II - Le roi Des Landes

Réécrit. 

Elena laçait le corset de sa fille. La jeune femme s'agrippait au miroir sur pieds face à elle, la respiration coupée. Certaines fois, sa mère n'y allait pas de mains mortes et tirait tellement fort qu'elle poussait des gémissements non contrôlés avec la sensation que ses côtes se brisaient.

— Veux-tu bien bien rester silencieuse, grommela sa mère. Tu deviens une femme, tu deviendras même une reine, alors tâches de rester digne, même lorsque tu souffres.

Aeria déglutit et se tut, même si le laçage était pour elle, une vraie séance de torture. Elena ne cessait de lui rappeler qu'elle souhaitait serrer le corset le plus possible afin que la poitrine de sa fille ressorte suffisamment pour que le roi des Landes soit conquis.

— Ne trouvez-vous... hm... pas étranges que le roi ne se soit toujours pas montré ? Souffla Aeria entre deux respirations.

En effet, les Belestel étaient arrivés deux jours auparavant en pleine nuit et avaient été accueillis par un domestique et un garde. Depuis, le roi ne s'était pas montré. Leur voyage fut long – environ quatre semaines à bord d'une calèche puis d'un bateau. Arrivés dans les Landes, ils purent bénéficier d'une nouvelle calèche et traversèrent ce désert brûlé dans un triste silence. Aeria n'avait vu aucun oiseau dans le ciel, aucun petit rongeas au sol ni même une seule fleur parmi ces brindilles d'herbes asséchées. Heureusement, le soleil était présent dans les Landes, malgré quelques nuages et parfois même davantage présents qu'ailleurs dans les Cinq Terres. Les villages et villes alentours étaient construits en pierres noires, tous protégés par de grandes murailles. Le château du roi n'était pas épargné, il se trouvait près des marais. Un pont de plusieurs mètres de long leur permettait de traverser les marais, notamment lorsque la marée était basse, et cela ne durerait jamais plus de deux heures. Puis ils avaient passé un pont-levé et terminèrent par entrer dans l'enceinte de la demeure. C'était assez grand, quelques heureux vivaient à la cour du roi, un petit marché était en cours de mise en place lors de leur arrivée mais ce qu'ils y vendaient n'était pas très alléchants.

— Le roi des Landes est une personne mystérieuse pour la plupart des gens comme nous, qui faisons partie des Cinq Terres. Il se montrera ce soir, tu es sa promise.

Elle termina son laçage puis passa ses mains sur la robe de sa fille, par derrière. Elle la regarda à travers le miroir, l'admira même.

— Entraînes-toi à esquisser des sourires, ce n'est pas en ayant l'air triste constamment que tu parviendras à le séduire.

— Je ne souhaite pas le séduire... souffla la jeune femme.

— Là n'est pas la question. Les jeunes filles n'ont pas le choix en ce qui concerne le mariage, c'est ainsi depuis des décennies. Donnes-toi un coup de brosse, nous devons être dans la salle du repas à l'heure.

Sa mère quitta la chambre et laissa la porte se refermer derrière elle. La pièce où Aeria dormait était particulièrement grande. Le parquet était sombre, brut, les murs peints d'un papier rouge pourpre. La cheminée en son bout dominait le mur et était allumée, le feu crépitait à l'intérieur. Le lit à baldaquin se trouvait sur un grand tapis brodé et une grande fenêtre laissait entrevoir les marais. Le pont sur lequel ils étaient passés deux jours auparavant était totalement recouvert par la vase à cette heure-ci.

— On dirait une prison, soupira Aeria pour elle-même.

Le miaulement de son chat la fit revenir à elle. Elle s'accroupît, passa une mèche de cheveux derrière ses oreilles puis sourit tout en caressant Flocon. Elle l'avait ramené avec elle, en argumentant à ses parents que si elle devait habiter ailleurs, alors Flocon devait la suivre.

— Tu penses la même chose, n'est-ce pas ?

Son chat se roula sur le tapis tout en ronronnant sous ses caresses. Aeria brossa ses cheveux par la suite, sans grand engouement, le chat sur les genoux, assise face à sa coiffeuse.

Rapidement, elle rejoignit ses parents dans la salle du repas, là où elle fut escortée par les gardes du roi des Landes. Tous étaient vêtus d'une armure d'acier, restaient aux portes, droits et immobiles. Aeria se posta en bout de table, là où était sa place, non loin de ses parents, face à leur place respective, devant cette grande table remplie de nourriture. Aucun fruit, principalement de la viande rôtie et quelque chose qui ressemblait à des pommes de terre.

— Tu es très belle ma fille, lui murmura son père.

Elle sourit légèrement et releva le menton fièrement.

— Très chers convives, commença le valet, veuillez faire place au maître des lieux, le roi Natanaël Astassard.

Les gardes ouvrirent les portes battantes et le roi entra dans la pièce. Il était vêtu de pantalons noirs et d'un veston de la même couleur. Sa chemise n'était pas épargnée par toute cette noirceur. Ses manches retroussées laissaient apparaître uniquement ses avants-bras veineux et Aeria remarqua qu'il portait plusieurs bagues. Lorsqu'il marchait, le plancher grinçait, la cheminée crépitait. Il s'avança tout d'abord vers Aeria. Elle gardait le menton levé puis croisa son regard. Natanaël arborait des yeux d'un bleu clair intimidant, ses cheveux de jais faisaient contrastes à la clarté de son regard paraissant pourtant si sombre. Elle baissa le regard, par respect pour le roi tandis qu'il lui prit la main, son bras gauche dans son dos.

— Regardez-moi dans les yeux lorsque je vous octroie un baise-main, Mademoiselle Belestel.

Elle releva les yeux, il ne la lâchait pas du regard et baisa sa main. Les siennes étaient très chaudes. Il se redressa finalement et s'intéressa enfin à ses parents. Aeria cligna plusieurs fois des paupières, déglutis et souffla discrètement. Elle était restée en apnée sans même s'en rendre compte. Natanaël serra la main de Kryston d'une poigne ferme puis baisa la main d'Elena qui sembla rougir à ce contact. Finalement, il se plaça en bout de table et s'assit sur la chaise qu'un valet avait tirée pour lui.

— Assoyez-vous, je vous prie, déclara-t-il de sa lourde voix.

Les convives s'assirent docilement. Aeria ne savait plus où regarder, elle se trouvait face au roi et sa prestance la mettait mal à l'aise. Pourtant, elle en avait connu des hommes puissants, des Seigneurs, des Ducs, des Bourgeois, des militaires mais jamais de roi.

— Je dois avouer, Monsieur et Madame Belestel, que les dires sur votre fille ne sont pas des absurdités. Elle est... très belle.

Il dit cela en observant Aeria qui n'osait à peine garder ses yeux levés vers lui. Pourvu que ce mariage n'ait jamais, la pauvre ne saurait pas où se mettre ni comment faire dégager un minimum de chaleur à cet homme froid et trop sûr de lui.

— Notre fille n'est pas que belle, rétorqua Kryston, elle est aussi très intelligente. Elle a appris à lire des son plus jeune âge quand d'autres enfants n'alignaient même pas un mot devant l'autre.

Le roi gardait son coude posé sur la table, ce qui le faisait pencher légèrement sur la gauche. Son menton était posé sur sa main aux doigts habillés de bagues.

— Intéressant... marmonna-t-il.

Un court silence plana durant lequel personne ne parlait ou ne cillait. D'un geste de la main, le roi ordonna à l'un de ses valets présents, de leur servir le dîner.

— Alors, comment est-ce que de régner sur les Landes ? Je n'avais jamais songé à m'y rendre jusqu'à réception de votre lettre, reprit Kryston.

Le roi porta son attention sur le père d'Aeria.

— Les Landes ne sont pas si affreuses que ce que l'on peut vous faire croire là-vas, dans les Cinq Terres. Ici, j'ai autant d'or que le roi Lauan III.

— Je n'en doute point, Majesté, rétorqua-t-il.

— Bien, mangez donc.

Aeria découpa sa viande sans grand engouement et en mangea un morceau, mal à l'aise tandis que ses parents semblaient se régaler.

— Vous avez écrit dans votre lettre que si nous vous laissions épouser notre fille, une caisse d'or nous serait livrée chaque année, est-ce là la proposition que vous souhaitez nous faire ? Commenta sa mère.

Le roi posa ses couverts et s'appuya contre le dossier d'acier de son siège. Il tourna ses bagues tout en observant Elena.

— Cette proposition ne vous sied pas ?

Elena et Kryston se jetèrent un bref regard.

— Disons que laisser notre fille dans les Landes serait un grand sacrifice pour nous. D'une part, car elle resterait loin de nous et de l'autre, pour la perte financière que cela engendrerait.

Le roi haussa les sourcils et se gratta le front tout en humectant ses lèvres.

— Je conçois cela, néanmoins, vous pourrez venir ici aussi souvent que vous le souhaitez pour voir votre fille.

— Et qu'en est-il de la perte financière ? Insista Kryston.

Le roi posa ses yeux sur Aeria qui, le ventre douloureux par sa peine, ne prononçait pas un mot et ne touchait pas au contenu de son assiette.

— Qu'en pensez-vous, Mademoiselle Belestel ?

Elle releva la tête vers lui.

— Pensez-vous que la perte financière de vos parents en votre absence sera conséquente ?

Certainement. Mais leur manquera-t-elle vraiment ?

— Je... je suppose que oui, Majesté.

Un court silence plana.

— Bien, déclara le roi en posant ses mains à plat sur la table, vous recevrez deux caisses d'or par année à la même date. En retour, j'attends de vous la plus grande des discrétions sur notre accord.

Pourquoi souhaitait-il autant épouser une jeune femme comme Aeria ? Cela lui apporterait quoi ?

— Si vous dérogez à cela, soyez assurés que vous ne reverrez plus jamais votre fille et que tout cet or vous sera retiré.

— Tout ce qui se dit en ces lieux, restera en ces lieux, répondit Kryston.

— Fort bien. Les noces auront lieue dans les jours à venir, je ne souhaite pas que cela s'ébruite. Les mariages royaux n'ont jamais été mon fort. Nous ferons cela en petit comité.

Le reste de la soirée, Aeria le passa dans sa chambre, assise sur le sol, face à la cheminée. Son chat à ses côtés, qu'elle caressa sans s'arrêter de pleurer. Ses larmes coulaient toutes seules et ses yeux restaient fixés sur les flammes brûlantes. Leur couleur rappelait celle de ses cheveux, mais elle avait toujours eu peur de s'approcher du feu. Sa mère n'avait cessé de lui répéter, lorsqu'elle était petite, que le feu était dangereux et pouvait la défigurer.

— Que vais-je devenir Flocon ? Sanglota-t-elle. Pourquoi n'ai-repas la force de m'opposer à leur décision ? Pourquoi suis-je considérée comme un objet qu'on peut vendre pour n'importe quelle somme ? Je suis maudite...

Elle s'agenouilla, essuya ses larmes d'un revers de la main et s'approcha de la cheminée. Elle renifla, jeta un coup d'oeil à son chat qui restait couché sur le sol à faire sa toilette frénétiquement. Aeria se concentra de nouveau sur le feu qui crépitait et plus elle se rapprochait, plus elle sentait la chaleur qui s'en dégageait.

— Je devrais devenir laide, marmonna-t-elle. Peut-être qu'ainsi, mes parents seront forcés de me ramener à la maison...

Elle passa sa main entre les flammes. La chaleur la brûla et lui procura une vive douleur. Elle serra les dents, ses larmes coulaient de nouveau et elle saisit un morceau de bûche à moitié transformé en cendres. Elle le sortit du feu, des braises étaient toujours visibles dessus. Elle respirait fort, sa poitrine se soulevait de plus en plus rapidement. Elle se mordit les lèvres puis appuya brutalement la bûche sur sa joue. La jeune femme poussa un grognement de douleur et la jeta dans le feu. Elle se recroquevilla sur elle-même, sans cesser de pleurer.

Elle resta dans cette position une bonne partie de la soirée, jusque'à ce que le feu s'éteignent et que seules les braises parmi les cendres continuaient de chauffer la pièce. 

Lorsqu'elle rouvrit les yeux, elle se sentait vidée de toute énergie, sa colère dissipée. Elle se redressa, se gratta les cheveux et chercha Flocon du regard qu'elle retrouva allongé de tout son long sur le lit. Elle se releva finalement et se saisit de la lampe dans laquelle une bougie flambait encore. Elle traîna des pieds jusqu'au miroir sur pieds, la sensation que ses joues étaient encore humides tant elle avait pleuré. 

Elle observa son visage qu'elle éclaira à l'aide de la bougie. Aucune trace de brûlure. Aeria passa sa main libre sur sa joue, elle avait pourtant sentie la douleur et c'était d'ailleurs ce qui avait pu canaliser sa douleur. Sa peau était toujours aussi lisse, rien n'avait changé et cela s'appliquait également à son bras. Elle posa la bougie sur la table de chevet et s'assit au bord du lit sans cesser de toucher son visage.

Avait-elle simplement rêvé son acte ? Ou quelque chose avait-il changé depuis son arrivée dans les Landes ? Cet endroit ne semblait pas comme les autres. 

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