VII - Esprit tourmenté

— Natanaël ... ?

Aeria cligna plusieurs fois des paupières, pour que finalement, le visage de l'homme contre qui elle s'était cognée ne change à nouveau. Ce changement était minime et pourtant, voulait tout dire. Ses épaules s'affaissèrent, elle détourna le regard, secoua la tête et passa ses mains dans ses cheveux.

— Excusez-moi...

Elle passa à côté de lui, sans écouter ce qu'il avait à lui dire alors qu'il tentait de la retenir. Elle courut, pour s'enfermer dans sa chambre. Là, elle serra Flocon contre elle et ne put retenir ses sanglots. Devenait-elle folle ? Comment se pouvait-il qu'elle ne parvenait plus à distinguer le vrai du faux ?


Natanaël resta un instant immobile dans ce long corridor, il n'eut le temps de rien, pas même celui de la retenir. Elle avait fui. Elle l'avait regardé, comme impressionnée avant qu'un air de déception ne l'envahisse brutalement. Natanaël, lui, devait se remettre de cette rencontre. Avait-il rêvé ? Non, impossible. Il reconnaîtrait Aeria entre milles, personne ne lui ressemblait, personne ne lui arrivait à la cheville. Elle était en vie. Lorsqu'il y songea, un soulagement intense l'envahit et le fit pousser un profond soupir, apaisé.

Mais alors pourquoi agir de la sorte ? Maintenant que son visage était dans sa tête, qu'il avait pu sentir une effluve de son parfum... il ne rêvait que d'une chose : pouvoir la serrer dans ses bras et ne plus jamais refaire les mêmes erreurs en l'abandonnant.

— Êtes-vous perdu ?

Natanaël se retourna vers la femme qui lui demanda cela. C'était une jolie femme brune, quelques ridules ici et là, une belle peau, un air royal. Elle sembla le reconnaître puisqu'elle haussa les sourcils et ses lèvres s'élargirent en un chaleureux sourire.

— Oh, vous êtes le vainqueur du combat, je ne me trompe pas ?

Natanaël esquissa un faible sourire.

— Lui-même.

— Je suis la nouvelle reine des Cinq Terres, femme du roi Lauan.

Par politesse, Natanaël lui tira sa révérence ce qui fit d'autant plus sourire Amélia. Natanaël était bel homme, séduisant, il en faisait rougir plus d'une.

— Pardonnez-moi cette question, Majesté... connaissez-vous une femme aux cheveux roux ?

La reine fronça les sourcils, sembla hésiter un instant puis hocha finalement la tête.

— Oui, j'en connais une. Pourquoi cela ?

— Nous nous sommes bousculés, j'aimerais m'assurer qu'elle va bien.

Natanaël remarqua que cette femme ne semblait pas savoir qui il était, ce qui signifiait que le roi n'avait rien révélé à sa femme. Il ne le ferait pas non plus, simplement pour rester aussi anonyme que possible, même s'il savait son père dans les parages. Il avait voulu qu'il le voit se battre, qu'il le voit gagner et qu'il puisse s'en mordre les doigts. Les Landes étaient à lui et il ne laisserait plus rien ni personne les lui arracher.

— Je peux vous mener à ses appartements si vous le souhaitez, proposa-t-elle.

Natanaël la remercia. Ils avancèrent l'un à côté de l'autre, il ne pouvait plus qu'espérer qu'Aeria n'agisse pas étrangement à nouveau. Gagner le combat puis la revoir, elle, ici, à Dranne, c'était un cadeau tombé du ciel. Peut-être bien que le destin existait réellement. Car où qu'ils puissent aller, ils se retrouvaient.

— Je n'ai pas vu la totalité du combat, cependant, félicitations pour votre victoire. Il faudra fêter cela avec le roi. Nous serons en étroite collaboration tous les trois.

— Je vous remercie. Cela ne presse pas, pour cette fin de journée, j'aimerais pouvoir profiter de cet endroit avant d'en venir aux négociations et tout ce qui s'en suit.

La reine hocha la tête, compréhensive.

— Vous avez raison, vous êtes jeune, vous avez besoin de vivre.

Natanaël haussa les sourcils. Jeune ? Non, il ne l'était plus depuis longtemps. Vivre ? Cela se révélait tortueux mais il s'y accrochait, car l'immortalité faisait partie de lui. Bien qu'une chose l'avait interpellé, l'apparition d'un cheveux blanc, aussi discret l'était-il. Il n'était pas certain mais peut-être que la mort du Dragon Doré avait aussi engendré la mort de son immortalité. Cela se confirmerait tôt ou tard.

— J'ai une dernière question étrange, Majesté, reprit Natanaël tout en avançant dans les corridors de la demeure.

Le château de Dranne était gigantesque, comme un labyrinthe avec ses pièces toutes plus grandes les unes que les autres et communicantes ensembles. Il y avait de quoi se promener, même pendant les jours de pluie car ici, il n'était pas difficile de se perdre.

— Je vous écoute, s'amusa la reine.

— Le roi a-t-il un enfant ?

Le sourire de la reine disparut, elle croisa ses mains devant son bassin et fixait un point devant elle, concentrée sur sa trajectoire.

— De quel fils parlez-vous ? J'ai eu vent qu'il en a eu plusieurs.

— Un très jeune fils... un bébé. 

Natanaël avait tué l'ancienne épouse du roi mais avait épargné son bébé, il voulait s'assurer qu'il était toujours en vie. Il ne voulait pas redevenir l'assassin qu'il fut par le passé.

— Oui, mais il ne s'en occupe pas, déclara la reine. Ce sont les servantes qui l'élèvent. Nous voyageons beaucoup en ce moment, il n'a pas le temps pour son enfant. Je ferai en sorte que cela change, ce petit garçon a le droit d'avoir un père près de lui.

Natanaël hocha la tête, ravi d'apprendre que ce bébé était en vie malgré tout. La reine s'arrêta devant la porte des appartements d'Aeria. Elle se tourna vers lui pour lui adresser son chaleureux sourire. Il était difficile de penser Lauan capable d'épouser une femme aussi bienveillante. Elle méritait bien mieux qu'un monstre en guise de mari selon Natanaël. Elle posa sa main sur son bras prête à lui dire au revoir puis son sourire s'effaça petit à petit. Elle entrouvrit la bouche, sans qu'aucun mot n'en sorte.

— Tout va bien ? s'enquit Natanaël.

Elle reprit ses esprits rapidement et retira sa main brusquement.

— Oui... tout va bien. Voici les appartements de la jeune femme que vous cherchez... bonne journée à vous... hm, votre nom ?

— Excusez mon impolitesse. Je me nomme Natanaël.

Elle déglutit difficilement, hocha la tête, feignit un sourire puis passa à côté de lui. Il l'observa s'éloigner, les sourcils froncés. Les gens agissaient bizarrement au sein de ce château et notamment en sa présence. Il se concentra cependant sur son objectif : Aeria.

Il frappa à la porte, attendit quelques instants avant d'entendre le miaulement d'un chat qui lui arracha une faible esquisse. Finalement, la porte s'ouvrit sur une magnifique jeune femme, aux cheveux roux immaculés, aux yeux dorés, à la peau laiteuse et parfaite... Natanaël la toisa, le souffle coupé, c'était comme voir un fantôme. Il l'avait pensée morte avec Thearsis. Il s'était résigné à accepter cela, et pourtant, elle était là, sous ses yeux.

— Aeria... je...

— Attendez, l'interrompit-elle.

Elle se pinça l'arête du nez, grimaça légèrement puis releva la tête vers lui.

— Vous êtes le vainqueur du combat, c'est cela ?

Natanaël demeura muet un instant.

— Oui mais...

— Je n'ai pas le temps de discuter avec vous, navrée. Passez une belle soirée. Je m'excuse à nouveau de vous avoir bousculé tout à l'heure.

Elle voulut refermer la porte, cependant il la retint aussitôt en la bloquant avec son pied. Aeria lui jeta un regard inquiet, peut-être même menaçant. Elle s'adressait à lui comme si elle ne le connaissait pas, elle le regardait sans qu'aucune émotion ne traverse son visage.

— Aeria, tu me reconnais ?

— J'ai cru vous reconnaître... je suis navrée. Je... je ne sais pas qui vous êtes.

— Aeria... c'est moi, c'est...

— Excusez-moi de vous déranger, intervint quelqu'un.

Natanaël pencha la tête sur le côté pour ainsi apercevoir un homme dans la chambre avec Aeria. Un homme arborant la même couleur de cheveux qu'elle. Il était grand, plutôt musclé, bel homme et jeune. Il sourit à Natanaël et posa sa main au creux du dos d'Aeria. Natanaël serra et desserra ses mâchoires, sans même remarquer la petite perle salée qui roula sur la joue d'Aeria.

— Que se passe-t-il ? Insista l'inconnu aux côtés de la femme qu'il aimait.

— J'ai cru reconnaître cet homme mais je me suis trompée, avoua Aeria. Voilà tout...

— Je vais raccompagner cet heureux champion, reposes-toi, Aeria.

Kaïs déposa un baiser sur la joue de cette dernière. Un frisson angoissant et désagréable parcourut l'échine de Natanaël qui ne cilla point. Kaïs quitta la chambre et ferma la porte, tout en regardant Natanaël droit dans les yeux. Ensuite, il l'invita à avancer dans le couloir, ce qu'il fit, docile. Il ne fallait pas s'attirer des ennuis, pas maintenant.

Kaïs croisa ses mains derrière son dos, ils avancèrent dans un drôle de silence avant qu'il ne prenne enfin la parole.

— Il va falloir la laisser vivre sa vie dorénavant.

Natanaël lui jeta un regard en biais, les lèvres retroussées.

— Je parle d'Aeria bien évidemment.

Kaïs se tourna vers Natanaël, juste au bord des marches des escaliers.

— Elle n'a plus besoin de toi, Natanaël.

— Que lui as-tu fait ? gronda Natanaël entre ses dents.

Il voulut s'approcha de Kaïs cependant, celui-ci leva son index et le balança de droite à gauche, lentement, en signe de négation, ce qui freina Natanaël.

— Je te déconseille fortement de t'en prendre à moi... tu t'y perdrais.

Natanaël tenta de calmer sa respiration, sa colère, son impulsivité.

— Je t'invite à savourer ta victoire et quitter mon château rapidement.

— Pourquoi me menacer si Aeria n'a plus besoin de moi, je peux rester ici autant de temps que je le souhaite, cela ne devrait point déranger.

— Si tu restes ici, tu me déclares la guerre.

Natanaël afficha un rictus fourbe. Il s'avança d'un pas, se pencha légèrement vers Kaïs qui était plus petit que lui.

— À partir du moment où tu touches un seul cheveux de cette femme, cela signifie que tu m'as déjà déclaré la guerre, lui murmura-t-il.

Il se redressa pour jauger Kaïs. Natanaël ignorait qui il était et il n'en avait que faire. Ce qu'il voulait par dessus tout maintenant qu'il l'avait retrouvée, c'était la garder près de lui pour qu'elle ne souffre plus jamais. Il savait au combien c'était douloureux que de perdre un dragon, il savait qu'elle avait besoin de réconfort et il savait aussi que Kaïs ne pouvait pas lui apporter ce que lui avait à lui apporter.

— Profites de tes derniers instants près d'elle, reprit Natanaël, je trouverai le moyen de te détruire.

Après ces quelques mots et ignorant le sourire mesquin qu'affichait Kaïs et qui le faisait bouillonner, Natanaël lui tourna le dos pour descendre les escaliers.


Dans sa chambre, Aeria ne cessait de ruminer, l'impression de perdre la tête. C'était la voix de Natanaël, c'était certain. Pourtant, elle ne l'avait pas vu lui. Comment retrouver un semblant de lucidité ? Comment retrouver ce qu'elle avait perdu ?

— Thearsis... fais-moi un signe, murmura-t-elle.

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