VIII - Comme un sentiment de magie
Natanaël observait les convives discuter les uns avec les autres, les domestiques déambulaient entre eux pour proposer de délicieux mets. Il mangeait du raisin, tout en détaillant son environnement. Il était sur ses gardes comme toujours, bien que cette fois cela se ressentait davantage. Notamment depuis son altercation avec le fameux Kaïs.
La seule autre personne aux cheveux roux que Natanaël avait connu, c'était Gorgia. Ce Kaïs sortait de nulle part, avec ces mêmes cheveux et ne semblait pas amical, bien au contraire. Pour Natanaël, ce dernier était un ennemi à éliminer. Néanmoins, il semblait avoir du pouvoir et surtout, Aeria était près de lui, peut-être même proche de lui, ce qui signifiait qu'il risquait de lui faire du mal si Natanaël n'agissait pas avec stratégie.
— Une délicieuse boisson vous ferait-elle plaisir ? proposa une domestique.
Elle tenait un plateau sur lequel étaient posés plusieurs verres remplis d'un breuvage que Natanaël ne reconnaissait pas. Il le prit, et la remercia d'un signe de tête. Natanaël ne résistait pas à l'appel de l'alcool. Les semaines durant lesquelles il fut le plus sobre étaient celles passées chez Hervos ou durant cette longue année de torture. Avant et après, il n'avait jamais cessé de boire, peut-être pour canaliser son esprit, pour rester sous contrôle ou tout simplement enterrer certains sentiments qu'il n'appréciait pas ressentir.
Il en but quelques gorgées, grimaça légèrement mais s'habitua rapidement au goût. Ce n'était pas du vin, ni même de la bière. Cependant, ce n'était pas si désagréable que cela, d'autant plus sous cette forte chaleur. Le fait de boire seulement un verre lui donna envie de recommencer, encore et encore, avec ce sentiment d'addiction qui venait submerger tous les autres. Tout cet alcool ingurgité rapidement et sans réfléchir l'enterra, lentement, dans l'inconscience de son objectif, oubliant pour quelle raison il souhaitait rester dans cet endroit.
~
Aeria brossait ses cheveux face au miroir, tandis que Kaïs rentrait tout juste dans la pièce. Il sourit légèrement en la voyant prendre soin d'elle, même si elle semblait quelque peu désorientée. Elle l'observa par le biais du reflet, arrêta ce qu'elle était en train de faire puis se mordilla les lèvres.
— Kaïs... il faut que je sache...
Il croisa les bras, son sourire disparut et il soutint son regard de ses yeux verts, perçants.
— Tu m'as dit être le fils de Thearsis, mais de qui parlais-tu ?
Elle se retourna vers lui afin de sonder son regard. Kaïs releva le menton, il la regardait d'une étrange façon, on y lisait presque du désir, chose qu'Aeria ne ressentait pas pour lui ni pour aucun autre homme à part Natanaël. Même dans la mort.
— De qui penses-tu que je parlais, Aeria ? Je te pensais plus futée.
— J'aimerais simplement l'entendre de ta bouche... dit-elle en triturant ses doigts.
— Thearsis était ma mère, je ne l'ai pas connue tu sais. Elle a été brûlée sur un bûcher, sous les yeux de mon père. Il m'a souvent conté cette histoire quand j'étais enfant et je crois qu'il a vécu, toute sa vie, avec cette image de la femme qu'il aimait, dévorée par d'horribles flammes... Il a emporté avec lui dans sa tombe, le souvenir d'une femme de pouvoir.
Aeria l'écoutait, sans un mot alors que lorsqu'il racontait cette histoire, Kaïs semblait perdu dans ses pensées. Il cherchait ses mots, articulait, prenait soin d'expliquer les choses de façon claire et concises.
— Je ne l'ai pas connue, c'est vrai, cependant, je suis doté de certains dons. J'ai toujours tout su, j'ai toujours tout vu. Parce que tu sais, Aeria, nous ne vivons pas qu'une seule vie.
— Que veux-tu dire ?
Kaïs lui fit signe de le rejoindre, sans quitter son sourire en coin, un rictus qui parfois, la mettait mal à l'aise. Elle se leva, ses longs cheveux lâchés descendaient en cascade sur ses épaules nues. Elle s'avança vers lui, sans le lâcher des yeux, plongée dans l'émeraude ensorcelante de ses prunelles.
— Je suis bien plus vieux que Thearsis elle-même...
Aeria plissa les paupières. Kaïs lui dit cela tout en passant ses doigts dans les cheveux de la jeune femme. Il les regardait briller sous la lumière, il appréciait leur texture, leur douceur, leur odeur également. Aeria était la source de bons nombres de ses fantasmes.
— J'espère que tu as compris que ton Dragon doré était ma mère.
— Je crois l'avoir compris, oui...
— Un puissant dragon, né d'une puissante femme. J'aurais aimé la connaître mais je suis heureux que ce soit toi qui l'ai connue. Thearsis était vue comme une souveraine, elle avait un don pour communiquer avec les Dragons, pour les approcher, et un lien se formait instantanément, lorsqu'elle en rencontrait un. Elle était exceptionnelle, elle a apporté le feu aux Hommes, pour les aider dans leur évolution et ils l'ont tuée pour cela.
Aeria sentait son coeur se serrer. Elle avait senti en Thearsis une telle bonté, une telle compréhension... Elle n'avait jamais ressenti cela avec personne d'autre. Et ce lien dont parlait Kaïs, il s'était créé si rapidement avec son bébé, ce Dragon noir dorénavant bien trop dangereux pour être approché. En y songeant, elle esquissa un faible sourire presque imperceptible. Était-ce une descendante du Dragon doré ou du moins, de cette femme qui semblait s'être réincarnée ?
— Il y a des lignées chez les animaux mais chez les Hommes aussi. Et un Homme n'est pas forcément dépourvu de pouvoirs. Tu sais, il y en certains qui savent lire, d'autres écrire, certains sont doués de leurs mains et créent de sublimes oeuvres... tout cela, nous appelons cela des dons. Puis il y a ces Hommes qui, étrangement, naissent avec les cheveux de Feu, ces cheveux qui leur donne la particularité de ne pas être ordinaires.
— Que sais-tu de ma famille dans ce cas ? demanda Aeria.
Il glissa le dos de sa main sur sa joue, puis son cou et son épaule, il suivait des yeux le trajet de sa main, lentement, appréciant chaque sensation, chaque courbe, chaque parcelle de peau.
— Sens-tu cette énergie qui passe entre nous, comme celle que tu devais ressentir près des Dragons ?
Elle le ressentait, c'est vrai. Un certain lien, une certaine énergie qui n'était pas déplaisante mais parfois rebutante. Cela n'égalait en rien ce qu'elle avait pu ressentir pour Natanaël, c'était bien plus fort qu'une sensation, bien plus fort que le toucher. C'était ancré en elle au plus profond de son être.
— Je sais que tes parents, ceux qui t'ont élevée, ne sont pas tes véritables parents, reprit-il.
— Et quel âge as-tu... souffla-t-elle.
Elle ne le regardait plus dans les yeux, elle fixait un point devant elle, subissait ses caresses jubilatoires, sans un mot.
— En apparence, je dois avoir l'air d'avoir à peine une trentaine d'années et en réalité, j'ai vécu des siècles et j'ai eu plusieurs formes...
— Kaïs... pourquoi tu ne me dis pas tout ?
Elle releva ses yeux vers lui, sonda son regard. Il humecta ses lèvres pulpeuses puis se les pinça ensuite. Lorsqu'il la considérait ainsi, il ne semblait pas mauvais. Son regard paraissait même doux lorsqu'il se posait sur elle.
— Parce que je veux que tu m'appartiennes. Et tant que ce ne sera pas le cas, je ne te dirai pas tout.
— Pourquoi ?
— Il y a longtemps que je te cherche, que je cherche cette femme aux dons extraordinaires. Celle qui pourrait devenir la souveraine, celle qui ferait de nous des Dieux, et avec qui je pourrai gouverner le monde.
Aeria demeura muette, ne comprenant pas où voulait en venir son ami.
— J'ai connu Gorgia. Malheureusement, elle n'a pas fait l'affaire. Toi, je sais que tu es différente.
— Attends... que se passe-t-il entre les Hommes et les Dragons ? Comment est-ce possible que Thearsis ait pu être une femme et ensuite un Dragon ?
— C'est là toute la magie de notre lignée, Aeria. Tu peux naître humaine, et mourir en Dragon. Ton âme est bien plus qu'une simple représentation de ton inconscient. Elle voyage, et elle donne naissance, elle donne une seconde chance. Certains naissent Dragon puis meurent humain... il n'y a pas d'explications, c'est... magique, tout simplement.
Elle recula d'un pas, tentant de remettre le puzzle dans l'ordre. C'était étrange de penser que les chemins s'entrecroisaient de la sorte et qu'il semblait que rien n'arrivait par hasard. Tout était écrit, rien n'était jamais laissé au hasard.
~
Pendant ce temps, dans l'une des salles de réception se jouait un air de harpe, sous une chaleur étouffante. Les convives, en ces lieux, se dénudaient, s'adonnaient au plaisir de la chair, tous ivres, comme envoûtés, ils profitaient des uns et des autres sans se soucier du reste. Natanaël était là lui aussi, il fut poussé sur des coussins entreposés sur le sol, sous un plafond sculpté en arabesque détaillées. On lui avait arraché sa chemise, déboutonné le pantalon mais il peinait à garder son esprit vif. En réalité, ses yeux le brûlaient, sa vue était trouble et tout tanguait autour de lui. Il était ivre, beaucoup trop ivre. Le vin ou la bière ne lui avaient jamais fait cet effet.
Deux femmes s'adonnèrent à des occupations charnelles avec lui. Elles le pelotaient, déposaient des baisers sur son corps, le léchaient, le caressaient... Ses bras, ses jambes, tout était engourdis. Il peinait à articuler, sa gorge était sèche, et la sensation de perdre connaissance d'une minute à l'autre ne le lâchait pas.
— Attendez... marmonna-t-il.
Sa voix était si faible, son articulation si médiocre que les deux femmes ne l'entendirent même pas, elles-mêmes enivrées par ce breuvage empoisonné.
— Aeria... souffla Natanaël lorsqu'il sentit qu'on s'amusait avec son entrejambe.
L'une des deux femmes se redressa, elle saisit de ses doigts le visage de Natanaël alors que sa tête était partie en arrière. Il plissa les paupières, l'impression de voir Aeria face à lui. Une esquisse fit trembler ses lèvres, était-ce un rêve ? Un rêve qui lui plaisait en tout cas.
— Appelles-moi comme tu veux, bel étalon...
Alors que Natanaël, tourmenté, empoisonné ou peut-être envoûté par une étrange substance, s'adonnait à des plaisirs charnelles et laissait deux femmes jouer avec son corps, Aeria se trouvait face à Kaïs. Ses révélations lui parurent sordides puis finalement, la façon dont avait agi Thearsis lui paraissait si réelle, si humaine... que cela ne semblait plus si fou que cela. Les Dragons étaient si bons, si généreux que peut-être étaient-ils tout simplement humains, au fond d'eux.
— Tu m'as dit avoir vécu plusieurs vies... souffla Aeria tout en se rongeant un ongle. Alors... cela veut-il dire que tu n'as pas toujours eu cette forme ?
Kaïs lui adressa son plus beau sourire en coin, ses yeux semblèrent sombres soudainement et le coeur d'Aeria palpitait dans sa poitrine. Un frisson la parcourut en l'observant, car soudainement, cet homme paraissait bien trop puissant pour elle et peut-être même dangereux. Thearsis avait été une belle âme, mais son fils en était-il une ?
— Non, je n'ai pas toujours eu cette forme, Aeria, assura Kaïs.
Elle laissa retomber mollement son bras le long de son corps, alors qu'il semblait simplement amusé de la voir comprendre, petit à petit, les choses qu'il lui révélait.
— Qui es-tu...
Kaïs inspira profondément puis expira longuement, comme un long soupir, mesquin.
— Je suis avant tout un Dragon. Le Dragon. Et je mourrai sous ma forme humaine, le jour où quelqu'un aura l'audace de parvenir à me tuer. Je crois qu'une seule personne en était capable mais aujourd'hui, il n'est plus de ce monde...
Aeria gardait la bouche entrouverte, déconcertée. Beaucoup de questions se bousculaient dans son esprit. Pourquoi lui avouait-il tout d'un seul coup ? Si facilement ? Cela cachait quelque chose.
— Tu parles de...
— Natanaël, l'interrompit-il.
Selon Kaïs, la seule personne capable de le tuer était Natanaël, qui, par un instant d'inattention, avait bu une boisson concoctée par ses soins, dans le seul but de l'éliminer le plus rapidement possible, avant qu'Aeria ne se rende compte de sa présence en ces lieux et qu'il ne tente de lui nuire.
Oui, Thearsis était une belle âme.
Mais son fils... ?
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