourne sur lui même et frappe ses jambes avec sa lame de bois. Aeria tombe sur le dos, les tibias douloureux puis fixe le ciel, essoufflée.

— Vous ai-je fait mal ? S'inquiète le roi.

Aeria serre les dents, inspire profondément et se relève, son épée toujours en mains.

— Non...

Nathanael la toise, peu convaincu. La jeune femme essuie rapidement la larme qui perle au coin de son oeil.

— Recommençons, ordonne-t-elle de nouveau.

Cet entraînement durera près de deux heures, sans une pause. Durant ces heures interminables, Aeria se prendra des coups aux jambes, aux bras, sur le ventre, des coups douloureux, elle apprendra à en parer quelques uns mais jamais suffisamment pour lui permettre d'avoir l'air d'une battante.

Essoufflée, le corps endoloris, le visage enduit de sueur et de poussière, Aeria jette son épée sur le sol et passe ses mains dans ses cheveux. Elle s'accroupit finalement, se tenant le visage, les larmes aux coins des yeux.

— Je suis bonne à rien si ce n'est à servir de souffre douleur aux hommes... sanglote-t-elle.

Nathanael demeure distant, il l'observe, silencieux, semblant pensif. Aeria secoue la tête et se mordille les lèvres.

— Je me sens ridicule, en quelques heures, je n'ai même pas appris une seule chose.

— Parce que vous n'observez pas votre adversaire, rétorque Nathanael.

Elle lui jette un regard, toujours accroupie, épuisée, le corps meurtri.

— Vous ne m'observez pas, vous ne regardez pas quels sont mes mouvements, quels pourraient être mes points faibles. En appréhendant la technique de son adversaire, on parvient plus facilement à deviner ses coups. D'autant plus que tenir son épée à deux mains peut servir à asséner des coups brutaux mais cela ne vous permet pas d'être rapide, c'est pour cela que vous vous épuisez aussi vite.

Il marque une pause et relève le menton.

— Relevez-vous, ordonne-t-il.

Aeria se relève, docile. Il s'approche d'elle, la regarde droit dans les yeux un instant, ce qui semble faire battre le coeur de la jeune femme beaucoup plus vite. Il détourne finalement son regard, prend la main de sa femme et lui pose l'épée dedans. Il lui fait refermer la main fermement sur le manche de l'arme.

— Tenez-la correctement.

Il lui fait lever le bras.

— Dites-vous que cette épée est en bois, une véritable épée en fer forgée pèse deux fois plus lourd, il vous faudra la tenir fermement pour ne pas la lâcher.

Sans prévenir, il frappe son bras de sa main, Aeria lâche aussitôt l'épée.

— Vous voyez, vous ne la tenez pas fermement, il vous faut muscler vos bras pour gagner en force. Ramassez l'épée.

Elle ramasse l'épée, la tient à une main, relève le bras et Nathanael la frappe de nouveau, son arme tombe au sol rapidement. Cet exercice dure une heure de plus jusqu'à ce qu'Aeria parvienne à ne pas lâcher son épée, bien que son avant bras est dorénavant couvert de bleus.

Par la suite, Nathanael lui apprend comment esquiver un coup, lorsqu'il tente de frapper son bras, elle doit esquiver et le menacer de sa lame. Ce nouvel exercice dure une heure de plus, les premières fois furent des échecs, Aeria n'observe pas suffisamment et n'appréhende pas correctement les coups de son époux.

À la fin de cet exercice, lorsque Nathanael tente de la frapper, elle esquive son coup, tourne sur elle-même et pointe son épée en sa direction.  Il esquisse un faible sourire puis lève les mains à hauteur de son visage.

— Je me rends soldat, vous voilà de plus en plus rapide.

Elle sourit légèrement puis baisse son arme.

— C'est épuisant... soupire-t-elle.

— Entraînez-vous à frapper les bois d'entraînement quand vous le voulez, jusqu'à ce que votre technique devienne plus précise. Chaque guerrier a sa propre technique de combat, il vous faut trouver la votre et ensuite, nous tenterons de nous battre pour vous entraîner.

Elle hoche la tête. Elle ne pensait pas que cela demandait autant d'efforts, autant de dextérité, d'agilité et de force mentale. Cela parait si simple lorsqu'on observe quelqu'un se battre mais au final, un coup d'épée peut être extrêmement puissant selon l'ennemi et facilement destabiliser l'adversaire en face. Il est clair que Nathanael n'y a pas mis toute sa force durant cet entraînement, fort heureusement pour la jeune femme.

— Je vous laisse, allez donc prendre un bain, cela vous détendra, reprend Nathanael, le comte d'Epinasse quitte Les Landes aujourd'hui, je me dois d'être présent lors de son départ. Je vous dispense d'y participer,  il ne mérite pas vos salutations.

— Merci, Nathanael... souffle-t-elle.

Il lui répond d'un signe de tête puis quitte la cour, laquelle est entourée d'arbres morts, personne ne se trouve autour. Nathanael a fermé les lieux aux invités de la cour, plus personne ne met les pieds ici, sauf Aeria et lui dorénavant. Avant cela, il ne s'y était pas rendu depuis bien longtemps, néanmoins, il a la facilité d'occulter ses émotions ou les souvenirs qui pourraient perturber son esprit.

Lorsqu'elle se retrouve seule, la jeune femme s'entraîne sur les bois, ceux-ci sont conçus avec de la paille, de la corde et du bois, formant des rondins suffisamment solides pour recevoir des coups pendant des heures. Ainsi, elle le frappe, encore et encore, pousse des grognements pour se donner de la force et surtout, cherche sa gestuelle, sa technique, sa façon d'attaquer, de frapper, de faire mal... oubliant les douleurs musculaires et la fatigue qu'elle ressent.


De son côté, le roi raccompagne le comte à sa voiture, devant le château. De ce côté de la demeure, la vie est vive, les habitants se promènent, vendent leurs marchandises et s'occupent des chevaux. Cela ne ressemble en rien à la cour du roi des Cinq Terres, celle-ci étant bien plus distinguées et jonchées de grands jardins fleuris. Ici, il n'y a que boue, poussières et arbres morts, mais le peuple des Landes s'en est accommodé au fil des années. Leur rappelant que Les Landes ont survécu à la guerre du Feu, que cette Terre a survécu, malgré ses cicatrices, aux attaques de Dragons.

— Je dois admettre que mon séjour en ces lieux fut fort gourmand, les femmes ici sont toutes très libres. Vous devez bien vous amuser Nathanael, raille Alecsi en descendant les marches.

Nathanael garde ses mains derrière son dos et le suit.

— Nos femmes à nous sont plus jolies ,certes, mais ce sont des culs serrés, les vôtres semblent si dévergondées que je pourrais passer mes journées au lit avec elles.

Ils s'arrêtent tous les deux devant la voiture tirée par deux chevaux menés par un cochet.

— Enfin, votre femme, je dois avouer que sa beauté est incomparable. Je n'en ai jamais vu de si belle, sa peau si douce et sucrée... ses cheveux soyeux... ses lèvres pulpeuses et humides... et sa petite...

Nathanael saisit le col du manteau du comte et le soulève pour rapprocher son visage du sien. Alecsi ne touche presque plus le sol, à moitié étranglé par l'étreinte puissante du roi des Landes.

— Je vous interdis de parler de ma femme de cette façon à qui que ce soit. Je vous interdis de reposer vos sales petites mains répugnantes sur elle, ne serait-ce que pour lui serrer la main. Je vous interdis de songer à elle, de rêver d'elle, de prononcer son prénom à qui que ce soit... est-ce bien clair ?

— Nathanael, lâchez-moi, vous me faites mal, couine le comte.

— Non, vocifère Nathanael, je ne vous ai pas encore fait mal...

Il serre davantage le col de ses deux mains et rapproche Alexsi de lui, leur visage à quelques centimètres, les mâchoires serrées, Nathanael le toise avec ardeur, ses yeux bleus devenant de plus en plus sombres.

— Si j'ai le malheur d'apprendre que vous n'avez pas respecté mes interdictions, alors je ferai en sorte de vous retrouver, je vous arracherai les testicules et vous les enfoncerai dans la bouche pour que vous vous étouffiez avec. Si cela ne suffit pas à vous tuer, je vous émasculerai totalement, et je vous pendrai avec vos tripes, me suis-je bien fait entendre ?

Le comte déglutit difficilement.

— Répondez-moi Alecsi ou je vous assure que je vais réellement vous faire mal.

— J'ai... j'ai bien entendu vos interdictions, Majesté...

— Bien... grogne Nathanael.

Il lâche finalement le col du comte et lui lisse pour que les plis ne se voient plus.

— Dans ce cas, faites bon voyage vers Epinasse, en espérant vous revoir dans Les Landes très prochainement, minaude faussement Nathanael.

Alecsi hoche la tête, quelque peu chamboulé par cette altercation et ces menaces.

— Oui... vous aussi, enfin... je voulais dire... vous êtes le bienvenu à Epinasse. Au revoir, Nathanael.

Alecsi monte dans sa voiture et laisse le valet fermer la porte après être entré à son tour. Les chevaux l'éloigne lentement, Nathanael, les mains croisées derrière le dos, l'observe quitter sa demeure. Le voyant l'observer, Alecsi tire les rideaux de sa voiture.

Nathanael reste au pas de l'escalier menant à son château et ce, jusqu'à ce que le carrosse du comte d'Epinasse disparaisse derrière les grandes portes menant aux marais. Nathanael tourne les bagues qu'il porte aux doigts, des doigts liés à des mains qui semblent être recouvertes de sang.

Et ce, depuis bien trop longtemps.





Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top