Colère

Il descend les marches, une à une, doucement. Il laisse glisser sa main sur la rambarde brillante. Il sent que le bois verni est troué de creux et de déformations sous son apparence polie. Il veille à ne pas faire de bruit, à respirer doucement, à ne pas faire frotter ses chaussons contre le sol nu.

Il appuie sur l'interrupteur et une lampe s'allume en grésillant. Il marche sous l'éclairage incertain pendant quelques secondes, toujours en silence. Il pose sa main droite sur son instrument, y fait courir ses doigts.

Il fait le tour de son piano et s'installe sur le tabouret recouvert de velours écarlate. Il découvre son clavier et pose ses doigts sur des touches. Il n'appuie pas dessus. Pas encore. Il ne sait pas ce qu'il veut jouer, il sait simplement qu'il veut s'exprimer.

Il choisit l'une des émotions qui grondent en lui et attrape son classeur à partition posé sur le pupitre devant lui. Il pose son regard sur une mélodie qui lui plait, et qui reflète bien la colère. Il la sort doucement de sa protection de plastique et la déplie doucement.

Il commence à jouer, regardant à peine les notes qu'il connaît par cœur, à force de passer son temps dans cette pièce insalubre qui lui parait pourtant tellement chaleureuse. Il pleure de rage tandis que le rythme s'emballe. Ses doigts courent sur les touches si vite qu'ils paraissent flous.

Les larmes trempent ses joues de leur empreinte salée, et comme chaque jour, il espère qu'elles permettront à son âme de se libérer du poids qui l'entrave. Sauf que comme chaque jour sa peine n'est que plus vive. Elle le ronge de l'intérieur.

Elle le dévore, comme un monstre sanguinaire avide de ses pleurs.

Sa colère gronde dans son ventre. Ses notes vont aussi vite que grandit la flamme de sa fureur. Il ne hurlera pas. Il n'en a pas envie. Il n'en a plus envie.

Son seul moyen d'expression, ce sont les notes qui se bousculent pour sortir de son instrument. Il n'a jamais su dessiner, écrire, ou peindre. Et il n'a plus envie de parler. Cela lui demanderait trop d'efforts.

Alors, le seul moyen pour son âme noircie par le deuil de s'envoler et d'oublier, c'est de suivre le chemin de sa musique.

Et il joue. Il joue à s'en briser les poignets.

Et il pleure. Il pleure pour que quelqu'un l'aide.

Sauf que tout est trop noir autour de lui pour qu'il ne voit les mains qui tentent tant bien que mal de le réconforter.

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