VIII - En un battement

En un battement de cils, tout peut basculer. En un battement de coeur, tout peut s'arrêter.

C'était ce qu'avait compris Natanaël et après douze mois de torture incessante, il était temps de se laisser aller. Après plus de cent ans d'existence, il lui suffisait de lâcher prise.

C'est ce qu'il fit et il ne le regretta guère. Lorsqu'il choisit de mourir, au fond de sa cellule, il put voyager de nouveau dans ce rêve idyllique et bien plus réel cette fois. C'était comme entrer dans un nouveau monde, car il y avait tous ses proches : Gorgia était présente, plus belle que jamais, il y avait aussi Lena, Demos et Marcus...

Il les enlaça, tous, heureux de les savoir près de lui. Les Dragons volaient au dessus d'eux, comme s'ils tourbillonnaient dans une danse joyeuse et Les Landes étaient plus flamboyantes que jamais. Il avait tellement de choses à raconter à ses amis, tellement de temps à rattraper.

Alors ils burent de la bière, dans des chopes, comme au bon vieux temps, autour d'un feu de bois, là où la vallée des Landes s'étendait à perte de vue devant eux. Les Dragons étaient couchés, non loin de là, tous ensemble, il y avait le Dragon noir de Demos, le blanc de Lena et le rouge de Marcus, il y avait Jade aussi, qui n'avait point caché sa joie de retrouver son dragonnier. Natanaël s'était collé à son nez, afin de ressentir sa chaleur et le lien qui l'unissait à son dragon. Comment pouvait-il avoir envie de mettre fin à ce rêve, de retourner dans cette vie de torture et de tristesse ?

— Levons notre troisième choppe à notre ami Natanaël, un vaillant guerrier, un époux fidèle et un ami irréprochable, même si par colère, il a tendance à se laisser emporter, lança Marcus en levant sa choppe.

Natanaël rigola, leva la sienne et les autres suivirent, ils trinquèrent et burent une gorgée. Le feu s'élevait haut dans le ciel, réchauffait leur personne. Natanaël ne possédait pas toutes ces cicatrices que son corps arborait dans la vraie vie, ses cheveux étaient coupés, soignés, sa barbe rasée de près, son corps n'était pas non plus amaigri.

— Je tenais à m'excuser, Marcus, sincèrement. Pendant cent ans, j'ai vécu avec les remords de ta mort, car j'en suis le coupable.

— C'est déjà oublié, mon frère, s'amusa Marcus. Ici, on est bien, et les Dragons sont avec nous, en paix.

Natanaël se retourna pour jeter un coup d'oeil à Jade qui dormait paisiblement, l'une de ses ailes repliées sur sa gueule pour la dissimuler. Il esquissa un faible sourire, inspira profondément puis expira lentement par la bouche, en paix lui aussi. Savoir que ses amis ne lui en voulaient pas, que sa femme était près de lui, c'était tout ce dont il avait besoin pour se sentir soulagé.

Cependant, la nuit était tombée et dans chaque coin d'arbres, comme un fantôme, Natanaël apercevait une silhouette féminine, et entendait des murmures près de son oreille. Cependant, lorsqu'il se retournait, il n'y avait personne.

Réveillez-vous... entendait-il.

Se réveiller ? Mais pourquoi ? Il était si bien ici, ses amis allongés, à observer les étoiles, tous enivrés d'alcool. Natanaël se leva, frotta ses vêtements, toujours aussi sombres mais propres et poussa un profond soupir. Il se massa la nuque, pencha la tête sur la droite, puis la gauche, pour détendre ses cervicales. Gorgia se releva à son tour et pris sa main, ce qui lui fit porter son attention sur elle.

— Tout va bien ?

Tout allait bien, la douceur des Landes, la sérénité, les Dragons, la chaleur... et pourtant, quelque chose tourmentait Natanaël.

— Je... je ne sais pas, je ne comprends pas ce qu'il se passe.

Il observa les alentours, ce murmure, il l'entendait encore, et il en était le seul.

— Regarde-moi, mon amour.

Gorgia posa sa main sur sa joue pour lui faire tourner la tête vers elle. Elle plongea son regard émeraude dans le sien et lui adressa un faible sourire.

— Tout ira bien, tu verras.

Natanaël observait sa femme, les sourcils froncés. Pourquoi lui disait-elle cela soudainement ? Certaines choses lui semblaient étranges, comme si son rêve s'effaçait peu à peu. L'âme humaine est parfaitement conçue et la conscience avec. Une part de Natanaël avait toujours souhaité mourir, c'était cette part de lui qui cherchait impérativement le pardon de ses proches, pour tout le mal causé. Une autre partie de lui espérait survivre à cette déchéance, pour trouver la rédemption et enfin avancer, serein, changé.

— N'oublie pas Natanaël, nous sommes morts en nous battant pour la même chose que toi. Et nous espérons tous que tu parviendras à terminer ce que nous avions commencé, intervint Marcus.

Lorsqu'il tourna la tête, Natanaël vit ses trois amis, debout, avec leur dragon respectif derrière eux. Il put apercevoir, lentement, comme des cendres s'envoler dans les airs, que ce soit les Dragons ou leurs dragonniers, leur peau se craquelait lentement et partait dans les airs, afin de voyager avec le vent. Gorgia le força à tourner la tête vers elle, pour qu'il la regarde. Les larmes de Natanaël coulaient sur ses joues, sans qu'il ne les retiennent.

— Regarde-moi, lui murmura-t-elle.

Jade se posta derrière Gorgia, cachant la lumière de la lune. Natanaël admira un instant son magnifique dragon de terre, avant qu'il n'aperçoive ces mêmes cendres virevolter dans les airs. Quand il reposa ses yeux sur sa femme, il retroussa ses lèvres, des sanglots nouant sa gorge. La peau laiteuse de Gorgia se craquelait à son tour, comme si ses veines devenaient noires, et lentement, chaque parcelle de sa chair s'envola, doucement, dans les airs, comme des cendres. Elle lui adressa un sourire, un magnifique sourire qui en disait long.

Natanaël posa sa main sur la sienne, celle qu'elle gardait sur sa joue. Sa peau était dorénavant glaciale, et les veines de ses mains, noires.

— Nous serons toujours présents auprès de toi, juste ici... lui souffla-t-elle.

Elle posa son autre main sur sa poitrine, à l'endroit où se trouvait son coeur.

— Je veux rester avec toi, avec vous tous, pitié...

— Je crois que tu te trompes, reprit-elle. Je ne t'en veux pas, mon amour. Tu dois vivre, tu dois rester auprès de tes proches, ceux encore en vie.

— Je ne peux pas... je ne peux pas te perdre encore une fois.

Natanaël pleurait, sans pouvoir se retenir. Perdre ses amis et sa femme, ainsi que les Dragons, à nouveau, était déchirant pour lui. Lui qui croyait avoir trouvé la paix. Mais non, cette partie de lui qui souhaitait vivre était bien plus forte que l'autre, bien plus présente. La raison à cela, il l'ignorait pour l'instant et cela ne lui importait peu, la douleur qu'il ressentait au creux de sa poitrine appuyait sur son coeur à tel point qu'il avait l'impression d'être poignardé.

— Je t'aime, Natanaël. N'oublie jamais qui tu es.

Le visage de sa dulcinée disparut, comme le reste de son corps et rapidement, la main de Natanaël entra en contact avec sa joue. Gorgia venait de partir, s'envoler, comme des petits copeaux de cendres, brillants, étincelants... et le Dragon, juste derrière, subit le même sort quand Natanaël voulut le toucher une dernière fois.

Il laissa retomber son bras le long de son corps.

— Je t'aime aussi... marmonna-t-il.

Il regarda autour de lui, plus aucun de ses amis n'était présent, pas même les Dragons et les cendres virevoltaient avec le vent, elles brillaient dans la nuit, comme de petits joyaux précieux.





Aeria continuait le massage cardiaque, elle leva le poing, essoufflée, épuisée par cette lutte pour redonner vie à son ex époux. Elle frappa son poing sur son torse, une fois, puis deux, si fort qu'elle crut lui briser le thorax. Soudainement, Natanaël ouvrit les yeux et inspira par la bouche, la respiration sifflante.

Aeria demeura agenouillée près de lui, le visage inondé de larmes. Il tourna la tête vers elle, cligna plusieurs fois des paupières.

— Gorgia ? souffla-t-il d'une faible voix.

Aeria secoua tristement la tête.

— C'est Aeria... il est temps de quitter cet endroit, Natanaël.

Elle l'aida à se mettre debout, il tenait à peine sur ses pieds. Elle passa son bras autour de sa taille et le força à mettre le sien sur ses épaules. Ainsi, elle l'aida à avancer jusqu'à la grille, là où elle lui dit passer par celle-ci. Il peina à s'y faufiler, malgré sa maigreur certaine, il était bien plus grand qu'Aeria. Cependant, avec un petit peu de persévérance il y parvint, son corps endolori frottant les barreaux tordus. Aeria fit de même et avança jusqu'au fond des cachots, l'endroit que lui avait indiqué Hervos.

Il faisait sombre là-bas, c'était un endroit où personne ne semblait aller. Dans une cellule abandonnée, sans grille, Aeria aperçut Hervos à travers l'obscurité au fond de la sombre pièce.

— Vite, venez, murmura-t-il.

En observant les lieux, Aeria entendit le bruit de l'eau, l'écoulement qui s'y faisait. La rivière n'était pas loin et le trou creusé permettrait de s'échapper des cachots sans passer par les gardes. Hervos soutint Natanaël, ce qui soulagea le dos d'Aeria.

— Il faut que tu rampes, Natanaël, nous te suivons, déclara Hervos.

Natanaël se laissa tomber sur ses genoux et entra sans hésitation dans le trou creusé des jours durant. Il s'aida de ses bras et de ses jambes pour avancer. C'était très étroit, étouffant, froid et humide. Il serrait les dents, se hissait tant bien que mal. Parfois, il s'arrêtait un instant, afin de reprendre sa respiration.

— Courage Natanaël ! Cria Hervos de l'autre côté, tu peux le faire !

Ce dernier s'empressa de reprendre son ascension vers la liberté. Il n'avait même pas réagit au fait que son ami de longue date était en vie, tout simplement car son esprit restait embrumé pour le moment et le retour à la réalité lui fut brutal.

Il grognait pour se donner de la force, enfonçait ses doigts dans la terre froide et poussait avec ses jambes, tirait avec ses bras jusqu'à rejoindre l'extérieur où il se hissa rapidement. Il resta quelques instants allongé sur le dos, essoufflé et surtout épuisé. Le ciel était dégagé, étoilé, il faisait très froid mais quel plaisir c'était que d'inspirer de l'air pur, sans odeur d'excréments ou d'humidité.

Hervos lui tendit la main, posté au dessus de lui.

— Nous devons partir, et vite.

Natanaël lui jeta un regard, saisit la main de son ami et se remit sur pieds. Il observa Hervos un instant avant de le prendre dans ses bras. Il l'enlaca de longues secondes.

— Je te pensais mort... marmonna-t-il.

— Moi aussi... je te raconterai tout, mais pour l'heure, nous devons quitter Hazanel.

Un homme se tenait non loin de là, avec un cheval. Ils avancèrent tous les trois vers lui. Natanaël se tourna vers Aeria, il l'observa un instant. La pauvre avait le contour des yeux rouge à force d'avoir pleuré.

— Vous ne venez pas avec nous ? Demanda-t-il.

Aeria lui adressa un faible sourire.

— Je ne peux pas. J'espère que nous nous reverrons.

Natanaël hocha la tête, il baissa les yeux, resta immobile quelques secondes puis finalement, monta sur le dos du cheval avec Hervos.

Avant qu'ils ne partent, il jeta un dernier regard à Aeria.

— Vous m'avez sauvé la vie, et je vous en remercie.

Elle ne lui répondit que d'un sourire réservé, croisa les bras et les observa s'éloigner à cheval. Elle inspira profondément lorsqu'ils disparurent derrière les arbres le long de la rivière et effectua le chemin inverse jusqu'au château du roi.

Là, elle essuya ses pieds du mieux qu'elle le put et rentra à l'intérieur dans la plus grande des discrétions, sur la pointe des pieds. Les gardes étaient en alerte, car ils venaient de se rendre compte qu'un prisonnier très important venait de s'enfuir, donc ils ne gardaient plus l'entrée. Ils avaient été réquisitionnés pour fouiller les lieux.

Aeria s'enferma dans sa chambre et ferma la porte tout doucement. Elle se colla contre celle-ci et ferma les yeux.

— Retrouvez-le ! Hurlait le roi. Retrouvez-le ou je vous fais exécuter pour votre incompétence !

Elle entendit ensuite ses pas lourds, énervés, dans les escaliers.

Aeria s'empressa de grimper sur le lit, elle se couvrit jusqu'au nez et se tourna dos à la porte au moment même où celle-ci s'ouvrît.

Elle put entendre Lauan avancer lentement dans la chambre, alors elle gardait les yeux fermés, sans savoir ce qu'il inspectait.

Lorsqu'elle l'entendît quitter la pièce, elle rouvrit les yeux et expira tout l'air qu'elle avait gardé, en apnée sans même s'en rendre compte.

Face à elle se trouvait la fenêtre par laquelle elle apercevait la lune pleine. Elle espérait que Natanaël soit loin dorénavant et hors de danger.

Pour le reste, elle allait devoir trouver un alibi parfait.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top