X - La Montagne du Trépas

Lorsqu'elle se réveille, Aeria a son dos blottis contre Natanaël qui semble encore dormir. Ses deux bras autour d'elle, elle sent son souffle chaud contre sa nuque et entend sa respiration calme et régulière.

Le soleil s'est levé, bien qu'un faible brouillard vienne embrumer les lieux, empêchant alors Aeria de voir le sommet de la Montagne du Trépas au loin. Lorsqu'elle souhaite se hisser hors du lit, les bras de son époux se resserrent autour d'elle.

— Où allez-vous ? murmure-t-il.

Aeria reste immobile.

— Je... je souhaitais me lever, il fait jour, le château est réveillé.

— Vous sentez-vous mieux ?

— Je crois, oui...

En partie grâce à lui, car dans ses bras, Aeria a pu dormir sans se réveiller de la nuit.

— En voilà une bonne nouvelle.

Aeria se retourne face à lui. Elle pose sa main sous sa tête, tandis que Natanaël, les cheveux ébouriffés et les yeux encore mi-clos, garde sa tête appuyée sur son coussin. Il l'observe, de ses prunelles bleus, un bleu ciel comme on en voit en été, malgré toute la noirceur qu'il semble renfermer et tous ces secrets qu'il ne semble pas vouloir partager.

— Vous êtes comme un rayon de soleil, lui murmure-t-il.

Elle esquisse un faible sourire.

— Vous êtes si rayonnante, même le matin, même après avoir été attaquée par un animal.

Son sourire s'efface aussitôt, elle baisse les yeux sur le torse de son époux, un torse dessiné, lequel arbore deux cicatrices profondes et blanchâtres, une près du coeur et l'autre sous l'estomac, elle n'en voit qu'une partie.

— Ce n'était pas un animal... marmonne Aeria.

Natanaël lui fait relever la tête en saisissant son menton et plonge ses yeux dans les siens, ce qui glace la jeune femme le temps de quelques secondes.

— C'est ce qu'il faudra dire à quiconque vous interrogera, rétorque-t-il.

Aeria fronce les sourcils.

— Pourquoi ?

— Personne ne doit savoir qu'il est possible qu'un Dragon hiberne dans Les Landes. Puis-je vous faire confiance ?

— Et qu'allez-vous faire de ce Dragon ?

Natanaël pousse un profond soupir, il lâche le menton d'Aeria et se tourne sur le dos. Cette dernière s'appuie sur son coude pour se redresser et le fixe, attendant sa réponse. Il semble soudainement pensif.

— Vous ne me dites pas tout... souffle-t-elle.

— Moins vous en savez, mieux c'est.

— Pourquoi m'avoir épousée alors ?

— Car une femme comme vous peut prouver que Les Landes ne sont pas si terribles, je vous l'ai déjà dit.

— Vous mentez. Vous me mentez sans arrêt.

Elle s'assoit au bord du lit et passe sa main dans ses cheveux emmêlés.

— Certes, bougonne Natanaël.

Aeria est quelque peu déçue, elle pensait avoir passé un moment de complicité avec le roi, elle pensait qu'il se livrerait davantage mais mis à part savoir qu'il semble connaître l'existence de ce Dragon, il ne dit rien de plus.

— Je ne suis là que pour faire joli, souffle-t-elle les larmes aux yeux. Comme toujours et vous osez me dire que je ne suis pas autant prisonnière chez vous que chez mes parents... Vous vous servez de moi, vous ne m'aimez même pas. Personne ne m'a jamais aimé pour qui je suis. On ne s'est toujours que servie de moi, je ne suis qu'un trophée qu'on expose pour décorer...

Elle marque une pause et inspire profondément, relevant la tête, les yeux perdus dans l'horizon qui se profile par la fenêtre.

— Je vous pensais différent, reprend-elle, mais il n'en est rien, vous êtes comme tous ces hommes que j'ai connu, si ce n'est que vous ne souhaitez pas mon corps, vous souhaitez simplement que je ravive votre image.

Elle se lève finalement et quitte la chambre, sans un regard pour le roi. Ce dernier reste assis au milieu du lit, l'air pensif. Il soupire de longues secondes et se laisse retomber en arrière.

— Je n'ai pas le choix... murmure-t-il pour lui-même.


Apprêtée, habillée comme une cavalière, Aeria se rend aux écuries, là où travaille en général Harold. Ce dernier est bel et bien là, mais il ne ramasse pas le crottin de cheval, il semble rassembler ses affaires. Lorsqu'il se redresse, d'abord surpris de voir Aeria, il lui sourit ensuite.

— Majesté, comment vous sentez-vous ?

Il s'avance vers elle, tout son linge dans les bras.

— Vous partez ? demande-t-elle.

— Oh, non, je... je vais être sacré chevalier très prochainement.

Aeria plisse les paupières l'air inquisitrice.

— Le roi a sanctionné Hervos après votre disparition... nous vous pensions morte et je dois avouer que nous avons pris peur. Nous sommes rentrés au château mais le roi était fou de colère de vous savoir encore là-bas. Il a déshonoré son garde royal et lui a coupé deux doigts de chaque main afin qu'il ne puisse plus manier l'épée.

— Quelle horreur... marmonne-t-elle.

— Il valait mieux perdre quelques doigts que de finir la tête au bout d'une pique, ne pensez-vous pas ? Au moins, Hervos pourra voir ses enfants grandir et restez auprès de sa femme.

— Le roi est un monstre...

Harold hausse les épaules et pose ses affaires sur le côté.

— Je comprends votre dédain envers le roi, il n'est que peu clément avec nous autre et ses compères mais nous avons ici à manger, à boire, un logement... tous les individus qui vivent au château ou même dans Les Landes sont ceux qui sont bannis du Royaume généralement. Il paraît monstrueux mais il nous a sauvé, en quelque sorte. Je suppose que nous lui sommes tous reconnaissants aujourd'hui et c'est pourquoi nous le servons.

— Pourquoi avez-vous été banni ?

— Ce sont mes parents qui l'ont été, j'ai grandi ici mais je connais quelques histoires. Cependant, le plus intéressant c'est vous, ma reine, comment vous sentez-vous ? Avec cette chaleur, ces flammes, je vous pensais morte, je vous ai entendu hurler...

Aeria pousse un profond soupir et secoue la tête.

— Vous... vous avez dû m'entendre crier car j'ai pris peur.

— Mais qu'il y avait-il dans cette grotte ?

— Rien du tout, c'est moi, j'ai voulu faire du feu car je n'y voyais rien et je me suis brûlée...

Harold la toise, peu convaincu. Il baisse les yeux pour détailler son accoutrement et se pince les lèvres.

— Vous allez monter à cheval ?

— Oui, j'aimerais prendre Étoile s'il vous plaît.

Il sourit légèrement.

— Quel joli prénom pour une jument pareille, suivez-moi.

Harold rentre dans les écuries. Aeria regarde autour d'elle et peut apercevoir le roi à l'entrée du château. Les bras croisés, vêtu de son accoutrement noir habituel, il la toise sans bouger. Elle pousse un profond soupir, détourne le regard et rejoint Harold pour préparer le cheval.

Une fois en selle, Harold se propose pour l'accompagner, il va de soit que s'y aventurer seule n'est pas une bonne idée. Aeria refuse catégoriquement cependant et demande à Harold de rassurer son époux si celui-ci s'inquiète. Puis la voilà partie à la découverte des Landes, seule pour la première fois.

La marée est basse. Ce qui lui permet de la traverser rapidement. Au galop, les cheveux au vent, ce dernier fouettant ses joues qui rosissent par ce froid. Elle se sent libre pour la première fois, elle pourrait partir et ne jamais revenir, néanmoins elle sait que Natanaël est convaincu qu'elle reviendra et il ne se trompe pas.

Qu'a-t-elle de plus à retrouver hors de cette Terre ? Ses parents qui ne l'aiment que pour l'argent qu'elle leur rapporte ? Au moins ici, il y a Flocon, Étoile et Harold.

Dans la forêt, Aeria ne se fit qu'au sommet légèrement recouvert par la brume pour se guider. Plus elle s'en rapproche, plus son coeur tambourine sa poitrine. Une angoisse l'envahit mais après cette nuit dans les bras rassurant du roi, elle se sent prête à se retrouver ici, seule.

Elle attache Étoile à un arbre, suffisamment loin de la grotte pour s'assurer que le cheval ne soit pas une victime dans cette histoire. Elle caresse son nez et y dépose un baiser.

— Sois sage, je reviens vite. Souhaite moi bonne chance.

Elle avance lentement, ses pieds s'enfoncent dans la terre humide, l'herbe sèche craquelle sous ses pieds. L'endroit est drôlement calme, il n'y a même pas d'oiseaux ici, pas un piaillement.

Elle s'arrête à l'entrée de la grotte, un noeud à l'estomac lui donnant la nausée. Elle n'a rien avalé ce matin et pourtant, c'est comme si elle avait dévoré un repas bien trop copieux. Elle fait un pas en avant, l'obscurité de la grotte la recouvre aussitôt et un grondement sourd retentit. La roche semble trembler, de la poussière s'échappe des crevasses. Aeria s'immobilise puis le silence s'abat de nouveau sur elle. Elle n'entend plus que son organe vital frapper sa poitrine et sa respiration saccadée qui brise le silence glaçant.

Elle fait de nouveau un pas en avant, puis un autre, doucement. Lorsque son pied écrase  un morceau de bois qui craque et résonne dans les galeries alentours, un rugissement terrifiant vient briser la sérénité de la forêt et apporte toute sa signification au nom que porte la montagne.

Aeria fait demi tour et sort de la grotte en courant. Un nouveau rugissement retentit, plus fort encore et lorsqu'elle lève la tête, elle tombe en arrière et s'aide de ses pieds et de ses mains pour reculer. Le Dragon s'est envolé, de l'autre côté de la montagne. Il tourne sur lui-même tout en prenant de la hauteur puis rugit de nouveau. Il paraît plus petit vu de haut et pourtant si grand, si bien qu'il cache la lumière par son corps épais et ses grandes ailes triangulaires.

Rapidement, il semble se tourner vers elle, presque dissipé dans la brume environnante puis fond en sa direction comme un aigle fond sur sa proie. Aeria se recroqueville sur elle-même, ferme les yeux de toutes ses forces, le corps tremblant.

— Pitié, pitié... pas encore... murmure-t-elle.

Cependant, rien ne se passe et le silence semble être de nouveau présent. Elle rouvre un œil, puis l'autre et se décontracte lentement. Elle s'assoit, regarde autour d'elle, il n'y a plus de traces du Dragon.

Lorsqu'elle entend un craquement dans son dos, Aeria se retourne, toujours assise dans l'herbe. Elle fait face à un jeune homme imberbe, vêtu de vêtements troués, qui garde ses yeux écarquillés.

— Par tous les Dieux... les... les... les Dragons sont en vie !

Il fait volte-face et court dans l'autre direction. Aeria se relève et le suit à travers les arbres.

— Attends ! L'interpelle-t-elle.

Alors qu'elle le poursuit, Aeria s'immobilise lorsqu'une flèche transperce le torse maigrichon du jeune garçon. Il tombe en arrière, dans les feuilles mortes et défraîchies, du sang pourpre imbibant ses habits. La jeune femme ne bouge pas le temps de quelques secondes avant que l'auteur de cet acte ne se montre.

Les larmes aux bords des yeux, ceux-ci écarquillés, surprise par cette violence, Aeria affronte son époux.

— Personne ne doit savoir l'existence de ce Dragon, déclare Natanaël.

Il arme de nouveau son arc, tend la corde, la flèche à la pointe dorée  pointée en direction de sa femme.

— Et si tu tentes de fuir, je te tue toi aussi.

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