XII - Douce liaison

Depuis près d'une semaine, Aeria passe beaucoup de temps à l'extérieur du domaine, en présence d'Harold, sous l'œil attentif du roi. Ce dernier n'est plus écuyer, il est entraîné par les meilleurs chevaliers et aura droit à un duel pour accéder à la place de garde royal. Il se battra contre l'un des meilleurs combattant du roi, qui jusqu'alors, n'a jamais eu droit à sa place.

Bien évidemment, depuis tout ce temps a les observer, Nathanael, probablement par jalousie et par force d'ego, espère de tout cœur qu'Harold périsse durant ce duel.

Aeria rigole avec lui, monte à cheval, s'occupe des écuries. Elle semble bien plus rayonnante en sa présence qu'en celle du roi et du haut de sa tour, Nathanael voit tout.

Ils ne se sont pas reparlé depuis ce jour, dans les bois, face au dragon et Aeria n'est pas décidé à lui adresser la parole. Alors elle mange dans sa chambre, et le roi dîne seul dans sa grande salle à manger monotone.

— Vous savez, Aeria, commence Harold, je n'avais encore jamais entendu parler d'une reine aussi proche de son peuple que vous.

Tout deux nettoient les écuries, les cheveux noués et désordonnés, les vêtements tachés de saletés, Aeria paraît bien moins noble et bien plus normale.

— Voyez-vous, il y a une première fois à tout, s'amuse-t-elle.

Il sourit légèrement puis plante son râteau et s'appuie dessus tout en l'observant. Peut-être même l'admire-t-il.

— Je suis curieux de connaître votre vie d'avant, je suppose que vous deviez être une belle personne également.

Le sourire d'Aeria se dissipe peu à peu. Elle cesse son activité, s'essuie le front et lui jette un regard.

— Je ne pense pas avoir servi à grand chose auparavant. Aujourd'hui, je ne suis pas plus une reine qu'avant. Je reste cette femme qui subi, peut-être trop gentille et naïve.

Harold la toise, appuyé sur son râteau. Il semble compréhensif mais quelque peu déçu de ne pas en apprendre plus sur elle. Ils s'entendent bien, rient beaucoup ensemble et le temps passe si vite en sa présence. Cependant, demain, Harold a un combat à remporter pour servir le roi en tant que garde, il s'est entraîné dur et ses muscles en sont fatigués. Son temps libre, il le passe avec Aeria, dès qu'il le peut et ces petits rendez-vous et moments passés ensemble sont vite devenus une routine que ni lui ni elle ne souhaitent briser.

— Je dois aller m'entraîner, vous n'êtes pas obligée de terminer de nettoyer les écuries, d'autres s'en chargeront.

Aeria relève le menton et esquisse un sourire.

— Je peux me débrouiller seule, je n'ai pas peur de me salir.

— Cela, je n'en doute pas et c'est ce que j'apprécie chez vous.

Elle sourit d'autant plus, son coeur martèle sa poitrine. Ce n'est pas comme lorsqu'il bat fort car elle a peur, mal ou qu'elle se sent triste. C'est autre chose, comme des décharges d'adrénaline et pleins de petites fourmis qui grignotent son estomac.

— Faites attention à vous, nous nous verrons demain pour le Duel. Je prierai les Six Dieux pour vous.

— Il est certain que je gagnerai alors. Bonne journée Aeria.

— Bon entrainement, Harold.

Il lui adresse un sourire radieux puis range son râteau pour quitter les écuries. Aeria termine son travail, cela lui plaît ; être au contact des animaux, même si ramasser le crottin de cheval n'a rien de passionnant, elle se sent davantage libre à faire cela qu'à écouter les potins et ragots qui se racontent sur les Cinq Terres. Déjà petite, Aeria était proche des animaux et sa curiosité la poussait à vouloir explorer le monde entier. Malheureusement, les parents dont elle a hérité n'ont jamais nourri cette partie d'elle.

Elle mangera son dîner dans sa chambre, comme à son habitude et peinera à fermer l'oeil cette nuit malgré les câlins de son chat car son estomac se tord en sachant que le lendemain, Harold risquera sa vie pour servir son époux.

Elle n'aime pas la violence, peut-être car elle en a trop subi et le fait de devoir vivre dedans la rend d'autant plus malheureuse. Se marier aurait pu lui offrir une porte de sortie, mais elle voit là un nouvel enfer qui prend place alors elle se raccroche aux petites pincées de positif qui s'offrent à elle.

Au lendemain, lors du combat, Aeria se doit de se tenir près de son époux, vêtue d'une robe noire et or, habillée de bijoux et les cheveux lâchés, les boucles tombant en cascade sur ses épaules. Nathanael, tout de noir vêtu, est assis sur son trône, sur une parcelle réservée à la cour du roi au milieu des gradins sur lesquels prennent place les habitants Des Landes. Deux grandes torches sont allumées de part et d'autre et de leur place, ils ont la meilleure vue sur la gigantesque arène de sable et de poussières.

Aeria est assise à côté du roi qui ne daigne pas lui jeter un seul regard. Hervos est là lui aussi, les mains encore bandées, assis près du roi, comme s'ils étaient encore amis. Aeria n'en sait rien, en partie car elle ne lui adresse plus la parole depuis bon nombre de jours.

Le chant des tambours retentit, ce qui annonce l'entrée des deux combattants. L'un est le meilleur chevalier des Landes, anciennement main du roi des Cinq Terres, l'autre est un ancien écuyer tout juste formé à la chevalerie. Chacun est assis fièrement sur son destrier, une lance dans la main, un bouclier dans l'autre, à un bout de l'arène.

Lorsque les tambours s'arrêteront et que les trompettes sonneront, les deux hommes fermeront leur casque et se fonceront dessus pour faire tomber son adversaire en premier. Cependant, Nathanael attend bien plus que cela. Il attend que l'un des deux meure. Il ne souhaite pas un garde qui craint la mort, il souhaite un garde capable de le défendre au péril de sa propre vie.

Les trompettes sonnes, ce qui fait sursauter la jeune femme et, comme si tout se passait au ralenti, car le souffle d'Aeria s'est coupé, les deux hommes frappent leur casque et galopent sur le dos de leur destrier, eux aussi protégés d'une armure en fer forgé. Lances en main, en avant, muscles bandés et coeur palpitant, l'un d'eux ne profitera pas du festin de ce soir.

Aeria n'entend plus que son organe vital  battre contre sa poitrine, comme si c'était elle, sur le dos de l'un de ces chevaux. Puis elle revient à elle lorsque le son du heurt de la lance contre l'armure d'acier parvient jusqu'à ses oreilles. Les deux hommes tombent en arrière, dans un fracas sourd. Les chevaux hennissent et quittent rapidement l'arène. Harold a perdu son casque, ses cheveux en pagaille et la lèvre inférieure fendue. Il s'appuie sur ses mains pour se redresser, tousse, posant l'une de ses mains sur sa poitrine, comme s'il suffoquait, de la bave dégouline de ses lèvres ensanglantées.

Son adversaire se relève, le nez cassé, son sang qui coule à flot. Il semble ne même pas le sentir. Il ramasse sa lance et s'avance, titubant, vers Harold qui tente de reprendre ses esprits. Aeria ne tient plus en place sur sa chaise, serrant ses jupons dans ses mains moites. Nathanael, le coude posé sur l'accoudoir de son trone, la main sous le menton, lui jette un regard en coin. Il est loin d'être aveugle et sait très bien ce qu'il se trame entre elle et l'écuyer.

L'adversaire d'Harold jette un oeil en haut, vers son roi. Nathanael lui fait simplement un signe de tête en guise d'approbation pour l'autoriser à ôter la vie à notre jeune écuyer. Le remarquant, Aeria se lève et pose ses mains sur la rambarde glaciale.

— Harold ! Derrière vous ! hurle-t-elle.

Au même moment, un rugissement retentit et provoque une vague de surprise parmi la foule. Tout le monde lève la tête, certains se protègent même, comme si quelque chose allait leur tomber dessus. Aeria lève la tête à son tour, Nathanael s'est redressé sur son siège.

L'adversaire d'Harold semble scruter le ciel à la recherche de la créature qui a poussé ce cri. Harold en profite pour se relever, saisir sa lance. Il lève les yeux vers Aeria, croise son doux regard. Il peut lire la détresse dans les yeux de la jeune femme, il croit lire clairement ce qu'elle souhaite lui dire : tue-le, vis, bats-toi.

Alors, ni une ni deux, Harold pousse un grognement pour se donner du courage et court en direction de son ennemi. Il le frappe à coup de lance. Bien trop obnubilé par le ciel, le plus valeureux des chevaliers de la garde se retrouve rapidement à terre, assommé par les coups puissants qu'on lui assène. Harold ne s'arrête pas, le manche de sa lance brise la mâchoire de sa victime, puis ses pommettes, dont l'une s'enfonce dans sa joue, l'un de ses yeux semble même exploser et rapidement, ce jeune homme dont personne ne connaît le nom ne donne plus signe de vie. Rapidement à bout de forces, Harold lâche la lance, essoufflé, haletant comme s'il ne pouvait plus respirer. Il pose un genou à terre, les bras ballants, du sang ayant giclé sur son visage. Il lève lentement la tête vers Nathanael.

Ce dernier est resté assis, le menton levé, il semble rester impassible mais une vague de colère l'anime en ce moment même. Bien heureusement, Nathanael est un homme de parole. Il se lève et tire sur le col de son manteau noir. Il s'avance à côté d'Aeria qui s'écarte de quelques centimètres. Il pose ses mains décorées de bagues sur la rambarde et toise longuement Harold. La foule est silencieuse, observant la scène. Le sang est ce qui anime le peuple, les combats, des épreuves, la mort, tout cela, comme un spectacle, semble les faire sentir vivant, cela les fait vibrer et les divertis. Dans cette triste réalité, les livres de conte de fée ne sont qu'une option pour les plus petits, les adultes, eux, rêvent de bien plus.

— Félicitations, grommelle Nathanael. Vous voilà officiellement Garde du Roi.

Après ces quelques mots, la foule acclame leur nouveau héros et protecteur du roi sans connaître la déception de leur souverain. Lorsqu'il se retourne, Nathanael se penche légèrement sur le côté, vers sa femme.

— Ne recommencez plus jamais cela, la tricherie n'a rien à faire dans mon Royaume, bougonne-t-il tout bas.

Il quitte enfin les lieux, Aeria le regarde s'éloigner, soulagée de savoir son ami en vie mais à la fois horrifiée par l'époux dont elle a hérité.


La soirée se fera dans la joie, la musique, la danse, l'alcool. Le peuple est convié, s'amuse, les plus nobles ont droit de profiter des festivités à l'intérieur du domaine et les plus pauvres dansent autour d'un feu improvisé dans la grande cour du palais. Il y en a pour tout le monde et personne ne s'ennuie, personne ne pense à une potentielle guerre et beaucoup ont déjà oublié ce mystérieux rugissement venu du ciel.


Ne reste plus que le roi, son verre de vin à la main, l'air renfrogné, les mâchoires se serrant et se desserrant à rythme régulier. De sa place, il peut apercevoir Aeria rire avec Harold juste après que les deux tourtereaux aient dansé autour de ce feu de longues minutes. Lui, reste à l'intérieur, néanmoins par la fenêtre, peut distinguer leur joie, leur affinité, leur insouciance, leur attirance.

Il remarque qu'Aeria prend la main du nouveau Garde du roi et l'emmène avec elle vers les grands jardins, tapis dans l'obscurité. Nathanael serre si fort son verre que celui-ci se brise entre ses doigts. Quelques convives le remarquent mais les domestiques s'empressent de tout ramasser. Une servante essuie la main tâchée de sang du roi.

— Il vous faut des points, Majesté, vous êtes blessé... souffle-t-elle.

Il retire sa main de la sienne et passe à côté d'elle, sans un mot, il quitte la salle de bal et se renferme dans ses appartements. Son fameux bureau rond. Il fait les cents pas, la lumière de la lune passant fièrement par la fenêtre en cercle trônant sur le mur principal de son bureau.

— Comment peut-elle me manquer de respect à ce point ! gronde-t-il. Comment peut-elle se permettre de m'humilier ainsi, devant MON peuple ?!

Hervos est présent lui aussi, il est debout et observe son ami aller et venir.

— Je ne comprends pas... je ne l'ai pas renfermée, je ne l'ai pas violée, je ne l'ai pas violentée... au contraire, j'ai tenté de la protéger et je l'ai sauvée de ses misérables parents ! Alors pourquoi me fait-elle cela ?!

Nathanael se tourne vers Hervos.

— Car un mariage arrangé n'est pas un mariage heureux... souffle ce dernier.

Nathanael pose ses mains à plat sur la table et secoue la tête tout en soupirant.

— Je le sais, oui... mais j'ai besoin d'elle, elle est si près du but, si près de faire renaître ce que nous avons perdu depuis toutes ces années...

— Je ne souhaite pas vous voir périr, Nathanael, rétorque Hervos, pas une nouvelle fois.

Nathanael relève les yeux vers lui.

— Comment peux-tu encore te tenir devant moi, et ne pas me traiter de monstre pour les doigts que je t'ai coupé ?

— Comment le pourrais-je ? Je suis en vie, cela vaut bien dix doigts, je n'en ai que faire, si j'ai la possibilité de voir mes filles grandir et vieillir auprès de ma femme, alors je suis un homme comblé, avec ou sans doigts.

Nathanael s'assoit sur son fauteuil, ou plutôt se vautre-t-il sur son fauteuil, peut-être a-t-il abusé des verres de vin.

— Tu es un brave homme, je n'aurais pas dû agir sous la colère mais... que suis-je si je n'agis pas ainsi ? Je ne suis plus le roi des Landes dans ce cas, je ne suis plus qu'un pauvre fantôme...

Un court silence plane durant lequel, Hervos observe son ami, sans un mot, respectueux.

— Qu'allez-vous faire de votre épouse ?

Nathanael balance sa tête en arrière, souffle longuement tout en se pinçant l'arête du nez.

— Je vais la laisser vivre son idylle, marmonne-t-il tout en se redressant.

Il croise le regard de son ancien garde.

— Nous avons tous été amoureux un jour, n'est-ce pas ?

Hervos hoche la tête.

— Mais vous ? s'enquit-il.

— Qu'importe, grommelle le roi, je ne suis rien qu'un vestige du passé, je ne suis même pas certain que mon coeur puisse encore aimer.

Hervos baisse la tête, attristé de le savoir dans une si mauvaise posture. Nathanael et lui ont passé de longues heures ensemble à parler du passé, de leur vie, de leurs aventures, de leurs déceptions et leurs drames. Hervos connaît Nathanael mieux que quiconque au sein de ce palais et il sait reconnaître quand le roi souffre.

Souffre-t-il d'amour ? Ou d'un autre mal ?

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