III - Les jeux pour Les Landes

Six hommes souhaitaient récupérer la Terre des Landes, afin de la rendre prospère, afin d'avoir le pouvoir sur un peuple, afin de rendre sa civilisation à cette belle nature morte.

Parmi ces six hommes, un seul intéressait Aeria. Natanaël se tenait là, torse nu, les cheveux attachés afin de ne pas être gêné durant son combat. L'homme des lieux, Joseph, expliqua les règles de sa lourde voix.

— Une seule règle pour ce jeu : un seul survivant remportera ces Terres, commença-t-il.

Ce qui étira les lèvres de Lauan en un funeste sourire. Il aimait la violence, il aimait le fait que ces jeux étaient organisés par sa personne, qu'il en était le roi et qu'il contrôlait alors, le destin de chaque Terre. Cependant, voir son fils parmi la foule lui donna la nausée. Il espérait le voir mourir dans cette arène, face à tous ces participants, car impossible pour lui de lui léguer Les Landes.

Heureusement pour le roi, Amélia ne savait pas à quoi ressemblait son fils. Elle ne l'avait même pas vu après son accouchement et le roi lui avait alors conté une sombre histoire, dans laquelle Natanaël détruisait tout sur son passage et le fait que son propre père, n'avait eu d'autres choix que de le tuer pour espérer sauver l'avenir des Six Terres.

— Vous disposez de six armes posées là-bas, expliqua Joseph. Une arme pour chacun, cependant, à chaque arme sa spécificité. La dernière arme est la plus faible, un simple morceau de bois... et la première est une hache à double tranchant aussi appelée labrys, lourde et redoutable, elle découpera les malheureux qui auront la bête idée de s'y frotter... QUE LES JEUX COMMENCENT !

Les six hommes se mirent à courir en direction des armes posées sur un établi, le premier, un homme bedonnant, grand et arborant une grosse barbe fournie, se munit de la hache à double tranchant. Le second eut droit à une hallebarde, le troisième à une grande épée en fer forgé. Le quatrième, qui n'était autre que Natanaël, put se munir d'un glaive. Le cinquième d'un poignard et le sixième du morceau de bois.

Tous commencèrent à se jeter les uns sur les autres, sans attendre. Le barbu fit tourner sa hache et heurta violemment le pauvre homme qui avait eu droit au morceau de bois. La tête de la hache entra en contact avec son ventre non dissimulé sous une armure, elle se planta dans son abdomen et lorsque le barbu la retira d'un coup brutal, ses entrailles finirent sur le sol et son adversaire mourut en quelques secondes seulement.

Natanaël, lui, se battait contre l'homme à l'épée. Munit d'un glaive, il avait une possibilité de s'en sortir malgré le fait que son arme était courte. Il para l'attaque de son adversaire, comme il l'aurait fait lors d'un combat en pleine guerre. Les pieds ancrés dans le sol, les yeux à l'affût du moindre mouvement, rien ne lui échappait et ses parades étaient parfaitement maîtrisées. Leurs torses dégoulinaient de sueur, leur front luisaient, ils mouraient de chaud et l'angoisse de mourir, de donner sa vie pour une simple Terre, en tourmentait la moitié.

Natanaël ne faisait pas partie de ceux qui craignaient la mort, il l'avait touché du bout des doigts à plusieurs reprises. Puis mourir, pour lui, avait un sens et s'il perdait, alors il serait libéré d'un lourd poids qu'il portait sur ses épaules depuis trop longtemps déjà. Plus rien n'avait de sens, sauf peut-être récupérer les Landes et les protéger, pour de vrai, cette fois.

Il frappa le genou de son adversaire de son pied, ce dernier ne cessait d'abattre son épée contre son glaive. Il posa son genou à terre, tout en grimaçant. Natanaël le désarma en frappant son bras de son arme, le sectionnant aussitôt. L'homme se mit à hurler, il se roula sur le sol, son sang giclait partout autour de lui. Deux gardes se chargèrent de le sortir de l'arène, malgré le fait qu'il n'avait point perdu la vie, il restait perdant avec une main en moins. 

Aeria serrait le tissu de sa robe entre ses doigts, l'air terrifiée. Une chose que Kaïs remarqua lorsqu'il lui jeta un regard. Il la rapprocha de lui, ce qui la fit grincer des dents. Il se pencha vers elle, afin d'approcher ses lèvres de son oreille.

— Aies l'air naturelle, lui souffla-t-il.

Elle lui jeta un regard, les sourcils froncés.

— Je te vois qui trépigne d'impatience de le voir gagner, cependant, tu te trompes, Aeria, ce ne peut pas être lui.

— C'est lui, assura-t-elle.

— Je crains que ton imagination ne te joue des tours, ma jolie...

Aeria reporta son attention sur l'arène, elle se frotta les yeux un instant puis observa les hommes se battre. Il semblait que Natanaël avait disparu et que l'homme qui utilisait le glaive était simplement quelqu'un d'autre, qui, de loin, de la sorte, lui ressemblait vaguement. Elle jeta ensuite un regard à Lauan, qui lui rendit. Elle ne sut le décrypter, il semblait perturbé mais à la fois, peu convaincu par ce qu'il voyait. Elle baissa les yeux, poussa un profond soupir. Finalement, elle se défit de l'étreinte de Kaïs puis passa entre la foule de convives enragés qui observaient, avec soif de sang, le combat qui avait lieu sous leurs yeux.

Elle quitta les tribunes rapidement, la main sur la poitrine. Elle respirait vite, le coeur lourd. Elle se pencha en avant et poussa un gémissement étouffé. L'impression de devenir folle.

— Aeria ! entendit-elle derrière elle.

Elle se redressa, jeta un regard à Amélia qui s'approchait d'elle. Elle secoua la tête et tendit sa main vers elle.

— Non, ne m'approchez pas !

Amélia s'arrêta aussitôt, docile. L'expression qu'affichait son visage laissait entrevoir une certaine empathie envers la jeune femme.

— Que vous arrive-t-il ? Est-ce les mots que j'ai employé tout à l'heure qui vous ont blessé ?

— Cela n'a rien à voir. Je... je crois que je deviens folle.

— La folie n'existe pas, Aeria... nous sommes tous des êtres humains, conscients de nos actes et nos pensées.

— Voir les morts ou imaginer quelqu'un qui n'existe plus sous ses yeux, cela vous fait penser que je suis consciente de ce qui se passe dans mon esprit ? s'offusqua Aeria.

Amélia gardait cet air doux, serein et calme sur le visage.

— Oui, je le pense.

Aeria poussa un profond soupir et détourna le regard. Elle essuya ses larmes d'un revers de la main, renifla légèrement et inspira profondément par le nez, expira par la bouche.

— Que pensez-vous avoir vu dans l'arène ? demanda Amélia remarquant qu'elle se calmait.

Aeria lui jeta de nouveau un regard, les lèvres pincées.

— Rien du tout...

— Aeria, je voulais vous dire... je n'ai jamais voulu revenir à la vie.

Aeria baissa la tête, les yeux embués de larmes, tourmentée par ses souvenirs. Elle n'était même plus certaine d'avoir vu Natanaël dans l'arène. Kaïs la faisait douter, avait-il raison ? Avait-il tort ? Pour elle pensait regarder Natanaël se battre puis la seconde d'après, un parfait inconnu ? 

— Ne dites pas cela, je vous en prie... murmura Aeria. Ne dites pas cela, c'est injuste...

Amélia demeura silencieuse lorsqu'Aeria releva ses yeux remplis de larmes. Il n'était pas difficile de ressentir sa peine, son deuil impossible et sa frustration.

— Thearsis, c'était le nom du Dragon qui vous a redonné vie.

— Je le sais... souffla Amélia.

— Ce que vous ne savez pas, c'est que ce Dragon s'est tué pour vous, pour votre époux. Et c'était mon Dragon, vous comprenez ? Est-ce que le roi vous a expliqué le lien qui se crée entre un Dragon et son Dragonnier ? Est-ce qu'il vous a expliqué la douleur que cela procure à celui qui survit ? La lutte qu'il faut mener pour rester en vie et éviter de se détruire soi-même ? Vous a-t-il dit tout cela ?

Amélia restait immobile, les bras ballants, les lèvres entrouvertes, une expression de tristesse déforma son doux visage.

— Alors ne dites pas que vous n'avez jamais voulu revenir à la vie. Acceptez ce sacrifice, je vous en conjure... ne me laissez pas penser que mon Dragon s'est sacrifié en vain.

— Je suis sincèrement désolée... marmonna Amélia.

Elle parvenait à retenir ses larmes, tandis qu'Aeria n'en était pas capable. Sa souffrance était palpable et pouvait venir imprégner ses interlocuteurs avec facilité.

— Profitez de cette vie, Amélia. Vous êtes reine des Six Terres, vous êtes auprès de votre mari et...

— Je n'ai pas mon fils... l'interrompit Amélia. Je pourrai profiter autant de temps qu'il le faut, je ne récupérerai pas mon fils, celui pour qui j'ai donné ma vie. Cela fait cent ans, j'aurais aimé le voir grandir, voir l'homme qu'il deviendrait, être fière de lui... Je reviens certes, mais je me sens vide.

Pour Aeria, Natanaël était un homme accompli malgré sa vie de torture et de tourments. Il était sage, réfléchi, fort, courageux et rassurant. Il était un modèle, il était l'homme qu'elle aimait par dessus tout et qu'elle aimerait pour le restant de ses jours.

— Je l'avais appelé Natanaël... comme mon père jadis...

Amélia esquissa un faible sourire puis reprit : 

— J'ai toujours espéré qu'il hérite du même caractère que lui. Mon père était un homme bon. Cependant, Lauan m'a expliqué que...

Les exclamations en furie de la foule la fit taire. Aeria et Amélia se jetèrent un regard avant de regagner l'arène pour voir ce qu'il se passait. Joseph tenait le bras du vainqueur levé vers le ciel en signe de triomphe, au sol gisaient trois corps dont celui du barbu, à plat ventre, une tâche de sang sous son cadavre. Cet homme, à qui Joseph tenait le bras, était essoufflé par sa lutte, tâché des effluves de sang qui lui avait giclé au visage et sur son torse musclé, c'était celui qu'Aeria pensait être Natanaël.

Le juron que Lauan poussa la fit tourner la tête vers lui. Elle le vit serrer les poings, repousser Amélia lorsqu'elle s'inquiéta pour lui et quitter l'arène en furie. Il laissa sa femme derrière lui, perdue, ne comprenant pas sa réaction.

— C'est lui... murmura Aeria.

— Ne dis pas de sottises, grommela Kaïs. Je vais voir le roi, on se retrouve tout à l'heure, pour les festivités.

Kaïs déposa un baiser sur la joue d'Aeria puis quitta l'arène à son tour. Les deux femmes restèrent ainsi, seules, à observer la foule acclamer le nouveau Gouverneur des Landes.

Pour Amélia, ce nouveau Gouverneur n'était autre qu'un inconnu chanceux qui s'était bien battu.

Pour Aeria, ce nouveau Gouverneur n'était personne d'autre que Natanaël et elle était bien déterminée à lui montrer qu'elle était en vie.

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