VIII - Personne ne doit savoir

Harold et Hervos descendent de leur monture et courent dans la cour du château, l'écuyer gardant la petite boule de poil blanche dans les bras. Ces derniers bousculent quelques passants et entrent dans l'enceinte de la demeure.

— Le roi ! Nous devons voir le roi ! crie Harold.

Les deux individus sont couverts de suie, dégoulinants de sueur et leurs chevaux ont été laissé à l'entrée. Les domestiques les dévisagent et nos deux jeunes gens montent les escaliers quatre à quatre pour rejoindre le bureau du roi au dernier étage. Hervos ouvre la porte brusquement. Natanaël relève la tête et se lève de sa chaise en les voyant tout deux entrer.

— Je vois que vous avez retrouvé le chat, déclare-t-il d'un air sarcastique.

— Majesté... commence Harold, haletant entre deux respirations, nous avons une dure nouvelle à...

— Laisse mon garde parler, l'interrompt Natanaël d'un ton sec.

Son air sarcastique et amusé semble avoir quitté son visage. Hervos, les mains croisées devant son armure salie, fixe le sol. Il relève lentement les yeux vers son roi, paraissant peu fier. Natanaël se rapproche de lui, les bras croisés, la main sous le menton et les lèvres retroussées.

— Où se trouve Aeria ? demande-t-il.

Harold fixe le sol, continuant de caresser le chat dans ses bras, le pauvre est blessé à la patte et semble mort de faim. Il l'a griffé à plusieurs reprises, dans le but de quitter son étreinte mais Harold l'a laissé lui lacérer les bras, Aeria aurait souhaité que son animal regagne un endroit sécurisé.

— Répondez-moi ! crie le roi.

Les deux hommes sursautent.

— Majesté... commence Hervos tout penaud, nous avons retrouvé le chat dans une profonde grotte creusée dans la Montagne du Trépas... la reine s'est faufilée à travers une fine crevasse et nous avons alors entendu des grognements fantômes et un rugissement terrifiant encore jamais entendu auparavant...

Hervos marque une pause, Natanaël serre et desserre ses mâchoires, ses yeux pourtant si clairs sont sombres à présent.

— Puis une vive chaleur s'est faite ressentir avant que des flammes ne passent par cette crevasse et ne nous forcent à quitter la montagne et rejoindre le château dans l'urgence.

Les deux hommes ont dû traverser la marée et épuiser leurs cheveux, celle-ci remontant, il fut difficile de regagner le château et surtout, de ne pas y laisser la peau. Le roi demeure muet un instant, il inspire par le nez puis bloque sa respiration, semblant pensif.

— Donc... commence-t-il d'une lourde voix tout en expirant, toi, Hervos, mon garde Royale, tu as abandonné ma reine, dans la Montagne du Trépas, est-ce bien cela que tu es en train de m'expliquer ?

— La... la reine est morte, Majesté... intervient Harold.

Natanaël le fusille du regard.

— Je ne t'ai pas donné l'autorisation de parler, écuyer ! Alors ferme-la !

Il reporte son attention sur le garde et s'approche de lui.

— Hervos, regarde-moi, ordonne-t-il.

Le garde relève ses yeux vers son roi, ne cessant de les baisser, peu fier de sa lâcheté.

— Tu as abandonné ma reine dans la Montagne du Trépas ?! La plus haute et dangereuse montagne des Landes ?!

— Oui... Majesté, rétorque-t-il d'une faible voix.

— Comment as-tu pu ?! gronde le roi.

Sa voix résonne dans toute la demeure, ce qui interpelle même certains domestiques.

— Comment as-tu pu déshonorer ton ordre ?! Comment as-tu déshonorer la confiance que je te léguais ?! Je t'ai demandé de t'y rendre pour la protéger et tu reviens sans elle pour m'annoncer qu'elle est MORTE ?! Comment dois-je réagir, Hervos ?!

Le garde baisse les yeux à nouveau, se pince les lèvres, ses oreilles bourdonnent sous les cris de colère du roi. Ce dernier se retourne et passe ses mains dans ses cheveux tout en poussant un juron. Il donne alors un coup de pied dans son bureau qui ripe sur le parquet et se cogne contre le mur, sous la fenêtre, renversant la chaise au passage. Harold sursaute lorsque le roi, épris de colère, malmène son mobilier.

Natanaël se retourne vers Hervos, le visage tout près du sien, les lèvres retroussées, les yeux envoyant des éclairs.

— Je devrais te tuer pour cette trahison ! Tu n'es pas digne de porter cette armure !

Hervos ferme les yeux, serre ses mains croisées devant lui.

— Regarde-moi ! ordonne Natanaël en le frappant au visage.

Hervos relève la tête, le visage pâle.

— Je suis sincèrement navré, mon roi... je ne suis pas digne de porter cette armure.

Hervos retire son épée de son fourreau, il appuie la pointe sur le sol puis pose un genou à terre, les deux mains entourant le manche de son arme.

— J'implore votre clémence, je peux retourner dans la Montagne pour ramener votre reine.

— Foutaises ! gronde Natanaël.

Il frappe dans l'épée qui glisse sur plusieurs mètres dans un fracas métallique avant de heurter une étagère. Hervos joint ses mains devant son visage, implorant son roi.

— Je vous en conjure, j'ai une femme et un enfant qui vient juste de naître, je vous implore de m'épargner, je quitterai cette armure s'il le faut, je vous servirai autrement, je ferai tout... absolument tout mais par pitié, j'implore votre clémence...

Natanaël le toise avec fureur, son visage est déformé par sa colère, notamment sa déception, bien qu'il tente de contenir son impulsivité. Il relève le menton et passe sa main dans ses cheveux pour les plaquer de nouveau en arrière, quelques mèches s'étaient échappées suite à cet excès de rage.

— Retourne voir ta femme et ton fils pour ce soir, vocifère-t-il entre ses dents serrées. Je te ferai couper deux doigts de chaque main dès demain comme punition pour ta lâcheté, tu ne pourras plus jamais manier l'épée ou porter une armure.

Les larmes d'Hervos roulent sur ses joues cependant il hoche la tête et se relève.

— Milles mercis mon roi... milles mercis...

— Quitte cette pièce, grogne Natanaël.

Il a pour habitude de sanctionner ses gardes plus sévèrement en cas de manquement tel que celui-ci. Il les sanctionne habituellement par la mort, soit coincés dans les marées, soit en leur tranchant la tête. Hervos reste un ami du roi, bien que sa déception soit telle qu'il ne sait pas s'il pourra un jour lui pardonner.

Il s'arrête maintenant devant Harold qui garde Flocon dans les bras. Le roi penche la tête sur le côté et caresse doucement la tête du félin.

— Trouvez une Bonne qui pourra soigner la blessure de ce chat, ordonne-t-il plus calmement.

— Bien, Majesté... obéit Harold.

Il lui tourne le dos et s'avance vers la porte.

— Harold, l'interpelle Natanaël.

Ce dernier se retourne vers son roi.

— Personne ne doit savoir que la reine a disparu, j'irai la chercher moi-même. En attendant, vous devrez gérer les fluctuations du château jusqu'à mon retour plus tard dans la nuit, puis-je vous faire confiance ?

Harold hausse les sourcils, plutôt surpris d'une telle offrande. Il hoche vivement la tête et esquisse un faible sourire.

— Bien-sûr Majesté...

— Bien, demain je ferai forger une armure à ta taille, tu n'es plus écuyer dorénavant mais Garde Royal.

— J'en suis honoré, Majesté...

— Pars, grommelle Natanaël, et ferme la porte derrière toi.

Harold quitte la pièce, tout en prenant soin de fermer la porte derrière lui. Depuis tout jeune, il rêve d'être sacré chevalier et ce jour est sur le point d'arriver. Il est impatient de pouvoir le raconter à ses parents, mais avant cela, il doit faire en sorte que le château ne s'interroge pas sur les activités nocturnes du roi.

Une fois seul, Natanaël appuie ses mains sur le bureau et fixe la fenêtre devant lui tout en poussant un profond soupir. Il saisit son épée rangée dans son fourreau qu'il avait posé contre le mur et sort à son tour de sa pièce.

Il lui faudra guetter la marée durant près de cinq heures avant de pouvoir quitter le château. Si tard en pleine nuit, personne ne traîne à l'extérieur alors Natanaël se hisse sur sa monture, un étalon noir comme l'ébène qui porte le même nom et part en direction de la Montagne du Trépas.

Celle-ci est visible à des kilomètres et même depuis le château. Cette montagne domine Les Landes, elle a toujours aidé les marins à se repérer lors d'une traversée des Cinq Terres vers Les Landes. Cependant, elle porte ce nom depuis bons nombres d'années. En réalité, cette montagne a vu mourir moult soldats et quelques dragonniers. C'était ici l'antre des Dragons et c'était ici qu'ils se réfugiaient. Personne n'osait entrer dans cette montagne dans la crainte d'en croiser un. Chaque animal qui s'y aventurait n'en ressortait jamais et une chaleur dérangeante en émanait continuellement, comme un volcan en constante activité.

Natanaël s'arrête près de la montagne, au pas, il la longe dans l'espoir de trouver cette entrée dont lui a parlé Hervos. Il attache son cheval au tronc d'un arbre, lui donne une caresse puis marche dans l'herbe sèche qui craquelle sous ses pas.

Il tend l'oreille afin d'entendre le moindre son, observe à travers l'obscurité dans le but d'apercevoir le moindre mouvement.

Lorsqu'il rejoint l'entrée de la grotte, il relate les traces de ses camarades ancrées dans la terre humide. Il garde sa torche bien en main et entre dans la Montagne du Trépas sans aucune hésitation.

Natanaël est un homme pour qui la peur n'existe pas. Il a longtemps cherché à ressentir la peur, très jeune, il s'efforçait de se mettre en danger pour ressentir cette émotion qui le rendait plus humain et moins détaché cependant, rien n'y faisait. Courageux, il n'a jamais reculé devant rien.

Il se baisse lorsque les galeries ne lui laissent plus suffisamment de place pour se tenir debout puis rapidement, il atteint la fameuse crevasse dont parlait Hervos. Il l'éclaire et se penche légèrement en avant, posant sa main sur la roche. Il grimace et la retire aussitôt, celle-ci est brûlante. Il secoue sa main et s'accroupit pour tenter de voir de l'autre côté.

Il n'aperçoit rien hormis de la poussière et des ossements. Il n'est pas très difficile de supposer que sa toute nouvelle femme soit partie en poussières si quelque chose lui a craché du feu dessus.

Natanaël sort de la grotte lorsque le soleil commence à se lever sur Les Landes. Il éteint sa torche et s'assoit contre un arbre non loin de l'entrée de la grotte. Il sort une flasque de sa sacoche qu'il ouvre pour en boire le contenu à grosses goulées.

— Ô grand Dragon mystique, le feu ardent brûle en toi. Toi mon héros, puissant et unique, trépassé par la foi... marmonne Natanaël.

Cet air mélodieux provient d'une vieille chanson qui, réécrite dans les livres, a traversé les Cinq Terres, jusqu'aux Landes. Les Dragonniers ont commencé à chanter ces chansons après la mort du premier Dragon.

Lorsque le roi entend un craquement dans la forêt. Il range sa flasque, se lève et pose sa main sur le manche de son épée. De derrière un arbre, il aperçoit une silhouette voûtée au loin, en contre-jour avec le levé du soleil. Rapidement, il reconnaît cette chevelure rousse.

— Par tous les Dieux... Aeria !

Il lâche le manche de son arme et la rejoint rapidement. Cette dernière s'écroule au moment où elle se retrouve face au roi. Ce dernier la rattrape avant qu'elle ne s'écrase sur le sol. Il se laisse tomber à genoux pour l'accompagner dans sa chute. Elle ne porte plus aucun vêtement, ses cheveux immaculés sont emmêlés et couverts de suie, tout comme l'entièreté de son corps, lequel comporte quelques égratignures. Elle fixe le ciel, les lèvres entrouvertes, la respiration sifflante. L'expression qui marque son visage est déconcertante, elle est pâle, et semble sous le choc.

— M'entendez-vous, Aeria ? souffle le roi.

Ses lèvres tremblent, comme si elle souhaitait parler. Natanaël ne comprend ni son accoutrement, ni pourquoi Harold et Hervos lui ont dit qu'elle était morte, puisqu'elle est bel et bien là, sous ses yeux. Il est certain qu'il n'a pas bu assez d'alcool pour être suffisamment ivre et halluciner. Il retire rapidement son manteau pour le mettre sur les épaules de sa femme, afin de dissimuler son corps nu et frigorifié.

— Un... un... tente la jeune femme d'une faible voix.

— Ne vous fatiguez pas, je vous ramène au château.

Natanaël passe un bras sous les jambes d'Aeria puis l'autre dans son dos, ainsi il se relève et la porte. Il avance quelques longues minutes entre les arbres jusqu'à retrouver Ebène, son étalon sur lequel il dispose Aeria. Il monte à son tour.

— Tenez-vous à moi, si vous le pouvez, lui dit-il en prenant les rennes.

De ses bras tremblants et faibles, Aeria entoure sa taille et pose sa tête sur son dos. Natanaël part au galop aussitôt, traversant la forêt des Landes, sur cette terre désolée, brûlée, maudite, abandonnée... Aeria ferme les yeux un instant lorsqu'elle sent l'air frais sur son visage puis les rouvre la seconde qui suit. Elle se redresse non sans difficultés puis se retourne lentement, afin d'observer la Montagne du Trépas s'éloigner d'eux à mesure que le cheval galope.

Elle serre la taille du roi, repose sa tête sur son dos et ferme les yeux, une larme roule sur sa joue pleine de suie.

— C'était un dragon... murmure-t-elle.

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