À nouveau

Salut ! J'espère que cette nouvelle vous aura plu et que vous aurez compris ce qu'il s'y passe !
Dans le doute, voilà des explications et la nouvelle en entier, sans interruptions.
La narratrice est une ancienne alcoolique que sa copine a quitté. Un jour, après une greffe de foie, elle rencontre une nouvelle demoiselle, qu'elle pense être l'amoureuse de celle dont elle possède à présent le foie.
La nouvelle alterne deux temporalités qui finissent par se rejoindre : depuis la première amoureuse, au présent ; après la greffe, aux temps du passé.
Seulement, le premier paragraphe du texte (la rencontre de la deuxième copine) finit aussi par arriver dans l'autre temporalité (au présent).
En plus de tout ça, ma narratrice n'est pas fiable et il se peut qu'elle invente des choses hehe.
Bref, c'est un texte un chouïa trop complexe pour sa longueur, qu'il faudrait que je nourrisse un peu pour en faire un truc potable (haha), ce qui finira peut-être par arriver.
À l'origine d'ailleurs, je l'avais écrit pour un concours dont le thème nul était "2050" et mon défi était de raconter une histoire avec 2050 canards en plastique, d'où le titre et la fin. Cependant, il n'est pas à la hauteur, je trouve.
Finalement, j'ai écrit une histoire troll listant une partie des membres d'un régiment, soit quelques centaines de noms avec un peu de narration pour qu'un ami leur envoie >:3
J'ai aussi une vraie histoire, que je publierai sur mon compte si elle ne gagne pas le concours.

L'armée de plastique

J'ai rencontré Priscille pour la deuxième fois aujourd'hui, par hasard alors que je sortais d'un bar. Je me suis tout de suite souvenue d'elle, mais surtout de nous. Elle n'a pas eu l'air de me reconnaître. Elle a souri devant mon enthousiasme, je l'ai sentie fondre sous les coups de mes sourires. Elle a fini par rire et accepter de me donner son numéro — je l'avais oublié.

La revoir a fait remonter tous les souvenirs que j'avais enfouis, comme les jeux E.T. d'Atari. Seule chez moi, sur fond de free jazz, j'ai dansé et tourné, tourné et les souvenirs tourbillonnaient autour de moi. Notre année de seconde, notre premier baiser — oh j'ai cru que le papillon dans mon ventre allait le transpercer —, le mois de bonheur et le coup de marteau dans l'abdomen quand tu es partie, le vide dans mon ventre, oui le vide à combler, le vide, le vide, l'alcool, les rêveries, les maux de tête, les vomissements, tout qui est sorti de moi : toi, mon amour, le sens de l'existence, l'alcool.
L'alcool.

Mais tout ça, c'est oublié, effacé : je t'ai retrouvée ! Il n'y a plus de douleur, plus rien ! Juste toi, moi et l'amour. J'ai tremblé un peu — le tournis — en avalant une gorgée de whiskey et ai replongé dans le fatras ambré et doux des souvenirs.

*****

Et tu danses pour moi, tes bras s'élancent et caressent les étoiles tandis ton dos s'arque et que les rayons sélènes glissent sur ta poitrine. Droite à nouveau, volte, tes bras éclosent depuis ta poitrine et l'ouvrent au monde ; yeux fermés, bouche entrouverte, ton bras droit est une fumerolle alors que le gauche ondoie et ils deviennent des ailes de géant qui coulent dans l'air ; ta jambe s'élève et la pointe de ton pied tranche le ciel nocturne. Dans l'obscurité ta peau est blanche presque brillante. Soudain face à moi alanguie sur le lit, tu grimpes sur le matelas, yeux grand ouverts, fixes, soulignés de noir, presque effrayante alors que tu t'avances vers moi à quatre pattes, prédateur, araignée sûre de la vulnérabilité de sa proie. Ta tête est tout contre la mienne, tu te penches d'un côté, de l'autre, me jauges et ouvres grand la bouche.

*****

Nous nous sommes revues aujourd'hui. Tu ne cessais de rire, comme avant. Nous étions au restaurant, et tout le monde t'admirait. Je me suis enquise depuis quand tu avais une teinture blonde et tu as ri et dit que c'était depuis toujours. Elle te va très bien, ai-je affirmé, puis je t'ai demandé si tu avais toujours eu les yeux bleus et tu as éclaté de rire. Je t'ai accompagnée dans ce rire, comme avant.

*****

Je me réveille dans un lit inconnu. Une télévision pend dans un coin. J'ai l'impression d'être un épouvantail, remplie de paille qui gratte et déborde. Ça me revient par flashs. Trop bu, trop vite, trop seule. Un infirmier finit par arriver ; il m'explique mais ça ne pénètre pas le coton dans ma tête. Je souris jusqu'à ce qu'un médecin entre dans la chambre. Blablabla on va me greffer un foie. Faites, faites, mettez vos doigts bien profonds en moi, faut bien remplacer ton absence.

*****

Nous sommes allées au bord d'un lac. Très charmant. Je n'y ai pas jeté un coup d'œil : j'ai absorbé chacun de tes mots, bu tes lèvres, avalé tes gémissements et lapé tes regards alanguis. Les étoiles ont fini par percer le ciel et nous étions toujours enlacées. Je suis entrée à ta suite dans l'eau, elle m'a caressé la peau, tu m'as griffée et tout a repris, éclats suivis de clapotis. Nous avons créé nos propres vagues.

*****

Où se stocke la mémoire ? Pourquoi oublions-nous ? Je ne vois qu'une réponse : toutes nos cellules — ou presque — se régénèrent le long de notre vie, mais cela signifie qu'autant meurent. Or je vis une chose étrange depuis qu'un petit bout de quelqu'un d'autre s'est installé en moi. On m'a dit rapidement « Violaine, 26 ans, morte dans un accident de voiture ». Elle avait les cheveux bruns, longs, un peu ondulés, les yeux verts. Elle vivait pas loin de chez moi. Je le sais, je m'en souviens, elle fait partie de moi.

Chaque fois qu'on perd un cheveu, chaque fois qu'on se coupe un ongle, chaque fois que notre sang coule, on oublie quelque chose. Le souvenir de ce qu'on a mangé la semaine dernière ou la journée de travail d'il y a un mois. Un morceau de notre enfance. Un mot tendre prononcé par son amante. Un rire avec ses parents.
Et un jour on meurt et tout disparaît.

Mais les beaux souvenirs, les plus marquants, les plus importants, ceux qu'on ne se remémore qu'à une grande occasion et qu'on savoure comme un bon vin, eux sont conservés dans des cellules à la durée de vie plus longue : os, muscles respiratoires, neurones. En y repensant régulièrement on peut les réinscrire dans notre organisme.

*****

Nous avons pris un appartement pour nous deux. Ta présence se voyait partout, par chaque petit détail de la décoration ou du rangement que tu as décidé. Même la nourriture a commencé à avoir un goût de toi : tu n'achètes pas les mêmes marques que moi. Oui, tout avait un goût de neuf, mais pas tout à fait : comme un coup de peinture. Ce n'était pas la première fois que nous partagions nos journées. C'est du réchauffé mais tout a gardé son bon goût.

*****

Après la greffe de foie, j'ai commencé à me souvenir de moi mais pas moi. Je vois des visages inconnus mais familiers. Je vois une femme aux cheveux noirs, yeux bruns. Pas de nom. Elle apparaît souvent. Je l'aime, dans le passé. Une morte l'aime pour moi. Je n'ai pas arrêté l'alcool. Je veux juste ressentir sans penser. Alors je me perds, vois, rêve, lucide, hallucine et toujours cette femme qui me hante et m'enlace et m'avale.

*****

Nous avons décidé de nous marier. Je t'ai demandé et tu n'as pas dit non. À genoux, avec bague et tout le tralala. J'ai explosé de bonheur quand tu as regardé mes yeux.
Devant le maire, tu as dit oui et je n'en ai pas cru mes yeux, mes oreilles, et les bras m'en sont tombés — heureusement que l'alliance était déjà à ton doigt — et moi avec. Je me suis réveillée dans tes bras et tu m'as demandé un enfant.

*****

Dans la rue, je marche sans zigzaguer — sauf entre les poteaux et les crottes de chien — quand je te croise et je ne suis soudain plus moi. Je te vois d'abord, et te reconnais : c'est toi la femme ! Je lève la main et ne reconnais pas mes ongles — je n'ai pas souvenir de les avoir vernis. C'est comme le jour de la représentation après les répétitions. Je vois tout ce que tu vas dire, chacune de tes réactions — oh que je te connais par cœur mon amour ! — et tes rires qui m'enivrent. Je me vois te parler et te parle comme avant.
« Tu n'as pas changé ! »
C'est la première chose que je te dis, et tu souris. Non : tu me souris. Je t'aime deux fois plus fort, je t'aime deux fois en même temps.
Puis tu me rappelles ton prénom.

****

La PMA pour les couples lesbiens est encore interdite en France. On pourrait aller en Espagne, mais ton menton s'est alourdi sur mon épaule quand les prix se sont affichés pour ce pays. Tu étais étudiante, je n'avais pas de boulot. Alors on a organisé une collecte, on sait jamais, ça peut marcher. Ta main s'est durcie dans la mienne quand je me suis crispée. Ton souffle s'est accentué et s'est fait brûlant dans ma nuque.
J'ai la peur de deux séparations qui est revenue et avec elles le souvenir de la première.

*****

Et puis un jour, je rentre et l'appartement est à moitié vide. Non ! Complètement vide. Tu es partie. Je ne sais pas. Je te cherche alors comme on cherche un chat ou un objet perdu, comme on cambriole une maison. J'ouvre tous les placards, vide les tiroirs, jette les draps au loin, retourne le matelas, vide les bocaux : je ne te cherche pas, je détruis tout. Tout ce qui fait nous. Au milieu d'une flaque de coquillettes, je vide les bouteilles qu'il me reste dans le gosier et bientôt nage dans une mer cotonneuse.
J'oublie tout. La souffrance, ton image, ton départ.

Au matin, l'appartement redevient le mien : je range, nettoie, jette — nos souvenirs.

*****

Je me sentais perdue. Tu me parlais à peine. Dans l'impossibilité d'un futur après nous, d'un enfant pour créer les jours à venir, tu as rejeté le présent — et moi.
Nous ne pouvons pas. Pas à nouveau.
Alors je pensais à autre chose, je me noyais dans les recherches futiles.

Sur internet, j'ai découvert l'histoire des Friendly Floatees, des millions de jouets en plastiques, perdus en mer, qui ont dérivé des années pour échouer sur des côtes étrangères, parfois en restant coincés dans les glaces.

J'ai aussi appris que Caligula avait demandé la Lune pour prouver sa divinité, que Héliogabale avait noyé des courtisans sous une douche de pétales de rose.

Je me suis renseignée sur l'armée de terre cuite de l'empereur Qin : plus de huit mille statues pour l'accompagner dans la mort.

Elle m'a appris qu'elle va partir. On m'a étranglée de l'intérieur. Je n'ai rien dit. Elle a commencé à ranger ses affaires. Je lui ai annoncé d'un air absent que j'ai utilisé ma part de la collecte pour organiser une petite soirée. Elle m'a regardée sans un mot.

Je l'ai emmenée au lac. Une tenture tendue entre quatre arbres couvrait un carré d'herbe fraîche avec une table et deux chaises. Elle s'obstinait à regarder le sol. Elle s'est assise, à l'extrémité de la chaise. J'ai libéré les cordes et deux mille cinquante canards en plastique se sont déversés sur elle, l'ensevelissant, comme les jeux E.T.
Violaine aussi.

Alors j'ai plongé dans le lac à l'eau claire comme de la vodka et m'y suis dissoute.

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