Chapitre 5
J'étais incapable de me concentrer. Le message d'Addy ne cessait de me revenir à l'esprit et je devais lutter de tout mon être pour ne pas chercher le moindre signe de Ryker. Si je le faisais, je pouvais être certaine que le Roi Noir s'en rendrait compte.
Comment Addy pouvait-elle savoir que son frère était dans la Faerie ? L'avait-elle vu ? Allait-il bien ? Venait-il la sauver ?
Allait-il me laisser ici ?
Je voulais le voir, m'assurer qu'il était entier, comprendre comment il avait survécu, pourquoi sa mère était aux commandes. Je voulais juste le voir une dernière fois avant de le fuir au mieux de mes capacités. Je voulais croiser son regard plein de haine et de dégoût pour rendre ma décision plus aisée.
Le coup me prit par surprise. Je basculai en avant et heurtai les graviers. La peau de mes mains se rouvrit et je grimaçai. Je ne savais pas quel était le but exact du Roi mais je commençais à en avoir assez. Et lui aussi. Il se montrait de plus en plus brutal à chaque fois que je ne satisfaisais pas ses exigences. J'étais couverte de bleus et de coupures. Toutefois, je ne disais rien. Je me contentai de mordre mes joues et de crier intérieurement pour qu'il ne sache pas combien mon corps me faisait souffrir.
Parfois, je me demandais pourquoi je ne me contentais pas de céder. Suivre ses ordres, devenir l'exemple parfait de la petite Fae qu'il voulait faire de moi. Ça ne serait pas moi, c'était certain. Au demeurant, ça pourrait peut-être avoir ses avantages. Si je savais pourquoi il me voulait digne de sa cour et pas en simple prisonnière.
Plus j'y pensais et plus je songeais que jouer à la soumise pourrait tourner en ma faveur. S'il me pensait domestiquée, il me laisserait plus de liberté. Plus de liberté signifierait un plan qui tiendrait la route pour m'échapper d'ici avec Addy. Ce n'était pas négligeable.
Le Roi vint tirer sur mes cheveux pour me forcer à me relever. Je retins un cri de douleur, incapable de lutter contre les larmes qui vinrent me brûler les yeux. Elles coulèrent sur mes joues que je tâchai de sang en voulant les essuyer.
- Dans quel état tu es... maugréa le souverain. Lamentable. Mais ton sang Fae chante. Un humain aurait déjà cédé à ta place. Alors tu ne me laisses pas le choix.
Il me tourna le dos sans lâcher mes cheveux.
- Emmène-là en bas. Il est temps qu'elle comprenne où elle se situe dans la chaîne alimentaire.
Il me projeta dans les bras de Nahl qui secoua le bras, me forçant à le lâcher, me laissant tomber à nouveau dans les graviers. Mes genoux s'ouvrirent sur les cailloux et je fermai les yeux pour ne pas laisser transparaître encore plus de ma douleur.
Nahl m'obligea à me remettre debout et à tituber derrière lui. La douleur dans mes jambes était telle que je tenais à peine debout et je dus m'appuyer sur les murs, laissant des traces sanglantes derrière moi. Ça ne perturbait absolument personne. Tous les Faes que nous croisions ne cillaient même pas en nous voyant.
Il me fallut unpetit moment avant de réaliser que nous nous enfoncions sous terre. La lumière se fit de plus en plus rare, l'air, de plus en plus humide et étouffant. Jusqu'à ce les murs de pierre deviennent de la terre et que plus aucune lumière naturelle ne pénètre.
Je frémis en entendant des aboiements et des hurlements canins qui résonnèrent dans les étroits couloirs. Le couloir dans lequel nous étions se rétrécit jusqu'à ce que je sois obligée de passer devant Nahl qui me poussa dans le dos pour me faire avancer. Le passage devint si réduit que je dus courber la tête pour pouvoir passer. Mes épaules frottaient douloureusement contre les parois, tentant de me retenir.
Nahl continua de me pousser jusqu'à ce que j'arrive face à une grille en fer forgé solidement fermée. Derrière, les aboiements et les hurlements étaient de plus en plus forts, assourdissants, venant vibrer contre mes tympans. Nahl agita les doigts et la grille s'ouvrit silencieusement. Il me projeta en avant et je titubai sur plusieurs mètres, tentant de ne pas tomber mais je ne parvins pas à rester debout. J'atterris dans la poussière et... ce qui ressemblait à des défections animales. L'odeur était atroce et c'était collant sur mes doigts.
Je me redressai, tentant de me nettoyer les mains sur la sciure. Nahl bougea, saisissant une poignée de mes cheveux pour me traîner derrière lui. Je me traînai à genoux, tentant de le faire me lâcher. Au lieu de ça, je me retrouvai contre le mur. Des chaînes s'enroulèrent autour de mes chevilles et se serrèrent jusqu'à mordre dans ma chair, à faire gémir mes os.
Je regardai autour de moi, tentant de comprendre ce qu'il faisait. Je découvris une grotte remplie de chiens et de loups attachés aux murs. Ils continuaient d'aboyer et de hurler, grognant, le poil hérissé. Il était évident qu'ils avaient faim.
- Tu vas rester ici jusqu'à ce que le Roi décide de venir te rechercher. Bon courage.
Il tourna les talons et disparut derrière la grille avant même que je puisse réagir. Je criai son nom, tentant de le faire revenir. La seule réponse que je reçus, se fut les grognements des chiens et des loups. Maintenant que Nahl était parti, j'étais dans le noir complet. Je n'avais pas réalisé qu'il avait amené la lumière avec lui et l'avait reprise en sortant.
Désormais, je ne voyais pas mes propres mains et je ne pouvais même pas savoir où se trouvaient les chiens qui m'entouraient. Il ne me restait qu'à prier que leurs chaînes soient trop courtes pour qu'ils ne puissent pas venir me dévorer vivante. Je doutais que ça arrive puisque le Roi comptait venir me rechercher.
Je perdis très rapidement toute notion de temps, de lieu. Je me repliai sur moi-même, tentant de disparaître dans le mur. Tirer sur les chaînes n'avait mené à rien à part à me blesser d'avantage. Je n'avais plus qu'à attendre que quelqu'un se décide à venir me libérer. Si quelqu'un venait un jour...
Dans ce trou, il n'y avait que le bruit des chiens et des loups, de leurs combats. Il n'y avait pas de jour, pas de nuit. Il n'y avait que la sciure et la merde. Et la fièvre. Je ne pouvais pas le confirmer mais mes vomissements, ma fièvre et mes tremblements étaient une preuve suffisante que mes blessures s'étaient infectées. Si personne ne venait me sortir de là, j'étais à peu près certaine de mourir.
Devoir attendre comme ça, inactive, attachée comme un chien... C'était sûrement la pire chose qu'il pouvait me faire. Et il le savait. Ce n'était pas pour rien qu'il avait choisi cette punition. Il pensait sûrement que j'allais finir par crier, implorer. Si c'était le cas, il serait déçu. Je ne comptais pas le supplier de me sortir de cette grotte et de me sauver. Je préférais encore mourir. Surtout avec le sort qu'il avait posé sur moi.
Et puis, je vis une lueur. Une toute petite lueur dansante qui grossissait un peu plus à chaque seconde. Je me frottai les yeux, doutant de la réalité de cette flamme. Si je commençais à avoir des hallucinations, ça n'allait pas aller.
Mais les chiens et les loups se remirent à grogner, à aboyer, à hurler. Je n'étais donc pas la seule à la voir ? La grille se mit à fumer et finit par s'ouvrir en grinçant. Je me redressai et plissai les yeux pour tenter de comprendre ce qu'il se passait. Plus la lumière s'approchait, plus elle me brûlait les yeux. Même les chiens gémissaient et geignaient, se repliant au plus loin de moi possible.
Je plaquai mon bras contre mes yeux pour bloquer la lumière qui me faisait atrocement mal. Je gardai le silence, me ramassant sur moi-même pour échapper aux doigts qui touchaient mes jambes. Était-ce Nahl, venu me libérer de ma cage ? Il était certain que ce n'était pas le Roi Noir. Il serait en train de parler, de se moquer, de me narguer, de tenter de me faire admettre que j'étais vaincue.
Des mains me saisirent sous les aisselles et me mirent debout. Mes jambes tremblèrent et je m'écroulai dans la sciure. Les mains me rattrapèrent et, avant que je comprenne ce qu'il m'arrivait, un cri s'échappait de ma gorge lorsque mon estomac heurta l'épaule de la personne qui me soulevait. Je dus perdre connaissance à cause de la douleur parce que, lorsque je rouvris les yeux, je ne reconnus pas mon environnement.
Le sol sous mon dos était mou, de la lumière frappait mon visage, réchauffant ma peau. Je n'étais définitivement plus dans la grotte. Mais je n'étais pas dans mes quartiers non plus. C'était définitif. Ce n'était pas ma chambre. L'odeur était trop moite, trop... naturelle. Comme si j'étais dehors, dans la nature, au milieu des arbres et de l'oxygène pur.
Je gémis malgré moi en me redressant. Je sentis la caresse de la mousse sous mes bras, au milieu de la douleur qui prenait possession de mon corps. Ma tête tourna et je me laissai retomber sur le dos en fermant les yeux. J'allais vomir.
Je me forçai à recommencer jusqu'à pouvoir tenir en position assise. Mes lèvres étaient douloureuses, sèches comme jamais encore. Je tressaillis lorsqu'un gobelet en métal fut pressé contre ma bouche. J'entrouvris les yeux, tentant de discerner quelque chose malgré la brûlure de la lumière sur ma rétine.
- Bois.
J'obtempérai, trop assoiffée pour résister. Je vidai le gobelet en l'espace d'un instant. L'eau qui me coulait sur le menton ne me dérangeait même pas. Je m'en fichais. Je mourrais de soif.
- Ralentis, tu vas t'étouffer.
La voix était familière mais ne m'importait pas vraiment. Tout ce que je voulais, c'était à boire. Encore et encore. J'avais tellement soif !
On me retira le gobelet et j'ouvris enfin les yeux. Je cillai, croyant halluciner. J'étais bien dehors. Les arbres, les fleurs, les herbes sauvages... Ça ne trompait pas. La personne en face de moi, par contre... Il n'aurait pas dû être là. C'était impossible. Un mirage. Il ne pouvait pas être là, devant moi.
Je tendis la main, tentant de refréner la grimace de douleur que ce mouvement provoquait dans tout le reste de mon corps. Je laissai le bout de mes doigts effleurer la peau de ses joues, mon esprit comprendre la réalité au travers du toucher.
- Qu'est-ce que tu fais ?
Je ne répondis pas, sentant ma tête s'incliner sur le côté. Ça ne pouvait pas être réel, n'est-ce pas ? Il ne pouvait pas être là. J'étais encore dans la grotte, entourée par les chiens et les loups qui voulaient s'entre dévorer tellement ils étaient affamés. L'infection dans mes blessures commençait à me donner des hallucinations furieusement réelles.
- Oh ! Sixtine ! Tu es enfin réveillée !
Je redressai et regardai à ma droite et vis Addy revenir avec les bras chargés de brindilles et de bûchettes. Sa robe noire tissée dans cet étrange tissu Fae était sale, pleine de boue. Ses cheveux étaient emmêlés, elle avait des traces de poussière sur le visage. Elle rayonnait. Elle semblait à la fois déplacée dans ce décor et étrangement à sa place. Elle semblait... libre.
Tout était vrai,alors... ?
- Je peux savoir pourquoi tu touches le visage de mon frère comme ça ?
Je sursautai à la fois à cause de sa question et parce qu'elle laissa tomber tout ce qu'elle portait. Le bruit du bois se fracassant par terre me rappela le bruit du bâton dont s'était servi une fois le Roi pour me rouer de coups.
- Je crois qu'elle est encore sacrément assommée par les herbes.
- Je... Qu'est-ce qu'il s'est passé ? bégayai-je, perdue.
Addy vint s'asseoir à côté de moi alors que son frère se relevait et disparaissait derrière moi. Je baissai la tête, résistant à l'envie de me retourner pour vérifier qu'il n'avait pas disparu comme un mirage.
- Ryker est arrivé dans la nuit. Je l'ai aidé à se cacher dans ma chambre dans le dos de Ghur. Tous les Faes savaient ce que le Roi t'a fait et ça n'a pas été dur de faire parler Ghur pour connaître plus de détails. Ryker m'a fait sortir de la Cour et il est retourné te chercher. Tu t'es évanouie quand mon frère t'a soulevée. Tes jambes et ton flanc droit étaient pleins de pus. L'infection avait commencé à gagner ton sang quand il t'a trouvée. Ça fait une semaine que tu délires et que je dois t'enduire de cataplasmes qui puent et qui collent.
- J'ai cru que tu allais me clamser entre les pattes, siffla Ryker.
À sa voix, j'entendis qu'il l'avait espéré même si cela aurait signifié qu'il aurait pris des risques inutiles et gaspillé de précieuses journées de voyage pour s'éloigner de la Cour Noire.
- Si ça n'avait tenu qu'à moi, je t'aurais laissée moisir là-bas, marmonna-t-il, méchamment.
Ses mots étaient crachés pour me blesser et ça fonctionnait à merveille. Mon cœur s'était serré à cause d'une douleur brûlante et déchirante que je me forçai à ravaler. Je relevai le menton et redressai le dos en dépit de l'algie qui faisait vibrer tout mon corps, suivant involontairement les enseignements du Roi Noir, et je le regardai droit dans les yeux.
- Tu aurais sûrement dû.
Il parut surpris de ma réponse mais ne posa pas de question. Il se préoccupa du feu, me laissant un semblant d'intimité avec sa sœur. Celle-ci nous observait, les questions lisibles sur son visage. Je fis mine de ne pas les voir. Je pris la gourde qu'elle avait posé à côté d'elle et je bus de longues gorgées.
- Tu devrais te rallonger et te reposer un peu plus, me dit finalement Addy. Tu dis des choses bizarres.
- Je parle sérieusement, répliquai-je doucement.
Malgré tout, je me rallongeai, épuisée par la souffrance qui me paralysait. Je n'osai même pas regarder l'état de mes blessures. J'en porterai les cicatrices toute ma vie.
- Je te réveillerai pour manger quelque chose. Tu n'as pas avalé la moindre chose depuis plus d'une semaine.
Je ne répondis pas et je fermai les yeux. Je n'avais plus envie de dormir. Au fond, j'avais peur de me réveiller et de réaliser que j'avais rêvé, halluciné. Que j'étais toujours enfermée avec les chiens dans la grotte. Toutefois, j'étais aussi effrayée à l'idée de me réveiller et de me retrouver face à Ryker. Sachant que j'étais sûrement devenue une menace pour lui, je n'étais pas certaine que ça soit une bonne idée pour moi de rester près de lui. Mais pour l'instant, ce n'était pas comme si j'avais le choix...
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