IX - Empoisonné

Le chantonnement des vagues le matin était réconfortant parfois même rassurant. Il y avait cette brise fraîche et agréable qui caressait les visages des lèves tôt. Le sable encore tiède de la veille était humide, doux sous les pieds nus et l'océan s'échouait avec grâce, créant une mousse blanchâtre à chacune de ses vagues.

Amélia se baladait au bord de la plage, ses cheveux noirs dansaient avec le vent, elle respirait avec plaisir l'air qui s'offrait à elle. Elle trouvait le levé du soleil incroyable, la nature lui semblait si vive et belle depuis qu'elle était revenue à la vie. Elle ne pouvait s'empêcher d'apprécier tout ce qu'elle voyait ou touchait. Un petit rien l'extasiait et pourtant, en elle grandissaient de sombres sensations. Néanmoins, cela n'était rien comparé à ce qu'elle avait ressenti en touchant Natanaël la veille, ou quand il lui avait annoncé son prénom. Un électrochoc l'avait parcourut de la tête aux pieds, c'est pourquoi elle était partie si vite.

Elle avait senti au plus profond de son être, que c'était son fils. Le seul souvenir qu'elle avait de lui, c'était sa naissance, bien qu'elle fut vague. Amélia avait tant souffert en le mettant au monde, elle avait tant hurlé, elle s'était tant épuisée mais avait, par dessus tout, voulu donner la vie, enfin. Car oui, ses gènes étaient mauvais, elle perdait chaque bébé et faisait des fausses couches depuis des années avant de tomber enceinte de Natanaël et de mener la grossesse à terme.

Malheureusement, cela lui valut un sacrifice. Celui de sa propre vie.

Elle se souvenait simplement de ses pleurs, rapidement de ce tout petit être emmitouflé dans des linges chauds. Elle se souvenait avoir demandé à Lauan de prendre soin de leur fils avant qu'elle ne sente la mort s'emparer d'elle et que le froid givre son cœur à tout jamais.

Alors quand elle avait regagné les appartements, elle était restée distante. Elle n'avait pas embrassé Lauan, elle ne lui avait pas adressé la parole. Elle s'était contentée de regarder par la fenêtre, ressassant ses souvenirs de grossesse et d'accouchement.

— Tu ne souhaites plus me parler ? avait tenté Lauan.

Amélia avait inspiré profondément, les mains croisées devant son bassin. Elle se mordillait les lèvres, l'air pensive. Natanaël lui ressemblait, il arborait de beaux yeux bleus, comme sa mère et des cheveux aussi noirs que l'ébène.

— Ai-je fait quelque chose de mal ? avait insisté son époux.

— Oui... avait-elle marmonné.

Lauan s'était appuyé sur son sceptre, les sourcils haussés. Amélia, quant à elle, s'était contentée de tourner la tête sur le côté, sans lui jeter un regard mais simplement pour s'adresser à lui :

— Tu m'as menti. Et tu n'as jamais tenu ta promesse.

— De quoi parles-tu ? avait grommelé Lauan déjà agacé par ces accusations.

— Tu m'as dit avoir dû tuer Natanaël car il était mauvais...

— Bien-sûr, l'avait-il interrompu

Elle s'était tournée vers lui, les lèvres retroussées, les larmes aux yeux.

— Mais c'est faux ! avait-elle grondé. Comment peux-tu me regarder droit dans les yeux et me mentir de la sorte ? Je suis ta femme ! Je ne suis pas revenue pour que tu tisses ma vie sur des mensonges.

Lauan avait été surpris par son ton, par sa colère soudaine. Depuis qu'elle était revenue, elle ne s'était jamais énervée. Elle était toujours restée calme, sereine, vivante.

— Je t'avais demandé de prendre soin de notre fils... avait-elle déclaré avant de fermer les yeux pour laisser couler ses larmes.

— Amélia, je... Natanaël était instable et...

— Ça suffit les mensonges ! l'avait-elle coupé en le foudroyant du regard.

Les poings serrés, elle avait affronté son époux. Quelque chose en elle s'était brisait en songeant à ces mensonges, en songeant à son fils qu'elle aurait déjà pu apprendre à connaître en un an de temps. Ses joues s'étaient inondées de larmes, sans qu'elle ne puisse les retenir.

— Je sais tout, Lauan, je sais absolument tout. Je vois les souvenirs de ce Dragon... celui que tu as lâchement torturé...

Lauan avait baissé les yeux, dégluti difficilement, visiblement touché par ces révélations. Était-il en colère ? Triste ? Déçu ? Coupable ?

— Je t'aime tellement, Amélia... Te perdre m'a brisé, avait-il avoué.

— Mais me mentir ne te fait rien, avait-elle constaté.

Il avait relevé ses yeux embués de larmes vers elle, la lèvre inférieure légèrement en avant.

— Je suis en guerre contre lui. Je lui ai laissé la vie sauve, c'est suffisant.

— Je l'ai vu, Lauan.

Ce dernier avait froncé les sourcils.

— Je l'ai vu ici, à Dranne. Il a gagné les jeux.

Lauan poussa un profond soupir.

— Ce n'est pas possible, qu'avez-vous toutes à croire cela ? Je l'ai vu moi aussi et je t'assures que ce n'était pas lui !

— Je te dis que c'est lui ! Je veux apprendre à le connaître !

— Tu peux, si tu le souhaites, avait pesté Lauan. Mais ce n'est pas lui, ma douce. Ce n'est pas lui... je l'aurai reconnu.

Lauan voulut s'approcher d'elle, cependant, elle fit un pas en arrière tout en se tenant le bras. Elle se pinça les lèvres puis avait sondé son regard.

— Je suis navrée, Lauan, avait-elle commencé. Si tu ne souhaites pas changer, alors je partirai.

Il l'avait toisé un long moment avant de serrer les mâchoires, de se retourner et de balancer son sceptre contre le mur. Si fort qu'il y laissa une trace et brisa le vase qui se trouvait juste en dessous.

— TU NE PEUX PAS ! avait-il hurlé.

Il avait serré les poings, les lèvres retroussées.

— Tu ne peux pas... avait-il soufflé plus doucement.

Elle avait relevé le menton, peinée par sa réaction. Elle savait qu'il l'aimait, et cela ne faisait aucun doute lorsqu'on apprenait tout ce qu'il avait fait pour la ramener à la vie. Mais ce sacrifice était un poison pour Amélia qui devait vivre avec le poids des actes de son époux.

— J'ai besoin de prendre l'air, avait-elle déclaré.

Elle était passée à côté de lui et avait quitté la pièce. Amélia avait passé la soirée à déambuler dans le domaine, à manger quelques mets puis avait fini sa nuit sur la plage, là où elle se baladait à présent, au soleil levant, se remémorant sa conversation avec son mari.

Elle aimait Lauan, c'était une certitude. Cependant, elle ne pensait pas l'aimer au point d'accepter chacun de ses actes.

Ses yeux quittèrent l'horizon pour se poser sur le corps d'un homme affalé dans le sable noir. Amélia plissa les paupières pour mieux voir, c'était un homme partiellement dénudé, allongé sur le ventre, la tête enfoncée dans le sable. Ses longs cheveux noirs étaient encore humides, pieds nus, vêtu d'un simple pantalon. Elle s'approcha de lui et le poussa doucement avec son pied, sans faire attention à toutes les cicatrices qu'arborait son dos. Elle l'enjamba puis le retourna difficilement sur le dos, c'est alors qu'elle reconnut le visage de Natanaël.

Ses yeux étaient clos, ses veines apparentes, un filet de bave au coin des lèvres, des gerçures... Il semblait en piteux état et lorsqu'elle le secoua à plusieurs reprises, il ne réagit point. La reine commença à paniquer. Elle ne le connaissait pas et pourtant, son instinct maternelle prenait le dessus. Elle le redressa, enfoncée dans le sable et le soutint par les aisselles.

— Réveillez-vous ! gronda-t-elle.

Rien n'y faisait, pourtant, elle avait écouté son coeur et il battait encore, faiblement. Il empestait l'alcool, peut-être avait-il trop bu. Lorsqu'elle le redressa dans une position assise, Natanaël eut un spasme et régurgita dans le sable, l'eau se chargea de nettoyer son vomi bien rapidement. Il restait tout de même inconscient et semblait fiévreux.

— Que vous est-il arrivé... souffla-t-elle.

Assise dans le sable mouillé, Amélia gardait Natanaël contre elle, appuyé de tout son poids sur sa poitrine. Sa tête pendait sur le côté, ivre mort. Elle caressait son bras doucement, comme l'aurait fait une mère près de son enfant malade puis fixait un point devant elle. Elle murmura un chant, une mélodie envoûtante et douce. Le genre de murmure qu'elle aurait aimé marmonné pour endormir son bébé si seulement avait-elle eu la chance de l'élever.

— Amélia, j'ai réfléchi et...

Lorsqu'elle releva la tête, elle vit Lauan avancer dans le sable. Il s'arrêta, regarda sa femme puis l'homme qu'elle tenait contre elle. Il cligna plusieurs fois des paupières avant de s'accroupir. Il détailla Natanaël, se frotta les yeux, secoua la tête puis l'observa à nouveau.

— Qu'est-ce qu'il m'arrive... souffla Lauan.

— Tu le vois ?

Il se concentra sur sa femme.

— Je ne sais pas... je le vois, puis je ne le vois plus...

— C'est lui Lauan, je t'assures... il faut que tu m'aides.

Lauan serra et desserra les mâchoires. Il se releva, détourna le regard tout en poussant un profond soupir.

— Regardes-moi ! ordonna Amélia.

Il la regarda, elle, sans s'arrêter sur son fils ou du moins, sur l'individu qu'il pensait être son fils. Il faut dire que sa vue se brouillait, que le visage de Natanaël devenait net avant qu'il ne le voit plus comme tel, comme s'il avait un inconnu face à lui. C'était une sensation étrange, comme s'il perdait la tête ou n'était plus certain de ce qu'il voyait. Était-ce réel ? Il pouvait remettre en cause la parole d'Aeria mais celle de sa femme... ?

— Si tu m'aimes réellement, je t'en conjure, aides-le... supplia-t-elle. Je veux apprendre à le connaître, Lauan. Tous mes souvenirs disparaissent au fil des jours... je veux pouvoir le connaître.

Il tourna sa langue dans sa bouche, pesa le pour et le contre. Aider Natanaël ? Son fils devenu son ennemi ? Pour lui, cela était inimaginable. Cependant, c'était tout aussi inimaginable que de refuser et laisser sa femme penser qu'il ne l'aimait pas autant.

— Il a sûrement été empoisonné à en voir la couleur de ses lèvres... grommela Lauan.

Il s'accroupît de nouveau, saisit le visage de Natanaël entre ses mains pour l'observer. Les veines de ses yeux étaient gonflées sur ses paupières, son teint pâle, ses lèvres gercées et violacées. Il était brûlant et s'il vomissait, c'est que son corps tentait de se défendre par tous les moyens, en vain.

— Que pouvons-nous faire dans ce cas ?

—Je ne sais pas, Amélia... je ne suis pas un Saint, je ne fais pas de médecine. Il faudrait un antipoison... néanmoins... je n'en ai pas et je ne sais pas ce qu'il a avalé.

— Lauan, je t'en conjure... c'est notre fils.

Ce dernier croisa le regard de sa femme, le coeur pincé. Leur fils, oui. Lauan avait rêvé d'une vie épanouie, dans laquelle Amélia n'avait pas rendu l'âme en donnant naissance à leur fils. Il s'était vu bon nombre de fois être père et apprendre à son fils à diriger les Six Terres, à en faire un digne successeur... auprès de celle qu'il aimait par dessus tout. Cependant, ce n'était que des rêves, rien de plus.

— Je ne connais qu'un seul moyen de le guérir, déclara-t-il après un court silence.

Il lâcha le visage de Natanaël, qui retomba mollement en avant. Lauan se releva, laissa ses épaules s'affaisser puis fixa l'horizon un instant. À contre cœur, il lui faudrait sauver son fils.

— Ce sont les Dragons.

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