I - Une vengeance sanglante
Des bougies ici et là, dans une atmosphère chaleureuse. Le crépitement de la cheminée ajoutait une douce mélodie d'hiver, agréable pour les oreilles et pour ceux qui souhaitaient réchauffer leur coeur.
À Epinasse, les hivers ont toujours été rudes, cette Terre se situant tout au Nord, il n'est pas rare d'y voir tomber de la neige durant six longs mois. Les jours sont raccourcis car la nuit tombe plus tôt, les habitants de cette douce région ne peuvent profiter de la lumière du soleil que quelques heures dans la journée, avant de s'enfermer chez soi, et se réchauffer au coin du feu ou dans les auberges, où l'alcool réchauffe le sang des plus solitaires.
La jeune femme se tenait en bout de table, la nuque dénudée, un décolleté généreux, habillé d'un magnifique collier de pierres précieuses. Ses cheveux roux étaient relevés dans un chignon parfaitement structuré et seulement quelques bouclettes retombaient sur son front pour encadrer son doux visage de poupée. Ses yeux dorés semblaient briller davantage après le verre de vin qu'elle venait de boire et ses lèvres dessinées étaient joliment peintes d'un rouge pourpre.
Le comte d'Epinasse se trouvait à l'autre bout, son verre à la main et des os parfaitement rongés dans son assiette vide. Le ventre plein et du désir plein les yeux, il observait cette sublime jeune femme face à lui, qu'il n'avait pas vu depuis bons nombres de mois. Il en était heureux, elle s'était invitée chez lui, par surprise et pour un homme comme lui, c'en était une surprise. Il aimait les femmes, surtout lorsqu'elles ne protestaient pas contre ses idées et les belles femmes comme elle, il en rêvait chaque nuit.
— Alors Aeria, commença-t-il de sa voix légèrement nasillarde, que me vaut votre agréable visite ?
Aeria se redressa sur sa chaise, toujours majestueuse dans chacun de ses gestes. Son verre de vin à moitié vide à la main, elle le regardait et ne le quittait pas des yeux depuis le début du repas.
— Je me sentais seule, rétorqua-t-elle. Depuis l'emprisonnement de mon ex époux... j'ai beaucoup réfléchi et... je ne peux nier le fait que je ne faisais que penser à vous depuis notre première rencontre, Alecsi.
Ce dernier haussa les sourcils, surpris mais flatté. Les femmes n'étaient que peu attirées par lui. Il changeait régulièrement d'épouse et en choisissait des plus jeunes constamment, les pauvres n'étaient jamais consentantes mais pour les familles, marier leur fille à un Comte était une réussite et l'espoir d'une vie meilleure. Mis à part ses épouses, Alecsi se payait des filles de joie, afin d'assouvir ses désirs les plus sombres, lorsqu'il ne tombait pas dans ses travers et ne violaient pas d'autres femmes, trop enivré d'alcool pour se rendre compte de ses actes, ou trop assombri par sa personnalité néfaste et narcissique.
— Que diriez-vous de terminer notre conversation dans la chambre ? proposa Alecsi.
Aeria se leva, sa robe épousait parfaitement ses formes, sa nuque dégagée, elle ne faisait que révéler du désir chez son hôte. Elle s'avança vers lui, d'une démarche délicate et le regarda de haut, le Comte toujours assis sur sa chaise.
— Avez-vous réellement besoin d'être dans une chambre, Alecsi ?
Elle se pencha délicatement vers lui, posa sa main sur son épaule et approcha ses lèvres de son oreille.
— Dites à vos hommes de nous laisser un petit peu d'intimité, vous ne le regretterez pas, lui murmura-t-elle.
Elle se redressa pour le regarder, il jeta finalement un regard à ses hommes et ses valets, qui attendaient sagement des ordres à exécuter.
— Laissez-nous et fermez les portes derrière vous, ordonna-t-il.
Un malicieux sourire étira les lèvres de la jeune femme.
— Si vous entendez crier, ne vous hâtez surtout pas, s'amusa-t-elle.
Ce qui excita davantage le comte d'Epinasse.
Enfin seuls, Alecsi saisit la main d'Aeria pour la tirer vers lui cependant, elle passa derrière lui.
— Un petit peu de patience... vous connaissez ma réputation, commença-t-elle en posant ses mains sur ses épaules. Je m'y connais bien mieux que vous.
Il sourit disgrâcieusement et ferma les yeux lorsqu'elle commença à lui masser les épaules. Elle laissa glisser ses mains fines et douces sur ses bras puis tourna sa chaise vers elle, ce qui lui fit rouvrir les yeux. Elle lui jeta un regard coquin et s'agenouilla devant lui. Alecsi déglutit difficilement, éprit de désir. La luxure était pour lui, tout un monde, vicieux comme il l'était, il était capable d'y passer des journées entières, c'est pourquoi on le retrouvait très souvent dans les bordels et ceux-ci étaient autorisés à Epinasse.
Elle dégrafa son pantalon, lentement, tout en lui jetant des regards le faisant frémir. Elle appuya sa main sur son torse.
— Fermez les yeux, lui demanda-t-elle.
Il s'exécuta, impatient. Le sourire qu'elle arborait disparut dès lors qu'il ferma les yeux. Elle saisit la pince qui tenait ses cheveux attachés, ce qui les laissa tomber en cascade sur ses épaules. Suffisamment pointue, elle planta brusquement la pince dans l'entre-jambes d'Alecsi. Il rouvrit les yeux, se tordit sur sa chaise et poussa un hurlement de douleur. Aeria se releva à la hâte, se munit d'une serviette qu'elle lui enfonça dans la bouche. Alors ses cris furent davantage étouffés.
— Ssshh...
Elle s'approcha de son oreille, le teint d'Alecsi virait au blanc, il transpirait à grosses gouttes, respiraient fort, les yeux remplis de larmes à cause de la douleur.
— Alors, Monsieur le Comte, les femmes des Landes sont-elles à votre goût ?
Elle lui saisit le visage et le tira en arrière pour qu'il la regarde, penchée au dessus de lui.
— Moi aussi, je peux faire mal, reprit-elle.
C'était les mots qu'il lui avait dit avant de la violer, presque un an plus tôt. Aeria ne supportait plus que les hommes puissent abuser des femmes et était bien prête à faire justice elle-même. C'était le marché passé avec le roi des Six Terres, elle avait le droit de se venger, sans craindre que la justice ne la rattrape.
— Pitié... pitié... bafouillait le comte, la serviette dans la bouche.
— Je n'ai pas de pitié pour les hommes comme vous... mais... je sens que vous n'avez pas assez chaud... attendez un petit peu, je vais arranger cela.
Elle glissa ses mains sur ses épaules puis sous sa chemise. Soudainement, Alecsi se redressa à nouveau et hurla de plus belle, étouffé par la serviette qu'il avait dans la bouche. Ses mains tremblaient, mais avec tout le sang qu'il perdait et qui coulait sous la chaise dans une flaque pourpre à ses pieds, il perdait rapidement des forces. Sa chemise commença à partir en lambeaux, en contact avec les mains d'Aeria et sa peau brûlait sous les doigts de la jeune femme.
Lorsqu'elle retira ses mains, une marque rouge, boursoufflée et disgracieuse marquait son torse. Elle se posta face à lui, s'accroupit et lui releva la tête.
— Regardez-moi dans les yeux, ordonna-t-elle.
Il les releva lentement, de la bave coulait de ses lèvres, des perles de sueur goutait de son front. Elle lui retira la serviette de la bouche et la jeta sur le sol.
— Je suis désolé... balbutia-t-il, je... je suis...
— Non, l'interrompit-elle, je n'ai que faire de vos excuses. Vous ne ferez plus jamais de mal à personne.
Elle prit la main d'Alecsi et la posa à plat sur la table, elle se saisit de son couteau sur lequel quelques morceaux de viande restait puis le planta violemment dans sa main. Alecsi jeta sa tête en arrière, tapa des pieds sur le sol et poussa un cri.
— Tout va bien ? demanda l'un de ses hommes de l'autre côté de la porte.
Aeria fit le tour de sa victime pour lui poser son autre main sur la table.
— Oh oui ! feignit-elle, Monsieur le comte, vous êtes si sauvage ! Encore ! Encore !
Elle planta la fourchette dans son autre main, Alecsi laissa pendre sa tête, poussant quelques gémissements presque inaudibles, à bout de force.
— Je... je vais vous faire tuer... espèce de... espèce de salope...
— J'ai si hâte, s'amusa Aeria.
Elle fit le tour de la table, s'assit de nouveau à sa place et observa Alecsi se vider de son sang. Une mare de sang se formait sous la chaise, les pieds du comte trempaient dedans, son teint virait au gris, les brûlures étaient importantes, ses mains accrochées à la table, il perdait peu à peu sa force, sa respiration devenait de plus en plus rauque.
Aeria l'observa ainsi, jusqu'à ce qu'il ne bouge plus, ne respire plus. Elle demeura assise de longues minutes, alors que le comte avait déjà rendu son dernier souffle. Les larmes de la jeune femme coulaient sur ses joues, ses lèvres pincées, elle tentait de rester fière, cependant, après cette vengeance, celle qu'elle attendait tant... rien ne se produisit en elle. Elle ne se sentit guère plus soulagée, le mal était déjà fait et tuer l'homme responsable le punissait lui, certes, mais ne guérissait point ses maux à elle.
Elle quitta les lieux, le menton levé et rejoignit son cheval à l'extérieur. Elle rabattit la capuche de son épais manteau sur sa tête et monta sur le dos de son destrier, alors que de petits flocons de neige virevoltaient dans les airs. Avant qu'elle ne parte, les soldats du comte sortirent à l'extérieur à la hâte.
— Halte là ! Vous êtes en état d'arrestation pour meurtre d'un Gouverneur des Six Terres !
Aeria sortit de son manteau un papier qu'elle tendit au garde le plus proche, les autres gardaient leurs épées en avant.
— J'ai une missive du roi Lauan, déclara-t-elle d'un ton monocorde.
Le soldat lui arracha des mains, le regard noir, ouvrit la missive puis la lut en quelques secondes.
« Je vous informe par la présente que le Comte Alecsi de Mommet est déchu de ses fonctions de Gouverneur d'Epinasse.
Par la loi que j'instaure dès à présent, le Comte d'Epinasse doit répondre de ses actes par la mort.
Dorénavant, Aeria Belestel devient Comtesse d'Epinasse et Gouverneure de l'une des Six Terres.
Avec tout mon respect,
Lauan Astassard. »
Le sceau sur la lettre prouvait que cette missive provenait bien du roi des Six Terres. Le soldat releva la tête vers Aeria, la bouche entrouverte, son visage dissimulé presque intégralement sous son casque. Finalement, il ordonna à ses camarades de ranger leurs armes et de la laisser partir.
Aeria lui sourit.
— Veuillez nettoyer la salle à manger avant mon retour. Nous nous reverrons très bientôt, soldat, lui souffla-t-elle.
Elle ordonna à Étoile, son cheval, de partir au galop et manqua de renverser les soldats face à elle. Elle gravit le pont dallé qui passait au dessus d'une rivière aux courants brutaux et traversa les rues d'Epinasse sous la haute lune blanche dans le ciel et la neige qui ne cessait de tomber, pour dresser, peu à peu, un manteau blanc que se revêtait la Terre qu'elle gouvernerait dorénavant.
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