Chapitre 4
L'endroit où m'attendait le Roi Noir était incroyable. L'espace était ouvert sur un champs s'étendant à perte de vue dont toutes les fleurs, toutes les herbes avaient gardé leurs couleurs vibrantes et proprement magiques. Là, ce n'était pas l'automne mais un été perpétuel qui me faisait face.
Le Roi Noir était assis sur une souche, sa cape s'étendant tout autour de lui. J'inspirai longuement, me refusant à lui faire face, préférant regarder le champ. L'image était bien plus belle que tout ce que je pourrais voir d'autre. Et j'avais besoin de cette fausse paix. Il fallait que je relativise, que je me calme. Et surtout, il fallait que je repousse la panique qui menaçait de prendre le dessus.
Je serrai les poings et repris une profonde inspiration.
- Quand tu es habillée correctement, tu pourrais faire partie des miens, dit le Roi Noir, la voix songeuse.
Mes dents grincèrent tant je serrais les mâchoires. Malgré tout, je gardai le silence. Pourtant, j'en avais, des choses à lui dire. Après tout, ce n'était pas moi qui avait choisi de garder les mêmes vêtements pendant des semaines.
En plus de ça, faire partie des siens ? Ressembler à une Fae ? Très peu pour moi. Je ne voulais rien avoir affaire avec lui et sa Cour.
- Il est temps pour toi de comprendre que tu ne peux pas fuir ton héritage. Ton sang. Tu fais partie des miens et tu ne pourras plus le nier avant même que le soleil ne soit couché.
Je roulai des yeux, n'en croyant pas un mot. Malgré tout, que je le veuille ou non, une partie de moi doutait. Les Unseelies n'étaient pas des menteurs et ils n'avançaient jamais rien sans en être certains. À n'en pas douter, le Roi Noir savait des choses que j'ignorais sur ma prétendue famille. Sur ce que ça faisait de moi. Toutefois, il ne me connaissait pas. J'étais tenace et je refusais de le laisser me modeler selon son bon vouloir. Il n'aurait pas gain de cause aussi aisément.
- Première leçon : la grâce, poursuivit-il sans se préoccuper de moi. Tu te tiens comme un homme. Chez les humains, dans leurs cours futiles aveugles, cela passe peut-être mais ici, une femme doit se tenir comme une femme.
Je fis un bond lorsque sa main se posa sur le haut de mon dos. Il eut tôt fait de me ramener à ma position initiale et de me forcer à redresser le dos.
- Rentre le ventre. Lève le menton. Sois un peu plus fière.
Je fis exprès de ne rien faire de ce qu'il me disait ou de tout faire à l'extrême. Sa colère me laissait de glace. Au contraire, je la recherchais. S'il se mettait en colère, il frapperait. Plus fort il frapperait, plus il ferait de dégâts. Et plus les dégâts seraient grands, plus longtemps je serais alitée et donc, tranquille pour réfléchir à ce que j'allais faire.
Ce sort qu'il avait posé sur moi changeait toute la donne. Je ne renonçais pas à m'enfuir de la Faerie avec Addy. Je le ferais. D'une façon ou d'une autre, je finirais par faire sortir Addy de ces murs. Cependant, la suite divergeait entièrement. J'ignorais encore la façon dont le sort allait agir sur moi, s'il allait réellement me forcer à tuer Ryker. Il aurait fallu que je puisse en tester les limites. Ce que je ne pouvais pas faire à moins de me retrouver face au prince. Et j'étais bien décidée à l'éviter au maximum.
- Concentre-toi ! cria le Roi à mon oreille, me faisait tressaillir.
Il passa sa journée à me hurler dessus comme si c'était ce qui me motiverait à répondre à ses attentes. Il pensait réellement que je l'étais l'un de ses sujets et que j'obéirais au moindre de ses ordres à manière d'un chien bien dressé. Sauf qu'il avait tendance à oublier comment j'avais été élevée. J'avais été élevée en tueuse de rois. Jamais je n'avais réellement été traitée en femme depuis ma naissance avant de faire face à Ryker. Il était le seul qui m'ait jamais traitée avec un peu de respect et de douceur. En dehors de lui, toutes mes rencontres m'avaient forcée à m'endurcir, à développer une résistance face à la coercition dont je n'avais pas encore trouvé d'égal en qui que ce soit.
La nuit finit par tomber et Nahl me ramena dans mes quartiers. Il ne dit rien mais l'atmosphère était étrange. Un peu comme s'il voulait dire quelque chose mais se retenait. Il poussa la porte de ma chambre et me laissa entrer pour mieux refermer. Je soupirai. J'aurais préféré entendre un bruit de verrou plutôt que cet interminable silence. Un verrou aurait voulu dire que je pouvais le forcer et sortir. Son absence voulait dire que je n'avais aucune chance de fuite.
Je m'assis sur le lit et me pris la tête dans les mains. Que devais-je faire ? Le Roi Noir voulait faire de moi une Fae. Pourquoi ? Je l'ignorais. Tout ce qu'il voulait, c'était que je tue Ryker. Pourquoi ? Je n'avais pas d'explication, juste des assomptions. Voulait-il seulement me faire souffrir ou avait-il des motifs plus complexes ? Peut-être pensait-il pouvoir mettre la main sur le Grand Royaume...
Je finis par m'allonger sur le fin matelas. Le sommier me rentra dans le dos et je grimaçai. Mes muscles étaient plus endoloris que je ne l'aurais cru. Je fixai le plafond, tentant d'organiser mes pensées. Sauf que j'en étais incapable. Tout se mélangeait et s'entrelaçait, provoquant un sentiment désarmant de vulnérabilité et d'incapacité.
Pour la première fois depuis mon enfance, je me sentais... bloquée, coincée dans une impasse, incapable de faire demi-tour. D'ordinaire, je trouvais toujours une solution, un plan pour retourner la situation. Là... Je ne voyais pas comment faire. J'étais enfermée trop haut pour passer par la fenêtre, je ne pourrais pas faire dix pas dans le couloir sans être attrapée... Et il n'y avait personne pour venir me sauver.
Je devais cesser d'attendre une ouverture, un plan, quelqu'un. Il fallait que je me débrouille. Que je fonce sans réfléchir. Que je tente le tout pour le tout. Ce n'était pas comme si je pouvais faire autre chose. Avec un peu de chance, les Faes seraient assez surpris pour me laisser un court temps d'avance.
Il faudrait que je tente au lever du jour. Durant mes fréquentes insomnies, j'avais remarqué que c'était le moment où les Unseelies étaient les moins ordonnés et les plus à même de m'offrir une faille. Si je devais tenter une percée, il faudrait que ça soit dans ce moment de battement. Ça ne pourrait pas être avant ni après.
Ça serait ma seule chance aussi devais-je bien me préparer. Je baissai le regard sur cette robe dans laquelle j'étais engoncée. Ça n'allait pas être pratique de tenter de fuir avec ça. Je n'étais pas certaine de pouvoir courir bien vite avec cette tenue mais il me faudrait faire avec. Si j'avais réussi à survivre à la cour des Madsen en robe de lady, je pourrais bien courir avec une robe fluide et légère comme celle-ci.
Ma priorité devrait être Addy. Il me faudrait la trouver avant tout. Si je ne le faisais pas, je pouvais être certaine que le Roi Noir se servirait d'elle pour me ramener dans ma cage. Il n'hésiterait pas à la torturer pour me faire céder. Et je savais que je serais assez faible pour rentrer à la niche comme un chien trop bien dressé pour éviter à la jeune princesse des souffrances inutiles.
Je me raidis lorsque ma porte grinça doucement, sinistrement. Je restai figée sur mon lit, observant le battant s'ouvrir et deux silhouettes s'infiltrer dans ma chambre. Je gardai le silence, ne sachant pas à quoi m'attendre.
La porte se referma dans un un crissement léger, à peine perceptible. D'instinct, je tendis le bras vers l'oreiller avant de me rappeler que j'étais dépouillée de toute arme. Je n'avais même pas un oreiller...
Soudain, une flamme illumina l'entrée de ma chambre et je clignai des yeux. Derrière la petite bougie, le petit visage pâle aux yeux bleus de la princesse m'observait, indécis. Sa crinière rousse était indisciplinée et lui donnait un air mutin que je ne lui avais jamais vu auparavant. Elle avait l'air... vivante. J'aurais presque pu extrapoler et la décrire comme heureuse si ça n'avait pas été complètement incongru au vu de l'endroit où nous étions.
- Princesse Addy ? soufflai-je.
- Oh, Sixtine ! s'écria-t-elle.
Elle se précipita vers moi et posa maladroitement sa bougie par terre. Elle se jeta dans mes bras et je pus enfin la serrer contre moi. Elle sentait le savon si spécial des Faes et semblait en santé. Elle pleura sur mon épaule pendant un petit moment et j'en profitai pour observer le Fae qui l'avait accompagnée. Je le reconnus sans peine. Ghur. La brute épaisse qui s'était entichée de la jeune princesse.
Il me rendit mon regard de ses yeux d'une teinte de rouille, aussi vides qu'un puits dans le désert. Il ne cilla même pas, se contentant de vérifier que je ne faisais pas disparaître son nouveau jouet. La seule chose qui ressemblait à une émotion tenait dans le léger plissement de son front. On aurait dit que la circonspection ou de l'indécision. Je n'étais pas très sûre de moi. D'ordinaire, les Unseelies étaient faciles à déchiffrer mais Ghur était si... vide qu'il était l'exception confirmant la règle.
- Que faites-vous ici ? finis-je par demander en la repoussant légèrement.
Elle essuya son visage du revers de la main et renifla. Elle s'assit à côté de moi, se pencha pour récupérer sa bougie. Du bout de l'index, elle se mit à jouer avec la flamme, la faisant danser, dessinant des ombres menaçantes et mouvantes dans toute la pièce.
- J'ai demandé à Ghur, répondit-elle doucement. Il est moins effrayant qu'il en a l'air.
Le concerné émit un grognement d'ours et je me raidis. Il ne toucherait peut-être pas un seul cheveux de la princesse mais à la moindre mauvaise parole, je risquais de finir chauve.
- Tu étais là aussi au changement de règne, pas vrai ?
- Oui, j'y étais.
- Il paraît que le Roi Noir te garde près de lui tout le temps. J'entends beaucoup parler et dès que j'entends parler de toi, je suis soulagée. S'ils parlent de toi, ça veut dire que tu es toujours vivante. C'est la seule chose qui me rassure.
- Vous avez l'air d'aller bien, me contentai-je de répondre.
Elle m'offrit un léger sourire.
- On peut dire ça. Ghur veille à ce que je sois toujours propre et nourrie. Au début, je n'arrivais même pas à dormir et encore moins à avaler quoi que ce soit mais ça va mieux. Je sais composer avec son mauvais caractère maintenant. Personne ne vient m'embêter. Je n'ai pas l'impression d'être prisonnière, pour tout dire.
Elle regarda autour d'elle, observant l'endroit où j'étais gardée enfermée.
- Être prisonnier chez les Faes, c'est très différent de ce à quoi je m'étais attendue. Père ne traitait pas ses prisonniers ainsi. J'ai déjà vu la prison et les cachots et ça ne ressemble pas à... ça. C'est mieux que rien, n'est-ce pas ?
- Je suppose.
Je me souvenais des cachots de château royal. Je me souvenais surtout des fantômes Faes qui se réveillaient lorsque sonnait minuit. Je frémis au souvenir de ces yeux luisants dans le noir, de ces hurlements terrifiants.
- Il te traite bien, le Roi ?
- J'ai connu pire, éludai-je.
Je ne me voyais pas lui raconter les fois où il m'avait battue jusqu'à ce que je sombre dans l'inconscience, que Nahl oubliait souvent de me nourrir, que je devais chanter pour eux. Qu'il m'avait jeté un sort qui ferait de moi l'assassin de son frère...
- Tu n'as pas l'air d'aller bien, contra-t-elle.
- L'important, c'est que vous alliez bien. C'est tout ce qui compte. Je suis bien plus résistante que vous, princesse. Ne vous en faîtes pas pour moi et occupez-vous de vous en priorité.
- Je ne peux pas, Sixtine. Tu es la seule personne que je connaisse et qui ne soit pas Fae.
Ghur eut un rire rauque et sarcastique. Je le fusillai du regard tout en le suppliant silencieusement de ne rien dire. Qu'il n'aille pas révéler à Addy que j'étais un hybride, un Demi-Sang. Je ne savais vraiment pas comment elle allait réagir si elle apprenait qui j'étais réellement.
Addy leva les yeux vers lui, l'air étonné. Je me tendis, devinant qu'il n'allait pas répondre à mes prières et qu'il allait tout lui raconter. Il allait se faire plaisir et détruire le seul allié d'Addy, l'isoler complètement. En y songeant, ce n'était pas idiot. Addy devait l'avoir beaucoup ennuyé pour savoir si j'allais bien. L'amener ici, lui révéler que j'étais à demi Fae... C'était le plan parfait pour l'amener à couper les liens entre nous et pour pouvoir la garder pour lui seul.
- Qu'est-ce qu'il y a ? Qu'ai-je dit de drôle ?
- Ta très chère amie est la dernière héritière des Aderleen.
La voix de Ghur était rauque, sèche et vibrante. Elle était en parfait accord avec le reste du personnage.
- Les Aderleen ? Ça ne me dit rien. Je ne pense pas connaître cette famille. Mais je ne connais pas beaucoup de familles en dehors de celles qui rôdaient tout le temps à la cour.
- Les Aderleen sont des hybrides, des monstres.
Addy se tendit, le visage inquiet.
- Même parmi les Unseelies, leur légende est toujours vivante. Encore plus maintenant que leur dernière héritière a refait surface.
- Je... Je ne comprends pas. Qu'a fait cette famille de si incroyable ?
- Les Aderleen étaient des humains qui se sont reproduits avec des Faes. La rumeur veut que ça ne soit qu'avec des Unseelies mais les Seelies ne sont pas des saints. Toujours est-il que la famille Aderleen est une famille d'hybrides, de Demi-Sangs. De véritables barbares. C'était à attendre. Pour que des humains se reproduisent avec des Faes, ils ne devaient pas être très normaux. D'après ce que je sais, ils vivaient en dehors de la civilisation. Ça veut tout dire, non ?
Mes ongles percèrent ma peau tant je serrais les poings. Il en rajoutait pour effrayer Addy, confirmant le plan que j'avais deviné. Il voulait l'éloigner de moi, créer une séparation nette et précise entre Addy et moi.
- J'ai entendu une histoire entièrement différente, dis-je sèchement.
- Plaît-il ?
- D'après l'histoire qu'on m'a raconté sur les Aderleen, ils étaient des Faes. Le dernier fils de la famille s'est enfui de la Faerie pour se marier avec une humaine dont il était tombé amoureux. Et ils auraient eu des enfants qui ont continué à porter le nom de Aderleen.
- C'est tout l'inverse, remarqua doucement Addy.
J'affrontai Ghur du regard sans faillir. Il serra les mâchoires et ne détourna pas les yeux, agacé. Il pensait vraiment que j'allais me taire et le laisser continuer ses petites manigances ? Il ne pouvait pas être si idiot, n'est-ce pas ?
- Toujours est-il que les Aderleen sont des Demi-Sangs, la pire race de Faes au monde, siffla Ghur. Ils ne ressemblent pas à des Faes mais ne manquent d'aucun des traits qui font de nous ce que nous sommes. Parfois, ils sont même bien pires que n'importe quel Unseelie.
Mes dents grincèrent et le sang continua de couler entre mes doigts. Il commençait à vraiment m'énerver, lui. Il tenait vraiment à me faire passer pour un monstre auprès de la jeune princesse.
- Sixtine n'est pas comme ça, dit calmement Addy avec un sourire. Et puis, un nom de famille ne définit pas la personnalité. Surtout que Sixtine n'a même pas été élevée par des Aderleen mais par les Marchetta. Il n'y a rien à craindre. N'est-ce pas, Sixtine ?
- Je n'ai rien de Fae, éludai-je.
- Tu chantes comme une Fae. Tu es capable de contenir de la magie. Tu sais lire l'ancien langage mais pas la langue royale. Tu es bien plus Fae que tu ne le dis, Sixtine Aderleen.
- Tu chantes ? Vraiment ? J'avais vaguement entendu Ryker en parlant au Capitaine mais je n'y ai pas cru.
- Oh oui, elle chante, ricana Ghur. Elle chante même pour Son Altesse. C'est grâce à elle qu'il y a désormais un grand mur de glace entre la Faerie et l'armée de ton peuple.
- Vraiment ?
Je ne pus que hocher la tête.
- Il ne t'a pas laissé le choix, n'est-ce pas ?
- Bien sûr que non. Si je le pouvais, je créerais un chemin pour que l'armée vienne détruire cet endroit brique par brique. Mais si je peux chanter et sentir la magie, je ne peux pas m'en servir.
- Il n'est pas question de capacité, répliqua Ghur, moqueur. Si tu peux la sentir, tu peux t'en servir. C'est juste que tu ne sais pas le faire.
Il fit signe à Addy de se lever. Elle passa ses bras autour de mes épaules en secouant la tête.
- Encore un peu !
- Non. Il est plus que l'heure. Debout.
Elle me relâcha en faisant la grimace. Je passai une main dans ses cheveux en forçant un sourire.
- Ça va aller, allez-y, princesse. Allez.
Elle se leva et suivit le Fae hors de la chambre. Avant de refermer la porte, Ghur m'envoya un dernier regard narquois. Je soupirai, une fois seule, et je recommençai à fixer le plafond. Je sentis quelque chose me gratter dans le dos, me forçant à me relever et à tâtonner pour le trouver.
C'était un morceau de papier chiffonné. Je le considérai pendant un long moment, choquée. Il était évident qu'il venait de Addy. Je ne savais pas à quel moment elle était parvenue à le laisser tomber derrière moi mais je devais admettre qu'elle avait fait preuve de génie. Je l'avais sous-estimée.
Après avoir essuyé mes mains sur ma robe, je dépliai et défroissai le papier. Addy avait eu la bonne idée de laisser la bougie posée sur le sol, au pied du lit. Occupée par les attaques de Ghur, je n'avais pas fait attention à ce qu'elle faisait et il devait en avoir été de même pour le Fae. Elle s'était jouée de nous deux et nous n'y avions vu que du feu.
Je me penchai près de la flamme dansante pour déchiffrer ce qu'elle avait écrit.
Deux mots.
Deux petits mots improbables.
Deux petits mots qui firent trembler mes mains.
« Ryker arrive. »
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