XIII - Enfermée dans un rêve
Qu'était un souvenir lorsque l'esprit, embrumé, parvenait à l'effacer ou tout du moins, à l'occulter ? Était-ce simplement une protection ? L'esprit occulte mais n'oublie pas.
Était-ce un déni ?
Il était difficile pour Aeria de se souvenir. Son esprit était embrumé et son passé flou. Elle se souvenait des dragons, de Lauan, de sa cruauté, de la guerre, de toutes ces tueries à répétition et même de la mort de Thearsis. Cette douleur ne disparaissait pas, même lorsque ses souvenirs étaient en périls.
Cependant, elle avait oublié l'homme à qui elle s'était mariée. Dans son esprit se dessinait une histoire similaire mais différente. Son époux avait été tué par le roi, mais qui était-il ? D'où venait-il ? Tout cela était trop trouble pour s'en souvenir.
Une partie d'elle luttait, une partie d'elle savait. Chaque jour, Aeria se réveillait avec un pincement au cœur car chaque nuit, elle rêvait de la même chose.
Elle rêvait de lui.
Ses rêves paraissaient si réels, si intenses. C'était comme se souvenir de la sensation que cela procurait d'être touchée par ses grandes mains rêches, d'être embrassée par ses lèvres douces et gourmandes...
Dans ses rêves, Aeria se tenait toujours face à une grande fenêtre par laquelle elle observait des marais, au dessus desquels des dragons semblaient danser. Puis elle apercevait son reflet et le voyait s'approcher d'elle, l'enlacer par la taille et la coller contre son torse chaud et dur. Elle fermait les yeux à chaque fois, esquissait un sourire et posait ses mains sur les siennes. Elle laissait reposer sa tête contre lui et cela dégageait son cou sur lequel il déposait de doux baisers. À chaque fois, des frissons la parcouraient, son corps se réveillait en même temps que ses sens. Le désir qu'elle ressentait pour lui grandissait à mesure qu'il embrassait sa peau, caressait son corps avec ses mains. Ses bras étaient sécurisants, ses gestes rassurants.
Quand elle se retournait vers lui, sans jamais se décoller de son corps chaud, elle pouvait alors plonger ses yeux dans les siens et se perdre dans l'océan qu'ils abritaient. Elle posait sa main sur sa joue, admirait sa beauté, sa prestance. Quelle femme n'aurait pas été fière d'être avec un homme comme lui ?
— Tu m'as manqué, soufflait-elle.
Et après ces mots, ils s'échangeaient un baiser passionné. Puis, petit à petit, la pression montait d'un cran. Il l'a libérait de ses vêtements, pelotait chaque parcelle de son corps, embrassait et mordillait même ses tétons. Quel plaisir c'était que de songer à tout cela. Ils faisaient l'amour, comme au premier jour, comme si c'était également la dernière fois qu'ils se voyaient. Son corps large s'appuyait contre le sien qui était plus frêle, la chaleur de leur peau les faisait transpirer de désir, l'ardeur de leurs mouvements augmentait leur plaisir.
Ils s'unissaient dans des gémissements non contrôlés, et leurs cœurs battaient ensemble, comme si l'un sans l'autre, ils ne vivaient plus.
Lorsqu'Aeria ouvrit les yeux, sa première respiration lui sembla douloureuse, comme chaque matin depuis déjà trois mois. Elle cligna plusieurs fois des paupières, sans bouger le petit doigt, allongée sur le dos à fixer le plafond. Les rayons du soleil passait à travers les rideaux entrebâillés et les oiseaux chantonnaient à l'extérieur.
Un gémissement endormi à ses côtés la fit revenir à elle. Elle qui avait quelques larmes brûlant ses yeux dorés.
Kaïs se retourna et passa son bras autour d'elle, un bras lourd et épais.
— Déjà réveillée ? Marmonna-t-il d'une voix endormie.
Elle tourna la tête vers lui. Il était sur le ventre, le visage à moitié caché dans son oreiller. Il la regardait de ses yeux verts.
— J'ai encore du mal à me faire à cet endroit... souffla-t-elle.
Il se redressa, déposa un baiser sur sa joue puis se leva, entièrement nu. Dos à elle, il s'étira puis se servit un verre d'eau, la carafe à moitié pleine.
— Je te comprends, Hazanel n'est pas la plus belle des Terres. C'est cependant ici que les Dragons ont leurs repères.
Aeria s'assît dans le lit, elle gardait la couverture contre elle afin de couvrir son corps, les cheveux légèrement en bataille.
— Hm... souffla-t-elle tout en fixant un point devant elle.
Après avoir vidé son verre d'eau, Kais se tourna vers elle, sans aucune pudeur.
— Aeria, tout va bien ?
Elle cligna des paupières puis posa ses yeux sur lui.
— Oui, rétorqua-t-elle en feignant un sourire.
Il s'approcha d'elle, grimpa sur le lit, les poings appuyés sur le matelas, il plongea son regard dans le sien, son visage à quelques centimètres.
— N'as-tu pas envie de les retrouver ? S'étonna-t-il.
— Ne sont-ils pas mieux en liberté ? Totalement libres ?
Kais laissa ses épaules s'affaisser et poussa un profond soupir.
— Je me souviens avoir aimé la liberté, peut-être même trop... cependant, ces dragons là n'ont rien de ce que j'ai pu être moi.
Aeria resta muette, elle le regardait simplement, le visage encore légèrement endormi.
— Ils sont plus petits et absolument pas indépendants puisque dès leur naissance, ils étaient accompagnés par l'Homme. Ils ont besoin de toi, de moi... de nous.
Il passa une mèche des cheveux roux d'Aeria derrière son oreille et lui sourit. Il arborait de beaux cheveux lui aussi, ceux-ci légèrement ondulés retombaient devant son visage le matin.
— Bien-sûr, je veux les retrouver, déclara-t-elle docile.
Aeria était éteinte, totalement éteinte. Quelque chose en elle était vide, arraché, piétiné et cette part d'elle qui se souvenait la rendait perplexe certaines fois. C'était comme un combat intérieur, une lutte dont elle n'avait même pas idée qui, petit à petit, la vidait de toute énergie. Alors parfois, il était mieux de s'éteindre.
— Tu es parfaite, s'extasia Kaïs en lui déposant un baiser sur le front.
À la suite de cela, il quitta la pièce, la laissant seule dans sa torpeur. Elle tourna la tête vers la fenêtre et tendit l'oreille pour apprécier le chant des oiseaux. Les images de son rêve encore en tête. Elle laissa glisser sa main sur ses lèvres, comme si elle sentait encore ces baisers, comme s'ils avaient déjà existé.
— Où es-tu...? Murmura-t-elle.
~
— Hissez les voiles ! Cria un marin.
De son côté, Natanaël se trouvait sur un bateau, avec de nombreux hommes. Il tirait la corde afin de hisser la voile, tous ses muscles bandés sous le vent qui luttait contre la voile. Il entoura la corde autour de son bras, tira, tira... et put enfin l'accrocher. Ainsi, le bateau vogua sur l'océan agité comme ce fut le cas depuis plusieurs jours déjà.
Que s'était-il passé en trois mois pour lui ? Il suivit Harold et son amie jusqu'à Valmont, là-bas, ils eurent droit à l'hospitalité de certains de leurs alliés. Ils purent manger, se reposer, se laver. Natanaël fut quelque peu déboussolé à cause du poison qu'il avait ingéré pendant plusieurs jours avant que des souvenirs de sa soirée ne lui reviennent en mémoire et qu'il ne se rappelle de ce que ces filles lui avaient fait et ce que lui-même leur avait fait. Il s'en était voulu atrocement ce jour-là et encore à ce jour, sa culpabilité le rongeait.
Natanaël avait toujours été quelqu'un de fidèle, il portait toujours son alliance et pour lui, agir de la sorte était une trahison bien qu'il savait au fond de lui qu'Aeria ne le reconnaissait plus. Peut-être même avait-elle des relations avec Kaïs, cela ne le surprendrait pas, quand on savait l'étendu de son pouvoir. Alors impossible de lui en vouloir.
— Un brave marin comme toi, on n'en voit pas tous les jours ! le complimenta le second du capitaine.
C'était un homme d'une quarantaine d'année, le visage marqué par ses voyages et le sel de la mer, les cheveux grisonnants déjà si tôt, une ou deux dents manquantes à cause des bagarres qui éclataient parfois sur le bateau mais il était enjoué et semblait aimer naviguer. Certains hommes comme lui préféraient passer des mois en mer plutôt que quelques jours sur terre.
Il lui frappa le dos fermement pour l'encourager et le féliciter. Natanaël lui adressa un bref sourire avant de se concentrer sur Harold qui les rejoignait tout juste. Visiblement, en un an, Harold s'en était fait des alliés, au point où ces marins avaient accepté de les mener par delà l'océan, sans savoir ce qui se cachait au bout, avec en contrepartie, simplement leur contribution aux tâches du bateau.
Amélia était la seule à savoir à peu près où se trouvait la Terre qu'avait trouvé Lauan. Cette septième Terre qu'il gardait secrète. Il avait dit à sa femme que là-bas se trouvait un trésor, des armes inestimables. Pour Natanaël, c'était peut-être là la solution pour éliminer Kaïs : trouver l'arme qui pourrait lui nuire.
Ce dernier traversa le pont, évita de justesse le jeune garçon qui passait la serpillère sans regarder autour de lui. Il se pencha en avant pour entrer dans la soute et rejoindre Amélia. Cette dernière peinait à se remettre de la perte si brutale de son époux, elle tenait le coup, cependant, elle restait fragile. Natanaël manqua de rentrer dans Anastasia, l'amie d'Harold, cette même femme qui les avait sauvé des griffes de Kaïs.
Il se décala sur la droite pour la laisser passer, cependant elle fit de même, en même temps, alors ils se décalèrent sur la gauche en même temps, ce qui fit rire la jeune femme.
— Je vais finir par croire que vous voulez me coincer ici Monsieur Astassard, blagua-t-elle.
C'était une belle femme, plus grande qu'Aeria, blonde aux yeux verts, elle arborait de petites tâches de rousseurs sur sa peau blanche. Ses formes étaient plus prononcées mais sa beauté n'égalait en rien Aeria.
— Il va falloir cesser d'espérer passer du temps avec moi, grommela Natanaël. Je suis marié.
Il passa à côté d'elle. Anastasia se mordilla les lèvres puis se retourna pour le suivre des yeux.
— Jusqu'à preuve du contraire, vous êtes seul depuis bien longtemps. Votre femme n'est pas là et peut-être ne le sera-t-elle plus jamais.
Natanaël s'arrêta, dos à elle. Il releva la tête, les mâchoires crispées.
— Enfin... vous m'avez comprise, reprit-elle. Je ne voulais pas paraître indécente, excusez-moi.
Il inspira profondément.
— Cette arrogance me rappelle ma femme, justement... grogna-t-il.
Après ces quelques mots, il disparut dans la soute, parmi tous les autres marins qui s'acharnaient à la tâche. Il faisait sombre ici, alors des petites lanternes avaient été accrochées un peu partout pour laisser de la lumière, même les hublots ne laissaient pas passer suffisamment de clarté pour y voir quelque chose.
Anastasia sourit légèrement avant de reprendre son activité. Elle n'était pas insensible au charme de Natanaël mais comprenait aussi sa réticence, puisqu'il cherchait à tout prix à récupérer sa dulcinée. Elle était là pour l'aider et non pour lui mettre des bâtons dans les roues, cependant, se chamailler de temps en temps l'amusait.
Pendant qu'Aeria était enfermée dans un rêve qui, plus les nuits passaient, plus semblait réel, Natanaël voguait sur l'Océan, dans l'espoir de la libérer. Elle ne se doutait pas une seule seconde que l'homme de son rêve était son mari et que, à des milliers de lieux d'Hazanel, il risquait sa vie pour elle.
Comme si, finalement, ce rêve n'en était pas un et que la réalité était parfois bien plus forte.
Néanmoins, tous les marins le savent, l'Océan est impitoyable pour qui s'y aventure un peu trop loin...
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