V - Flocon

À son réveil, le lendemain de sa nuit de noces, Aeria ouvre difficilement les paupières. Il faut dire qu'il lui a été tout aussi difficile que de trouver le sommeil. Natanaël semble s'être endormi rapidement, pas un ronflement, juste un faible souffle lent et régulier, paisible et vulnérable. Aeria, quant à elle, n'a cessé de fixer le plafond et les ombres qui s'y reflétaient avec la lumière de la lune.

Difficile de dormir dans le même lit que son époux, notamment lorsqu'on ne connait pas celui-ci. Aeria a déjà passé des nuits avec des hommes, cependant, rares étaient celles qui se déroulaient aussi calmement. En général, l'homme avec qui elle partageait le lit dormait, ronflait puis se réveillait et s'occupait de se faire plaisir avec son corps. C'était pour cela qu'ils payaient.

Elle tourne doucement la tête vers la gauche, Natanaël n'est plus au lit. Aeria s'assoit, se frotte les cheveux tout en poussant un profond soupir puis tourne la tête vers la fenêtre, les rideaux sont ouverts et le ciel semble grisonnant à l'extérieur. Cependant, le château parait très vivant. En effet, elle peut entendre le chahut à l'extérieur et la vie qui se promène dans les couloirs de la demeure.

Elle se lève, enfile le long déshabillé qu'on semble lui avoir porté. Fort heureusement, il n'est pas aussi transparent que sa chemise de nuit. Elle quitte la chambre et déambule dans le couloir, un domestique passe à côté d'elle, du linge de lit propre dans les mains.

— Ma Dame, le petit déjeuner est servi ! Le roi doit déjà vous y attendre, il se trouve au rez -de-chaussée dans la salle à manger ! dit-il pressé.

— Je m'y rendrai, rétorque Aeria alors que le domestique est déjà loin.

Elle descend, pieds nus, les marches en basalte glacées. Elle rejoint bien rapidement Natanaël qui pose tout juste sa tasse de thé. Il se tient au bout de cette gigantesque table sur laquelle trônent quelques gâteaux aux couleurs intrigantes et du thé encore fumant. Elle s'assoit à sa droite et se sert une tasse a son tour. Elle sent le regard de Natanaël peser sur elle, un regard inquiétant et la rendant mal à l'aise.

— Avez-vous bien dormi ? Demande-t-il de sa lourde voix.

Elle hoche la tête.

— Oui, et vous ?

— Je ne dors que peu, c'est pourquoi je sais pertinemment que vous avez peiné à trouver le sommeil.

Elle lui jette un regard, ce dernier la toise, le coude posé sur l'accoudoir de son siège, se grattant le menton.

— Vous ne vous êtes pas levée pour dire au revoir à vos parents.

Aeria détourne le regard et boit le thé brulant qui réchauffe son corps. Elle ne les a pas revu depuis leur altercation lors du mariage. Elle n'a pas souhaitée se lever aux aurores pour leur dire au revoir. Le fait de l'entendre lui brise encore plus le cœur.

— Nous nous sommes dis au revoir hier soir, balbutie-t-elle.

— Pourquoi me mentir ainsi ?

Aeria fixe un point devant elle, n'osant pas affronter le regard glacial de son époux.

— Je ne mens pas.

— Je suis votre mari, pas votre ami. J'espère que vous serez honnête avec moi. N'oubliez pas que nous avons prêté serment sur les Cinq Dieux auprès d'un Saint.

— Je le sais...

— Alors cessez de me mentir. Je ne suis pas idiot et je comprends parfaitement que vous puissiez détester vos parents pour ce qu'ils ont fait. Je ne peux pas leur reprocher de vous avoir vendu puisque je suis l'acheteur.

— Et cela vous apporte quoi au juste ? Grommelle Aeria en relevant les yeux vers lui.

Il hausse les sourcils et esquisse un faible rictus.

— Vous voilà bien plus hargneuse, cela me plaît.

— Je ne vois pas ce que j'apporterai à votre Royaume, reprend-elle en ignorant ses remarques.

— La paix, peut-être ? Vous arborez un visage angélique, votre beauté en ces lieux prouvera au reste des Cinq Terres que Les Landes ne sont pas monstrueuses comme ils tendent à le croire.

Aeria détourne les yeux et termine son thé dans un silence glacial. Les gâteaux n'étant que peu appétissant, elle se contentera de sa boisson pour cette matinée. Lorsque Natanaël se lève, cette dernière sursaute quand les pieds de sa chaise ripent sur le sol. Il boutonne son manteau noir et se tourne vers sa dulcinée.

— Allez donc vous promener, afin de découvrir votre nouvelle demeure. Si vous souhaitez décorer certaines pièces, je vous lègue toute ma confiance. J'ai beaucoup de travail, alors il convient de ne jamais m'importuner sauf en cas d'extrême urgence. Est-ce clair pour vous, mon épouse ?

Aeria hoche la tête, tout en demeurant le plus neutre possible.

— Bien-sûr... souffle-t-elle.

Sur ces mots, Natanaël quitte la pièce, sans un regard de plus pour sa femme. Aeria reste seule un instant, à table, à contempler tous ces gâteaux aux odeurs douteuses. Elle a toujours eu l'habitude de ces hommes à ses pieds, de ces hommes vicieux et pervers, sans arrêt obnubilés par sa beauté ou par son corps. Natanaël a payé pour se marier avec elle mais ne semble que peu s'intéresser à son image. Il n'agit pas comme les hommes qu'elle a connu, il n'est pas doté de l'image que se faisait Aeria des hommes jusqu'alors. Il lui parait bien trop énigmatique, bien trop évasif sur certains sujets mais après tout, c'est un roi.

Aeria retourne dans ses anciens appartements, là où son chat l'accueille, la queue frétillante accompagné de ronronnements et quelques frottements à ses chevilles. Aeria s'accroupit et caresse son animal, un faible sourire étirant ses lèvres. Elle s'est liée d'amitié avec ce chat, certainement par déni et pour oublier l'enfer dans lequel elle vivait.

Il n'est pas rare qu'elle fasse encore des cauchemars de ce que lui infligeaient ces abominables personnages et le pire, c'est qu'Aeria ne voyait jamais la couleur de l'argent.

— Je vais aller me promener un petit peu, Harold m'a dit qu'il me ferait visiter. Tu as intérêt à rester sage Flocon, je compte sur toi, dit-elle à la petite boule de poils.

Elle se redresse, prend le temps de se faire la toilette et de s'habiller convenablement pour sortir : une robe bleu ciel, ample et souple, afin de la laisser à l'aise dans ses mouvements. Les manches sont en dentelle. Elle enfile par dessus un manteau épais qu'elle attache, celui-ci est doté d'une large capuche pour lui permettre de rester anonyme si elle le souhaite.

Elle ouvre la porte, prête à sortir mais son chat passe entre ses jambes et fugue.

— Non, Flocon ! Reviens ! grommelle-t-elle.

Elle se retrouve à courir après son chat dans les longs couloirs de la demeure du roi Des Landes. Flocon monte les escaliers, un étage qu'elle n'a encore jamais visité. Elle tient son manteau et sa robe et monte les marches le plus rapidement possible.

— Flocon, reviens ! chuchote-t-elle en colère. Je ne pense pas que nous avons le droit d'être ici...

Elle avance dans le couloir et rattrape son chat avant qu'il ne se faufile dans l'entrebâillement d'une porte. Le couloir est vierge, les portes sont toutes condamnées, à part celle-ci. Elle garde sa boule de poils dans les bras et s'intéresse à ce qui se passe, jetant un oeil par l'entrebâillement.

— Non ! cri Natanaël en frappant ses mains sur la table ronde en bois massif. Il est hors de question que j'accorde au roi une audience dans mon Royaume.

Il semblerait qu'un homme à l'armure noire de chevalier et la posture sage se tienne face au roi.

— Il est de votre sang, il convient de faire une trêve. Il demande un entretien avec vous et est prêt à se déplacer jusqu'ici pour l'avoir. Que vous faut-il de plus mon roi ?

— De la tranquillité, bougonne-t-il comme réponse.

— Si nous accordons l'audience au roi, nous pourrons éviter une guerre certaine.

— T'ai-je épargné pour que tu me donnes des ordres, Hervos ?

— Évidemment, non, mon roi... cependant, je cherche à vous venir en aide.

— Il convient pour cela que le roi des Cinq Terres demeure très loin Des Landes.

— Il vous déclarera la guerre...

Natanaël relève les yeux vers son garde, les lèvres retroussées.

— La guerre, Hervos, il me l'a déjà déclarée il y a fort longtemps. Tu n'étais même pas encore né.

Aeria plisse les paupières, comment peut-il dire cela ? Hervos détient une voix mûre et Natanaël ne semble pas si vieux que cela. Flocon gigote dans les bras de la jeune femme, si bien qu'il lui griffe la main. Aeria pousse un gémissement non contrôlé, son chat s'échappe hors de son étreinte et gambade dans le couloir, il disparaît bien après les escaliers.

Lorsqu'elle tourne la tête vers l'entrebâillement de la porte, elle croise le regard du fameux Hervos, un homme de grande taille, doté d'une longue barbe grisonnante et des yeux gris. Derrière la carrure imposante du garde, elle aperçoit brièvement Natanaël qui la fixe, puis Hervos claque la porte, ce qui fait sursauter la jeune femme.

Elle demeure un instant immobile avant de reprendre ses recherches, des questions plein la tête. Le roi des Cinq Terres a un lien de parenté avec Natanaël et ce dernier parle comme s'il avait vécu plusieurs vies.

Depuis son arrivée dans Les Landes, des choses étranges se produisent, comme la capacité pour Aeria de supporter les brûlures que peut causer le feu. Il semblerait que son époux ne tienne pas le serment qu'il a fait au Saint lors de leur mariage.

La confiance, la loyauté... il était dit, lors de ce serment, que les secrets de l'un, seraient également ceux de l'autre. Pour Aeria, cela ne fait aucun doute, il lui faut découvrir ce qu'on lui cache.

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