III - Un père et une mère
Aeria se tenait debout, sur son balcon. De cette place, elle avait vue sur une partie d'Epinasse et sur la rivière qui traversait la ville. Son manoir était en plein centre de cette ville, et Epinasse était une Terre peuplée, les rues étaient étroites, dallées. Afin de conserver un minimum de verdure, les habitants cultivaient des fleurs et autres plantes au bord de leurs fenêtres. C'était également la Terre des meilleurs boulangers, Aeria n'avait jamais gouté de pain aussi bon que depuis qu'elle habitait ici.
Elle fit fermer les bordels ouverts par Alecsi, afin que les femmes qui y travaillaient ne se trouvent pas sans travail, elle les employa chez elle, en tant que domestiques et avaient chacune leurs appartements personnels. Il y avait du travail pour que le domaine soit toujours impeccable et que les jardins ne soient jamais envahis de mauvaises herbes. Ainsi, ces femmes n'étaient plus obligées de subir les sévices de ces messieurs. Seules celles qui en faisaient une vocation avaient le droit d'exercer.
Lorsqu'elle aperçut deux chevaux tirant une voiturette traverser le pont au dessus du fleuve, son visage jusqu'alors neutre et fermé s'illumina et un sourire étira ses lèvres. Elle rentra dans ses appartements, caressa Flocon et enfila son long manteau rouge pourpre.
— Je reviens Flocon, tu n'as qu'à faire une sieste ou bien aller te promener dans les jardins, déclara-t-elle.
Elle se jeta un dernier regard dans le miroir, les cheveux noués dans une longue tresse, elle était parfaitement coiffée pour accueillir son premier invité en ces lieux. Elle descendit les escaliers à la hâte et sortit au moment même où la porte de la voiturette s'ouvrit.
— Père ! s'exclama Aeria.
Elle s'avança vers lui et lorsqu'il la vit, il lui sourit à son tour. Aeria l'enlaça, ferma les yeux et resta collée à lui un instant, profitant de cet instant. Elle se détacha de lui pour le regarder, il avait quelques cheveux blancs, quelques rides en plus. En une année et demie, il semblait avoir bien plus vieilli que la normale. Aeria se décala pour regarder à l'intérieur de la voiturette, son sourire disparut en ne voyant pas sa mère en descendre.
— Elle n'a pas souhaité venir... ?
Son père la toisa un instant, il retira son chapeau, l'air grave.
— Ta mère est morte, Aeria... soupira-t-il.
Elle cligna plusieurs fois des paupières, son coeur rata même un battement. Finalement, la joie qu'elle se faisait de revoir ses parents disparut et une étrange peine imprégna son coeur.
— Je... s'il vous plaît, faites porter les bagages de mon père dans ses appartements et servez-nous le thé... ordonna-t-elle à ses domestiques.
Ils rentrèrent à l'intérieur. La neige avait recouvert les toits des chaumières, et le froid était saisissant chaque fois qu'on mettait le pied à l'extérieur.
Enfin au chaud, Aeria était assise face à son père, une tasse de thé fumante devant elle, tout deux bercés par la mélodie du crépitement des flammes dans la cheminée. La pièce était spacieuse, décorée avec goût par plusieurs plantes entretenues. Ils étaient assis à une table ronde, près d'une grande fenêtre en renfoncement, leur permettant d'observer la neige tomber.
— Je vois que tu as fait du chemin, commença son père pour briser le silence.
Aeria, qui jusqu'alors gardait ses yeux dans le vague, reporta son attention sur son père.
— J'ai reçu ta première lettre, il y a un an... et quand j'ai reçu la nouvelle, dans laquelle tu me demandais de te rejoindre ici... je ne me suis pas senti capable de refuser une telle proposition. Les temps sont durs...
En effet, son père n'était guère vêtu comme un noble, ses vêtements semblaient vieux, réutilisés trop de fois.
— Vous pouvez rester ici autant de temps que cela vous fait plaisir, père, rétorqua Aeria. Vous êtes ici chez vous.
Son père appuya ses bras sur la table.
— Mais dis-moi, comment en es-tu arrivée là ?
Aeria inspira profondément puis but une grosse gorgée de son thé brûlant. La chaleur la brûlait, lui faisait mal, mais jamais sa peau ne marquait. Comment en était-elle arrivée là ? Quelle longue histoire... devait-elle commencer par le début ? Quel était le début, d'ailleurs ? Son mariage avec Natanaël ou bien son emprisonnement, peut-être sa rencontre avec Lauan et toutes les erreurs commises durant cette première année sans ses parents ?
— Et bien... c'est une très longue histoire, souffla-t-elle en esquissant un faible sourire.
— J'aimerais la connaître, s'enthousiasma son père.
Aeria reposa sa tasse de thé et poussa un profond soupir.
— Je préférerais savoir comment ma mère est morte...
Son père baissa la tête et se pinça les lèvres. Il semblait retenir ses émotions et probablement la peine qu'il ressentait encore aujourd'hui. Cela se voyait sur lui, cela se lisait facilement, son deuil n'était pas terminé et peut-être ne le serait-il jamais car perdre l'amour de sa vie est un mal impossible à guérir.
— Lorsque nous avons tous eu vent de la missive envoyée par le roi des Landes, dans laquelle il avouait ses crimes, ta mère s'en est atrocement voulu. Elle s'est demandée si tu étais encore en vie, et elle se blâmait chaque jour du fait de t'avoir vendue à un criminel.
Il marqua une pause et soupira longuement.
— Nous n'avons pas été des parents modèles et je sais que tu as connu des hommes peu convenables... cependant cette fois, nous t'avions laissée loin de chez nous, seule, et nous pensions qu'un roi, même le roi des Landes, te permettrait d'être plus en sécurité que chez un Duc à la recherche de nouvelles expériences... cependant, nous avions tort et ta mère ne se l'est jamais pardonnée.
Il regardait Aeria, avec cet air désolé sur le visage. Il semblait que son père ne se pardonnait pas les actes commis dans la jeunesse de sa fille, ni même celui de l'avoir mariée de force à un roi trop peu recommandé.
— Elle a mis fin à ses jours en se pendant à notre rambarde d'escaliers... je l'ai retrouvée un matin, pendue, le visage violet, les yeux injectés de sang... sans vie. J'ai mis des heures à pouvoir la descendre de là, ma peine était si grande... je m'en suis voulu de ne pas l'avoir entendue dans la nuit.
Il s'arrêta de parler, déglutit difficilement et essuya rapidement la larme qui perlait au coin de son oeil, la gorge nouée.
— Pardonne-nous Aeria, j'espère que ce roi ne t'as pas fait de mal... Tu sembles tellement différente.
Elle releva le menton, la lèvre inférieure légèrement en avant, peinée par la mort de sa mère. Le fait de savoir qu'elle avait des remords la réconforta cependant, dans le sens où cela voulait donc dire que sa mère tenait tout de même à elle, même si le mal était déjà fait. Elle regretta le fait de ne jamais avoir pu profiter de sa mère comme une enfant ordinaire et de ne pas avoir été proche d'elle. Elle regretta également les dernières paroles qu'elle avait eu envers elle, avant qu'ils ne quittent les Landes. Cependant, les regrets ne peuvent être changés, sa mère étant morte dorénavant, il convenait de les enfouir en elle et de vivre avec.
— Natanaël Astassard ne m'a jamais fait de mal, père.
Kryston hocha la tête et laissa ses larmes rouler sur ses joues. Il se pinça l'arête du nez, baissa la tête et la secoua.
— Excuse-moi... Je me dis simplement que si seulement ta mère avait cherché à te contacter... elle serait aujourd'hui avec moi, aussi fière de toi que je le suis.
Aeria posa sa main sur celle de son père, ce qui lui fit relever son regard vers sa fille. Elle lui adressa un chaleureux sourire.
— Et si nous oubliions le passé ? Profitez d'être ici pour vous reposer, pour visiter Epinasse, travailler si vous le souhaitez... je ne vous mettrai pas dehors. Il y a de la place ici et je me sens vite seule.
— Merci Aeria...
Il serra sa main dans la sienne.
Ils prirent le thé ensemble, et discutèrent de beaucoup de choses, sauf ce qui avait amené Aeria à se retrouver ici. Elle ne souhaitait guère mêler son père à toutes ces histoires de dragons et de pouvoir.
Le soir venu, Aeria se promenait dans les jardins, comme habituellement. La lune éclairait ceux-ci, la neige blanchissait les plantes. Aeria appréciait le craquement de celle-ci sous ses semelles ou le froid qui saisissait son corps brûlant de l'intérieur. Parfois, elle regardait vers le ciel, en espérant revoir le dragon voler et la rejoindre, cependant depuis un an déjà, le Dragon ne s'était plus montré, comme un lointain souvenir ou un rêve bien trop réaliste.
Lorsqu'elle entendit du bruit derrière le cerisier, Aeria s'arrêta et tendit l'oreille. Le bruit reprit de plus belle, et lorsqu'elle s'avança, dans la pénombre, elle remarqua des traces de pas. Elle s'avança prudemment vers le cerisier et passa derrière l'énorme tronc de celui-ci. Un individu se tenait dos à elle et se frottait les mains, probablement pour se réchauffer.
— Excusez-moi, vous n'êtes pas sans savoir que c'est une propriété privée ici... souffla Aeria.
Il se retourna vers elle, habillé comme un pauvre, une peau de bête sur les épaules. Il frottait ses mains entre elles, des mains que peu de gens avaient de part les doigts qui leur manquaient.
— Hervos...
— Êtes-vous surprise de me voir ici ? Comment dois-je vous appeler dorénavant ?
Aeria croisa les bras sur son manteau, le bout du nez rosit par le froid.
— Je suis contente de vous savoir en vie.
— Ce fut un véritable calvaire, j'ai souffert durant des semaines et j'ai frôlé la mort du bout des doigts.
— Je ne souhaitais pas vous tuer.
— Le roi ne voyait pas les choses de la même façon que vous.
— Que faites-vous ici ?
— Je viens chercher votre aide.
Elle hausse les sourcils.
— Êtes-vous toujours manipulée par le roi, ou réussissez-vous à penser par vous-même à présent ? S'enquit Hervos.
Aeria déglutit et détourna le regard un instant. Évidemment qu'elle ne pensait plus la même chose, puisqu'elle avait vu la Guerre du Feu, à travers les yeux du Dragon Doré et que cela la hantait chaque fois qu'elle fermait les paupières.
— Je sais que Natanaël n'est pas le seul coupable. Je comprends sa peine...
Elle marqua une pause et poussa un profond soupir.
— J'ai besoin de lui.
— Certainement pas car votre époux vous manque, je me trompe ? Grommela Hervos.
— Le Dragon recherche ses œufs, du moins... attend de nous que nous lui confions. Cependant, seul Natanaël sait où ils se trouvent.
— Vous ne l'avez donc jamais aimé, conclut Hervos.
Aeria tentait surtout de se convaincre que leur idylle ne fut que de courte durée et que rien de ce qu'elle pensait ressentir n'était vrai. Mais comme Natanaël cent ans plus tôt avec Gorgia, un lien s'était tissé entre eux, sans qu'ils ne le sachent, comme deux victimes du destin.
— Qu'avez-vous en tête, Hervos ? Demanda Aeria.
— Nous devons libérer Natanaël avant qu'il ne succombe à sa torture. J'ai déjà commencé mais j'aurai besoin de vous pour terminer mon plan. Me suivrez-vous ?
Aeria sembla hésiter un instant. C'est vrai que régner sur Epinasse et ne plus avoir de guerre, ni même de problèmes avec Lauan l'apaisait. Elle n'était pas sans savoir que cette sérénité n'était que temporaire.
— Évidemment, Hervos, je vous suis.
Ce sera la couverture définitive de cette deuxième partie. J'espère qu'elle vous plaît !
Je suis trop fière 🥲, le dragon est parfaitement détouré.
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